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Hugo la Colère - Guerre et paix


Poésie / Poémes d'Victor Hugo





En 1840, Victor Hugo publie le Retour de l'Empereur, poème patriotique accompagné de poèmes napoléoniens pris dans ses ouvres précédentes. Treize ans après, exilé, ce sont les Châtiments, 1853.

Les titres ironiques des sept chapitres disent la direction des attaques : La Société est sauvée, l'Ordre est rétabli, la Famille est restaurée, la Religion est glorifiée, l'Autorité est sacrée, la Stabilité est assurée, les Sauveurs se sauveront. Que trouve-t-on? La rancune d'un proscrit, certes, mais aussi l'indignation devant le parjure, la pitié envers la France asservie. La colère va multiplier les antithèses, métaphores, hyperboles. Comme au temps d'Agrippa d'Aubigné, la cravache entre en poésie. Hugo reprend la matière de son Napoléon le Petit publié l'année précédente. Ajoutant des lentilles caricaturales, il va faire naître un Napoléon III monstrueux. Nouveau Perse, ingénuité en moins, nouveau Juvénal, avec plus d'expression, il veut clouer le maître de la France au pilori de l'histoire, l'autre Napoléon, le grand, lui fournissant un contraste facile. Jamais poète n'a imaginé un aussi vaste jeu de massacre. On pense, dans cet extrait d'Éblouissements, aux litanies de la chanson révolutionnaire :





Ours que Boustrapa rhontre et qu'il tient par la sangle,

Valsez, Billaut, Parieu, Drouyn, Leuceuf, Delangle!

Danse, Dupin! dansez, l'horrible et le bouffon!

Hyènes, loups, chacals, non prévus par Buffon,

Leroy, Forey, tueurs au 1er rongé de rouilles.

Dansez! dansez, Berger, d'Hautpoul, Murât, citrouilles!



Sans guère de distinction, Hugo la Colère multiplie les invectives versifiées, la rhétorique haineuse, la caricature digne des plus violents journaux satiriques, l'épopée de l'insulte, le poème de l'anathème et de la vengeance : il invente là un genre. En effet, par son systématisme, ses emphases, son gigantisme, ses répétitions, il n'a pas la hauteur et la noblesse de l'auteur des Tragiques et cela tient du journalisme polémique mis en poésie. « Trois mille vers de haine, c'est trop!... » dit Lamartine qui ajoute, pacifique : « Je ne comprends pas qu'on ait de la haine pendant plus d'un vers. »

Le poète « bouffe » du Napoléon III comme les libres penseurs « bouffent » du curé. Il trouve dans sa traversée du désert, une nouvelle expérience, dans son île face à la France, un haut siège de juge, une nouvelle condition sociale qui lui permet d'assumer un rôle historique impitoyable : celui du prophète déchiré par la justesse de sa prophétie et voulant dominer la catastrophe. Hugo devient l'histoire, une histoire qui est cloaque. Le dégoût transparaît dans ses vers. Il grandit le mal pour mieux l'exorciser, pour permettre à l'homme par le poème vengeur de se régénérer.

Les Châtiments sont la multiplication et en même temps l'utilisation efficace des défauts du poète : emphase, système, développements inutiles, points de détail oiseux. Mais nous lisons plus d'un siècle après l'événement. Pour comprendre, il faut se pencher sur les mentalités de l'époque, lire des gazettes, contempler de féroces portraits-charges, connaître le mauvais goût satirique, la cruauté verbale, et nous apercevoir que nous nous trouvons devant un monde autre, ô combien différent de celui d'aujourd'hui si nuancé, trop peut-être. Le Hugo combattant est celui des couleurs crues et non plus celui des demi-teintes que nous avons rencontré.

Représentant de la voix populaire, on n'a pas assez dit qu'il a recours à la Chanson, et plusieurs poèmes portent ce simple titre. Sa chanson peut aussi s'intituler : Idylles, l'Empereur s'amuse, le Sacre (sur l'air de MalbrougH), le Chant de ceux qui s'en vont en mer, Hymne des transportés, le Chasseur noir. Ces chansons apparaissent comme des points de repos entre de vastes poèmes sans que la colère en soit absente.

Voici quelques passages où règne l'invective. Dans l'Homme a ri :



Ah! tu finiras bien par hurler, misérable!

Encor tout haletant de ton crime exécrable,

Dans ton triomphe abject, si lugubre et si prompt,

Je t'ai saisi. J'ai mis l'écriteau sur ton front;

Et maintenant la foule accourt et te bafoue.

Toi, tandis qu'au poteau le châtiment te cloue,

Que le carcan te force à lever le menton,

Tandis que, de ta veste arrachant le bouton.



L'histoire à mes côtés met à nu ton épaule,

Tu dis : je ne sens rien! et tu nous railles, drôle!

Ton rire sur mon nom gaîment vient écumer;

Mais je tiens le fer rouge et vois ta chair fumer.



Dans Joyeuse vie :



Bien, pillards, intrigants, fourbes, crétins, puissances!

Attablez-vous en hâte autour des jouissances!

Accourez! place à tous!

Maîtres, buvez, mangez, car la vie est rapide.

Tout ce peuple conquis, tout ce peuple stupide,

Tout ce peuple est à vous!



Dans Un Autre qui s'adresse à Louis Veuillot :



Ce Zoïle cagot naquit d'une Javotte.

Le diable - ce jour-là Dieu permit qu'il créât -,

D'un peu de Ravaillac et d'un peu de Nonotte

Composa ce gredin béat.



Dans Napoléon III :



Donc c'est fait. Dût rugir de honte le canon,

Te voilà, nain immonde accroupi sur ce nom !

Cette gloire est ton trou, ta bauge! ta demeure!



C'est là le ton qui domine. Il en est d'autres : lyre de rage mais aussi lyre d'airain ou lyre fraternelle. Il chante aussi bien Toulon, les Morts du 4 Décembre, l'Obéissance passive, les Querelles du sérail, la Loi Faider, les Commissions mixtes, le Parti du Crime, l'Égout de Rome (et c'est la colère grandiose!) que Quatre prisonniers après leur condamnation, Pauline Roland militante socialiste, les Martyres, les Transportés, les Femmes (et c'est la fraternité combattante!).

Le poème le plus cité est Expiation. Là on a pu dire que Daumier cède la place à Delacroix. Ce poème se présente comme un drame épique divisé en cinq tableaux : retraite de Russie, bataille de Waterloo, rocher de Sainte-Hélène, tombeau des Invalides, 2 décembre. Après tant d'épopées de carton-pâte, Napoléon trouve son barde. Hugo peint à fresque. Sa mise en scène est digne de celles des chansons de geste :



Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.

Pour la première fois l'aigle baissait la tête.

Sombres jours! L'empereur revenait lentement,

Laissant derrière lui Moscou brûler fumant. Il neigeait.



Au cours de ce spectacle en noir et blanc, « il neigeait » revient, verbe implacable. Dans le silence, sans cesse la neige prépare « Pour cette immense armée un immense linceul. » Une armée fantomatique apparaît avec ses cavaliers devenus statues de glace, avec cette « procession d'ombres sur le ciel noir ». La nature triomphe et son vaincu se demande si c'est là le châtiment tandis qu'une voix répond négativement.

Succède le gouffre de Waterloo, en noir et sang, la dernière lutte contre le monde ligué dans la « morne plaine » où « la pâle mort mêlait les sombres bataillons », la fatalité d'un Blùcher devançant Grouchy, l'hécatombe héroïque, la déroute puissante, le géant terrassé.

Prométhée sera enchaîné à Sainte-Hélène : le drame succède à l'épopée. Est-ce là l'expiation? Pas encore! dit la Voix. Endormi sous le dôme des Invalides, Napoléon pourrait connaître le repos, assumer le châtiment suprême. Non, il viendra avec l'attentat du 2 décembre :



Ô terreur! Une voix qu'il reconnut lui dit :

- Réveille-toi. Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène,

L'exil, les rois geôliers, l'Angleterre hautaine

Sur ton lit accoudée à ton dernier moment,

Sire, cela n'est rien. - Voici le Châtiment!



Napoléon le Grand va renaître « Bonaparte, écuyer du cirque Beauharnais » dans un monde trivial, sinistre et bouffon. Et voilà de nouveau l'invective, la parodie burlesque :



Commencer par Homère et finir par Callot!

Épopée! Épopée! Oh! quel dernier chapitre!



Le 2 décembre devient le châtiment du dix-huit brumaire. Dans ce poème, Hugo a tout dit semble-t-il. Il résume tout ce livre où le grandiose et le décevant de l'histoire se reflètent dans le poème, lui-même, grandiose et décevant. Mais on lira encore Lux pour accéder, dans un univers de réminiscences bibliques, à la montée prophétique de la lumière et de l'espoir :



Fêtes dans les cités, fêtes dans les campagnes!

Les cieux n'ont plus d'enfers, les lois n'ont plus de bagnes.

Où donc est l'échafaud? ce monstre a disparu.

Tout renaît. Le bonheur de chacun est accru

De la félicité des nations entières.



Et aussi le poème qui le précède, Ultima Verba. Comme aux temps lointains où l'enfant Agrippa d'Aubigné prêtait serment devant les gibets d'Amboise, Victor Hugo, posant le pied sur la terre d'exil a fait lui aussi ce nouveau serment d'Annibal. C'est le poème de la vigilance :



Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis.

Si même Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla;



S'il en demeure dix, je serai le dixième;

Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là.



Les Châtiments appartiennent à l'histoire de France autant qu'à celle de la poésie. Si les goûts de l'homme contemporain se sont éloignés de ce genre de poésie, il ne pourra nier que l'affirmation de Voltaire a été niée par Hugo : il existe en France une tête épique.



Autrefois et aujourd'hui.



Victor Hugo, après les Châtiments, a commencé la Fin de Satan qui paraîtra plus tard. Auparavant, il donne avec les Contemplations, 1856, ce qui apparaîtra comme le chef-d'ouvre de la poésie philosophique et lyrique.

Le poète nous parle, en citant Tacite, de la « période considérable de la vie d'un mortel ». Il s'agit de « Mémoires d'une âme » et « le livre doit être lu comme on lirait le livre d'un mort ». Hugo prend du recul :

Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre. C'est l'existence humaine sortant de l'énigme du berceau et aboutissant à l'énigme du cercueil; c'est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l'amour, l'illusion, le combat, le désespoir, et qui s'arrête éperdu « au bord de l'infini ». Cela commence par un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du clairon de l'abîme.

Les Contemplations sont proches des recueils en demi-teintes. Les mêmes thèmes sont repris, mais amplifiés et rehaussés par l'énergie que le poète a puisée dans son exil. Le livre est divisé en deux parties. La première, « Autrefois » (1830-1843) comprend trois volets intitulés Aurore, l'Ame en fleur, les Luttes et les rêves; la seconde, « Aujourd'hui » (1843-1845) se compose aussi de trois livres : Pauca meae, En marche, Au bord de l'Infini. Nous quittons l'épopée et la politique pour trouver des tableaux de nature, des images humaines, des poètes d'amour, des chansons sensibles, des souvenirs, des dialogues avec les êtres et les choses, des poèmes d'art poétique, des émerveillements panthéistes, beaucoup d'oiseaux et de fleurs, le temps et les saisons, des élégies, des méditations philosophiques et religieuses. Il y a là une diversité difficilement exprimable et l'on ne peut que faire un rapide tour d'horizon.

On lira, après les poèmes à ses filles, la Réponse à un acte d'accusation. Est-il « le démagogue horrible et débordé, / Et le dévastateur du vieil A B C D »? Cet art poétique, cette satire littéraire est d'une vive ardeur. Extrayons quelques vers célèbres pour leur contenu de charge plutôt que de poésie :



Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.

Plus de mot sénateur! plus de mot roturier!

Je fis une tempête au fond de l'encrier...



Alors, l'ode, embrassant Rabelais, s'enivra;

Sur le sommet du Pinde on dansait

Ça ira; Les neuf muses, seins nus, chantaient la Carmagnole...



Au panier les Bouhours, les Batteux, les Brossettes!

A la pensée humaine ils ont mis les poucettes...



J'ai dit à la narine : Eh! mais! tu n'es qu'un nez!

J'ai dit au long fruit d'or : Mais tu n'es qu'une poire!



Dans Suite, immédiatement après, Hugo proclame la déification de la parole. Ce poème commence ainsi :



Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant. et se termine par ce vers célèbre :



Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu.



Plus loin, dans A propos d'Horace, Hugo reprend les mots de la colère. Il y met la même ardeur, ou presque, qu'à fustiger Napoléon III dans les Châtiments :



Marchands de grec! marchands de latin! cuistres! dogues!

Philistins! magisters! je vous hais, pédagogues!

Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,

Vous niez l'idéal, la grâce et la beauté!

Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles!

Car, avec l'air profond, vous êtes imbéciles!



Il prophétise un temps où l'on « n'instruira plus les oiseaux par la cage », où l'entant ne sera plus « une bête de somme attelée à Virgile ». On ne lit pas aujourd'hui cela sans malice et sans complicité.



Mais dans la plupart des pages de ces Contemplations, il s'agit plus de rêve que de pavés. On ne peut connaître les délices des vers qu'en les écoutant longuement chanter; il faut voir combien le dessin des poèmes est tracé, ce qu'il y a de précision pour nous apercevoir d'un progrès chez Hugo. Ayant inspiré de jeunes disciples : Théophile Gautier, Théodore de Banville et Leconte de Lisle, à son tour il a vu comme ils savaient se montrer artistes. Il y a les poèmes de nature dans lesquels se glisse toujours une pensée qui dépasse le simple tableau, mais n'y aurait-il que ce dernier qu'on se laisserait prendre au charme, et c'est visible dans Vere Novo, les Oiseaux, Vieille chanson du jeune temps, Premier Mai, En écoutant les oiseaux, Églogue, Crépuscule, Aux arbres...

Il y a une progression dans ce recueil. Les poèmes de nature, ou les poèmes plus légers, les chansons sont des repos alors qu'une marche visionnaire s'accomplit, que l'Apocalypse vit dans chaque poème, que le Poète devient Prophète. Des titres sont significatifs : Melancholia, Saturne, Horror, Dolor. Auprès de poèmes familiers bien connus : la Fête chez Thérèse, Aux Feuillantines, on découvre l'idée d'une religion de la poésie qui grandit et s'affirme. Les poètes à travers Hugo apparaissent mêlés à la Nature et à l'Humanité, à la Vie et à la Mort, à la Divinité et au Chaos, à toutes les antithèses les plus hautes. Si A Villequier, si connu, appartient encore à la veine humaine :



Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,

Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux;

Maintenant que je suis sous les branches des arbres,

Et que je puis songer à la beauté des deux... son expression ne le différencie guère encore d'autres poèmes élé-giaques déjà rencontrés chez Hugo. En revanche, un poème en vers ïambiques, Ibo, sur un rythme sautillant, mais vigoureux, s'élance vers la recherche d'un infini, d'une sur-vérité :



Jusqu'aux portes visionnaires

Du ciel sacré;

Et, si vous aboyez, tonnerres,

Je rugirai.



Dans les dizains des Mages, poème admirable, une place est assignée au poète : celle de prophète de la pensée et de l'humanité :



Pourquoi donc faites-vous des prêtres

Quand vous en avez parmi vous?



« Ces hommes, ce sont les poètes » et des noms parsèment le poème :



Les Virgiles, les Isaïes;

Toutes Tes âmes envahies

Par les grandes brumes du sort.



Hier, Hugo aurait peut-être cédé au plaisir de la simple recen-sion propre à étayer un propos didactique. Au temps des Contemplations, il a d'autres cimes à gravir. Nous nous trouvons dans l'univers du plus haut romantisme et en cela nous nous rapprochons de certaines recherches surréalistes. Ici, une énergie domine sans cesse le poème :



Oh! vous êtes les seuls pontifes.

Penseurs, lutteurs des grands espoirs,

Dompteurs des fauves hippogriffes,

Cavaliers des pégases noirs!

Ames devant Dieu toutes nues,

Voyants des choses inconnues,

Vous savez la religion!

Quand votre esprit veut fuir dans l'ombre,

La nuée aux croupes sans nombre

Lui dit : Me voici, Légion!

Oh! tous à la fois, aigles, âmes,

Esprits, oiseaux, essors, raisons,

Pour prendre en vos serres les flammes,

Pour connaître les horizons,

A travers l'ombre et les tempêtes,

Ayant au-dessus de vos têtes

Mondes et soleils, au-dessous

Inde, Egypte, Grèce et Judée,

Envolez-vous! envolez-vous!



Nous sommes loin ici de la poésie des événements, de la nature ou du foyer et le miracle est peut-être qu'il cohabite tant de préoccupations terrestres et divines chez le poète. Dans ce qu'il a de meilleur, il est bien comme l'appelle Arthur Rimbaud « le premier des voyants ». Les poètes les plus admirés aujourd'hui ont su voir en lui. Superficiel parfois, il ne l'est pas quand il se livre à sa voyance. Il apparaît bientôt comme le premier maître et le premier inspirateur d'une région conduisant au surréalisme.

Les huit cents vers de Ce que dit la bouche d'ombre représentent une Genèse, un traité De natura rerum qui s'ouvre à la totalité des religions, des croyances humaines. Jésus-Christ, par l'intermédiaire des tables tournantes de Guernesey, au printemps de 1855, a annoncé au poète la religion de l'avenir, mais n'est-il pas l'écho de la pensée de Victor Hugo ou le révélateur de l'homme devant sa face divine? Le poète cherche plutôt une confirmation : « Les êtres qui habitent l'invisible et qui voient la pensée dans nos cerveaux savent que depuis vingt-cinq ans environ, je m'occupe des questions que la table soulève et approfondit. » Hugo se sait, et sait le poète, héritier naturel des mages, fils de Zoroastre, Pythagore, Virgile; il fréquente des illuminés; connaît le symbolisme alchimique des cathédrales comme Notre-Dame de Paris; guette tous les signes venant d'univers mystérieux; peut faire parler les éléments.

Hugo se construit ainsi sa vision personnelle du monde avec sa diéorie de la chute et de la rédemption. Dieu existe, être personnel et être immanent au monde qu'il a émané et qu'il rappelle à lui. Comme l'a écrit Robert Kanters : « Il faut lire comme un texte religieux le Ce que dit la bouche d'ombre des Contemplations. » Et citant les vers qui suivent, le critique ajoute : « Ce ne sont point là paroles de poète, ce sont paroles de croyant. »



Tout dit dans l'infini quelque chose à quelqu'un...

Dieu n'a crée que l'être impondérable, Il le fit radieux, beau, candide, adorable Mais imparfait...



Donc Dieu fit l'univers, l'univers fit le mal...

Le mal, c'est la matière? Arbre noir, fatal fruit.



Toute faute qu'on fait est un cachot qu'on ouvre.

Roi forçat, l'homme esprit, pense et matière, mange.

L'homme est une prison où l'âme reste libre.

Espérez! espérez! espérez! misérables!

Pas de deuil infini, pas de maux incurables!

Pas d'enfer éternel! Les douleurs vont à

Dieu comme la flèche aux cibles;

Les bonnes actions sont les gonds invisibles

De la porte du ciel.



Victor Hugo, esprit et matière, voilà bien deux clés de son ouvre poétique. Voici la dernière strophe du plus haut poème du recueil :



Tout sera dit. Le mal expirera; les larmes

Tariront; plus de fers, plus de deuils, plus d'alarmes;

L'affreux gouffre inclément

Cessera d'être sourd, et bégaiera :

Qu'entends-je?

Les douleurs finiront dans toute l'ombre; un ange

Criera : Commencement!



Le dernier poème : A celle qui est restée en France apparaît comme la dédicace de tout le livre des Contemplations (qui commence par le poème Ma FillE ) au souvenir de Léopoldine, mais il dépasse l'élégie à la jeune morte comme le montre si bien J. Gaudon : « Tout dans le poème ramène à la mort : mort de Léopoldine, mort du poète, hymne au " grand néant ", à " l'universel tombeau ". » Et le poème se terminera par une lente berceuse dans laquelle le poète essaie d'apaiser les fantômes, ceux de la nature, de l'humanité, « la grande horreur religieuse », le a fourmillement de tout ».



Pégase au vert.



Avant d'en venir à la Légende des siècles dont la première série est de 1859, la deuxième de 1877, la troisième de 1883, et qu'on nesaurait séparer ici, un petit saut chronologique nous fera découvrir tout d'abord les Chansons des rues et des bois, 1865, recueil qui marque, comme le dit si bien Théophile Gautier, « une espèce de temps de repos et comme les vacances du génie ». Comme dans les Contemplations, deux époques : « Ici la jeunesse, là la maturité » exprimées en deux titres : Jeunesse, Sagesse,

Le livre, si l'on excepte quelques groupes de cinq ou de six vers, est composé dans son ensemble de poèmes en quatrains. Le poète a mis « Pégase au vert » : il s'agit d'une sorte de divertissement, de petites fêtes de la nature et du printemps, avec un côté Rémi Belleau revu par Gautier ou Leconte de Lisle, si ce n'est Béranger ou Pierre Dupont. Pour en donner une idée, l'auteur de ces lignes, jouant au jeu des devinettes, a parfois lu des extraits devant des poètes contemporains en leur laissant le soin de trouver le nom de l'auteur : les réponses se sont partagées entre Apollinaire, Max Jacob, Cocteau et Desnos; on aurait pu ajouter des poètes de l'école fantaisiste comme des auteurs de comptines; on aurait pu, par un retour en arrière, nommer parfois Gautier, parfois Verlaine.

Comme il titre un de ses poèmes, le Poète bat aux champs et l'on découvre auprès de Sèvres, Montreuil, Montfermeil, Auteuil, Ivry ou Ville d'Avray d'autres lieux proches :



Je te fais molosse, ô mon dogue!

L'acanthe manque?

J'ai le thym. Je nomme Vaugirard églogue;

J'installe Amyntas à Pantin.



Les fleurs sont à Sèvre aussi fraîches

Que sur l'Hybla, cher au sylvain;

Montreuil mérite avec ses pêches

La garde du dragon divin.



Nous trouverons ainsi des lieux qui sont des titres de poèmes, des sujets de promenades : Les Tuileries, Meudon, Chelles, Créteil, la Sologne. Ce ne sont qu'amours légères (celles des chansonnetteS), baisers volés, fêtes galantes, verlainiennes, spectacles variés (le Cheval, les Étoiles pilantes, le Chêne du parc détruit, etc.), délicieuses présences féminines dans ces poèmes : Lisbeth, Dizain de femmes, le Doigt de lajemme, A la belle impérieuse. Et tout cela dans un jaillissement de rythmes brefs et légers, sans rien « qui pèse ou qui pose », un chant de cascades et de ruisseaux succédant aux grands torrents apocalyptiques des autres livres, une foule heureuse d'images ténues en habit de fête. Au cour de cet univers mineur, optimiste, sensuel, parfois grivois et même bachique, dans une sorte de complicité humaine et populaire, la malice et la frivolité sont présentes sans cesse.



Il suffit de piquer de la fourchette pour trouver de des traits piquants :



Un roi, c'est un homme équestre,

Personnage à numéro,

En marge duquel de Maistre

Écrit : Roi, lisez : Bourreau. l'écho des jeunes amourettes :

Mes dix-neuf ans étaient la fête

Qu'en frissonnant je vous offrais;

Vous étiez belle et j'étais bête

Au fond des bois sombres et frais...



Mon sang murmurait dans mes tempes

Une chanson que j'entendais;

Les planètes étaient mes lampes;

J'étais archange sous un dais. des traits mélancoliques :

Au fond du parc qui se délabre,

Vieux, désert, mais encor charmant

Quand la lune, obscur candélabre,

S allume en son écroulement,



Un moineau-franc, que rien ne gêne,

A son grenier, tout grand ouvert,

Au cinquième étage d'un chêne

Qu'avril vient de repeindre en vert. des tableaux de nature :

C'est le moment crépusculaire.

J'admire, assis sous un portail,

Ce reste de jour dont s éclaire

La dernière heure du travail.



Dans les terres, de nuit baignées.

Je contemple, ému, les haillons

D'un vieillard qui jette à poignées

La moisson future aux sillons.



Il marche dans la plaine immense.

Va, vient, lance la graine au loin,

Rouvre sa main, et recommence,

Et je médite, obscur témoin,



Pendant que, déployant ses voiles,

L'ombre, où se mêle une rumeur.

Semble élargir jusqu'aux étoiles

Le geste auguste du semeur.



Auprès de tels poèmes qu'on dirait aujourd'hui écologiques, il y a de fines satires à fleuret moucheté ou non, d'alertes comédies, une corbeille de fruits variés à ce point que le Victor Hugo des grands recueils prophétiques n'est pas tout à fait absent. Le livre écrit avec le regard l'est aussi par instants avec le rêve. Parfois des évocations mythologiques et savantes, comme chez les maîtres de la Pléiade, nous rappellent les autres dimensions du poète. Tantôt c'est pour la rime et la fantaisie, tantôt il peut s'y glisser quelque malice pédante que l'entrain fait vite oublier.

Par ce recueil, Victor Hugo touche à ce Parnasse que nous rencontrerons : il en a les touches paganisantes et épicuriennes; il en a aussi ce mysticisme qui apparaît dans cette école par éclairs, chez Ménard ou Leconte de Lisle, mysticisme qui d'ailleurs vient de l'influence hugolienne. Il y a échange car on ne saurait prendre Hugo comme un poète statique; il sait reconnaître ce qu'il y a de bon et de dynamique chez ses cadets; il garde un certain sens de l'évolution littéraire et, sans être infidèle à lui-même, il peut se pencher vers l'art de l'avenir. Le parnasse, mais aussi le symbolisme le plus musical sont présents dans les Chansons des rues et des bois. Peut-être un pédagogue d'aujourd'hui ne ferait-il pas le même choix que ceux des vieux manuels scolaires, mais il reste beaucoup à prendre et à apprendre. Auprès de certains contemporains, nouveaux hôtes des recueils de poésies enfantines, Victor Hugo trouve toujours sa place.



Le Triomphe de la chose à dire.



En 1867, un poème, la Voix de Guernesey, qui sera repris dans Actes et paroles, puis dans les Années funestes, est à la gloire de Gari-baldi : il connaît un succès immense si l'on en juge par ses dix-sept traductions en un mois, mais sait-on que Garibaldi répondit en vers? Après une édition augmentée des Châtiments, 1870, paraît l'Année terrible, 1872. Hugo dit : « Nous avons la République, nous aurons la Liberté. » L'ouvrage continue sa guerre contre le responsable de tous les maux, comme dans Napoléon le Petit et les Châtiments. S'affirme, comme dit Aragon, « le triomphe de la chose à dire ». Tandis que le poète prépare déjà des ouvres qui paraîtront bien plus tard, voici, inspiré par l'actualité immédiate, un nouveau poème de politique et d'histoire, des mémoires de militant, un journal poétique du combattant. C'est la chute du Second Empire, l'avènement de la Troisième République, la marche difficile vers la liberté. Dans les années sombres, le temps des défaites, de l'occupation, de la perte des provinces de l'Est, de la lutte des partis, quel espoir peut apparaître? Ce sont les martyrs et les exilés qui montrent le chemin de la gloire et de la fraternité des peuples. Le recueil commence par la grande comédie du plébiscite, le satisfecit pour le passé, le blanc-seing pour l'avenir. Titre du poème : les 7 500000 Oui. Une fois de plus Victor Hugo proteste :



Nous ne voulons, nous autres,

Ayant Danton pour père et Hampden pour aïeul,

Pas plus du tyran Tous que du despote Un Seul.



Un suaire de neige recouvre la France : ces 7 500 000 flocons que seul le soleil de la liberté peut faire fondre.

Et voilà le poème de Sedan qui montre l'homme tragique avec son nom fatal, sa date lugubre. Emporté par la colère et la haine contre Napoléon III, « l'escroc fatal », Victor Hugo laisse sa plume vengeresse courir comme s'il n'en était plus maître. Jamais langage poétique ne sera chargé à ce point d'outrages, d'outrances, de cruauté, de crudités verbales. Hugo rejoint en cela Agrippa d'Au-bigné, le seul avec qui la comparaison s'impose. Comme dit Lenient, nul ne sait aussi bien que Hugo « faire d'une litanie une imprécation, et de l'histoire un pilori ». Il lutte à coups de hache, joue du mauvais goût, ce qui ne l'empêche pas dans ses moments de haut lyrisme de toucher à l'art de Dante ou de Milton. Ici encore, les noms, ceux des lieux historiques, ceux des héros des guerres nationales défilent pour étayer l'imprécation :



Et tous ces chefs de guerre, Héristal,

Charlemagne, Charles Martel,

Turenne, effroi de l'Allemagne, Condé,

Villars, fameux par un si fier succès,

Cet Achille, Kléber, ce Scipion, Desaix,

Napoléon, plus grand que César et Pompée,

Par la main d'un bandit, rendirent leur épée.



Le miracle est que dès les premiers poèmes, nous nous croyons aux sommets de l'exaltation; or, elle va s'accroître, s'amplifier des courants impérieux de la voix populaire. Hugo est alors non seulement poète national, mais la nation elle-même, blessée, rancunière, chauvine, orgueilleuse, chargée de patriotisme sauvage. C'est l'élan d'une Résistance.

C'est le temps où l'histoire va vite, où s'affrontent les idées avec le plus de violence. Les poèmes portent pour titre les noms des mois fameux qui vont inspirer, soit dit par parenthèse, avant de retrouver des individualités fameuses, nombre de poètes (Victor de Laprade, Joseph Autran, Paul Déroulède, Eugène Manuel, Théodore de Banville, Henri de Bornier, Jules Barbier, François Coppée, Sully Prudhomme, Leconte de Lisle, Emile Bergerat, Edouard Pailleron, Catulle Mendès, Auguste Lacaussade, André Theuriet, Albert Delpit, Félix Franck, Alphonse Daudet, Louis Gallet, Edouard Grenier, Mme Ackermann, Joséphin Soulary, une foule de poètes bourgeois, ouvriers, soldats, militants, les chansonniers du Siège de Paris et de la Commune, etc.).

L'histoire funeste avec tous ses événements défile sous la plume de Victor Hugo. Le monde entier est contenu dans les poèmes, de l'Union latine à l'Allemagne détestée, et le poète n'oublie pas l'ingratitude américaine ou la montée du socialisme berlinois. On va sans cesse du funeste au lugubre, du terrible au désespérant. Mais Victor Hugo tout empli de l'enthousiasme et de la force populaire apporte son optimisme, sa gaieté même, son rire aux pointes extrêmes du malheur : « Paris terrible et gai combat... » Il salue les femmes de Paris en pensant aux matrones romaines de Juvénal :



Elles acceptent tout, les femmes de Paris,

Leur âtre éteint, leurs pieds par le verglas meurtris,

Au seuil noir des bouchers les attentes nocturnes,

La neige et l'ouragan vidant leurs froides urnes,

La famine, l'horreur, le combat, sans rien voir

Que la grande patrie et que le grand devoir.



Comment ne pas penser aux jours d'une autre occupation? Bien sûr, Hugo se laisse devancer par un optimisme peu clairvoyant : « Paris avant un mois chassera les Prussiens. » Mais devant l'effondrement des preuves, pour paraphraser René Char, le poète va répondre par une salve d'avenir. On retiendra un poème, Bêtise de la guerre :



Ouvrières sans yeux, Pénélope imbécile,

Berceuse du chaos où le néant oscille.



Et ce sont les jours sombres de la capitulation, le peuple trahi et indigné, la semaine sanglante (21-28 maI) où les Versaillais écrasent la Commune, le temps des proscriptions...

Une question se pose : Victor Hugo reste-t-il toujours à la hauteur de l'événement? L'histoire peut émettre des réserves. Dans cet enfer national, il arrive que la raison du poète s'égare, que son impartialité soudaine le place en retrait. Il dit les torts de Versailles, mais aussi ceux de Paris. Il condamne les massacres d'où qu'ils viennent sous prétexte d'équité. Mais on retiendra l'amour de la patrie, les poèmes de Septembre et Octobre 1870 : le siège de Paris, les combats acharnés, les poèmes de Mai : lutte contre les partisans de la liberté, incendie de Paris comparable à celui de Moscou, acte qui l'indigne, mais dont la faute revient au passé plus qu'au peuple, expulsion du poète qui est chassé de Bruxelles. Les poèmes prennent alors le ton prophétique, biblique, les événements personnels et historiques sont mêlés, tout vers a couleur de symbole. On retiendra que le livre tout entier débouche sur une condamnation du vieux monde croulant, sur une ouverture sans cesse tentée dans l'ouvre entier de Hugo sur la renaissance de la civilisation.

On rapprochera évidemment de l'Année terrible une publication posthume, les Années funestes, 1898. Là encore, pour une apologie de la république, de la démocratie et du laïcisme, le poète traverse l'histoire, du 2 décembre à la chute du tyran exécré. Et cela face à l'océan :



J'ai dit à l'Océan : - Salut! veux-tu que j'entre,

Ô gouffre, en ton mystère, ô lion, dans ton antre?



J'arrive du milieu des hommes asservis.

Gouffre, je ne sais plus au juste si je vis;



J'ai ce cadavre en moi, la conscience humaine;

Et je sens cette mort immense qui me mène.

Quoique tuée, elle est vivante encor pour moi.

Mais ai-je sur la face assez d'ombre et d'effroi

Pour être justicier, réponds, mer insondable?



Dans César, il exprime sa haine du nouveau maître. Dans Sa Conscience, il s'en prend aux flagorneurs et profiteurs du régime, dans les Prêtres des faux dieux à la France tyrannique, dans l'Empire atroce au régime contraignant. C'est le temps de la proscription des citoyens, de l'alliance avec le Pape contre la liberté de l'Italie, de la négation des idéaux humanitaires du siècle. Le sarcasme partout jusqu'à ces Coups de clairon, quatrains alertes en vers de cinq pieds, jusqu'à ces poèmes où le Poète prend la parole, jusqu'à cette épître terminale A vous tous qui clôt le recueil par une élévation, un appel à la confiance que les Français peuvent puiser dans leur riche arbre généalogique.






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Victor Hugo
(1802 - 1885)
 
  Victor Hugo - Portrait  
 
Portrait de Victor Hugo


Biographie / Ouvres

C'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature

Chronologie

1802
- Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris.

Chronologie historique

1848

Bibliographie sÉlective


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