Victor Hugo |
O vertige ! Ô gouffres ! l'effrayant soupirail d'un prodige Apparaît ; l'aube fait irruption ; le jour, Là, dehors, un rayon d'allégresse et d'amour, Formidable, aussi pur que l'aurore première, Entre dans l'ombre, et Phtos, devant cette lumière, Brusque aveu d'on ne sait quel profond firmament. Recule, épouvanté par l'éblouissement. Le soupirail est large et la brèche est béante. Phtos y passe son bras, puis sa tête géante ; Il croyait, quand sur lui tout croula, Voir l'abîme ; eh bien non ! l'abîme, le voilà. Phtos est à la fenêtre immense du mystère '. Il voit l'autre côté monstrueux de la terre ; L'inconnu, ce qu'aucun regard ne vit jamais ; Des profondeurs qui sont en même temps sommets, Un tas d'astres derrière un gouffre d'empyrées, Un océan roulant aux plis de ses marées Des flux et des reflux de constellations ; Il voit les vérités qui sont les visions ; Des flots d'azur, des flots de nuit, des flots d'aurore, Quelque chose qui semble une croix météore, Des étoiles après des étoiles, des feux Après des feux, des cieux, des cieux, des deux, des cieux ! Le géant croyait tout fini ; tout recommence ! Ce qu'aucune sagesse et pas une démence. Pas un être sauvé, pas un être puni Ne rêverait, l'abîme absolu, l'infini, Il le voit. C'est vivant, et son oil y pénètre. Cela ne peut mourir et cela n'a pu naître, Cela ne peut s'accroître ou décroître en clarté. Toute cette lumière étant l'éternité. Phtos a le tremblement effrayant qui devine. Plus d'astres qu'il n'éclôt de fleurs dans la ravine, Plus de soleils qu'il n'est de fourmis, plus de cieux Et de mondes à voir que les hommes n'ont d'yeux ! Ces blancheurs sont des lacs de rayons ; ces nuées Sont des créations sans fin continuées ; Là plus de rives, plus de bords, plus d'horizons. Dans l'étendue, où rien ne marque les saisons, Où luisent les azurs, où les chaos sanglotent, Des millions d'enfers et de paradis flottent, Éclairant de leurs feux, lugubres ou charmants, D'autres humanités sous d'autres firmaments. Où cela cesse-t-il ? Cela n'a pas de terme. Quel styx étreint ce ciel ? Aucun. Quel mur l'enferme ? Aucun. Globes, soleils, lunes, sphères. Forêt. L'impossible à travers l'évident transparaît. C'est le point fait soleil, c'est l'astre fait atome ; Tant de réalité que tout devient fantôme' ; Tout un univers spectre apparu brusquement. Un globe est une bulle ; un siècle est un moment ; Mondes sur mondes ; l'un par l'autre ils se limitent. Des sphères restent là, fixes ; d'autres imitent L'évanouissement des passants inconnus, Et s'en vont. Portant tout et par rien soutenus, Des foules d'univers s'entrecroisent sans nombre ; Point de Calpé pour l'aube et d'Abyla pour l'ombre ; Des astres errants vont, viennent, portent secours ; Ténèbres, clartés, gouffre. Et puis après ? Toujours. Phtos voit l'énigme ; il voit le fond, il voit la cime. Il sent en lui la joie obscure de l'abîme ; Il subit, accablé de soleils et de cieux, L'inexprimable horreur des lieux prodigieux. Il regarde, éperdu, le vrai, ce précipice. Evidence sans borne, ou fatale, ou propice ! Ô stupeur ! il finit par distinguer, au fond De ce gouffre où le jour avec la nuit se fond, À travers l'épaisseur d'une brume éternelle, Dans on ne sait quelle ombre énorme, une prunelle ! Cependant sur le haut de l'Olympe on riait ; Les Immortels, sereins sur le monde inquiet, Resplendissaient, debout dans un brouillard de gloire ; Tout à coup, une étrange et haute forme noire Surgit en face d'eux, et Vénus dit : Quelqu'un ! C'était Phtos. Comme un feu hors du vase à parfum, Ou comme un flamboiement au-dessus du cratère, Le colosse, en rampant dans l'ombre et sous la terre, S'était fait libre, était sorti de sa prison, Et maintenant montait, sinistre, à l'horizon, Il avait traversé tout le dessous du monde. Il avait dans les yeux l'éternité profonde. Il se fit un silence inouï ; l'on sentit Que ce spectre était grand, car tout devint petit ; L'aigle ouvrit son oil fauve où l'âpre éclair palpite, Et sembla regarder du côté de la fuite ; L'Olympe fut noirci par l'ombre du géant ; Jupiter se dressa, pâle, sur son séant ; Le dur Vulcain cessa de battre son enclume Qui sonna si souvent, dans sa forge qui fume, Sur les fers des vaincus lorsqu'il les écrouait ; Afin qu'on n'entendît pas même leur rouet Les trois Grâces d'en haut firent signe aux trois Parques ; Alors le titan, grave, altier, portant les marques Des tonnerres sur lui tant de fois essayés, Ayant l'immense aspect des sommets foudroyés Et la difformité sublime des décombress. Regarda fixement les Olympiens sombres Stupéfaits sur leur cime au fond de l'éther bleu, Et leur cria, terrible : Ô dieux, il est un Dieu ! |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Victor Hugo (1802 - 1885) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
|||||||||