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Francis Vielé-Griffin

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LA CERTITUDE DE LA BEAUTÉ


Poésie / Poémes d'Francis Vielé-Griffin





« Plus qu'aucune, l'ouvre de M. Francis Vielé-Griffin est une. Aussi bien, est-il un poète symboliste... » écrivait Jean de Cours, auteur d'une étude sur Vielé-Griffin, dans son introduction au choix de poèmes de l'auteur de La Partenza, publié au Mercure de France en 1923. Pourtant, bien qu'il participât de près au mouvement symboliste - à défaut d'Ecole symboliste, car, pour reprendre le mot de Charles Morice, encore aurait-il fallu qu'il y en eût une - Francis Vielé-Griffin ne nous apparaît pas aujourd'hui comme un poète symboliste. D'ailleurs, il n'appartenait à aucune chapelle littéraire, et sa poésie dédaignait les préjugés d'école. Parisien d'adoption, il n'était pas un assidu des salons littéraires, même s'il compta très tôt, à partir de la fin de l'année 1885, parmi les mardistes de la rue de Rome, même s'il fréquenta le café montmartrois « Au Chat Noir ». Mais, de même que Mallarmé s'évadait vers sa maison de Valvins, pour remonter la Seine sur « la yole à jamais littéraire », Vielé-Griffin s'échappe du bouillonnant microcosme littéraire du Paris fin de siècle, pour s'ouvrir à la nature, avec parfois plus de profondeur et moins de candide joie que Francis Jammes auquel il fut souvent comparé. Aussi son style lent et mélodique nous apparaît-il bien éloigné de ce goût génialement délétère et pessimiste de l'étrange, du morbide, de l'anormal qui hante des ouvres telles que Les Chants de Maldoror ou l' A rebours de Huysmans.





Il avait la grâce d'être simple, naturel et spontané en un temps où il était de bon ton de chercher obscurité et hermétisme. Il brûlait d'un amour pour la vie tout autant grave qu'enfantin. Tandis que ses contemporains peuplaient leurs textes de basilic et de guivre, d'unicorne et de stryge, de bétoine et d'amaranthe, de téré-binthe et de marrube, faune ef flore fantastiques, terribles et grouillantes, comme dans les tableaux de Jérôme Bosch, tout droit issues des bestiaires et plantaires du Moyen Âge, Vielé-Griffin, selon le mot de Bernard Delvaille, « ouvrait la fenêtre ». Et l'air vivifiant qui pénètre en ses sens avides de pureté le grise assez pour qu'il chante, avec une générosité anarchiste, les bois calmes et frais, la mer sauvage à la houle orgueilleuse et triomphale, aux vagues lascives et tenaces, la fatigue heureuse qui invite à la sieste, l'heure douce et mystique du soir qui tombe, les fleurs du chemin et les chansons de la route, avril où tout renaît à peine, octobre, mois doux des vendanges et de la frêle et timide nature, l'automne auguste aux yeux de pèlerin. Sa poésie transparente comme le grand air est toute vouée à l'exaltation de la nature et de la vie. André Ruyters disait : « Vielé-Griffin, lui, c'est toute joie claire et matin fleuri ! Il est le panthéiste ardent et candide. Celui qui fit d'être sous le ciel si bleu ! Celui qui se réjouit en la gaîté simple des petites choses qu'il foule aux pieds et qu'il aime (...). L'ouvre de Vielé-Griffin est l'ouvre de vie ». Limpide et calme : telle est sa poésie. Et son univers n'est pas illimité, il est authentique et chaJeureux ; il n'est pas banal, c'est un vaste jardin ombragé et silencieux où bat le pouls de la nature, qu'arpente ce propriétaire discret et aimant : l'univers de Francis Vielé-Griffin est un domaine.



Mais, à défaut d'être symboliste, Francis Vielé-Griffin fut sans doute l'un des plus grands poètes du vers libre. Ne rouvrons pas la querelle du vers libre. Il importe peu ici de savoir si l'on en doit la paternité à Arthur Rimbaud, Marie Krysinska, Walt Whit-man ou Gustave Kahn. Aucun de ceux qui s'y essayèrent ne sut, autant que Vielé-Griffin, lui donner toute sa fluidité, ainsi que le soulignait André Breton : « Son vers est le plus ensoleillé de l'époque, le plus fluide ». D'ailleurs, Francis Vielé-Griffin comptait, avec Saint-Pol-Roux (grand poète du symbolisme, hélas trop oublié) et Paul Valéry, parmi les poètes que l'auteur de Nadja préférait et admirait ; et d'Eluard à Aragon, il ne laissa aucun des surréalistes indifférent. Il saura montrer moins de rigidité dogmatique que René Ghil dans la défense du vers libre, cat il s'agit pour lui d'écrire selon le rythme intérieur que chacun porte en soi. Cela ne l'empêche pourtant pas de souvent conserver la rime, qu'il laisse aller au seul gré du tact poétique. Avec Vielé-Griffin, quelque chose de nouveau entrait dans la poésie française ; et si son vers libre n'a pas les audaces sublimes de celui d'Emile Verhaeren (son ami, auquel il dédiera La Clarté de ViE), il n'a pas la mièvrerie des mauvaises imitations de ballades populaires où s'engluaient de piètres littérateurs de l'époque. II « avait l'alexandrin dans l'oreille », disait de lui Emile Fa-guet, et, de fait, cette musicalité libre et rigoureuse donne à sa poésie un sentiment de légèreté subtile qui berce une nostalgie ancienne. Son vers libre ne sombre pas dans le compromis entre les cadences traditionnelles et une métrique arbitraire à laquelle la langue française pouvait se montrer rebelle. Chaque vers se suffit désormais à lui-même, il a son rythme propre, sa musique intérieure qui existe par elle-même. La grande réussite de Vielé-Griffin est d'avoir permis que chacun de ses vers vive et ne soit pas seulement un élément de la strophe ou du poète. Sa conception rythmique, qui s'écoule au gré des pensées, a des audaces qui ne peuvent être comparées à la poésie de son ami Henri de Régnier, qui concevait le vers libre comme une variation autour de l'alexandrin et de l'octosyllabe. Et puis il y a surtout dans ces textes aux couleurs traditionnelles, mais aux résonnances inédites, une langue française mélodique et fluide (Ses Poèmes et Poésies, parus au Mercure de France, en 1895, sont dédiés au fin parler de FrancE). Il a su donner aux mots une musicalité exquise, en s'imprégnant de la prosodie anglaise dont il était très familier.



En effet, tout comme son ami Stuart Merrill, Francis Vielé-Griffin était américain d'origine. Ses ancêtres avaient fui vers le Nouveau Continent pour des raisons religieuses : les Vielé, protestants, avaient quitté Lyon au moment de la révocation de l'Edit de Nantes, et les Griffings s'étaient exilés de leur Ecosse natale, chassés par les Puritains. Il est le dernier enfant d'un général de père, Egbert Vicié, cadet de l'école militaire de West-Point, personnage bohème et excentrique, qui se convertira en architecte-paysagiste avant de devenir congressman, vice-président de la Société Géographique Américaine et président de la Société Aztèque. Quant à sa mère, Térésa Griffin, il faut la croire fort belle pour que Longfellow (qui venait parfois dîner avec Wordsworth chez ses parentS) lui consacrât un poème, Beautiful and snow white.

Egbert Vielé, qui participait à la guerre du Mexique, avait épousé Térésa Griffin en 1850, lors d'une permission. S'inspirant de cette guerre du Mexique, Térésa Griffin-Vielé publia un ouvrage en 1858, Following the dream, a glimpse offrontier life, qui fut réédité plusieurs fois'. En 1853, naquit Kadilyn, petite personne majestueuse d'une beauté calme et sereine, qui se consacrera à des recherches généalogiques sur sa famille, et avec laquelle le poète gardera peu de contacts. Puis ce fut, en 1858, Térésa, dheTéa, fillette aux grands yeux bruns et profonds- En 1856 naquit le premier garçon de la famille, Herman, qui sera d'abord ingénieur avant que sa santé ne le contraigne à cesser ses activités. Il s'adonnera ensuite à la peinture et à l'écriture, sous le pseudonyme de Knickerbocker-Vielé (du nom de son aïeule maternelle ; les pseudonymes familiaux étaient en vogue chez les Vielé). Ses Random Verses sont dédiés « fraternellement ec confraternellement » à son frère. Son House ofsi-lencesen jouée à New York en 19062. 1865 vit la naissance d'Emily dont Vielé-Griffin resta très proche. Il écrira d'elle : elle était comme mon ombre, et je la confonds dans mes souvenirs avec moi-même. Elle est l'auteur d'un livre de poésies et d'un roman, Eve Dorre.



L'avant-dernier enfant de la famille, Egbert Ludovicus, qui deviendra Bertie pour les siens, vit le jour le 26 mai 1863 à Norfolk, en Virginie, où le Général Vielé avait été nommé Gouverneur militaire pendant la Guerre de Sécession. Peu de temps après sa naissance, les Vielé au complet s'installent à New York dans la 28'"" rue. Mais cette maison style empire à la façade en grès n'est pas leur seule résidence. Ils achètent de vieilles demeures, les restaurent, en redessinent le parc et les abords, et les revendent au meilleur prix. Ainsi des maisons de Mahopac, qui évoque pour Vielé-Griffin ses premiers souvenirs touchant la nature, d'Ashford-Hill ou de Rockaway, patrie de Walt Whitman, dont il traduira le Thrènepour le président Lincoln, et de nombreux autres textes.



Bertie a neuf ans, en 1872, quand ses parents divorcent. Sa mère et lui s'embarquent alors pour la France ; il ne reverra plus jamais son père. Le jeune Bertie découvre un Paris dévasté par la Gommune. Il est aussitôt inscrit à la Pension Chaine, rue de la Tour d'Auvergne, où il reste très peu de temps. Son initiation au français est alors confiée à une polonaise, Mademoiselle Noviska. L'été venu, Térésa Vielé et son fils partent en voyage à travers la Suisse, avant de se fixer à Luceme, puis à Château-d'Oex. Elle confie son fils à Mme X..., et retourne aux Etats-Unis, d'où elle revient avec Emily.



Ensemble, à l'automne 1872, ils emménagent à Paris, avenue Marceau, Bertie est inscrit au Cours Figuerra de la rue de Courcelles, puis chez les Frères Maristes de la rue de Monceau, où il restera de la onzième à la septième mais il passera, entre temps, un an au lycée de Baden-Baden, en 1876. Il a quatorze ans quand il entre en sixième à Stanislas, rue Notre-Dame-des-Champs, où il passera six années. A partir de la quatrième, il a comme condisciple Henri de Régnier, auquel le liera une amitié de près de vingt ans. 11 fait de nombreux séjours en Bretagne, en Bourgogne, en Normandie, à Spa, pendant les vacances, au cours desquels il développe sa transparente sensibilité. A vingt ans, il se joint pendant plusieurs mois, dans la vallée du Loing, en aval de Montargis, à une colonie de peintres, parmi lesquels Salomon (qui fait son portraiT), Laverley, Valgreen, Moriss, Bridgeman, Harrison, Sargent... Temps de bohème et de naissance artistique... De retour à Paris, et bien décidé à se consacrer à la peinture, il loue un atelier rue Notre-Dame-des-Champs. Il s'inscrit à la fois à une Académie de dessin, et à la Faculté de Droit, où il retrouve Régnier et Jean Ajalbert. Sa passion pour la peinture ne l'empêche pas pour autant de s'adonner à l'écriture. Il donne un poème, L'Art Suprême, sous le pseudonyme d'Alaric Thome, dans le n° 29 du Lutece du 29 mars 1885, qui publiera Les Complaintes At Laforgue. Deux ans plus tard, le 16 avril, il épouse une jeune française rencontrée à Paris, Marie-Louise Brocklé. Le jeune couple pour lequel l'atelier du Quartier Latin est devenu trop étroit, emménage au 15. quai de Bourbon, sur l'Ile Saint-Louis. C'est là que Jules Laforgue, tout occupé par la correction des épreuves de ses Complaintes, et par la composition des poèmes réunis dans L'Imitation de Notre-Dame la Lune, vient lui rendre visite. Jules Laforgue n'est l'aîné de Francis Viclé-Griffin que de trois ans. Cette rencontre est capitale dans la vie de ce dernier, car elle débouche sur une forme poétique qui va l'intéresser davantage. Vielé-Griffin soumet quelques-uns de ses poèmes à Laforgue, qui l'encourage fortement à écrire. Il détruit toutes ses toiles, et se met au travail. Il a désormais choisi sa voie, et ne s'en écartera jamais : la Poésie, son amante impérieuse. Quand paraissent Les Complaintes, le 25 juillet de la même année, Vielé-Griffin est un des premiers à lui exprimer sa sympathie, tout comme Régnier, Edouard Dujardin, Mallarmé ou Huysmans. Vielé-Griffin sera toute sa vie très touché par les encouragements que lui avait donnés Laforgue, et lui restera fidèle. Ainsi, lorsque la concession de Jules Laforgue au cimetière de Bagneux expirera, le Mercure de France ouvrira une souscription qui sera entièrement couverte par A.-Ferdinand Hérold et Vielé-Griffin. Et s'il n'est pas des rares personnes qui suivront son convoi mortuaire, c'est parce que les vacances l'ont éloigné de la capitale.



Le déclic essentiel de cette rencontre poétique avec l'auteur des Complaintes incite Vielé-Griffin, qui n'a encore rien publié, à fréquenter les lieux où aiment à se retrouver autour de quelques Maîtres dédaignés des rigides académies, tout ce que les Lettres comptent de jeunes artistes. Il devient un habitué du célèbre café montmartrois, « Au Chat Noir », où se réunissent LaurenrTailhade, Charles Cros, Alphonse Allais, Rollinat et Léon Bloy, et parfois Paul Verlaine, buveur d'absinthe, autre rencontre décisive pour l'oeuvre de Vielé-Griffin. Car il est évident que l'influence de Laforgue et de Verlaine est omniprésente dans sa poésie. II commence à compter parmi les mardistes du 87, rue de Rome, et écoute silencieusement parler le Maître Mallarmé. II y a là, outre Vielé-Gi-ffîn, Régnier, Ajalbert, Hérold, Albert Mockel, André Fontainas, Charles Moréas, Henri Mazel... Les théories poétiques que développent Mallarmé font sur le jeune Vielé-Griffin l'effet d'une révélation. Il conservera de ces soirées où l'auteur d'Igitur accueille dans sa salle à manger qu'enveloppent de diaphanes volutes bleues, les jeunes littérateurs de l'ère symboliste, un souvenir impérissable. Vielé-Griffin suit quelques fois Mallarmé quand il s'évade à Valvins, où « le poète "artificiel" cueille les fleurs les plus naïves », se souvient Paul Valéry. Comme le remarque Bernard Delvaille, « c'est certainement de ce Mallarmé-là que Vielé-Griffin fut le plus proche » ; en témoigne ce texte magnifique, parmi les plus beaux et les plus intenses de Vielé-Griffin, qu'il consacre à l'auteur d'Un coup de dés:



Maître, vous vivez

De cette Vie plus haute et immortelle.

De cette vie invectivée,

La vie de ceux qui procréèrent leur âme

Et naquirent de leur volonté.

Invulnérables au rire infime,

Joyeux d'avoir vu la Beauté.



En 1886, Vielé-Griffin collabore à la Revue Rose, aux Ecrits pour l'Art. Au même moment, paraît son premier recueil, Cueille d'Avril, imprimé en novembre 1885 sur les presses de Lutèce, et mis en vente chez Léon Vanier, qu'il signe du pseudonyme de Francis V Griffin. S'il s'efforce dans cet ouvrage d'assouplir le vers parnassien, l'influence croissante de Mallarmé, fera évoluer ses procédés d'écriture. D'autant que, toujours par le biais de Laforgue, Vielé-Griffin a pu faire la connaissance de Gustave Kahn, autre maître incontestable du vers libre. Il envoie un exemplaire de son livre tout frais sorti des presses de l'imprimeur au Maître de la rue de Rome, qui lui adresse une réponse élogieuse et pédagogiquement encourageante. Lutte ayant disparu à la fin de l'année, Vielé-Griffin émigré vers la Revue Indépendante d'Edouard Dujardin (qu'il a pu rencontrer par l'entremise de Laforgue, dont il a été jusqu'à la fin l'ami fidèle et dévoué), à laquelle Barbey d'Aurevilly, Lucien Descaves, Edmond de Goncourt, Paul Adam, Maurice Barrés, René Ghil, le sâr Péladan, Kahn, Laforgue, Octave Mirbeau, et même Moréas et Emile Zola apportent leur contribution. Il y donne des traductions de Walt Whitman et le Laus Venerisde Swinburne, qui paraîtra au Mercure de France en 1895.



En 1887. paraissent chez AIcan-Lévy, Les Cygnes. Si le recueil est entièrement composé en alexandrins, dans l'avis au lecteur qu'il rerirera des éditions ultérieures, Vielé-Griffin proclame l'extériorité du vers libre, et préconise l'usage du vers libéré des césures pédantes et inutiles. Toutefois, la poésie de Vielé-Griffin reste encore entravée dans les lourdeurs du vers parnassien. Dans Les Nouveaux Cygnes, parus cinq ans plus tard chez Vanier, ses poèmes sonr extrêmement musicaux, malgré la fusion ou l'alternance de mesures paires et impaires. Dans ces poèmes en mètres irréguliers, Vielé-Griffin est parvenu à se créer un instrumenr personnel en fait de vers libre.



La maîtrise, il l'a acquise avec Joies, parues chez Tresse et Stock en 1889. Il a conquis sa liberté, trouvé son espace d'expression. Cette joie fluide et transparente qui coule dans ce recueil est celle de la contemplation de la nature. Le chant d'un oiseau, portail de Vie ouvert et spacieux, devient un hymne à la terre. Inspiré par les rives de la Touraine, Vielé-Griffin écrit sa joie éclose en frissons. Il vient, en effet, de louer le château de Nazelles, château des fidèles amours, où il séjourne souvent et où il écrira certains de ses plus beaux textes. Ses amis viennent l'y retrouver ; ils goûtent le bonheur de la campagne dans cette famille unie (Vielé-Griffin a quatre filleS), et y redécouvrent la joie simple d'une fenêtre ouverte sur le plein air. Parmi eux, Emile Vcrhaeren dont il vient de faire la connaissance. Des liens très étroits se formeront entre les deux poètes, qui dureront jusqu'à la mort tragique de Verhaeren en gare de Rouen, en 1916. Vielé-Griffin sera, bien sûr, des 150 artistes français et belges qui, en février 1896, sur l'initiative de la revue belge L'Art Jeune, célébreront Verhaeren à la brasserie d'Harcourt.



Francis Vielé-Griffin est désormais un poète reconnu et aimé. Il écrit dans La Wallonie, La Cravache, La Vogue... Un numéro des Hommes d'Aujourd'hui lui est consacré chez Vanier, en 1888, sous la plume de son ami Henri de Régnier. Il se lie avec Francis Jam-mes, et avec André Gide, rencontré au cours du banquet Moréas. Vielé-Griffin avait été le premier à lui écrire quand étaient parus Les Cahiers d'André Walter. L'auteur de Paludes laissera de son ami un très gidien portrait : Il avait un visage tout rond, tout ouvert, un front qui semblait se prolonger jusqu'à la nuque ; mais il ramenait une grosse mèche de cheveux plats, d'une tempe à l'autre, pour abriter sa précoce calvitie ; car, malgré sa liberté d'allures, il était soucieux du décorum. Très coloré ; un regard couleur myosotis (certains, qui l'ont fort bien connu, m'affirment que son oil était jaune-gris ; mais je ne puis revoir que son regard couleur de myosotiS). On le sentait très fort, sous le boudinement de ses petites jaquettes ; ses pantalons paraissaient toujours trop étroits et ses bras se terminaient trop tôt par des mains moins longues que larges ».

Vielé-Griffin se sent prêt pour lancer « sa » revue, et fonde avec Régnier et Paul Adam Les Entretiens Politiques et Littéraires. Le premier numéro sort le l"mars 1890, chez Albert Savine, éditeur, écrivain fébrile et traducteur, puis à La Librairie Indépendante de Bailly. Les Entretiens Politiques et Littéraires deviennent très vite la tribune quasi-officielle de l'anarchisme intellectuel. Ils publieront en 1891 de larges extraits du Manifeste Communiste de Marx et Engels. Des auteurs comme Verhaeren, Paul Valéry, Henri Bordeaux ou Remy de Gourmont y apporteront leur collaboration. Dès la deuxième année des Entretiens, Vielé-Griffin en assume seul la direction. C'est de cette époque aussi que date le seul éclat de cette vie sereine et harmonieuse. Au moment de la publication de l'enquête littéraire de Jules Huret, une polémique l'oppose à Catulle Mendès. Les deux hommes s'affrontent à l'épée sur l'île de la Grande-Jatte, le 18 septembre 1891. Francis Vielé-Griffin, qui a pour témoins Paul Adam et Félix Fénéon, est blessé à hauteur d'estomac par son adversaire.



Après Les Nouveaux Cygnes, écrits à Nazelles, et parus chez Vanier en 1892, Francis Vielé-Griffin se lance dans des compositions de plus grande envergure. D'abord inspiré par les légendes germaniques et le folklore chrétien dans des ouvres comme La Chevauchée d'Yeldis et Swanhilde en 1893, puis La Légende ailée de Wieland le Forgeron en 1900, il sera tenté par la tradition homérique et pindarique, LlaXai (« jadis » en greC) en 1894, La Lumière de Grèce en 1912, Voix d'Ionie en 1914. Il transfigure en des symboles d'une belle ampleur la réalité et la légende. Son ouvre poétique est déjà suffisamment importante pour qu'il la compile en un volume. Poèmes et Poésies, paru au Mercure de France en 1893. Quatre années plus tard paraît, toujours au Mercure de France, La Clarté de Vie, dédiée à Verhaeren, qui lui dédiera à son tour ses Visages de la Vie. Dans ce recueil tout inspiré par la beauté du paysage de la Loire et les rives de la Touraine, Vielé-Griffin révèle un amour de la nature en des formes nouvelles, enrichies d'harmonie intérieure. Le bonheur qu'il écrit est chuchoté du bout des lèvres, comme pour ne pas rompre un enchantement fragile. Dans ces poèmes d'émotion intime passe souvent l'influence de Laforgue et de Verlaine. Ils font l'effet d'une rêverie idyllique qui met au cour plus de joie que toute autre chose. Le vers libre, d'une aérienne légèreté, lui permet d'exprimer, de recréer, d'extatiques, fugaces et délicates visions.



Les honneurs officiels et la reconnaissance de ses pairs abondent. La Légion d'Honneur lui est décernée en 1896, en même temps qu'à Maurice Barrés. Il devient membre du Comité de rédaction de L'Ermitage, et collabore au prestigieux Mercure de France. Dans les Portraits du Prochain Siècle, sorte de bréviaire fin de siècle. où chacun écrit sur chacun avec force complaisance, son ami Henri de Régnier affirme qu'il est l'un des poètes les « plus richement et particulièrement doués de sa générarion par un sens délicat du rythme et une singulière autorité de pensée », qu'il faut l'aimer et l'admirer « car ses ouvres apprennent une âme subtile, tendre, forte ! » Un numéro spécial de la revue Saint-Graalque rédige seul le jeune Emmanuel Signoret, lui est consacré : « M. Vielé-Griffin par la suavité de ses couleurs, sa raideur et l'élévation de ses pensées, est véritablement le Giotto de la poésie française ». Il est vrai qu'entre l'ouvre du peintre italien et celle du poète français, il y a de nombreuses comparaisons. Remy de Gourmont lui consacre un « masque », dans son premier Livre des Masques, avec un bois du peintre suisse Félix Vallotton : un large front calme et dégarni, des cheveux courts sur les tempes, une longue moustache tombante, des sourcils fins qui surplombent des yeux clairs, au regard vif et serein. L'auteur de Sixtineécnc : Je ne veux pas dire que M. Vielé-Griffin soit un poète joyeux ; pourtant, il est le poète de la joie. Avec lui, on participe aux plaisirs d'une vie normale et simple, aux désirs de la paix, à la certitude de la beauté, à l'invincible jeunesse de la Nature. Il n'est ni violent, ni somptueux, ni doux : il est calme ». Il n'est pas possible d'imaginer que le classement, par Gourmont, de ses masques ait été arbitraire. Aussi ne faut-il pas s'étonner de trouver celui de Vielé-Griffin, après ceux de Verhae-ren, de Régnier et avant celui de Mallarmé. D'ailleurs, on ne cesse d'associer les deux noms de Régnier et Vielé-Griffin, ainsi, Albert Mockel qui fait une étude comparative des deux poètes dans ses Propos de Littérature, en 1894. Pourtant, qui s'y pencherait attentivement verrait entre leurs styles plus de dissemblances que de parenté. Et la vie même les séparera, puisqu'en 1898, après le mariage de Régnier avec Maria de Heredia, c'est la rupture entre les deux hommes.



Quand il doit abandonner la propriété de Nazelles à laquelle il est très attaché, Francis Vielé-Griffin se sent gagné par la mélancolie. La. Touraine était devenue, l'âge venant, une consolatrice



Les siècles te sont donnés.

Nous n 'avons que des heures.



Ce départ, qu'il vit presque comme un exil, lui inspire son plus beau texte, celui que préférait Gourmont et qu'Eluard tenait pour un chef-d'ouvre, lui Partenza, titre choisi en italien pour la tendre tristesse qu'il évoque. Dans ce texte assez court, le bonheur se nuance d'inquiétude, et le ton y acquiert une gravité nouvelle. I.es vers y coulent comme une plainte



On rêverait toute une vie

D'espoir si vain qu'on en doute...

- Mais voici la côte gravie.

Et voici le soir, et la route.



La Partenza, c'est le départ crépusculaire... Après avoir quitté Nazelles, il part passer l'automne en Italie.



Comme pendant son enfance, Vielé-Griffin va changer de domicile fréquemment. Mais aucune demeure ne saura le garder comme son château de Touraine. En 1901, il loue le Château delà Roche à Gué, près de Saint-Pierre-de-Maillet, dans le Poitou. En 1904, il s'installe au 16 quai de Passy à Paris. L'année suivante, il achète le Château de Puyrigault, à la limite des départements de la Vienne et de l'Indre. En 1920, il vend La Thomasserie, et achète un des hôtels des courtisans en-bas du Château d'Amboise. Deux ans plus tard, il emménage avenue de Breteuil à Paris, et achète le Château de Champagne-Fontaine dans le Périgord, qu'il revendra en 1925. J'ai un grand voyage à faire...

Il apporte sa participation fervente à /. 'Occident d'Adrien Mithouard, à La Plume de Léon Deschamps, et à Vers et Prose revue fondée par Paul Fort, à laquelle collaborent aussi Apollinaire, Alain-Fournier, Carco. Son ouvre devient moins abondante. En 1903, paraît à la Bibliothèque de l'Occident, L'Amoursacré, dédié au « souriant et grave souvenir » de sa sour Téza. Cet ouvrage est composé de sept poèmes consacrés aux Saintes Agnès, Eulaiie de Mérida, Julie 4, Jeanne, Dominante de Brage et aux Saints François l'Apocryphe et Michel du Péril, dont il exalte le courage face à la misère humaine. Peut-être avait-il lu Les Saintes du Paradis de Gourmont, parues en 1898, et en avait-il goûté la subtile beauté ?



Les ouvrages de Vielé-Griffin se font de plus en plus rares. Il préfère consacrer son talent poétique à des traductions de l'anglais. II publie en 1908 Thrbie pour le président Lincoln d'après Walt Whitman, et donnera quelques autres traductions du grand poète américain quand paraîtront en 1918, à la NRF, les Ouvres choisies de l'auteur de Feuilles d'herbe (Jean Schlumberger, Jules Laforgue, Louis Fabuler, André Gide et Valéry Larbaud apporteront leur contribution à ce volumE) 5. En 1911, avec Henry-D. Davray, il traduit La Conquête du courage de Stephen Crâne 6, et, seul. Le Lépreux de Swinburne. En 1924, il se consacre à la traduction du superbe texte de Dante Gabriel Rossetti, La Demoiselle Elue ', mis en musique par Debussy. Il donne encore quelques recueils, La Rose au flot d'après une légende du Poitou en 1922, Le Domaine Royal, discours lyriques en 1923, Saint François aux Poètes en 1927, ode magnifique de la religion de la Nature.



Sa pièce en vers Phocos le Jardinier, est jouée au Théâtre du Vieux Colombier, sur une mise en scène de Jacques Copeau. Un jeune poète, Jean de Cours, prépare pendant quatre ans une monographie consacrée à Francis Vielé-Griffin, et préface un Choix de poèmes en 1923. Ses Ouvres complètes paraissent en quatre volumes au Mercure de France de 1924 à 1929. Quand la Société Stéphane Mallarmé est créée en 1923, il en est le trésorier. Il est reçu à l'Académie Royale de Belgique en 1932. En 1935, il est fait Commandeur de la Légion d'Honneur, tandis que son buste, sculpté par Lamourdedieu, entre au Musée du Luxembourg. Le 19 février 1937, naît l'Académie Mallarmé, qui compte dans ses rangs Saint-Pol Roux, Edouard Dujardin, Maurice Maeterlinck, Louis Ajalbert, Paul Valéry, Paul Fort, André Fontainas, A.-Ferdinand Hérold, Alfred Mockel. Il en est le président. Quelques mois plus tard, le 12 novembre 1937, au terme d'une existence limpide, animée d'une passion sereine pour la Poésie, Francis Vielé-Griffin s'éteint à Bergerac, où il venait de s'installer.



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Francis Vielé-Griffin
(1864 - 1937)
 
  Francis Vielé-Griffin - Portrait  
 
Portrait de Francis Vielé-Griffin

Biographie / chronologie

1863
- Le 26 mai, naissance à Norfolk en Virginie, d'Egbert Ludovicus Vielé, « Bertie », quatrième enfani de Térésa Griffin et du Général Egbcrt Vielé, gouverneur militaire de la Virginie pendant la Guerre de Sécession.

Bibliographie / Ouvres

ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

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