wikipoemes
paul-verlaine

Paul Verlaine

alain-bosquet

Alain Bosquet

jules-laforgue

Jules Laforgue

jacques-prevert

Jacques Prévert

pierre-reverdy

Pierre Reverdy

max-jacob

Max Jacob

clement-marot

Clément Marot

aime-cesaire

Aimé Césaire

henri-michaux

Henri Michaux

victor-hugo

Victor Hugo

robert-desnos

Robert Desnos

blaise-cendrars

Blaise Cendrars

rene-char

René Char

charles-baudelaire

Charles Baudelaire

georges-mogin

Georges Mogin

andree-chedid

Andrée Chedid

guillaume-apollinaire

Guillaume Apollinaire

Louis Aragon

arthur-rimbaud

Arthur Rimbaud

francis-jammes

Francis Jammes


Devenir membre
 
 
auteurs essais
 
left_old_somall

Victor Hugo

right_old_somall

Étude sur le théâtre de Hugo


Poésie / Poémes d'Victor Hugo





Édite pour la première fois en 1974. cet essai sur le théâtre de Victor Hugo fit date. Plus de 25 années après, et avant le bicentenaire de l'une de nos gloires nationales, Anne Ubersfeld nous en propose une version revue.

Même si. intellectuellement. Victor Hugo remporta la bataille d'Hernani. son théâtre fut un échec renouvelé - ce qu étudie la première partie consacrée à la genèse des drames et à leur accueil par la critique et le public. Hugo, tout arriviste qu'il soit, refuse de flatter, tour à tour, l'élite et le grand public. Il s'efforcera de créer un nouveau public qui serait un et populaire, en donnant la même année une pièce à la Porte Saint Martin et l'autre a la Comédie Française, déjà subventionnée.



Les drames de Hugo ont été approuves ou condamnés (surtout condamnéS) en fonction d'une idéologie qui n'était pas la sienne ou, plus exactement, pas la leur. Ce que ses ennemis ne peuvent pas lui pardonner et ce que ses amis ne peuvent pas comprendre, c est une subversion de plus en plus affirmée de récriture dramatique, c'est l'invention d'un code qui n'est ni celui de la tragédie, ni celui du drame bourgeois, ni celui du mélodrame : l'utilisation simultanée du sublime et du grotesque. Si le théâtre de Hugo ne fut pas de son temps, c'est pour quatre raisons essentielles :

- Le poète se détache du je lyrique ;

- Il fait parler le je grotesque ;

- Ce je étant théoriquement inapte à la parole, la parole du grotesque-peuple finit par n'être plus parole de personne :

- Cette mise en question du sujet entraîne la destruction simultanée du je et de l'autre. Si notre temps l'accepte, c'est par linacceptable cruauté de Hugo, proclamant la légitimité de la revendication du monstre et l'anéantissement mutuel du bourreau et de la victime.



RETOUR AU THÉÂTRE



Victor Hugo s'est cru, s'est voulu un auteur dramatique; ses premières tentatives datent de l'adolescence, presque de l'enfance et, de la tragédie au vaudeville, en passant par le drame et le mélodrame, recouvrent tout le champ du théâtre. Il fait avec la Préface de Crom-well la théorie du drame romantique, avant d'affronter la pratique de la scène. La mêlée d'Hernani, hasardeuse et confuse, pas plus que l'échec d'Amy Robsart et l'interdiction de Marion de Lorme, ne le détournent de ce choix délibéré de la forme dramatique.

Nous laisserons de côté pour le moment la raison avouée et mille fois répétée par Hugo lui-même1 et par ses adversaires. Il est bien évident que dans la première moitié du XIXe siècle, le théâtre apparaît comme la voie la plus rapide non seulement à la renommée mais à la fortune. À côté des bénéfices de la librairie, les bénéfices du théâtre peuvent apparaître prestigieux. Et il serait vain de nier l'importance que revêt pour Hugo, lourdement chargé de famille, la préoccupation financière2.

Mais ces arguments ne sont pas les seuls, et l'écriture du drame répond pour Hugo à des préoccupations intérieures qui non seulement ne peuvent se séparer des précédentes, mais font véritablement corps avec elles. Malgré le charme qui entraîne Hugo pendant la rédaction de Notre-Dame de Paris, et dont il fait volontiers l'aveu5, il a le sentiment que l'écriture romanesque le distrait de sa véritable parole. C'est que par opposition au roman, où la parole unificatrice du créateur se fait entendre en constructions, en digressions, en apartés, en confidences au lecteur, le théâtre est le lieu où le moi hugolien se divise nécessairement en personnages, où le personnage qui dit je ne le dit pas à la faveur d'un dialogue accidentel mais se trouve hypostasié dans la personne d'un acteur vivant; son je est donc extérieur à l'auteur mais comme l'auteur, il cherche - et refuse - l'adhésion immédiate d'un interlocuteur vivant. C'est-à-dire qu'à la faveur du théâtre, le moi de Hugo peut chercher l'adhésion de l'Autre, sans risquer d'être blessé par un refus puisque ce moi est caché sous les espèces non pas seulement d'un acteur mais de plusieurs acteurs.

Le Oui du spectateur sera un Oui vivant et s'adressera bien à la personne de Hugo, mais le Non ne parviendra à sa conscience qu'à travers toutes les médiations du théâtre, des acteurs, et des personnages. Écrire pour le théâtre, c'est donc toujours jouer sur deux tableaux.



Le Moi fracturé



Plus que jamais après 1830 - et nous verrons plus loin pourquoi - le drame de Hugo est vécu comme l'impossibilité de réparer, de combler la faille intérieure. Si nous employons le mot de fracture1, c'est qu'il apparaît dans le vocabulaire de Hugo. On sait depuis longtemps que la fracture psychologique de Hugo - et il est à peine besoin pour ce faire de recourir à la psychanalyse - provient de l'opposition non résolue entre le père et la mère. Dès son plus jeune âge, Hugo est déchiré entre un côté du père ■ et un « côté de la mère -. Citons ce texte du Victor Hugo raconté : ■ Ce qu'ils (les enfants HugO) voyaient, entendaient, étaient (.siC) une contradiction continuelle, leur père, soldat de 92 leur parlait: révolution, leur mère vendéenne: droit divin. Tout, jusqu'à l'idée de famille, qui était contrariée. Près leur mère, près leur père malgré la division, leurs cours se chauffaient, ils sentaient la douceur du nid, la famille vite échappait, l'orage venait, leur mère était amère, leur père irrité. Quand ils avaient le père, ils n'avaient pas la mère: jamais les deux! jamais qu'un tronçon de famille - une idée était à peine formée qu'elle s'évanouissait, l'une chassait l'autre. Ce qui est la base de l'enseignement, ce qui est la vie: religion, idées, principes étaient sans cesse bouleversés; ils allaient de (la négation, biffé) l'affirmation à la négation, le roulis était continuel.1 . Nous citions avec ses scories ce texte surprenant qui paraît jusqu'en ses images (chauffaient, tronçoN), jusqu'en ses repentirs, reproduire la parole du poète; imprudent aveu, qui ne fut pas imprimé; le haut degré de conscience du poète en son âge mûr ne laisse rien ignorer de la faille intérieure, de son origine et même de ses conséquences : le mouvement pendulaire de la pensée des enfants se termine sur la négation. Les images paternelles et maternelles ont subi pour lui une double souillure. Bien plus que la banale désunion entre les parents, c'est l'effondrement en lui, d'abord de l'image du père, puis de l'image de la mère qui sont à l'origine du déchirement. En 1814-1815, le jeune Hugo ne souffre pas seulement d'être brutalement arraché à sa mère et jeté en prison tandis qu'il ne peut éviter de voir sa mère insultée et même frappée, mais surtout - des confidences éparses dans le Victor Hugo raconté en font foi -, les enfants s'indignent de voir leur père vaincu : le siège de Thionville peut être glorieux, le général Hugo doit finalement rendre la ville, et la défaite de Napoléon est aussi une défaite du Père.



Nous irons plus loin: il nous paraît que c'est l'absence matérielle du Père, le manque de la présence paternelle qui est pour l'adolescence des jeunes Hugo, décisive. Lacune qui ne sera jamais comblée et qui continue à vivre dans l'ouvre hugolienne, comme une place vide, comme un appel angoissé.

Nous ne pouvons faire que des conjectures sur ce qui fut à l'origine de l'effondrement de l'image maternelle. Mais le contraste est tel entre la tendresse passionnée des poèmes de l'adolescence adressés à la mère et l'horreur tragique des figures maternelles dans le théâtre ou le roman à partir de Notre-Dame de Paris, que cet effondrement doit avoir trouvé sa place entre la mort de la mère et 1830. Ne peut-on pas supposer que Hugo a trouvé dans les papiers du général, après la mort de ce dernier un certain nombre de documents, peut-être ceux du procès en séparation, qui jetaient sur la moralité maternelle un jour suspect. Ainsi s'expliquerait l'étrange quatrain du 30 mai 1828, postérieur de quelques mois à la mort de son père :



Dieu me reprendra-t-il ce bonheur qui s'enfuit?

Quelle fleur de mon front tombera la première?



D'où me vint la lumière

M'enverra-t-il la nuit



Ainsi s'expliquerait aussi l'apparition de la courtisane amoureuse, celle qui, Mariposa ou Marion, tente désespérément et sans y réussir, de sauver l'homme qu'elle aime condamné par le Pouvoir 2.

À la même date (1828-1829), ce n'est pas seulement l'image de Sophie qui fléchit, c'est aussi l'ensemble des idéaux qu'elle représente : ceux de la monarchie de droit divin. Et c'est au niveau des rapports entre le père et la mère que s'établit chez Hugo cette conjonction entre l'individu et l'histoire qui représente l'essence même de son théâtre.



La faille de l'histoire



Ainsi donc il apparaît que le projet dramatique de Hugo part de l'impossibilité de vivre, ou si l'on veut de résorber l'opposition du père et de la mère ; le moi hugolien est celui qui doit et ne peut concilier en lui « mon père, vieux soldat, ma mère vendéenne' ». La mise en question du père et de la mère ne peut se comprendre indépendamment des instances historiques. La rupture avec le père, c'est aussi la chute de l'Empire. La liquidation du souvenir de la mère c'est aussi la chute de la monarchie absolue.

Allons plus loin : Hugo est l'enfant de l'Histoire. Ce formidable coup de pied qu'elle distribue tout à coup aux hommes de 1789, et que les générations suivantes ne peuvent oublier, projette aussi dans l'existence Victor Hugo. Tout se passe comme s'il était, très matériellement, né de la Révolution et plus précisément de cette révolte de la Vendée qui expédie à Nantes le soldat bleu Léopold Hugo à la rencontre de la voltairienne et monarchiste Sophie Trébuchet. Toute sa vie, Hugo porte intensément la conscience d'être le fruit du hasard en même temps que d'un inéluctable mouvement de l'Histoire. Mais voici que cette histoire se déchire; les parents Hugo se séparent; au général Hugo, l'homme de Joseph Bonaparte, le chasseur de guérilleros, succède un autre père, Lahorie, adversaire de Napoléon et fusillé par lui.



Le Dernier jour d'un condamné



Quoi qu'il en soit, le moi de Hugo subit de 1828 à 1831 une crise qui se manifeste dans ses rapports avec l'autre. Une subtile désaffection l'éloigné de sa femme, désaffection dont on a mainte fois cité les manifestations littéraires: Nourmabal la Housse ou les Tronçons du Serpent: peut-on ajouter, comme le veut J. Seebacher, attrait sodomite pour l'Autre-Homme? Nous serions tentés de le penser1, ne serait-ce qu'à cause du monument d'angoisse qui couronne les Orientales, et qui s'appelle le Feu du Ciel.

Le grand témoignage littéraire de cette crise, c'est le Dernier Jour d'un Condammé, ouvre dont Jean Massin a donné une analyse d'une grande pertinence2. L'ouvre est capitale non seulement par ce qu'elle révèle des fantasmes et des angoisses de Hugo - mais surtout parce qu'elle met en lumière une attitude particulière du poète : le Dernier Jour est un texte à la première personne, jusqu'à l'invraisemblance finale. Il est le /^-conscience qui parle, mais en même temps c'est un Je rigoureusement dépersonnalisé. Il est certes - et Massin s'est chargé de le montrer, merveilleusement - le je-sujet des souvenirs du moi-Hugo, mais il est en même temps le on absolu, sans nom, sans histoire, sans avenir, sans action, le je qui s'ouvre dans le drame éternel et instantané de la mort imminente, le je du théâtre.

Il nous paraît que le Dernier Jour est le porche de l'ouvre théâtrale et ne saurait se comprendre que comme l'effort désespéré de l'écrivain pour s'abolir en tant qu'individu tandis qu'il s'affirme comme sujet écrivant: l'acte qui constitue le Je du Condamné (condamné aussi à l'immobilité, comme le montre si bien MassiN), c'est l'acte d'écrire: or cet acte a précisément le sens de cette communication à un Autre que l'action ou la parole ont refusé au Je. La lucidité jointe à l'aveuglement sont la marque de la réception du Condamné: Nodier pressent que le Je du condamné a de singuliers rapports avec le Je de l'écrivain et ne comprend ni pourquoi, ni comment, passant à côté du sens de l'ouvre1.

Hugo recherche dans l'ouvre théâtrale une autre formule lui permettant d'écrire le Je sans traduire (ou trahiR) l'individu. De là la formule : ■ génie lyrique, être soi, génie dramatique, être les autres2 -, formule ambiguë qui traduit bien moins une identification de l'écrivain à ses personnages qu'un dépouillement du moi pour trouver l'Autre. Contact de désir, contact d'angoisse. Bien des années plus tard, Hugo racontant la première représentation d'Hernani avoue:



J'eus un frémissement de pudeur violée [-...]

Il me sembla [...]

Que devant tout ce peuple immense aux yeux de flamme

Je sentais se lever la jupe de mon âme.



La déchirure de l'Histoire, cette coupure radicale que l'on ne sait comment réparer et qu'il faut pourtant réparer, entraîne aussi la déchirure ou pour employer le terme même de Hugo, la fracture du moi. Or la faille de l'histoire est à la lettre doublement inéparable; elle l'est sur le plan individuel : rien ne peut faire que les parents Hugo ne soient pas morts séparés; elle l'est aussi sur le plan du monde: la société française de 1830 est telle que toute réconciliation apparaît comme provisoire ou illusoire. Et l'échec de la révolution de 1830 ne peut que confirmer Hugo dans une certitude qui était déjà la sienne au temps de Cromwell. Cette faille de l'histoire est le passé non racheté. Si Hugo veut écrire des drames historiques, c'est que le drame historique contient à la fols l'histoire et le passé.

On comprend dans cette perspective l'obsession de la Révolution comme trame du passé, vivante en soi et par soi, et que le Moi a donc le devoir vital de racheter. Hugo se tient pour l'enfant du mal historique mais d'un mal par qui brille aussi la lumière de la vie. La Terreur est son péché originel, et sa division intérieure passe par la fracture de l'histoire.

L'irréconciliable peut rêver de trouver son apaisement dans le tombeau de Charles Quint et dans le mirage impérial, ou dans la disparition des Louis XIII et des Richelieu, c'est-à-dire dans la Révolution de 1830. Mais l'illusion est de courte durée. Le moindre coup d'oil à la France de 1831 ne permet plus de nourrir ce rêve.

La tentation libérale de Hugo trouve ici sa pierre d'achoppement. L'espérance d'une société unie échoue devant le comportement des Libéraux et leur capitulation devant les Orléanistes et les banquiers. Les notes personnelles de Hugo portent témoignage à la fois de ses espérance libérales et de ses désillusions1. Sur ce point, son évolution n'est guère différente de celle d'un Balzac. Et la méfiance qu'il nourrit à l'égard des chefs libéraux a pour corollaire leur propre réticence vis-à-vis de ses ouvres.



La blessure du moi et le drame personnel



On ne sait à quelle date Hugo a senti la détérioration de ses rapports d'amitié avec Sainte-Beuve. Les premiers désaccords paraissent coïncider avec le printemps 1830. L'amertume que ressent Sainte-Beuve à voir le couple Hugo passer dans la lumière publique est sensible dès les premières représentations d'Hernanï, peut-être dès la fin mai 1830 et les difficultés entre Hugo et l'éditeur Gosselin, y a-t-il déjà une secrète blessure entre les deux amis. Le 7 mai 1830, Sainte-Beuve écrit à Hugo : - Vous êtes tout pour moi, mon cher ami ; je n'ai compté que depuis que je vous ai connu, et quand je m'éloigne de vous, ma flamme s'éteint2 .; à quoi Hugo répond: « Si vous saviez, vous, combien vous nous avez manqué dans ces derniers temps3. . Mais le 31 mai, Sainte-Beuve écrit à Hugo: «... Hier nous étions si tristes, nous nous sommes si mal quittés, que tout cela m'a fait bien du mal [...] Nous ne pouvons tout mettre en commun comme avant (...) Cela doit aussi vous attrister, je pense ; pourtant vous, vous avez tout ce qui console, tout ce qui est réel, votre femme, vos enfants [...] Il n'y a pas eu cette fois de nuage dans notre amitié pure, rien, pas une tache, pas un point noir au ciel ; c'est le tonnerre qui est tombé sur moi par un temps serein ; plaignezmoi mais il n'y a pas de ma faute1. Peut-on en déduire de cette lettre énigmatique que Sainte-Beuve a fait à Hugo des demi-confidences au sujet de son amour pour sa femme Adèle? Cela nous paraît possible, sinon probable.

Nous ne rappellerons pas les différentes étapes d'un drame connu2 et qui ne trouve son point d'aboutissement que bien plus tard. Si Hugo fait ces efforts désespérés pour sauver son amitié avec Sainte-Beuve, c'est que la crise qui les sépare est bien plus que le drame d'un ménage désuni, elle est la mise en question de l'ensemble des relations humaines. Au moment où tout est près de se dénouer, Hugo, le 7 juillet 1831, pousse ce cri décisif: -Je ne sais plus où j'en suis avec les deux êtres que j'aime le plus au monde. Vous êtes un de ces deux3. . Dès le 4 avril, il se débattait pathétiquement, écrivant à Sainte-Beuve: « Ce serait un profond malheur que de pouvoir vivre après la mort d'un si grand morceau de nous-mêmes1. » Hugo s'est doublement senti trahi, lui qui écrivait au même Sainte-Beuve, le 24 décembre 1830, après la révélation des amours, cette phrase étonnante : « Il n'y a dans la vie que deux ou trois réalités, et l'amitié en est une'. C'est l'interlocuteur qui lui manque tout à coup. C'est l'Autre qui ne répond plus. Et dans le silence, la crise intérieure apparaît plus grave.

Bien plus, elle redouble une autre séparation, de dix années antérieure ou presque, la folie du frère. Une fois de plus, Hugo perd l'homme qui est à la fois le compagnon du cour et celui de l'esprit. Ce n'est pas par hasard sans doute si Hugo nomme si fréquemment Sainte-Beuve du nom de frère, c'est la phraséologie de l'époque sans doute, mais Sainte-Beuve, lui, ne l'emploie guère.

Il n'est pas moins significatif qu'à la date du 10 juin 1830 Hugo indique le canevas des Jumeaux, double drame de la fraternité.



Parallélisme



C'est vers la même date, en ce printemps de 1830, que paraît naître - ou du moins se fixer par l'écriture - la notion capitale chez Hugo, celle du double axe de la fatalité. Pour lui, la destinée individuelle et la destinée collective sont liées comme l'envers et l'endroit de la même trame. Nous avons montré ailleurs1 comment à cène date précise naît une sorte de constellation qui cristallise à la fois autour du nom et de la figure de Ca'in le fratricide, et autour de cette notion essentiellement ambivalente mal/bien qu'est la Révolution. Deux brouillons de l'année 1830, l'un daté d'avril environ2, l'autre qui est le brouillon du reliquat des Jumeaux, daté du 10 juin, portent à la fols l'indication de la Révolution3 et celle du double visage du fatal, individuel et collectif:

Ca'in, Abel, vos races sont encore dans le monde les justes, les héros Esclaves et tyrans, victimes et bourreaux, Ca'in Abel dit: Providence! et toi: fatalité1!

Dans l'un et l'autre texte, s'unissent l'idée du rapport de l'individuel et du social, l'idée de la Révolution comme métamorphose et naissance', mais aussi comme meurtre (le meurtre de Louis XVI ). Enfin dans l'un des textes se retrouve l'allusion aux. Jumeaux', dans l'autre, l'esquisse du poème 13 des Rayons et des Ombres, Puits de l'Inde'.

De cette constellation jaillit l'idée d'une liaison entre le malheur et la faute individuelle dans l'homme et cette image totale de la violence dans l'histoire qu'est la révolution avec son visage particulier de régicide. On voit la liaison de cette constellation avec le drame : l'histoire n'est absente d'aucune figuration passionnelle. Pour Hugo, il n'est de passion que de l'Histoire: . De la passion combinée avec l'action, c'est-à-dire de la vie dans le présent et de l'histoire dans le passé naît le drame » (préface des Rayons et des Ombres 2). Si l'on combine cette affirmation avec toutes celles qui précèdent sur le double visage de la fatalité, on s'aperçoit que le drame est précisément l'inscription dans l'art et dans la vie qui peut compenser cette inscription dans la pierre (c'est-à-dire dans l'histoire irrémédiable, dans la malédiction du passé) qu'est la gravure des tours de Notre-Dame : Anan-ke.

Les mêmes thèses se retrouvent dans une autre constellation, à la date du printemps-été 1839 : Puits de l'Inde, 14 avril, . En passant... . 16 avril, Les Jumeaux, juillet-août 1839- Tout se passe comme si les problèmes posés au printemps 1830 et que Hugo s'efforcera de résoudre par le truchement du drame, reprenaient toute leur acuité en 1839 et se révélaient décidément insolubles 3.

À la lumière de tout ce qui précède, comment peut-on interpréter le retour de Hugo au drame à la fin de l'année 1831-début de 1832? La faille intérieure et l'effondrement affectif des années 1830-1831 approfondissent et redoublent la fracture intérieure de l'homme Hugo dans ses rapports avec son passé personnel et le présent de l'histoire. Ils rendent plus pressante la nécessité de l'écriture du drame. Peut-être le projet dramatique s'identifie-t-il au projet de restaurer l'unité perdue au moyen d'un discours tel qu'en mettant entre parenthèses le sujet individuel, le je et ses problèmes, il créera en même temps son destinataire, un toi qui lui permettrait de se retrouver en tant que sujet du discours *, grâce aux rapports qui s'établiraient ainsi entre le mo»'de l'écrivain et le public. Le moi de Hugo ne retrouverait son unité qu'à la faveur de la réponse du public.

Nous retrouvons aussi les mobiles . matériels ■ de Hugo : l'argent, la notoriété, ce sont aussi des réponses du public. Ce sont les seules réponses irréfutables. Le oui du public justifie en le comblant le moi hugolien. Mais en même temps, il ne peut le justifier que s'il est une réponse à ce que le Je de l'écrivain dit authentiquement : aucune concession n'est possible. Et Hugo continue le combat commencé dès AmyRobsartpour imposer sa propre conception du drame, combat mené avec une telle raideur, un tel refus des concessions, un tel sens de la provocation qu'il appelle un non. Mais, après tout, le non est aussi une réponse et c'est peut-être pour Hugo, dans la conjoncture historique, la seule réponse possible.



Une pause



Avec tant de raisons de se remettre sans délai au travail de la scène, pourquoi Hugo n'a-t-il pas profité du bruit fait par Hernani, du succès de la pièce (succès d'argent et de renommée, sinon succès littéraire indiscutablE)? Et la passion, les injures ne sont-elles pas le pain quotidien des auteurs dramatiques? Imaginer Hugo découragé par les critiques, c'est ne rien comprendre à l'attitude de l'homme qui répondait avec hauteur à l'acteur Ligier, à propos de la chute du Roi s'amuse: . Monsieur, je crois un peu plus à ma pièce depuis qu'elle est tombée . L'une des constantes de Hugo par rapport à son ouvre dramatique, c'est justement cette réaction de défi.

Que Hugo ait eu le sentiment d'avoir gagné ou perdu sa bataille â'Hernani, il ne pouvait en être déterminé à s'arrêter. Pourtant, il s'arrête. De septembre 1829 à janvier 1832, il n'écrit plus rien pour le théâtre, pas même un canevas, pas même une scène.



Notre-Dame de Paris



On sait que dès avril 1830 (lettre du 12 avril 2), Josselin l'éditeur rappelle à Hugo son contrat : il a un an de retard pour la livraison de Notre-Dame de Paris. Après des débats épineux dont un échange de lettres nous donne le détail, Hugo doit achever Notre-Dame le 1er décembre 1830. Le montant de l'astreinte est terriblement élevé : le roman doit être terminé le Ie' décembre, faute de quoi il devra payer mille francs par semaine de retard, plus deux milles francs en sus le 1er février 1831. si le roman n'est pas achevé à cette date1. Certes Hugo pourrait renoncer au roman, mais en ce cas, il doit verser six mille francs et il lui est interdit de négocier avec un autre éditeur, tant qu'il restera en magasin cent exemplaires de ses ouvres. Force lui est de s'exécuter; et cette fois il se met à table, avec l'enthousiasme d'un chien qu'on fouette, pour écrire son grand roman. On sait à quel point l'écriture romanesque est difficile pour Hugo, à l'encontre de l'écriture dramatique dont nous verrons l'incroyable rapidité, la sûreté presque sans repentirs.

Nous suivrons tout à fait J. Seebacher quand il lie le choix que fait Hugo du drame contre le roman à la volonté de liberté de l'écrivain. Si le roman est une chaîne (il n'est que de voir le travail d'un BalzaC), le théâtre peut être une libération : C'est... par le théâtre, pour lequel il n'est pas engagé par contrat et qui manifeste le mieux la demande du public, que Hugo peut échapper à l'avidité de ses éditeurs. La production dramatique est donc pour lui un gage de liberté2. Il existe de toute manière une sorte de vide, d'hésitation dans l'écriture dramatique du poète. Logiquement, une fois débarrassé avantageusement de son roman, il devrait se remettre sans tarder au théâtre, profiter de la suppression de la censure, ne pas laisser à Dumas le bénéfice exclusif de la fécondité. Dumas a déjà été le premier (avec Henri III et sa couR) ; va-t-il rester le seul dramaturge romantique? On ne peut penser qu'une telle perspective plaise à Hugo. Serait-ce alors que se tarit son imagination dramatique? Manque-t-il de projets?



Contact - Membres - Conditions d'utilisation

© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.

Victor Hugo
(1802 - 1885)
 
  Victor Hugo - Portrait  
 
Portrait de Victor Hugo

Biographie / Ouvres

C'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature

Chronologie

1802
- Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris.

Chronologie historique

1848

Bibliographie sÉlective


mobile-img