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Randonnée romantique - Poètes malheureux






Si le bonheur est une invention du XIXe siècle, le malheur n'y est pas absent et ce siècle qui n'a cessé de pleurer, de chanter les jeunes filles mortes et les deuils sous les saules, a eu ses raisons. Chez les poètes, les destins malheureux ne manquent pas et nous en trouverons tout au long de ce panorama. Ici sont réunis quelques-uns de ces morts romantiques, fauchés à la fleur de l'âge, connus ou inconnus, miséreux, malades, phtisiques, suicidés.

Un des plus célèbres est Hégésippe Moreau (1810-1838) parce qu'il était le plus prometteur. Ce premier poète maudit du siècle, avant ceux que Verlaine réunira, fut très tôt orphelin. Recueilli par des paysans de Provins, il put faire des études au séminaire d'Avon, avant de devenir apprenti-imprimeur à Provins, puis correcteur à Paris chez Didot. Mais bientôt, fou de poésie, il connut la bohème et ses misères, le manque de travail, le début de cette maladie affreuse, la tuberculose, appelée phtisie, puis l'abandon de poètes éminents, ses protecteurs, comme Pierre Lebrun. Sa navrante correspondance relate ces jours misérables. Il connut les milieux révolutionnaires, fut peut-être employé à de louches besognes, alla d'hôpital en hôpital comme plus tard Verlaine et mourut à la Charité.



Son ouvre n'est pas épaisse. Elle parut après sa mort sous le titre le Myosotis, 1838. On trouve des romances mélancoliques, des élégies, des satires politiques qui pastichent la Némésis de Barthélémy dont la vogue était grande. Son inspiratrice élégiaque et sentimentale fut Louise Lebeau qu'il appelait sa sour.



Chantant la Voulue, rivière de Provins, il se montre, selon Théodore de Banville, « un élégiaque inspiré à la grande source de Théoerite » :



S'il est un nom bien doux fait pour la poésie,

Oh! dites, n'est-ce pas le nom de la Voul/ie?

La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes îles? Non;

Mais, avec un murmure aussi doux que son nom.

Un tout petit ruisseau coulant visible à peine;

Un géant altéré le boirait d'une haleine;

Le nain vert Obéron, jouant au bord des Hots,

Sauterait par-dessus sans mouiller ses grelots.

Mais j'aime la Voul/ie et ses bois noirs de mûres,

Et dans son lit de fleurs ses bonds et ses murmures.



Ses chansons sont gentilles et sans grande portée, avec parfois une spontanéité, comme dans la Fermière :



Amour à la fermière! Elle est

Si gentille et si douce!

C'est l'oiseau des bois qui se plaît

Loin du bruit dans la mousse.

Vieux vagabond qui tends la main,

Entant pauvre et sans mère,

Puissiez-vous trouver en chemin

La ferme et la Fermière!



On le proclama grand poète un mois avant sa mort. Il eut des admirateurs comme le journaliste Félix Pyat, des éditeurs comme Octave Lacroix qui publia aussi sa correspondance, Sainte-Beuve, le toujours zélé Louis Ratisbonne. Aurait-il tenu ses promesses? On peut en douter et il semble bien qu'il a pu écrire tout ce qu'il contenait en lui.

Ce lut un poète lyonnais, Berthaud (mort en 1843) qui lui trouva un éditeur. Mort lui aussi jeune, dans la misère, il écrivit quelques poèmes oubliés. On cita jadis un vers de lui pour dire sa « manière exagérée » : « Le lampion, dans la nuit, y dardait son oeil fauve », ce qui est bien anodin.

La vie d'Hégésippe Moreau, un poète normand, Armand Lebailly (1840-1865), élevé lui aussi par des paysans pauvres, voulut récrire, trouvant une similitude fraternelle entre sa vie et celle de Moreau. Il se contenta de publier des inédits de ce poète mort avant que lui-même naisse. Il voulait aussi écrire les vies de Gilbert et de Chatterton, mais n'en eut pas le temps : la maladie de poitrine l'emporta à l'hôpital Necker. Inquiet, ombrageux, il rechercha dans les Chants du Capitule des héros antiques pour les chanter avec fougue et un feu qui, à l'époque, pouvait passer pour une promesse de génie.



Dans l'entourage d'Hégésippe Moreau, signalons un de ses condisciples au séminaire, Antoine-Robert Loison (né en 1808) à qui l'on attribua une poésie figurant parmi celles de son ami et qui porte un titre presque caricatural des poèmes mortuaires de l'époque, Elégie sur la mort d'une cousine de sept ans, mais qui serait d'Auguste Lefèvre (né en 1807). Loison a écrit une comédie en vers, le Roi s'ennuie, et des poèmes imprégnés d'une rusticité à la Jean-Jacques.

La phtisie emporta aussi Eugène Orrit (1817-1843), comme Moreau correcteur d'imprimerie et comme lui très pauvre. Les plus grands noms de l'époque se trouvent parmi les souscripteurs de ses Soirs d'orage, 1845, et l'on peut citer Chateaubriand, Vigny, Lamennais, Bélanger, Marceline Desbordes-Valmore. Antony Deschamps lui dédia des vers :



Jusqu'au berceau de lèu de l'éternelle aurore,

Monte, le front serein, sans doute et sans effroi,

Humble enfant couronné, rien n'est trop haut pour toi.



La tristesse désabusée d'Orrit coule dans ses poèmes, même s'il les intitule Lyre d'airain :



J'allais, disant des vers sombres comme mes veilles,

Mornes comme ma vie, amers comme mes jours.

J'allais, et loin de moi la foule sans oreilles, S'écoulait bruyamment, - et s'écoule toujours.



D'autres jeunes poètes moururent de la même maladie, comme Charles Brugnot( 1797-1831) ou Louis Berthaud. Ou bien, ce fut de misère dans de sordides mansardes prêtes pour le décor de la vie de bohème selon Henri Murger. Ainsi, Jules Louvet (1829-1864) né à Vire et mort à Montmartre, laissant dans un taudis des vers angoissés où la douleur « a changé la flamme en glace ». Ainsi Jean-Pierre Veyrat (1810-1844), autre disciple de Barthélémy, celui de. la Némésis, qui vécut dans l'amitié d'Hégésippe Moreau et d'Aloysius Bertrand, l'auteur de Gaspard de la Nuit, homme malheureux lui aussi que nous retrouverons. Veyrat a publié l'Homme rouge, 1833, satire, les Italiennes, poésies politiques, sous le pseudonyme de Camille Saint-Héléna, 1832, mais c'est dans ses deux derniers recueils, la Coupe de l'exil, 1840, et Station poétique à l'abbaye de Haute-Combe, 1847, qu'il confie « l'abîme et la profondeur des souffrances et des agonies auxquelles il fut en proie toute sa vie ». Ainsi, un poème, Vengeance, frappe par l'authenticité du cri contre les persécuteurs auxquels il doit sa vie de misère et d'affronts :



Je te consacre ici mon sang et mes alarmes.

Une libation de mes plus tristes larmes!



Pour mes nuits sans sommeil et mes travaux sans fruit,

Pour ma vie en ruine et mon bonheur détruit;

Pour les pleurs trop amers que je n'ai pu répandre.

Pour mon loyer en deuil dont ils ont pris la cendre,

Pour ma moisson brûlée et mon champ dévasté,

Pour le mal qu'il m'ont lait et qu'ils m'ont souhaité,

Qu'ils soient tous... ah! le sang coule aux flancs du Calvaire!

Qu'ils soient tous pardonnes! pardonnez-leur, mon Père!

Ma mère sous leurs coups est morte de douleur,

Son martyre a duré trente ans! pardonne-leur! -

Le vautour a pillé le nid de la colombe,

Pardonne-leur! - Le sang fume sur l'hécatombe;

L'impie et le tyran happent sans se lasser :

Détourne tes regards et laisse-les passer!

Qu'ils récoltent l'olive où j'ai cueilli l'épine!

Souris sur leurs palais bâtis sur ma ruine!

A sa vivante artère ils ont saigné mon cour :

Ne viens pas voir couler mon sang... pardonne-leur!



Tel est Fana thème et le cri de vengeance, l'espoir que ses ennemis à leur tour pardonneront « le don triste et fatal dont j'ai le signe au front... »

On trouve des vers prémonitoires chez Jacques Richard (1841-1861) qui, avant ses vingt ans fatals, écrit un poème intitulé Comment je voudrais mourir :



Alors, le cour rempli d'un espoir radieux,

Comme l'oiseau perdu dans les branches du chêne,

Comme l'oiseau des bois qui sent sa lin prochaine,

A la vie, en chantant, je ferai mes adieux.



Qui sont les héros de ce double suicide? Des jeunes gens, presque des enfants : Victor Escousse et Auguste Lebras. Après avoir écrit ensemble un drame, Raymond, mal reçu par le public, ils se suicidèrent. Escousse (1813-1832) avait dix-neuf ans, son ami Lebras (1811-1832) en avait vingt et un. Ce dernier, fort précoce, à dix-sept ans, publiait un poème, les Trois règnes, à dix-neuf, un recueil, les Armoricaines, chantant sa Bretagne natale. Victor Escousse était déjà l'auteur de deux drames aussi mal accueillis. On trouva sur sa table un billet : « Escousse s'est tué parce qu'il ne se sentait pas à sa place ici-bas, parce que la force lui manquait à chaque pas qu'il faisait en avant et en arrière, parce que la gloire ne dominait pas assez son âme, si âme il y a. Je désire que l'épigraphe de mon livre soit :



" Adieu, trop inféconde terre,

Fléaux humains, soleil glacé :

Comme un fantôme solitaire,

Inaperçu, j'aurai passé.

Adieu les palmes immortelles,

Vrai songe d'une âme de feu,

L'air manquait, j'ai fermé mes ailes.

Adieu. " »

Au XIXe siècle, on se battait facilement en duel. Un jeune provincial, Charles Dovalle (1807-1829) rimait déjà sur les bancs du collège. Reprenant la vieille supercherie du bon Desforges-Maillard, il envoyait sous le nom de Pauline A. des poèmes au Mercure. Monté à Paris, écrivant des chroniques théâtrales, il se vit un jour refuser l'entrée du théâtre des Variétés, par son directeur, M. Mira. Le lendemain, dans une gazette, il se vengeait par un mauvais jeu de mots : a M. Mira peut être Mira sévère, il ne sera jamais Mira beau. » Ledit Mira le provoqua en duel et l'atteignit d'une balle en plein cour. On retrouva sur son corps, percé par la balle, un papier contenant un poème mutilé qu'il venait d'écrire et sur lequel on put lire :

Brillant d'un nheur ineffable

Pour moi co ençait l'avenir,

Et ma jeunesse était semblable A la fleur qui vient de s'ouvrir.



Ce stupide fait divers émut les poètes de l'époque. Ses amis firent paraître ses poèmes sous le titre le Sylphe, 1830, avec une lettre-préface de Victor Hugo qui l'a salué ainsi : « Une poésie toute jeune, enfantine parfois; tantôt les idées de Chérubin, tantôt une sorte de nonchalance créole; un vers à gracieuse allure, trop peu métrique, trop peu rythmique, il est vrai, mais toujours plein d'une harmonie plutôt naturelle que musicale. » Que chantait Dovalle? Le Convoi d'un enfant, la Bergeronnette, la Halte au Marais, la Chanson du curé de Mention. Les fleurs, la jeunesse, le printemps sont ses sujets qu'il traite avec monotonie et quelque charme. Ce martyr du calembour était un gentil poète. Ses amis l'aimaient bien, et l'un d'eux, Philippe Bouchet, consacra des vers à sa mémoire : « Dors, toi qui fus sans haine et qu'oublia l'envie... » Georges Farcy (1803-1830), lui, fut tué sur une barricade au coin de la rue de Rohan et c'est Littré qui le reçut dans ses bras. Son livre de vers et prose, Reliquae, fut publié par un de ses condisciples normaliens militants qui venait de fonder une librairie : Louis Hachette. Dans son recueil, un dialogue, la Fourmi et le Papillon, bien fragile, et des poèmes chargés d'interrogations :



Que suis-je en ce moment? Qu'étais-je avant de naître?

Une ombre maintenant, et rien après peut-être.

Quoi? Rien après? Pourquoi frémir épouvanté?

Prends courage, ô mon cour, l'arrêt n'est pas porté.

Oh! qui m'expliquera ce terrible mystère?



Parmi l'ouvre surtout historique d'Hippolyte Régnier-Destour-bet (1804-1832), de Langres comme Diderot, on trouve quelques poèmes tendres. L'un d'eux s'intitule Rien, plus rien. Cet homme de vingt-huit ans, romancier de Louisa sous le pseudonyme de l'abbé Tiberge pris dans Manon Lescaut, auteur de théâtre historique et notamment d'un Napoléon au grand succès, pouvait passer pour comblé. Et soudain, il disparut. Un désespoir d'amour lui avait lait prendre la vie en dégoût. Il entra au séminaire de Saint-Sulpice et n'en sortit que pour mourir désespéré.

Parmi les victimes de la misère, il y a encore le Suisse Jacques-Imbert Galloix que nous ne séparerons pas de ses compatriotes, les poètes en prose Aloysius Bertrand et Alphonse Rabbe. Auprès de ces poètes de valeur, il en existe nombre d'autres, venus de leur province à Paris pour trouver la gloire n'ayant pour tout bien que quelques vers en poche et un acte de déclaration de guerre à la société bourgeoise. Accueillis favorablement souvent par les plus grands, prompts aux éloges et pas trop avares de lettres laudatives attendant un retour, ils ont connu la désillusion, la faim, n'ayant pour les soutenir que leur fierté et un espoir s'amenuisant peu à peu. La maladie, le suicide les arrache à ce qu'ils détestent dans ce monde. Si l'art leur a permis de trouver leur identité et leur honneur en les situant hors de l'économie et de la production où les attendaient les tâches subalternes, leur physique n'a pas résisté aux privations, leur moral et leur morale supérieure à la médiocrité de l'existence. Leur contre-société n'a été la plus forte que par leur exemple et leurs écrits.



La Cape, l'épée, la poésie.



Lorsqu'un nom comme celui d'Alexandre Dumas (1802-1870), à sa manière un des grands du romantisme, vient sous notre plume, nous voudrions, sous peine d'être accusé de paradoxe, dire que tout est poésie. Cela nous permettrait de rencontrer des mousquetaires aimés, une foule de personnages historiques réinventés, de parler des Mémoires ou de l'Iliade en feuilleton, de saluer l'homme de théâtre et l'historien, le journaliste et le directeur d'usine à romans, le fondateur d'atelier littéraire et de nous arrêter aux merveilleux Mohicans de Paris... Ne dépassons pas trop notre projet et disons qu'il a apporté au public, et au public populaire, plus de rêve, de dépaysement et de poésie que bien des poètes. Dumas, « c'est un Encelade, un Prométhée, un Titan! » s'écrie Lamartine et l'on voudrait ajouter Protée. En deux vers, Hugo réunit cinq épithètes pour qualifier son ouvre « éclatante, innombrable, multiple, éblouissante, heureuse ». Quelle force de la nature! comme dit Michelet, chez ce « merveilleux Dumas » ajoute Apollinaire.

Il a écrit des vers, Dumas père, énormément de vers souvent « hénaurmes » pour ses drames, et aussi des vers lyriques, mais il ne s'y entendait guère, ou plutôt il voulait aller trop vite. Il plagiait au besoin son ami Victor Hugo, mais avec une syntaxe prosaïque bien relâchée pour armature et l'on comprend que Sainte-Beuve ait pu dire à son ami Juste Olivier : «J'aimerais mieux quatre vers de Bérénice, au hasard, que toute la Christine de Dumas. » On voit ici son embarras :



Que c'est une effrayante et sombre destinée

Que celle de cette âme au trône condamnée

Qui pouvait vivre, aimer, être aimée à son tour,

Qui dans elle sentait palpiter de l'amour

Et qui voit qu'à ce faîte où le Destin la place

Tous les cours sont couverts d'une couche de glace.



Or, s'il oubliait d'écrire « à la va vite » pour ces pièces à livrer très vite, il ne s'en tirait pas si mal :



Je suis ce voyageur criant à vous dans l'ombre,

Je suis parti d'en bas sans savoir mon chemin.

Le chemin où je marche est étroit, la nuit sombre,

Eclairez-moi. mon père, et donnez-moi la main.



Il avait concouru à dix-sept ans à l'Académie avec ce sujet imposé Sur le dévouement de Malesherbes et salué dans des odes La Pérouse, Canaris, le général Foy. En 1827, il avait fait sa tragédie romaine, les Gracques, s'était appris à la poésie dramatique en traduisant en vers le Fiesque de Schiller. C'est à ce moment-là qu'il fit sa pauvre Christine.

Et voilà que pour aller plus vite, il délaisse les rimes et écrit en prose Henri III et sa cour. Deux ans après la Préface de Cromwell et un an avant la bataille d'Hernani, exploitant de vieilles chroniques et des mémoires imaginés d'Anquetil, utilisant ce sens du romanesque qui a fait le triomphe de ses feuilletons historiques, il connaît avec ce Henri III le premier succès du drame romantique nourri de passions violentes et de couleur locale. Le public populaire reconnaît son instinct scénique très sûr et il obtient un triomphe que les plus grands, comme Hugo, ne connaîtront pas auprès du plus grand nombre.

Va-t-il oublier les rimes? Non, aiguillonné d'émulation après Hernani et après une lecture de Marion Delorme, il refait sa Christine sous un nouveau titre, revient à la charge avec Charles Vil, ne réussit pas, mais se montre satisfait, lui qui se senuit écrasé par la magnificence du style de Hugo. Mais la prose étant plus rapide, il s'y donne plus volontiers, avec parfois un retour à la forme rimée, se faisant au besoin aider par Nerval qui se charge du style de l'opéra-comique Piquillo et par de nombreux auteurs pour l'Ores-tie. On sait, par une anecdote fameuse, que Vigny et Hugo avaient mis au point en une nuit une de ses pièces alors qu'il était pris par un dîner, confraternité qui aujourd'hui ne se retrouverait guère. Plongé dans son étonnante création, il y a belle lurette qu'il n'écrivait plus de poésies fugitives. Celles qu'on peut trouver datent de sa jeunesse. Dans la revue Psyché, on a trouvé le Sylphe qui a un accent symbolique :



Je suis un sylphe, une ombre, un rien, un rêve

Hôte de l'air, esprit mystérieux.

Léger parfum que le zéphir enlève,

Anneau vivant qui joint l'homme et les dieux.



De mon corps pur les rayons diaphanes

Flottent mêlés à la vapeur du soir;

Mais je me cache aux regards des prophanes,

Et l'âme seule, en songe, peut me voir.



Rasant du lac la nappe étincelante,

D'un vol léger j'effleure les roseaux,

Et, balancé sur mon aile brillante.

J'aime à me voir dans le cristal des eaux.



Lorsque sur vous la nuit jette son voile,

Je glisse aux deux comme un long filet d'or,

Et les mortels disent : « C'est une étoile

Qui d'un ami nous présage la mort. »



Inattendu, n'est-ce pas? Ce même ton aérien se retrouve dans d'autres poèmes : couplets de l'Arrangement à l'amiable, vers d'amour A Toi chargés de ferveur. Dumas à la fin de sa vie aurait pu dire : « J'aurais été poète si je n'avais tant eu à écrire. » A écrire et à vivre. Sa poésie était ailleurs que dans le poème. George Sand le dit bien : « Lui qui porte un monde d'événements, de héros, de traîtres, de magiciens, d'aventuriers, lui qui est le drame en personne, croyez-vous que les goûts innocents ne l'auraient pas éteint? Il lui a fallu des excès de vie pour renouveler sans cesse un énorme foyer de vie. »



Émules d'Alexandre Dumas.



La curiosité nous fait placer Alexandre Dumas fils (1824-1895) auprès de son père. Poète, l'auteur de la Dame aux Camélias ou du roman l'Affaire Clemenceau? Il le fut, comme beaucoup, à ses débuts, avant de se livrer à des travaux plus lucratifs. Ce joyeux bambo-cheur, ce peintre de la vie parisienne, peu artiste, « de talent bourgeois », dit Emile Zola, publia à vingt et un ans un recueil, Péchés de jeunesse, 1845, et fit jouer la même année un acte en vers, le Bijou de la reine. Ce fut tout pour la versification. Dumas fils avait visité l'Afrique du Nord en temps de conquête coloniale avec son ami Joseph Autran. Il en a rapporté, sous le titre Près d'Alger, des images lumineuses :



C'est là qu'on peut s'asseoir, rêvant à ce qu'on aime,

Sous les orangers toujours verts.

Et d'un ciel toujours bleu lire le grand poème,

Dont chaque rayon est un vers.

En écoutant passer de magiques syllabes

Douces à se faire extasier,

Qui viennent à cette heure où, plein de chants arabes,

Le désert commence à prier.

Là dort notre villa, calme et mystérieuse,

Avec le parfum des citrons,

Et jamais on n'y vit, à l'ombre de l'yeuse,

Le hibou fauve aux deux yeux ronds!



Plus proche par ses ouvres d'Alexandre Dumas père fut Paul Féval (1817-1887) : il partagea avec lui les faveurs du public; son Lagardère de la Régence eut un succès comparable à celui du D'Artagnan du temps d'Anne d'Autriche; ils se plurent l'un et l'autre à sonder les mystères des sociétés secrètes et des villes; ils eurent l'un et l'autre un fils portant leur prénom et leur nom, écrivant, le fils Féval donnant un fils au Lagardère de son père. On pourrait ajouter que Paul Féval père fut.poète, fort occasionnellement. Il eut toujours un penchant peu connu pour la littérature religieuse, et, même lorsqu'il écrit un poème d'amour comme Son Nom, il y mêle quelque religiosité :



Aussi, j'en fais serment, que je vive ou je meure,

Je veux que, jusqu'au bout, ce nom béni demeure

Mon culte le plus pur.

Elle! je veux l'aimer de loin, comme une sainte,

Vierge d'âme et de corps, pure et sans nulle atteinte,

Comme des deux l'azur!



Mais si j'en viens à un autre romancier populaire, Eugène Sue (1804-1857), disant les Mystères de Paris comme Paul Féval les Mystères de Londres, comme Alexandre Dumas les Mohicans de Paris, comme Victor Hugo les Misérables, et que je le dise poète en vers, me croira-t-on? Il a écrit pour le couple Hugo, un sonnet, tes Deux heureux, dont voici le second tercet :



Mais la beauté, la grâce alliée au génie,

La colombe de l'aigle accompagnant l'essor,

C'est l'accord le plus beau : c'est là votre harmonie!



Et Roger de Beauvoir (1809-1866), romancier historique lui aussi, dans la suite de Walter Scott, reprend cette image du roi des oiseaux qu'il adresse à Victor Hugo dans Plume d'aigle :



C'est un aiglon qui regagnant son aire,

Laissa tomber sur le roc solitaire

La longue plume arrachée à son flanc;

Je vis au bout une perle de sang...

J'en eus pitié, car vous êtes son frère!

Que faites-vous, dites, notre aigle à tous !

Pendant qu'ici la brise nous assiège?

Près de ces monts aux épaules de neige

On est si haut qu'on doit penser à vous.



Ce roi des soupeurs a répandu ainsi des vers de circonstance, des poèmes de dessert, des poésies de table d'hôte, avec abondance et c'est là qu'il réussissait le mieux avec sa verve chansonnière apportant un écho au Musset léger ou aux fantaisies de Théodore de Banville, petit genre certes, mais qui a des réussites comme on en trouvera chez Guillaume Apollinaire. Plus sérieusement, Beauvoir est le poète de trois recueils : Mon procès, 1850, où il versifie ses aventures amoureuses et ses démêlés conjugaux avec LéocadieAimée Doze, sa femme, actrice et auteur dramatique, la Cape et l'épée, 1837, titre fait pour lui, Colombes et couleuvres, 1843, les Meilleurs fruits de mon panier, 1862. Ce boulevardier spirituel a aussi chanté Brunoy pour son ami Léon Gozlan :



A Brunoy, beau village aux grands pics de verdure,

La vigne en longs anneaux, comme une chevelure,

Tombe, serpente, et va sous les saules, le soir,

Au lac charmant d'Yère emprunter son miroir.

Lorsque septembre vient, que la cuve s'apprête,

Tout alors est soleil, et joie, et cris de fête;

Et le village entier, comme un brun moissonneur,

Encombre de raisins le chariot d'honneur.



Comme Hugo, comme Dumas, comme Vigny, auteur de drames historiques en vers, Jean-Bernard Lafon, dit Mary-Lafon (1810-1884) fut un historien, un philologue, un chantre du nationalisme occitan préparant par ses études la voie à une renaissance provençale, donnant un roman Bertrand de Born, étudiant et traduisant les troubadours. Il est aussi le poète d'un recueil, Sylvie ou le boudoir où l'on trouve le souvenir d'une mère morte à vingt ans :



A vingt ans, à vingt ans, s'en aller de la vie!

A l'heure où tout espoir, où tout bonheur convie,

Avec si beau chemin encore à parcourir,

Toi si belle, si fraîche, oh! quelle angoisse amère

Quand, me baisant au front, tu te sentis mourir, Ma mère!



De 1833 a 1844, Joseph-Mathurin Brisset (1792-1856) publie des romans historiques après avoir donné des poèmes royalistes et, en collaboration, des vaudevilles et des mélodrames.

Si l'on a oublié ces romans : le Comte de Toulouse, le Vicomte de Béziers, de Frédéric Soulié (1800-1847), d'autres ouvres comme le Lion amoureux, les Mémoires du Diable sont restées dans le souvenir, les huit volumes du recueil diabolique surtout qui ont été des gros tirages de leur temps, la trame étant fantastique, le contenu étant plutôt réaliste : comme dit Marcel Schneider, « Frédéric Soulié use d'un « truc » à la mode, le surnaturel démoniaque ». Au théâtre, il imita Shakespeare dans son Roméo en vers de 1828, et donna des drames du genre de ceux d'Alexandre Dumas comme Christine à Fontainebleau, 1829, la Closerie des genêts, 1846. Auparavant, son oncle Soulié-Lavelanet, autodidacte ariégeois, lui avait donné le goût des vers puisqu'il en écrivait lui-même de bien élégiaques. Les Amours françaises, 1824, du neveu, sont négligeables. Pour vivre, Frédéric Soulié fut employé aux contributions directes, puis directeur d'une scierie près du Jardin des Plantes. Sur le tard, il revint aux vers sans s'être amélioré. Il a gardé les tournures des poètes du siècle précédent sans en avoir quelque grâce.

Auteur aussi de romans historiques et de drames, Charles-Alphonse Brot (1809-1895) débuta par de romantiques Chants d'amour, 1830.

Ce petit panorama des romanciers historiques s'essayant au poème se clôt en rappelant ce personnage sympathique, collaborateur d'Alexandre Dumas, auteur principal même de certains de ses romans, Auguste Maquet (1813-1888), alias Augustus Mac Keat pour ses amis bousingots, excentriques et frénétiques. En 1848, son Chant des Girondins retentit à tous les carrefours de la capitale :



Au seul bruit de la délivrance,

Les nations brisent leurs fers;

Et le sang des fils de France

Sert de rançon à l'univers.



Mourir pour la patrie,

C'est le sort le plus beau,

Le plus digne d'envie!



La Famille Hugo.



L'entourage familial de Victor Hugo lui fut littérairement fort proche. Son père, le général Léopold-Sigisbert Hugo rimait des épopées. Son frère, Abel Hugo (1798-1855), un des fondateurs avec lui-même et Eugène Hugo du Conservateur littéraire, lut surtout un polygraphe; sa jeunesse passée, il fut en froid avec le grand homme de la famille, et traita d'histoire, de faits militaires ou d'architecture. On ne doit pas oublier qu'il fit connaître la poésie espagnole aux romantiques en publiant des Romances historiques, 1822, d'après le Romancero.

L'autre frère, Eugène Hugo ( 1800-1837 ) sombra dans la démence lorsque Victor Hugo épousa Adèle Foucher. Dans le Conservateur littéraire, il a publié Du Génie, 1820. Ossian lui inspira un poème en prose, Duel du précipice, 1820, dont on retrouve la trace dans les scènes de duel de Bug-Jargal et Notre-Dame de Paris.

Le frère d'Adèle Foucher. Paul Foucher (1810-1875) 'ut- croit-on, le prête-nom de son beau-frère Victor Hugo pour un drame tiré de Walter Scott, Arny Robsart, 1828, qui échoua. Foucher eut plus de succès avec ses ouvres personnelles comme Yseult Rimbault, 1830, drame curieusement titré, Don Sébastien ou lajoconde écrite en collaboration avec François-Joseph Régnier. Surtout journaliste, échotier dramatique, compagnon de débauche d'Alfred de Musset, il adapta pour la scène Notre-Dame de Paris, fit des livrets d'opéra comme le Vaisseau fantôme, chanta en romantique, comme tant de poètes, fut ému par le sort de l'Aiglon, comme il le montre dans le Fils de Napoléon :



Ton front, que dévorait l'auréole enflammée,

Cherchait en vain les bras d'une famille aimée,

D'une épouse chérie, et non fille de roi;

Dans tes veines il faut que ton sang meure esclave;

Car des Napoléon le sang est une lave

Qu'avec tes pleurs, Reichstadt, on veut éteindre en toi.



Un cousin germain de Mme Victor Hugo, Alfred Asseline (1824-1891) a conté dans Victor Hugo intime, 1885, les relations des familles Hugo et Asseline, très liées, entre 1830 et 1868. Il fit des romans, un drame historique en prose, les Noces de Lucinde, 1845, et plusieurs livres de poèmes : Pâques fleuries, 1847, le Cour et l'estomac, 1853, l'Enlèvement d'Hélène, 1856. Il a chanté la Chimère :



Mon rêve, mon beau rêve, oh! bien loin dans l'espace

Ravis-moi! sous mes pieds que la terre s'efface!



Chimère, ou%Te tes ailes d'or!

La réalité pèse à mon âme attristée,

Ô chimère, et toi seule est la source enchantée



Où je veux m'abreuver encor!

Rêves capricieux! Oui, toute poésie

Est en vous, et de vous naquit la fantaisie,



Blonde fille, fée aux doux yeux!

La terre est sombre; amour, gloire, vertu, mensonges Le bonheur n'est qu'en vous, ô mes songes! mes songes!

Partons ensemble pour les cieux!



Cinq mois après : c'est le titre d'un poème d'Auguste Vacquerie (1819-1895) écrit après la noyade de son frère Charles et de la jeune épouse de ce dernier, Léopoldine Hugo. Déjà, Auguste professait une vive admiration pour Victor Hugo et une franche amitié. Le deuil partagé les réunit et Vacquerie fut de la famille, et le compagnon des heures d'exil. Venu tard dans l'univers romantique, alors que les grands, à l'exception de Victor Hugo, se mettaient poétiquement en retrait, il est un des représentants tardifs, de cette sorte d'arrière-garde cherchant à améliorer une poétique.

Par bien des endroits, Vacquerie ressemble à son maître : même verve, même goût du paradoxe et de l'antithèse, même appel à l'imagination, bien que chez le disciple elle soit quelque peu forcée. Dans ses poèmes, il ne dédaigne pas les images frappantes et réalistes coriime dans cette Rêverie devant la mer :



Et j'ai cru voir au loin dans le couchant en feu

Les lions de la mer en querelle avec Dieu.



Un orage hâtait et poussait la marée;

Le rivage tremblait. La mer désespérée

Déchirait rudement son écume aux cailloux,

Comme on déchirerait une robe à des clous,

Et la lune écoutant ces menaces funèbres,

Était pâle et sinistre et pleine de ténèbres.

D'étranges visions passaient devant mes yeux.

La mer voulait sans doute escalader les deux

Et, broyant du talon son audace trompée,

Un ange, dans le vent, la frappait de l'épée.



Mais Vacquerie sait aussi tresser des Guirlandes de fleurs quasi verlainiennes :



Lorsqu'entassant les fleurs, roses et violettes,

Dans un pli de ta robe, heureux et cher fardeau,

Et, sous tes doigts charmants effeuillant leurs squelettes,

Tu perdais dans le vent leurs feuilles pleines d'eau,



Oh! que ne pouvais-tu prendre ainsi mes pensées,

Pâles rieurs de l'esprit qui boivent l'eau des pleurs

Et, froissant dans ta main leurs feuilles arrosées,

Les perdre dans le vent, comme les autres fleurs!



Ou livrer des images comme on en trouve sous le pinceau des préraphaélites dans cette Heure du berger :



La fée en passant cueille une branche de houx.

Les vers luisants épars sèment leurs étincelles

Et votre âme serait pendue à ses prunelles,

Enfants, si son regard était tombé sur vous.



Il pouvait aussi faire des tours de force à la manière de son maître en jouant des vers très courts. Ainsi, ce sonnet Sur la neige :



Sortilège Nous assiège Eh bien! Paul, Va changeant

Tu verras D'un ramas Vois le sol. Cette crasse

Le ciel gras De frimas; La terrasse En argent.

Qui s'abrège, Paul, il neige.



En plus de drames et de souvenirs, de nombreux articles, Vacquerie a laissé plusieurs recueils de vers : l'Enfer de l'esprit, 1840, Demi-teintes, 1845, Drames de la grève, 1855, Mes premières années de Paris, 1872, Futura, 1890, poème philosophique et humanitaire.

Les deux fils de Victor Hugo, l'aîné Charles-Victor (1826-1871) et le cadet François-Victor (1828-1873) eurent le même temps de vie, collaborèrent l'un et l'autre jusqu'en 1851 au journal l'Événement par des bulletins de politique étrangère. Ils connurent tous les deux la prison, puis partagèrent l'exil de leur père.

Charles-Victor a donné de nombreux romans, le Cochon de saint Antoine, làntaisie panthéistique, 1857, la Bohème dorée, 1859, Victor Hugo en Zélande, sous le pseudonyme de Paul de La Miltière, les Hommes de l'exil, précédé de Mes fils, par Victor Hugo qui présente ainsi son aîné : « Comme tous les puissants et abondants esprits, il produit vite, mais il couve longtemps, avec la féconde patience de la gestation. »

François-Victor fut également productif, se consacrant aux recherches historiques sur la Normandie inconnue ou Jersey, mais surtout traduisant les Sonnets de Shakespeare, 1857, puis les Ouvres complètes de Shakespeare, 1859-1866, y compris les apocryphes, et, entre-temps, le Faust anglais de Marlowe.

En 1869, les deux frères fondèrent avec Auguste Vacquerie le Rappel et lurent l'objet de diverses condamnations. Au retour de l'exil, ils y reprirent leur collaboration. Ajoutons que la première condamnation de Charles-Victor, en 1851, était venue à la suite de son article contre la peine de mort suivi d'un retentissant procès. Et rappelons Adèle Hugo, l'Adèle H. de François Truffaut, poète dans sa vie meurtrie.



Hugolâtres et lamartiniens.



Dans le sillage des grands, des centaines de poètes qui, souvent, ne font que répéter en moins bien Hugo, Lamartine et leurs amis. Ainsi, Henri de Bornier (1825-1901), de Lunel, qui fut célèbre par ses pièces en vers dans la suite de Victor Hugo, avec des relents cornéliens. De ses Premières feuilles, 1845, à ses poèmes couronnés par l'Académie française dont il devait faire partie : l'Isthme de Suez, la France dans l'Extrême-Orient, Éloge de Chateaubriand, il ajoute au ton hugolien une sorte de pompe académique se dispensant en banalités glacées : c'est qu'il exalte les grands sentiments, les vertus et les devoirs avec une technique bien au point. Cela donne en général ceci :



La mort, c'est le repos; la tombe, c'est l'asile.

Seigneur, rendez pour moi son approche facile;

Comme un enfant s'endort dans le sein maternel,

On s'endort dans la tombe et l'on s'éveille au ciel.



Les Djinns, c'est ainsi que Gustave Chadeuil (né en 1823), de Limoges, intitule un recueil. Les Frères d'âme : Edouard Delprat (1830-1874), sous ce titre, pastiche la Légende des siècles. Bernard Alciator (1810-1884 ) correspond avec Chateaubriand et Lamartine, et dans l'Art dans la poésie, 1866, ou la Satire du 19' siècle, 1860, est hugolien. Modeste, Auguste Desplaces (1818-1896) ami de Hugo et de Gautier se retirera pour chanter doucement sa bonne ville de Poitiers, pour célébrer l'idéal de beauté qu'il s'est fixé pour but et dire du bien de ses amis poètes.

Plus connu est un ami de Victor Hugo, Louis Ulbach (1822-1889), de Troyes, auteur de dialogues avec un supposé Jacques Souffrant, ouvrier, qui lui valut des ennuis avec la justice du pouvoir, ce qui tut encore le cas pour bien des articles. Son recueil de poème Gloriana, 1844, est d'une douceur exquise.

Et que de lamartiniens! Un personnage curieux, Aimé Deloy (1798-1834), sorte de Biaise Cendrars du début du xixe siècle, parcourt le monde, s'arrête au Brésil, fonde le journal l'Étoile du Brésil qu'il rédige lui-même en portugais. Sainte-Beuve l'appelle « troubadour décousu ». Écrit-il une Ode à Chateaubriand qu'on l'attribue à Lamartine. Dans ses posthumes Feuilles au vent, il évoque le pays lointain en faisant allusion au passage à l'impératrice du Brésil, Léopoldine, sour de Marie-Louise d'Autriche :



J'ai trouvé sur ces bords des amitiés parfaites,

Mécène m'accueillit dans ses belles retraites;

Et sous les bananiers, à mes regrets si chers,

La fille des Césars m'a récité mes vers.

Hélas! que de chagrins le rang suprême entraîne!

Que de pleurs contenus dans les yeux d'une reine!

J'ai vu les siens noyés, et dans un triste élan

Elle me dit un jour : « Ce sol est un volcan... »

Elle n'est plus!... Son nom sur mes lèvres expire,

Quel vent a moissonné la rose de l'empire?



Ernest Fouinet (1798-1845), de Nantes, en bon orientaliste, a fourni à Victor Hugo les traductions de l'arabe et du persan citées dans les notes des Orientales. Il traduisit des poésies d'Orient, donna des vers dans les keepsakes et les albums et chanta son Lac comme Lamartine. Le jocelyn de ce dernier inspira une réponse poétique à Désiré Carrière (1813-1853) de Nancy : le Curé de Valneige, 1845, pour montrer « le vrai portrait du curé de campagne ». Octave Ducros (1819-1883) ne craint pas d'intituler ses recueils de vers Contemplations poétiques et religieuses ou Recueillements. C'est à Lamartine qu'Henri de Lacretelle (1815-1899) dédie les Cloches, 1841, petits vers légers et charmants, avant de publier des Nocturnes, 1846, et d'emprunter au poète national hongrois Sandor Petôfi son titre Nuits sans étoiles, 1861. Mais Henri de Lacretelle est surtout romancier. Son père était l'historien Charles de Lacretelle (1766-1855) dont on peut citer un vers-proverbe : « Cédez-moi vos vingt ans si vous n'en faites rien. »



Auprès de Lamartine, il est juste de placer Charles-Emile Alexandre (1821-1890), son secrétaire qui a laissé des Souvenirs sur Lamartine après avoir publié à la gloire de la Pologne, Le Peuple martyr, poème. Emile Aron (né en 1829) est un poète catholique et idéaliste qui chante le Christ et la liberté, imitant Lamartine, de même que Charles Diguet (né en 1830) qui eut l'honneur d'une préface du maître pour ses Rimes de printemps. Proches de Lamartine encore Pierre-François Mathieu (1808-1864) qui' compare la vie à un Album, titre d'un poème; Théophile de Barbot (1 798-1870) ou Ferdinand de Gramont (1815-1897) qui ajoute une note pétrar-quisante dans ses Sonnets, 1840, ses Sextines, 1872, où, d'une strophe à l'autre se retrouvent les mêmes mots à la rime. Gramont fit aussi des Terzines. Il fut l'ami de Balzac et composa les blasons des aristocrates de la Comédie humaine.

Etienne Arago (1802-1892), frère de l'astronome, auteur dramatique et romancier féconds, avait commencé par travailler en collaboration avec Balzac pour publier l'Héritière de Birague. Il a laissé un poème en sept chants, les Eaux de Spa. A propos de Balzac, rappelons que son secrétaire, Charles Lassailly (1806-1843), personnage au nez cyranesque, auteur des Roueries de Triaiph, qui semble annoncer Léon Bloy et qui finit dans le mysticisme et la misère, fut poète : Balzac lui emprunta un sonnet pour les Illusions perdues.



Sous le signe de Byron.



Théodore Carlier (1802-1839), traducteur du Giaour de Byron subit l'influence de ce dernier dans ses Voyages poétiques, 1830. Il compare le cour de l'homme à l'oasis dans un Sonnet sur le Sahara :



Point vague, imperceptible, à l'horizon perdu!

Ainsi le cour, grand piège à tous les paux tendu,

Est si large au chagrin que le bonheur s'y noie!



Aimer Byron conduisit Antoine Fontaney (1803-1837) à signer ses poèmes Lord Feeling. Dans les Ballades, mélodies et poésies diverses, 1828, on trouve des vers sautillants et légers, avec, chez cet anglo-mane,.ce dandy, un écho de Musset et un rien de parnassien. Ainsi cette Soirée castillane :



Quel plaisir de fumer au Prado son cigare,

Le soir, quand l'air brûlant que l'amour enflamma

Revient fiais et glacé par le Guadarrama!

On s'assied : on entend bourdonner la guitare.



Puis passent les enfants avec leur tintamarre,

Les moines, les majos. C'est un panorama.

On aperçoit de loin les femmes qu'on aima;

Dans sa voiture bleue on voit la Transtamare.



Cependant le cigare exhale son encens;

Au parfum du tabac l'âme s'est embaumée :

On regarde monter et s'enfuir la fumée.



Cette fumée, hélas! dont s'enivrent les sens,

Il semble de l'amour que ce soit un symbole :

Il enivre aussi vite. - Aussi vite il s'envole.



Childe Harold a inspiré à l'orientaliste Louis Delatre (né en 1815) un poème A l'Océan :



Ta surface infinie offre à mes yeux l'emblème

De cet autre océan que je porte en moi-même,

Serein dans l'espérance, orageux dans l'effroi,

Changeant, mystérieux, immense comme toi !



Pour lui, les langues européennes, tout comme l'hébreu et le sanscrit, n'ont pas de secret. Il écrit des poèmes en italien et traduit Pouchkine dans cette langue. Ses recueils sont sous le signe du voyage : Chants d'un voyageur, publiés à Lausanne, Au bord de la Baltique, publié à Riga, Chants de l'exil, publiés plus prosaïquement à Paris.

Childe Harold : un autre orientaliste l'a traduit, le sinologue Jeàn-Pierre Pauthier de Censay. Ses Helléniennes, 1825, ses divers recueils se ressentent de cette influence. Autre byronien, le musicien Edmond Fontaine (1828-1900) a étudié Shakespeare, Lord Byron, Octave Feuillet. Il ressemble à son maître dans le Dernier mot sur Rome, 1863, et Douze odes et deux épitaphes,-1864.

Avec Boulay-Paty, Hippolyte Lucas (1807-1878), auteur de tragédies calquées de Lope de Vega ou Calderon, Euripide ou Aristophane, a traduit le Corsaire de Lord Byron. Dans le Cour du monde, il pense en vers, parlant, par exemple, du suicide romantique :



A votre pâle foule enfin le suicide

Se mêle, et vous chassant, près de lui reste seul,

S'assied à ses repas, tel qu'un hôte homicide,

Le berce chaque nuit dans les plis d'un linceul.



Comme au nègre accablé du poids de l'esclavage,

Il dit : Je suis le roi d'un monde où tout est mieux.

Viens, suis-moi. Le poète écoutant ce langage.

Cède, et s'en va chercher une patrie aux cieux.



Dans le domaine anglais, Camille Bernay (1813-1842), fils du maître d'hôtel de l'impératrice Marie-Louise, imite plus volontiers Shakespeare. Léon Halévy (né en 1802), frère d'un musicien célèbre et père d'un autre, fut un littérateur en tous genres, un des premiers saint-simoniens, le traducteur d'Horace, un dramaturge, un critique, un élégiaque auteur de Cyprès, 1825. Il a surtout apporté des échos poétiques d'autres nations dans ses Poésies européennes, 1828, mais Moore, Pope, le Slovaque Jean Kollar, sous le traitement d'une prosodie monotone paraissent réduits à une même dimension académique.



Près de Musset, près de Vigny.



La manière du Musset des chansons apparaît chez Charles Coran (né en 1814), ami de Brizeux, poète à'Onyx, 1840, où il polit ses rimes, de Rimes galantes, 1847, selon Monselet « mélange heureux de Parny et de Musset » et enfin Dernières élégances. Il chante le Vin de Jurançon comme Nerval le «piqueton de Mareuil » :



Petit vin doux de Jurançon,

Êtes-vous gai dans ma mémoire

Avec mon hôte et sa chanson,

Sous les rosiers j'allais vous boire.



Passant par là, vingt ans après,

J'ai retrouvé sous la tonnelle

Mon hôte, assis, toujours au frais,

Chantant la même ritournelle.



Le verre en main, rubis dans l'oil,

On trinque, on boit... mais quel vinaigre!

Jamais piquette d'Argenteuil

A mon palais ne fut plus aigre.

Pourtant c'est le cru du bon temps,

Le jus pareil, la même tonne.



C'est vous, gaieté de mon printemps,

Qui manquez au vin de l'automne.



Cela est bien reposant. Certains poèmes légers d'Ausone de Chancel (né en 1820) pourraient passer pour du Musset quand ce dernier n'excelle pas. Mais l'enthousiasme alourdit ce Chancel dès qu'il chante l'Isthme de Suez qui est pour lui « le septième jour de la création ». Hanté par les dames blondes, il en fait l'histoire en vers et en prose depuis les temps mythologiques jusqu'au XVIe siècle dans une fantaisie : le Livre des Blondes, 1865. Pourquoi pas? L'éditeur fervent de Baïf, Ronsard, Chénier, Louis-Aimé-Victor Becq de Fouquières (1831-1887) rappelle lui aussi Musset dans Drames et poésies, 1860, oujeux des anciens, 1869, mais Musset en plus petit.

Un autre éditeur dévoué, celui de Vigny, d'Hégésippe Moreau, déjà cité, Louis Ratisbonne (1827-1900) n'est pas du tout influencé par ceux qu'il admire. Il préfère écrire pour les enfants une célèbre Comédie enfantine et des albums signés Trim qui ont fait la joie des années enfantines de nos arrière-grands-oncles. S'il veut dans des poèmes pour les grands mimer l'enfance, il est d'un comique involontaire :



- Chère maman, voici la chose : Je priais le bon

Dieu, car le pain, c'est bien sec,

De nous donner toujours un peu de beurre avec.



Pour Vigny, on le remercie. Il est bien évident que Georges Fath (1818-1900), sculpteur de son état, lorsqu'il a écrit un drame en vers, la Mort de Chatterton, 1849, s'est souvenu de Vigny sans le faire oublier.



Moins visible parfois que l'influence de ses grands compagnons, l'influence de Vigny se manifeste par son aspect le plus grave, le plus noble, et si l'imitateur n'est pas de haute qualité, s'il ne domine pas sa pensée philosophique, il prend plus volontiers un aspect moralisateur proche de Laprade qui est difficilement acceptable. On le voit chez un Barthélémy (1812-1843) comme chez maints poètes que nous rencontrerons dans d'autres rubriques.



Les Amis des amis.



Lié avec Soumet (il écrivit une Ode sur sa morT), Edouard d'An-gletnont (1798-1876) donne des Légendes françaises, 1829, des Pèlerinages, 1835, des Euménides, 1840, etc. Il a débuté avec les premiers romantiques par des odes monarchiques. Dans des Amours de France, il consacre ses poèmes à des couples célèbres de l'histoire. Partout, il se partage entre l'évocation historique en vers et des poèmes légers fondés sur des idées ingénieuses.

Les vers qu'écrivit Jules Janin (1804-1874) eurent pour principal mérite de donner une harmonie à sa prose. Feuilletonniste, journaliste, nommé « prince des critiques », salué par Hugo et Sainte -Bem'e, faisant connaître Soulary, il est l'auteur fantastique d'un roman, l'Ane mort et la femme guillotinée, 1829, parodie de roman noir où il accumule les situations horrifiques, et aussi de Contes fantastiques, 1832. Marcel Schneider a pu dire : « Allégé de ses digressions et de ses réflexions critiques, l'Ane mort ferait figure à côté des Histoires impossibles d'Ambrose Bierce », ce qui est un grand compliment venant de la part d'un maître du genre. Jules Janin rima sur les Églogues de Virgile, fit des Gaietés champêtres, des poèmes-chansons pour le Caveau, des vers d'amour bien troussés, et parfois un salut à Bacchus :



Modère, Jeanneton, le feu de ta prunelle!

Échanson, verse-moi de ton plus petit vin!

Ne comptez pas sur moi pour le roi du festin...

Amis, déjà voici que je chancelle

D'avoir bu trop d'eau ce matin.



C'est bien l'Ane mort qu'il faut lire!

Le secrétaire de Sainte-Beuve, Octave Lacroix de Crespel (né en 1829), d'Égletons, a donné une édition du Myosotis de Moreau. Plus volontiers prosateur, s'il veut chanter l'Idéal, il a recours aux vers. Paul-Émile Larivière (né en 1826), dans Églantines et Chrysanthèmes, 1866, ou /'y4rc et la lyre, 1867, va chercher son inspiration chez Burns. Sa Stella matutina :



L'étoile du matin, mélancolique et pure,

S'évanouit déjà dans le ciel argenté;

Tout est silence encore au sein de la nature,

Rêve, fraîcheur, parfum, idéale beauté.



Et pourtant ce n'est point ici-bas la verdure,

Les fleurs au doux arôme, à l'éclat enchanté.

L'étoile blanche aux cieux ni la vallée obscure

Qu'ainsi je chante seul par un matin d'été!



Dans les Filles de minuit de Valéry Vernier (1828-1891), un traducteur de Leopardi, on trouve une Ode à Jules Janin tout à fait quelconque. Son roman-poème, Aline, est plus intéressant car il a la forme du journal intime d'un jeune homme et apporte un parfum d'époque.

Paul Eluard a publié dans les Lettres françaises une partie du Journal manuscrit d'un bien curieux personnage : Napoléon Peyrat (1809-1881), pasteur, qui fréquenta aussi bien Lamennais que Béranger et Sainte-Beuve, et qui publia sous le pseudonyme de Napol le Pyrénéen. Né au Mas d'Azil, dans l'Ariège, près du torrent de l'Alise, il en prit le nom pour titrer son recueil : l'Avise, romancero religieux, héroïque et pastoral, 1863. Au contraire de ses contemporains quand ils sont médiocres, il n'ennuie jamais, car au cours d'un même poème, il varie les sujets, colore de noms historiques ou de noms de lieux et sa verve méridionale vous entraîne presque malgré vous :



Que Dieu vous garde, ami ! -

Mais lorsque vous aurez

Franchi monts et vallons, et fleuves azurés,



. Villes et vieilles citadelles,

La vermeille Orléans, et les âpres rochers

D'Argenton, et Limoge aux trois sveltes clochers

Pleins de cloches et d'hirondelles;



Et Brive et sa Corrèze, et Cahors et ses vins,

Où naquit Fénelon, le cygne aux chants divins.

Qui nageait aux sources d'Homère.

- Arrêtez un moment votre char agité

Pour voir la belle plaine où le Maure a jeté

La blanche cité, votre mère.



Charles Nodier a encouragé un élégiaque bordelais, Edmond Géraud (1775-1831), auteur de méditations plus proches de Léonard que de Lamartine. Sainte-Beuve l'appelle « premier des romantiques », mais lui détestait la nouvelle école. Chopin, non pas le musicien, mais Charles-Auguste Chopin (1811-1844) eut pour principal mérite de révéler à George Sand le Centaure de Maurice de Guérin et d'encourager Magu, ce poète ouvrier que nous retrouverons. Ses Sonnets ont été appréciés par Sainte-Beuve, si attentif à cette forme, mais ils sont bien plats et ses Rêves poétiques bien attendus.



L'Air d'Allemagne, la lumière du Nord.



Le Cavaillonnais Henri Blaze de Bury (1813-1888), fils du musicologue Castil-Blaze, critique musical lui-même, s'il fut hostile à Berlioz, s'intéressa à Liszt et à Wagner. Il fit un opéra avec Meyer-beer, la Jeunesse de Goethe. Excellent germaniste, connaissant mieux encore la langue allemande que Gérard de Nerval, il a traduit les deux Faust, les poésies légères de Goethe, écrivant des études sur son poète préféré comme sur d'autres poètes allemands. Ce fut sa vocation, car ses Intermèdes et poèmes, 1859, sont loin d'avoir le niveau de qualité de Goethe ou de son ami Heine, et non plus de ce Musset qui le raille ou des romantiques qui le tiennent à distance, à l'exception de Vigny et Lamartine mariés comme lui à des anglaises, et de Dumas compatriote méridional. Ses Écrivains et poètes de l'Allemagne, 1846, témoignent d'une critique avertie et intelligente. Parmi ses poèmes, on retient plus volontiers ce qui a le tour de la romance, comme une Chanson du soir dédiée à Meyer-beer dont voici le début :



Mais, silence! le jour décline;

Déjà les bois de Ta colline

Sous un voile épais de bruine

Commencent à se dérober;

L'oiseau s'endort, la fleur nocturne

S'éveille et prépare son urne

Pour les trésors qui vont tomber.



Mais Goethe, en moraliste, le Lyonnais Francisque Tronel lui a adressé des reproches :



La jeunesse abusée erra sous les vieux dômes,

Imitant ton héros, on les vit ces fantômes,

Du criminel Werther partager le linceul.



Ah! si ton livre est lu dans tous les idiomes,

Si l'orgueil t'a grisé par ses ardents arômes,

Vois les mères en pleurs dont tu causas le deuil ! tandis que Léon Rogier (né en 1828) imita le Roi des Aulnes avant de parcourir le monde sur un navire où il apprenait à lire aux matelots. Il n'a cessé dans sa prose de défendre fort justement l'idée que seul le chant populaire peut régénérer la poésie moderne.

Pour unir France et Allemagne, Nicolas Martin né en 1814, à Bonn d'un père Français et d'une mère Allemande, était bien placé. Son aïeul maternel était un ami intime de Beethoven. Il vécut en France, à Halluin, traduisit Grimm et publia des études sur les Poètes contemporains d'Allemagne. Ses propres poèmes, s'ils ne tentent pas de rendre poétiques les Harmonies de la famille, 1837, jouent sur les Cordes graves, 1845, les meilleurs étant inspirés par des légendes populaires. Son recueil, Ariel, 1841, fut traduit en allemand. Dans ses Poésies complètes, 1857, on découvre une double tendance : la rêverie nonchalante et l'entrain spirituel. Ses stances sont parfois faciles, mais empreintes de douceur, avec des chatoiements, des modulations, de petites perles d'harmonie. Qu'il emprunte la lyre allemande ou qu'il tire de son propre fonds, il brode sur une trame délicate dans des poèmes comme la Note perdue, la Muse bocagère, les Glaneurs, Rosée nocturne, l'Hôtesse, où, dans la manière de Friedrich Rùckert, il donne un sonnet cuirassé que remarque Pierre Oster, notre contemporain. Il voit Venise ainsi :



Il semble qu'un soupir, un éternel soupir,

Peuple l'air embaumé d'échos mélancoliques;

C'est un soupir qui sort de ces brillants portiques

Qu'habitaient autrefois les chants et le plaisir.



Car Venise déjà n'est plus qu'un souvenir.

Elle dort du sommeil des vieilles républiques.

- En vain vous attendez, vagues adriatiques,

Le doge fiancé qui ne doit plus venir.

De quel royal éclat tu brillais, ô Venise!

Au temps où te peignait Paul Véronèse, assise

Sur un velours d'azur, tenant un sceptre d'or!

Seul au Pont des Soupirs, un poète, à cette heure,

Penché vers ta beauté, rêve, contemple et pleure.

- Hélas! jamais les pleurs n'ont réveillé la mort.



Dans une Légende, celle du voleur d'hosties, il atteint à une préciosité évangélique :



Pour abriter l'hostie, aussitôt les abeilles,

Des plus doux sucs puisés aux fleurs les plus vermeilles.

Bâtissent alentour leurs rayons odorants,

Et Dieu luit à travers les prismes transparents ;

Et le soir, maint berger qui de ces monts est l'hôte.

Croit qu'une vive étoile est tombée à mi-côte.

Dés l'aube, vers ce point chacun se dirigeant,

Voit l'auréole d'or sur un beau lis d'argent.

Et le pâtre, non moins pieux que les abeilles,

Bâtit une chapelle à ces saintes merveilles.



Un saut dans le temps nous lait rencontrer un personnage de qualité, romantique attardé (mais n'existe-t-il pas un romantisme hors du temps?) fort proche de l'Allemagne, lui aussi. Il s'agit du Strasbourgeois Edouard Schuré (1841-1929) que certains de nos contemporains ont pu connaître. Musicologue, il participa au triomphe du wagnérisme. Dans son Histoire du lied, il a traduit avec art Goethe, Heine, Uhland. Comme Rogier, il croit à la source populaire régénératrice. Il surprit en unissant des rimes masculines sans alternance de féminines, par exemple dans le Fils de la montagne d'après Uhland : ce musicologue savait le pouvoir des sons et a ainsi donné de la force :



Je suis le pâtre, enfant des monts!

A mes pieds les plus fiers donjons;

Je vois du jour le premier feu.

Je reçois son dernier adieu.



Au berceau du torrent d'azur.

Dans ce roc je bois son flot pur.

Il s'élance et mugit plus bas,

Je cotirs le saisir dans mes bras.



Se vouèrent tout entier à une poésie d'inspiration allemande Hermann Pergameni (né en 1844) et Alexandre Tardif (1801-1890) qui traduit Klopstock, Schiller, Goethe, et aussi bien les vers amoureux d'Ovide avant de donner les chansons du Pas de clerc, 1838, Nouvelles variétés poétiques, 1844, les Lauriers et les myrtes, 1847.

Les poètes nordiques devaient eux aussi inspirer maints petits romantiques, et en particulier Xavier Marmier (1808-1892), de Pontarlier, grand voyageur qui ne devait pas tarder à devenir le chantre des légendes du Nord. Poète, linguiste, historien, il apporta ses connaissances non seulement sur les pays Scandinaves, mais aussi sur la Pologne et la Russie, puis le Canada et l'Amérique. Il a traduit Goethe, Schiller, Hoffmann, il a imité Wallin, Uhland, Longlellow, Anastasius Grùn, Lermontov, Andersen.

Comme son compatriote comtois Charles Nodier, Xavier Marmier était passionné de légendes, de mystères, de fantastique. Si l'on a oublié ce membre de l'Académie française, ce n'est guère juste. Ce cosmopolite fut aussi un mémorialiste de la vie littéraire, assez grinçant, l'introducteur, avant Mérimée, des lettres russes en France, l'auteur de relations de voyage. En poésie, ses Esquisses poétiques, 1830, ses Chants populaires du Nord, 1840, ses Poésies du voyageur se partagent entre la transcription des chants entendus ici et là et les émotions personnelles ressenties à la vue des spectacles de la nature et à la lecture des grands poètes dont il visitait la patrie. Doué d'un talent imitatif, il prend les inflexions de ceux qu'il rencontre. Ainsi, Andersen, dans l'Enfant mourant :



Ma mère, je suis las, et le jour va finir,

Sur ton sein bien-aimé laisse-moi m'endormir,

Mais cache-moi tes pleurs, cache-moi tes alarmes.

Tristes sont tes soupirs, brûlantes sont tes larmes.

J'ai froid. Autour de nous, regarde, tout est noir;

Mais lorsque je m'endors, c'est un bonheur de voir

L'ange au front rayonnant qui devant moi se lève,

Et les rayons dorés qui passent dans mon rêve.



Il a aussi un talent descriptif et ses tableaux de paysages Scandinaves, à défaut d'une grande originalité, sont justes et ont les tonalités des soleils de minuit.

Comme lui, Armand de Flaux (né en 1819), d'Uzès, membre des académies suédoises, historien de la Suède, s'adonne au lyrisme nordique. Il chante les Jeunes filles de Stockholm, ce qui prouve que l'engouement pour les Suédoises ne date pas d'aujourd'hui :



Qui peut vous oublier, blondes filles du Nord,

Au teint pâle, aux yeux bleus, si pures et si belles

Qu'il nous semble toujours qu'aux voûtes éternelles

Comme des séraphins, vous allez prendre essor!



De vos yeux abrités sous vos longs cheveux d'or,

Parfois, à votre insu, sortent des étincelles.

C'est que le feu caché qui couve en vos prunelles

N'a dans aucun climat lait battre un cour plus fort.



Pendant les courtes nuits de juin, ô jeunes filles!

Quand vous veniez, le front caché dans vos mantilles.

Fouler d'un pied léger les prés de Djurgarden,



Je croyais voir au ciel scintiller plus d'étoiles; L'air était embaumé, la nuit était sans voiles, Et mon rêve enchanté durait jusqu'au matin.

Alphonse Baudouin (né en 1833), Champenois, auteur de Fleurs des ruines, 1868, donne un Chant du Nord romantique :

Heureux le fils d'Odin aux cheveux blancs de neige! La peau fauve d'un loup couvre son col nerveux; Il chasse le renard dans les pins de Norvège Sur un cheval fumant comme un gouffre écumeux.

Heureux l'enfant du Nord, guerrier, chasseur et barde! Disciple favori du vieux maître Océan! Dans sa main indomptée aujourd'hui seul il garde Le glaive de Fingal et le luth d'Ossian.

Le Bordelais M.-P. Thorel chante la Suède :

Ses belliqueux enfants ont, devant l'ennemi, Tout le sang-froid du Nord et l'élan du Midi.



Plus tard, Henri Cazalis (1840-1909), alias Jean Lahor, que nous retrouverons au temps du parnasse, dans Melancholia, titre emprunté à Durer, relatera en vers Une nuit au Cap Nord :

Sous la morne blancheur des longues nuits polaires Se dresse le Cap Nord, sombre et silencieux, Et le rocher, debout sous les clartés stellaires. Semble un géant qui veille à la porte des cieux.



Après Mme de Staël, nombreux sont les poètes et traducteurs qui firent connaître les lieds populaires et les maîtres de la jeune poésie allemande. Outre Gérard de Nerval et les poètes que nous venons de visiter, pour les littératures germaniques et Scandinaves, il taut justement citer Rosalie Du Puget (née en 1795), Mathieu-Auguste Geffroy (né en 1820), Louis-Antoine Léouzon-Leduc (né en 1815), Jean-Jacques-Antoine Ampère (1800-1864), Auguste Robert, Phi-larète Chasles (1798-1873) et son ami Saint-Marc Girardin (1801-1873), Saint-René Taillandier (1816-1879), Édouard-René Lefebvre-Laboulaye (né en 1811), Frédéric-Gustave EichhofF (né en 1799), Charles-Gabriel Thalès-Bernard (né en 1821), le Belge Emile-Louis-Victor de Laveleye (né en 1822), le Suissejules-Henri Kramer (né en 1827), Louis-Guillaume Tenint, traducteur en vers français des poèmes du roi Charles XV et du prince Oscar de Suéde.

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