Victor Hugo |
Aventurier conduit par le louche destin, Pour y passer la nuit, jusqu'à demain matin. Entre à l'auberge Louvre avec ta rosse Empire. Molière te regarde et lait signe à Shakspeare; L'un te prend pour Scapin, l'autre pour Richard trois. Entre en jurant, et fais le signe de la croix. L'antique hôtellerie est toute illuminée. L'enseigne, par le temps salie et charbonnée, Sur le vieux fleuve Seine, à deux pas du Pont-Neuf, Crie et grince au balcon rouille de Charles neuf2; On y déchiffre encor ces quelques lettres : - Sacre; - Texte obscur et tronqué, reste du mot Massacre. Un tourmillement sombre emplit ce noir logis. Parmi les chants d'ivresse et les refrains mugis. On rit, on boit, on mange, et le vin sort des outres. Toute une boucherie est accrochée aux poutres. Ces êtres triomphants ont fait quelque bon coup. L'un crie : assommons tout! et l'autre : empochons tout! L'autre agite une torche aux clartés aveuglantes. Par places sur les murs on voit des mains sanglantes. Les mets fument; la braise aux fourneaux enipourprcs Flamboie; on voit aller et venir affairés. Des taches à leurs mains, des taches à leurs chausses. Les Rianceys marmitons, les Nisards gâte-sauces; Et, - derrière la table où sont assis Fortoul, Persil, Piétri, Cartier, Chapuys le capitoul, Ducos et Magne au meurtre ajoutant leur paraphe, Forey dont à Bondy l'on change l'orthographe, Rouher et Radetzky, Haynau près de Drouyn, - Le porc Sénat fouillant l'ordure du grouin. Ces gueux ont commis plus de crimes qu'un évèque N'en bénirait. Explore, analyse, dissèque. Dans leur âme où de Dieu le germe est étoullé. Tu ne trouveras rien. - Sus donc, entre coiffé Comme Napoléon, botté comme Macaire. Le général Bertrand' te précède; tonnerre Des bravos. Cris de joie aux hurlements mêlés. Les spectres qui gisaient dans l'ombre échevelés Te regardent entrer et rouvrent leurs yeux mornes; Autour de toi s'émeut l'essaim des maritornes, A beaucoup de jargon mêlant un peu d'argot; La marquise Toinon, la duchesse Margot, Houris au cour de verre, aux regards d'escarboucles. Maure, es-tu la régence? on poudrera ses boucles; Es-tu le directoire? on mettra des madras. Fais, ô bel étranger, tout ce que tu voudras. Ton nom est million, entre! - Autour de ces belles Colombes de l'orgie, ayant lotîtes des ailes, Folâtrera Suin. Mongis, Turgoi et d'Aguesseau, Et Saint-Arnaud qui vole autrement que l'oiseau. Aux trois quarts gris déjà, Reibell le trabucaire2 Prend Fould pour un curé dont Sibour est vicaire. Regarde, loin est prêi pour te leur, bandit: L'immense cheminée au rentre resplendit. Ton aigle, une chouette, en blasoune le plâtre. Le bouf Peuple rôtit tout entier devant l'àtre; La lèchefrite chante en recevant le sang; A côté sont assis, souriant et causant, Magnan qui l'a tué, Troplong qui le fait cuire. On entend cette chair pétiller et bruire, Et sur son tablier de cuir, joyeux ei las. Le boucher Carrelet fourbit son coutelas. La marmite budget pend à la crémaillère. Viens, toi qu'aiment les juifs et que l'église éclaire, Espoir des fils d'Ignace1 et des fils d'Abraham, Qui t'en vas vers Toulon et qui t'en viens de Ham2, Viens, la journée est faite et c'est l'heure de paître. Prends devant ce bon feu ce bon fauteuil, ô maître. Tout ici te vénère et te proclame roi; Viens; rayonne, assieds-toi, chauffe-toi, sèche-toi, Sois bon prince, ô brigand! ô fils de la créole, Dépouille ta grandeur, quilte ton auréole; Ce qu'on appelle ainsi clans ce nid de félons. C'est la boue et le sang collés à tes talons. C'est la fange rouillant ton éperon sordide. Les héros, les penseurs portent, groupe splendide. Leur immortalité sur leur radieux front; Toi, tu traînes ta gloire à tes pieds. Entre donc. Oie ta renommée avec un tire-bottes. Vois, les grands hommes nains et les gloires nabotes T'entourent en chantant, ô Tom-Pouce Attila3! Ce bouf rôtit pour toi; Maupas, ton nègre, est là; Et, jappant dans sa niche au coin du feu, Baroche Vient te lécher les pieds tout en tournant la broche. Pendant que dans l'auberge ils trinquent à grand bruit. Dehors, par un chemin qui se perd dans la nuit, Hâtant son lourd cheval dont le pas se rapproche, Muet, pensif, avec des ordres dans sa poche. Sous ce ciel noir qui doit redevenir ciel bleu. Arrive l'avenir, le gendarme de Dieu. Jersey. Novembre 1852. |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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