Etienne Jodelle |
Quand j'étais libre, ains que l'amour cruelle Ne fut éprise encor en ma moelle, Je vivais bien heureux De toutes parts, cent mille jeunes filles Se travaillaient par leurs flammes gentilles A me rendre amoureux. Mais tout ainsi qu'un beau poulain farouche, Qui n'a mâché le frein dedans la bouche, Va seulet, écarté, N'ayant souci sinon d'un pied superbe A mille bonds fouler les fleurs et l'herbe, Vivant en liberté, Ores il court le long d'un beau rivage, Ores il erre au fond d'un bois sauvage, Ou sur quelque mont haut, De toutes parts les poutres hennissantes Lui font l'amour, pour néant blandissantes A lui qui ne s'en chaut. Ainsi j'allais dédaignant les pucelles Qu'on estimait en beauté les plus belles, Sans répondre à leur veuil ; Lors je vivais amoureux de moi-même, Content et gai, sans porter couleur blême Ni les larmes à l'oil. J'avais écrite au plus haut de la face, Avec l'honneur, une agréable audace Pleine d'un franc désir ; Avec le pied marchait ma fantaisie De çà, de là, sans peur ni jalousie, Vivant de mon plaisir. Mais aussitôt que, par mauvais désastre, Je vis ton sein blanchissant comme albâtre, Et tes yeux, deux soleils, Tes beaux cheveux épanchés par ondées, Et les beaux lys de tes lèvres bordées De cent oillets vermeils, Incontinent j'appris que c'est service. La liberté, de ma vie nourrice, S'échappa loin de moi ; Dedans tes rets ma première franchise, Pour obéir à ton bel oil, fut prise, Esclave dessous toi. Et lors tu mis mes deux mains à la chaîne, Mon col au cep et mon cour à la gêne, Tu mis après en signe de conquête, Comme vainqueur tes deux pieds sur ma tête, Et du front m'a ôté L'honneur, la honte et l'audace première, Accouardant mon âme prisonnière, Serve à ta volonté, Vengeant d'un coup mille fautes commises, Et les beautés qu'à grand tort j'avais mises Paravant à mépris, Qui me priaient en lieu que je te prie ; Mais d'autant plus que merci je te crie, Tu es sourde à mes cris Et ne réponds non plus que la fontaine Qui de Narcis' mira la forme vaine, Vengeant dessus son bord Mille beautés des Nymphes amoureuses Que cet enfant, par mines dédaigneuses, Avait mises à mon. N'ayant de moi pitié, Non plus, hélas ! qu'un outrageux corsaire, O fier destin, aie pitié d'un forçaire A la chaîne lié. |
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Etienne Jodelle (1532 - 1573) |
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Portrait de Etienne Jodelle | |||||||||
Biographie / Ouvres1532 BibliographiePoète et dramaturge français, l'une des gloires - mais la plus méconnue - de la Pléiade, Jodelle est aussi musicien, peintre, architecte, orateur et « vaillant aux armes ». Élève de Muret au collège de Boncourt, il fait jouer dès l'âge de vingt ans une pièce, Eugène, première tentative pour créer une comédie nationale. Jodelle semble avoir écrit une autre comédie, La Rencontre, qui, elle, est perd |
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