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Paul Verlaine



Nocturne parisien - Poéme


Poéme / Poémes d'Paul Verlaine





Roule, roule ton flot indolent, morne
Seine. -
Sous tes ponts qu'environne une vapeur malsaine
Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris,
Dont les âmes avaient pour meurtrier
Paris.
Mais tu n'en traînes pas, en tes ondes glacées.
Autant que ton aspect m'inspire de pensées !



Le
Tibre a sur ses bords des ruines qui font
Monter le voyageur vers un passé profond,
Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes.
Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.
Le gai
Guadalquivir rit aux blonds orangers
Et reflète, les soirs, des boléros légers.
Le
Pactole a son or, le
Bosphore a sa rive
Où vient faire son kief l'odalisque lascive.
Le
Rhin est un burgrave, et c'est un troubadour
Que le
Lignon, et c'est un ruffian que l'Adour.
Le
Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies.
Berce de rêves doux le sommeil des momies.
Le grand
Meschascébé, fier de ses joncs sacrés,
Charrie augustement ses îlots mordorés.
Et soudain, beau d'éclairs, de fracas et de fastes,
Splendidement s'écroule en
Niagaras vastes.
L'Eurotas, où l'essaim des cygnes familiers
Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers,
Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète,
Rhythmique et caressant, chante ainsi qu'un poète.
Enfin,
Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants
Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents
En appareil royal, tandis qu'au loin la foule



Le long des temples va hurlant, vivante houle,
Au claquement massif des cymbales de bois.
Et qu'accroupi, filant ses notes de hautbois.
Du saut de l'antilope agile attendant l'heure.
Le tigre jaune au dos rayé s'étire et pleure .

-
Toi,
Seine, tu n'as rien.
Deux quais, et voilà tout.
Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout
D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne
Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne.
Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin

Les passants alourdis de sommeil ou de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s'accoudant au pont de la
Cité, devant
Notre-Dame, songer, cour et cheveux au vent !
Les nuages, chassés par la brise nocturne.
Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne.
Sur la tête d'un roi du portail, le soleil,
Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.
L'hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre.
Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre.
Tout bruit s'apaise autour.
A peine un vague son
Dit que la ville est là qui chante sa chanson,
Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ;
Et c'est l'aube des vols, des amours et des crimes.



-
Puis, tout à coup, ainsi qu'un ténor effaré
Lançant dans l'air bruni son cri désespéré,
Son cri qui se lamente et se prolonge, et crie,
Eclate en quelque coin l'orgue de
Barbarie :

Il brame un de ces airs, romances ou polkas,
Qu'enfants nous tapotions sur nos harmonicas
Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes,
Vibrer l'âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.
C'est écorché, c'est faux, c'est horrible, c'est dur.
Et donnerait la fièvre à
Rossini, pour sûr ;
Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées ;
Sur une clef de sol impossible juchées.
Les notes ont un rhume et les do sont des la.
Mais qu'importe ! l'on pleure en entendant cela !
Mais l'esprit, transporté dans le pays des rêves.
Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ;
La pitié monte au cour et les larmes aux yeux.
Et l'on voudrait pouvoir goûter la paix des deux.
Et dans une harmonie étrange et fantastique
Qui tient de la musique et tient de la plastique.
L'âme, les inondant de lumière et de chant,
Mêle les sons de l'orgue aux rayons du couchant !

-
Et puis l'orgue s'éloigne, et puis c'est le silence.
Et la nuit terne arrive, et
Vénus se balance



Sur une molle nue au fond des deux obscurs ;

On allume les becs de gaz le long des murs.

Et l'astre et les flambeaux font des zigzags fantasques

Dans le fleuve plus noir que le velours des masques ;

Et le contemplateur sur le haut garde-fou

Par l'air et par les ans rouillé comme un vieux sou

Se penche, en proie aux vents néfastes de l'abîme.

Pensée, espoir serein, ambition sublime,

Tout, jusqu'au souvenir, tout s'envole, tout fuit,

Et l'on est seul avec
Paris, l'Onde et la
Nuit !



-
Sinistre trinité !
De l'ombre dures portes !
Mané-Thécel-Pharès des illusions mortes !
Vous êtes toutes trois, ô
Goules de malheur,
Si terribles, que l'Homme, ivre de la douleur

Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre,
L'Homme, espèce d'Oreste à qui manque une
Electre,
Sous la fatalité de votre regard creux
Ne peut rien et va droit au précipice affreux ;
Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses
De tuer et d'offrir au grand
Ver des épouses
Qu'on ne sait que choisir entre vos trois horreurs.
Et si l'on craindrait moins périr par les terreurs
Des
Ténèbres que sous l'Eau sourde, l'Eau profonde,
Ou dans tes bras fardés,
Paris, reine du monde !



-
Et tu coules toujours,
Seine, et, tout en rampant,
Tu traînes dans
Paris ton cours de vieux'serpent.
De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres
Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres !

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Paul Verlaine
(1844 - 1896)
 
  Paul Verlaine - Portrait  
 
Portrait de Paul Verlaine

Ouvres

Après une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b

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