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CÉNACLES ET THÉORIES






I. - Les luttes et les groupes



C'est en 1819 que la nécessité d'un renouvellement de notre littérature est enfin acceptée dans la plupart des classes cultivées, des groupes littéraires, des académies de province. La célèbre Académie des Jeux Floraux de Toulouse propose, cette année-là, pour l'un de ses concours, la question suivante : « Quels sont les caractères distinctifs de la littérature à laquelle on a donné le nom de Romantique et quelles ressources pourrait-elle offrir à la Uttérature classique ? » On éprouve le besoin de voir clair, de prendre connaissance de l'envahisseur, mais on n'a pas l'idée que ce qu'on appelle d'un terme dont le contenu est encore bien vague, Romantisme, puisse être autre chose qu'un élargissement d'une forme littéraire à laquelle on entend rester fidèle : le Classicisme. Cette même année, cette même Académie admet dans son sein le jeune poète Soumet, qui, dans son discours de réception, indique leur tâche aux jeunes écrivains : ils doivent tirer leur talent de leurs émotions et remplacer ainsi la froide poésie que gouverne la raison par celle que réchauffent et qu'animent la connaissance des passions et le reflet de toutes les émotions.





Mais ces mêmes classes cultivées, ces mêmes esprits désireux de changement sont effrayés par certains aspects de la littérature nouvelle. Les produits les plus caractéristiques n'en sont-ils pas le « vampirisme » à la Byron qu'a essayé d'introduire Charles Nodier, et le mélodrame populaire qui triomphe sur les boulevards ? Aussi, les tenants des tendances nouvelles ne doivent-ils pas espérer faire triompher leurs aspirations en gagnant peu à peu l'estime des cercles déjà constitués, des académies imbues de traditions ; peut-être les tolé-rera-t-on ; ils sentent que jamais on ne les admettra tout à fait ; ils doivent former des groupes homogènes, dont l'un prend le nom de cénacles, sortes de salons où l'on discute, où chacun lit de ses ouvres, et où s'organise une propagande habile au cours de laquelle chaque membre du groupe soutient les autres membres par des articles de presse ou, dans la conversation, par la chaleur de son expression admirative.



Dès le débutau Romantisme, dès le premier de ces cénacles, nous rencontrons le nom de Hugo, qui sera, à l'autre bout du xixe siècle, le dernier que nous trouverons encore, quand le Romantisme, attaqué par les Parnassiens et quelques indépendants, ne devra qu'à sa résistance éclatante d'être toujours debout. En 1820, il a 18 ans ; il fonde, avec ses frères aînés Abel et Eugène et avec quelques amis, sa première revue, Le Conservateur littéraire. Dans le salon de son ami Deschamps se groupent les membres de ce premier cénacle, dont il est lui-même l'animateur le plus actif. Outre Emile Deschamps, âgé alors de 29 ans, et Victor Hugo, nous y rencontrons Vigny, âgé de 23 ans ; Henri de Latouche, qui l'année précédente, à 29 ans, avait publié pour la première fois l'ouvre d'André Chénier qui parut alors le modèle d'une poésie nouvelle ; Soumet, grand personnage des Jeux Floraux de Toulouse, que ses 34 ans faisaient l'aîné du groupe ; Jules de Rességuier, d'autres moins connus. Mais qu'on ne voie pas là la constitution d'une école. Existera-t-il jamais une école romantique ? Ni les opinions politiques, fort divergentes, ni même les idées littéraires ne sont exactement les mêmes : la revue dirigée par Hugo et ses frères n'offre guère d'unité dans les tendances de ses collaborateurs. Loin de choisir entre les deux tendances, Hugo se refuse à comprendre l'opposition que l'on essaie d'établir entre elles. On admire nos classiques, aussi bien que Chateaubriand, dont on sollicite la protection. En somme, on cherche la voie, le but, une direction, un chef, ou, tout au moins, un modèle. Au lieu de toutes les théories que ces jeunes gens échafaudent avec prudence, le moindre chef-d'ouvre ferait bien mieux leur affaire pour permettre au public de juger.



Ce chef-d'ouvre attendu depuis de longues années et dont l'absence rendait si vaines ces discussions théoriques, il paraît enfin, en 1820 : ce sont les Méditations de Lamartine ; leur succès est éclatant. Ce recueil eût pu rallier les hésitants, que rien n'y pouvait effrayer ; son auteur eût pu devenir un chef littéraire et grouper autour de son autorité nouvelle les jeunes gens qui cherchaient leur voie. Mais, outre que Lamartine, quelque peu dédaigneux de ces jeunes Parisiens ambitieux, peu curieux lui-même de théories, acceptait leurs hommages sans vouloir s'engager dans la lutte littéraire, la politique s'en mêla et compliqua la situation.



On ne peut guère, en effet, comprendre les luttes romantiques de 1820 à 1830, si l'on ne songe pas aux différentes tendances politique» qui s'enchevêtrent dans les tendances littéraires. Deux groupes politiques se distinguent nettement : les conservateurs, dont Chateaubriand est le porte-parole avec son journal Le Conservateur, et les libéraux, dont le principal organe est Le Constitutionnel. Or, certains conservateurs penchent vers les tendances littéraires nouvelles, où l'on distingue le plus ferme respect pour la religion et l'horreur d'une Révolution issue du classique Voltaire, tandis que d'autres sont fort classiques de goût, comme les rédacteurs du Journal des Débats. Parmi les libéraux, certains sont favorables à la tradition classique qui doit continuer l'ouvre philosophique du XVIII siècle ; d'autres sont partisans d'une révolution littéraire qui doit compléter la révolution politique. Si bien que certains conservateurs sont, en littérature, fort proches de certains libéraux dans leur respect du classicisme, et, inversement, certains libéraux fort proches de quelques conservateurs, dans l'espoir qu'ils fondent sur une nouvelle littérature. Lamartine est royaliste ? Ce seront donc les royalistes comme Hugo qui chanteront ses louanges, tandis que les libéraux seront bien réticents.



Après le succès d'un royaliste, le succès d'un libéral : Lebrun, en 1820, donne sa Marie Stuart, tragédie imitée de Schiller, mais très respectueuse des traditions classiques. Hugo, dans son Conservateur littéraire, se montre choqué par ce que la pièce a gardé de son modèle allemand ; mais n'est-ce pas simplement parce que l'auteur est un libéral ? Un journal plus nettement romantique, La Quotidienne, blâme Lebrun de sa timitidé ; tandis que Le Lycée français, romantique et libéra], le loue totalement.

Mêmes divisions au sujet de Byron ; les uns lui reprochent l'audace de sa pensée, qui seraient tout prêts à admirer celle de sa forme ; d'autres approuvent sa philosophie audacieuse, que choque sa poésie trop nouvelle ; d'autres sont heurtés par l'idée comme par la forme ; Vigny est un des seuls à goûter les deux, malgré sa conviction royaliste ; c'est que, pour lui, le goût littéraire et la sincérité de son enthousiasme l'emportent décidément sur toute autre considération.



Après le premier cénacle d'Emile Deschamps et de Hugo, un second groupe paraît en 1821, celui de la Société des Bonnes-Lettres. Fondée par les conservateurs, elle reçoit l'adhésion de Hugo et de ses amis, et, groupant un public de mondains, elle leur fait entendre conférences et lectures. On y adore Chateaubriand et on y abomine le libéralisme. On y est romantique, tout en refusant de se laisser appliquer l'étiquette, dans la mesure où le romantisme chante le roi, l'Eglise, le moyen âge. En face de ce groupement, Stendhal, Ubéral, réunit autour de lui, dans le salon de son ami Delécluze, des libéraux désireux de nouveautés littéraires et quelques classiques. Il semble que, décidément, ce soit la politique qui classe les gens de lettres et de goût, non la littérature. Il y a deux Romantismes entre lesquels l'union semble impossible. Quand parurent en 1822 les Odes de Hugo, on les jugea non sur leur valeur littéraire, mais sur leur tendance politique.

Pourtant, les idées proprement littéraires sont bien semblables chez les romantiques des deux camps ; on y est curieux de tous les modèles étrangers, Romances espagnols, Shakespeare, Walter Scott, Byron, Schiller, Gothe, théâtre de l'âge d'or espagnol. On y désire un adoucissement des règles du théâtre ; on y approuve le caractère plus intime de la poésie ; on y souhaite l'introduction d'une vérité historique plus grande.



Un troisième regroupement se fait en 1823 autour de La Muse française, revue fondée par Deschamps, animée par Hugo et ses amis conservateurs et romantiques. On s'y est réuni entre amis. Le pros-pectus proclame qu'enfin on jugera les oeuvres ittérairement, et non politiquement. On se refuse à voir dans le Romantisme une révolution : c'est un simple élargissement du classicisme, placé sous l'autorité de Chateaubriand et de Mme de Staël. Guiraud, que la maladie et son éloignement provincial avaient écarté du groupe du Conservateur littéraire de 1820, s'adjoint à celui-ci et, en janvier 1824, précise sa doctrine. Il veut être fidèle à l'esprit du siècle de Louis XIV, respecter le vrai et en faire l'objet essentiel de l'art. Mais ce vrai a changé ; la littérature nouvelle sera subjective et non objective, et c'est la vérité intime, celle du cour, que l'artiste cherchera à observer puis à peindre. La poésie du cour sera en grande partie religieuse. Au fur et à mesure que les membres de ce cénacle produisent des ouvres (Hugo Bug Jargal en 1820, ses Odes en 1822, Han d'Islande en 1823 ; Lebrun sa Marie Stuart, dont le succès avait été si grand, en 1820 ; Vigny, ses Poèmes, en 1822 ; Soumet, ses deux tragédies Clytemnestre et Saûl, en 1822 ; Guiraud, ses Poèmes et Elégies, en 1823), l'autorité du groupe tout entier grandit. L'opinion est de plus en plus favorable aux romantiques ; on ne peut nier leur importance, et, en même temps, les jeunes auteurs ont une conscience plus nette du but à atteindre. Mais le plus jeune d'entre eux, un des plus écoutés aussi, Hugo, se garde pourtant bien de déclarer la guerre aux classiques ! Dans la préface des Nouvelles Odes, en 1824, il se présente en conciliateur entre les deux partis : pour lui, n'hésite-t-il pas â écrire, « il ignore profondément ce que c'est que le genre classique et le genre romantique » ? il admire Shakespeare, mais il ne méprise nullement Racine et même Boileau. Il veut une littérature rénovée par le sentiment religieux, par l'histoire nationale, par la sincérité du sentiment, mais dont la forme ne choquera nullement par une innovation exagérée. Nodier s'adjoignait à ce Cénacle pour dénoncer les méfaits de la mythologie classique.



C'est au moment même où les romantiques semblent enfin s'unir, où le libéral Stendhal semble venir au secours de La Muse catholique et conservatrice, que les attaques des classiques et de l'Académie se font plus violentes, ce qui est tout naturel : l'ennemi semblait devenir puissant. Journaux, revues, discours, tout est bon pour ridiculiser ou condamner sentencieusement la nouvelle école. La guerre est engagée. Deschamps cherche, pour clarifier le débat, à définir le Romantisme. Pour lui, en somme, est romantique ce qui est poétique, classique ce qui est prosaïque. Le Romantisme, c'est le cour ; le classicisme, l'esprit. Hugo, à la même date, déclare que le Romantisme c'est le génie naturel, la méditation, l'inspiration. Malheureusement, La Muse doit cesser de paraître. Le groupe va-t-il se dissoudre, au moment même où il semble réunir peu à peu tous les romantiques, quelle que soit leur obédience politique ?



Un heureux hasard évite cette catastrophe. Charles Nodier, aimable et curieux, qui, né en 1783, était plus âgé qu'aucun membre du cénacle de La Muse et avait, depuis plus de dix ans, donné mainte ouvre d'allure romantique, était, en 1824, nommé conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal, et là, grandement logé, recevait, le dimanche, les jeunes romantiques, ceux de La Muse, royalistes et chrétiens. On discutait, on lisait, mais on jouait aussi aux cartes, et l'on dansait. C'est dans ce salon que se forma vraiment, à partir de 1825 surtout, un groupe romantique. C'est là que Hugo assure peu à peu son autorité. Par la conversation, le tranchant des idées s'émousse, mais les accords se font plus facilement sur un programme commun que par des articles de revue.

D'autre part, les romantiques libéraux se groupent de leur côté plus étroitement : Stendhal, Rémusat, Mérimée. Une revue se crée, Le Globe, en 1824, revue de jeunes libéraux, mais dont le succès et l'autorité croissent rapidement et qui s'efforce de rallier le Romantisme au libéralisme. La nouvelle école n'est-elle pas l'école de la liberté ? Le Globe veut aussi rallier les libéraux au Romantisme en leur faisant prendre parti, là aussi, pour la liberté.

La doctrine littéraire du Globe, c'est la lutte contre les tenants de la vieille école, contre le classicisme dans ce qu'il a de mort ou d'usé, non contre celui du grand siècle. On y attaque les règles, les unités ; on y réclame une liberté absolue pour l'art, un « 14 juillet de l'art ». Par contre, il faut faire vrai, copier la nature dans le présent comme dans le passé que nous transmet l'histoire, dans notre pays comme à l'étranger.



La Muse et son cénacle, Le Globe et ses collaborateurs sont-ils donc d'accord ? L'union s'est-elle faite entre conservateurs et libéraux sur le terrain littéraire ? Hélas ! les inimitiés politiques subsistent et se déguisent en oppositions littéraires. Le Globe attaque vigoureusement la poésie de Lamartine et la timidité des imitateurs de Schiller qui défigurent leur modèle, quand ils appartiennent au clan de La Muse, quitte à soutenir le Théâtre de Clara Gazul, parce que Mérimée est Libéral. Stendhal, en 1825, donne une seconde partie de son Racine et Shakespeare, où il attaque aussi bien Lamartine et son genre rêveur » que la sensibilité de Hugo et de Vigny. En 1825, l'union n'est pas faite ; on se bat moins entre classiques et romantiques qu'entre romantiques ! La nouvelle littérature va-t-elle s'épuiser dans ces combats fratricides ?



Non ; le temps apportera l'union. Les libéraux, d'abord, s'unissent peu à peu dans une tendance romantique générale ; en 1825, il n'y a plus guère de jeunesse libérale classique. Les membres du cénacle de La Muse savent gré à leurs ennemis politiques du Globe de répondre avec autant de fermeté aux ennemis du Romantisme et se rapprochent ainsi des libéraux. Chateaubriand, le dieu de La Muse, incline vers le libéralisme et ses adorateurs suivent son évolution. Hugo abandonne peu à peu ses prudences et son désir de sauvegarder la tradition classique, et se rapproche de l'audace des théoriciens du Globe. Selon la logique, ce sont les libéraux qui font autour d'eux l'union des romantiques, au moment même où ceux-ci, dont l'autorité s'accroît, voient s'ouvrir pour eux les portes du Théâtre Français, grâce à la nomination de leur ami le baron Taylor au poste de commissaire royal auprès de ce théâtre.



Dans tous les groupes que nous avons considérés jusqu'à présent (groupe du Conservateur littéraire de 1820, groupe de la Société des Belles-Lettres en 1821, groupe de La Muse française en 1823, groupe de L'Arsenal en 1824), l'union des romantiques n'avait pu se faire complètement. Les Libéraux avaient boudé ; aucun programme commun n'avait pu être réalisé entre libéraux et conservateurs ; aucune autorité n'avait pu s'imposer, Lamartine trop distant, Chateaubriand trop marqué par la politique.



C'est seulement en 1827 que cette unité se réalise, qu'une école va se constituer, dans ce qu'on appelle proprement « Le Cénacle », et sous l'autorité d'un chef, Victor Hugo. Comment cette union a-t-elle pu s'effectuer ? Ce n'est pas, on peut s'en douter, par le rapprochement arbitraire des vues théoriques, par l'oubli apparent des oppositions de doctrine politique ; non, là encore, c'est par un contact direct entre anciens ennemis, c'est par l'amitié personnelle de deux hommes, Sainte-Beuve, l'ancien étudiant en médecine, qui, à 23 ans, s'affirmait déjà, au Globe libéral, comme un critique solide et vigoureux autant que fin, et Hugo, qui venait de publier les Odes et Ballades, où s'affirmait sa maîtrise artistique et dont la préface était un véritable manifeste en faveur de la liberté dans l'art. Dès le début de cette amitié, on voit les différences s'effacer entre le chef des conservateurs romantiques et le critique le plus autorisé des romantiques libéraux, son cadet de deux ans. Peu après cette rencontre, Hugo, dans l' Ode à la Colonne, publiée par le Journal des Débats, protestait éloquemment contre une insulte faite publiquement aux anciens maréchaux de l'Empire, et, par cette publication, passait ouvertement à l'opposition anti-ministérielle, effaçant ainsi la différence politique qui le séparait du Globe. Hugo passe de la droite à la gauche ; Le Globe accueille cette évolution avec joie ; elle rallie les libéraux à Hugo et permet l'unité dans le groupe des romantiques.



C'est ainsi autour de Hugo que viennent se réunir écrivains et artistes ; c'est sa maison de la rue Notre-Dame-des-Champs qu'ils fréquentent ; il est devenu un centre d'attraction ; il va devenir un chef. Une intense fermentation se produit alors, en cette année 1827. On ne perd plus son temps en pamphlets, en querelles personnelles, en discussions abstraites ; on travaille à bâtir, chacun apportant sa pierre, le monument de la littérature nouvelle. Autour de Hugo, ce sont Vigny, Sainte-Beuve, Deschamps, Lamartine, quand il séjourne à Paris, Soumet, le baron Taylor, Balzac, Musset, Alexandre Dumas, Mérimée, Gérard de Nerval ; ce sont aussi des peintres ou des sculpteurs : Delacroix, Boulanger, Devéria, David d'Angers. Chacun apporte ce qu'il a découvert ; le Maître lit ses ouvres nouvelles, Cromwell en 1827, Les Orientales en 1828, Marion Delorme et Hernani en 1829. Les disciples en font autant. On s'enthousiasme, on a la foi, on ne doute plus. Des acteurs anglais viennent à Paris jouer du Shakespeare ; on ne comprend pas toujours, mais on applaudit de confiance ; pendant un an, on prend une connaissance enfin directe de celui qui devenait le répondant illustre des tendances nouvelles ; non seulement l'armée était formée, c'était le Cénacle, non seulement elle avait un chef, Hugo ; mais, de plus, elle trouvait enfin un modèle : Shakespeare, et un terrain où combattre : le théâtre. C'est alors, en 1827-28, que la théorie peut s'établir, diverse sans doute selon ceux qui la proposent, mais dénuée de partis pris, de rancunes personnelles, d'ostracismes systématiques, d'outrances volontaires ou de timidités prudentes.



Il a donc fallu sept ans (1820-1827) pour que les énergies éparses de tous ceux qui rêvaient d'une littérature originale puissent se grouper autour d'un chef; et ce chef était presque le plus jeune, mais le plus volontaire, le plus acharné au travail, le plus conscient des devoirs de l'homme de lettres, le plus ambitieux peut-être, à coup sûr le plus doué. Jusqu'en 1830, les disciples resteront fidèles au maître, et, groupés autour de lui, livreront à ses côtés la bataille finale à'Hernani. Une « école » est constituée ; quel est son programme, quelles sont ses tendances générales et particulières, qu'y a-t-il de commun entre ses membres, quelles nouveautés veut-elle apporter ? Voilà ce qu'il nous faut élucider, maintenant qu'un programme, commun dans les grandes lignes, a pu être élaboré par les divers théoriciens de cette école.



II. - Les théories



1. Théories générales. - On se doute qu'au cours des dix années pendant lesquelles une vingtaine, pour le moins, de littérateurs français, poètes, dramaturges, critiques, ont proposé des réformes, bien des idées diverses ont été émises, et qu'il est presque impossible de les grouper en un système cohérent et un. On sait, de plus, que ces réformateurs ne cessèrent de se combattre jusqu'en 1827 et que leur opposition politique les rendait hostiles les uns aux autres jusque sur la question littéraire. Ajoutons que, parmi eux, s'il était relativement facile aux critiques de juger avec impartialité et d'élaborer des projets d'une portée générale, il était presque impossible à des génies aussi personnels que Hugo, Vigny ou Stendhal d'oublier leur tempérament propre et de faire autre chose que de transposer en théories leurs dons naturels et leurs tendances individuelles. Cependant, maintenant que ces luttes sont terminées depuis plus de cent ans, nous voyons, beaucoup mieux qu'ils ne pouvaient le faire eux-mêmes, les tendances communes de tous ces réformateurs, leur direction générale et les points communs de leurs revendications.

Notons d'abord cette constatation vraiment générale : la littérature classique est épuisée. Sans doute, les chefs-d'ouvre de nos grands classiques sont toujours respectés, mais on est unanime à déplorer la faiblesse de leurs continuateurs, de leurs imitateurs de la fin du xvme et du début du xixe siècle. Chacun sent qu'il faut faire autre chose, obéir à des principes nouveaux, avoir un autre idéal, suivre des modèles nouveaux. Or, il se trouvait qu'à l'époque même où la poésie déclinait si visiblement en France, l'Angleterre et l'Allemagne voyaient un remarquable développement de leur littérature et l'apparition de génies de premier ordre qui ne devaient presque rien à la tradition classique, qui avait pourtant régné chez elles peu auparavant. La connaissance de la littérature étrangère, soit directement, soit, le plun souvent, à travers des traductions, invitait, sinon à l'imiter, du moins à faire aussi bien. Remarquons d'ailleurs que l'on découvre non seulement les étrangers contemporains ou récents, mais aussi ceux des siècles bien antérieurs, qui prennent toute leur nouveauté de l'ignorance où l'on était auparavant de leur ouvre. On ne découvre pas seulement Byron, W. Scott, Gothe et Schiller, mais aussi Shakespeare, Dante, le théâtre espagnol de l'âge d'or. Les uns admirent totalement, d'autres avec beaucoup de réserves ; mais enfin nul ne peut plus ignorer que des chefs-d'ouvre incontestables se sont élaborés, au-delà de nos frontières et indépendamment de toute tradition classique. Cette découverte d'un nouveau monde littéraire modifie singulièrement les perspectives et donne à l'esprit qui juge et qui cherche une largeur de vues qu'auraient interdite la connaissance trop unique et le respect trop religieux de nos classiques.



Dans notre propre littérature, on a pour la première fois l'idée de remonter au-delà de Malherbe, et l'on constate, à la suite de Sainte-Beuve, dont le Tableau de la poésie française au XVIe siècle paraît en 1827-28, qu'avant l'école classique, il a existé des poètes de génie ou de talent ; on découvre même les chroniques du moyen âge et la riche matière qu'elles offrent au poète, au dramaturge, à l'historien. On conçoit qu'une littérature digne des plus belles puisse s'élaborer en dehors de la tradition classique. Ainsi, cette triple constatation : épuisement de la tradition classique en France, épanouissement, en Angleterre et en Allemagne, d'une littérature extra-classique, richesse d'une littérature nationale préclassique, ne peut qu'inviter les théoriciens d'un art nouveau à se dégager de l'influence classique et antique.



De plus, ces littératures étrangères, même si elles ne sont pas contemporaines, offrent cependant des modèles plus proches à l'imitation que ceux de l'antiquité. Leurs chefs-d'ceuvre sont le produit d'une civilisation chrétienne comme la nôtre ; l'âme qu'ils expriment est une âme moderne, que tourmente le problème du bien et du mal, qui a le sens de l'infini, qui ne borne pas ses regards au bonheur terrestre, qui ressent les attaques et éprouve les charmes puissants de cette maladie moderne qu'est la mélancolie. Elle est sentimentale plus que rationnelle, et l'âme moderne est faite, avant tout, de sentiment. C'est donc en dehors de la tradition antique ou classique qu'on trouvera, sinon des maîtres, du moins des modèles.



Mais qu'est-ce donc qui, dans notre littérature classique, limitait ainsi le libre épanouissement du génie individuel et le tarissait pour ainsi dire ? C'étaient les règles et, en particulier, la plus vague de toutes, celle des bienséances, et ce goût artificiel, qui est le fruit d'une raison tatillonne et non celui d'un instinct artistique habile à s'adapter à son objet et à son époque. Contre ces règles, on réclame la liberté, dussent les maladroits en faire mauvais usage, la liberté nécessaire au génie. Est-il concevable que la nation ait réussi à conquérir cette liberté dans l'ordre politique et qu'elle soit toujours enchaînée dans sa littérature ? Cette idée de liberté conduit tout naturellement à l'individualisme. Puisque l'artiste ne doit plus se soumettre aux règles générales, il pourra et devra manifester ce qu'il y a en lui d'unique dans son tempérament artistique. Sa nature propre sera sa seule règle essentielle, et il ne gardera des règles traditionnelles que ce qu'il y a en elles d'inhérent à toute ouvre d'art, règles d'ailleurs peu nombreuses et dont le goût est certainement la moindre. Ce qu'il devra exprimer, quel que soit le genre qu'il adopte, c'est ce qu'il y a d'intime en lui, ses émotions, ses sentiments plus que ses idées, son moi. Or, qu'y a-t-il de plus personnel que la manière d'aimer ? D'où la place énorme que tient l'amour dans notre littérature romantique, non pas l'amour dépeint de l'extérieur comme par un témoin lucide, mais l'amour vu du dedans, tel que le cour l'éprouve.



D'autre part, on veut faire vrai. Le monde classique, et surtout les pseudo-classiques récents, ne semblaient voir le monde qu'à travers les livres et je ne sais quelle tradition qui finissait par masquer son aspect naturel. Ce vrai, on le trouvera en soi, à l'état brut, mais on le trouvera aussi dans l'histoire et dans l'observation directe des choses. A la vérité ingénue des sentiments s'ajoutera la couleur locale, selon que les ouvres seront subjectives ou objectives.



Enfin, la nouvelle école sera nationale ; non pas, nous l'avons vu, qu'elle dédaigne l'étranger ; mais elle utilisera tout ce qui, dans l'histoire passée ou présente, est capable de toucher l'âme du Français, les événements ou les moeurs qui nous ont faits ce que nous sommes ; ainsi, au lieu de former un monde à part, où il ne s'agit que de Grecs et de Romains, ou de salons mondains, la littérature s'intégrera dans la vie nationale et s'animera des émotions de la patrie.



2. Théories particulières à certains genres. - Voilà sur quoi s'accordent les différents théoriciens romantiques en ce qui concerne les formes générales de la littérature. Voyons maintenant leurs idées sur les genres précis, et comment ces vues générales vont s'adapter aux formes d'art particulières. Deux genres ont, dès le début, préoccupé les réformateurs, parce que leur déchéance apparaissait comme particulièrement évidente : la poésie lyrique et la tragédie. C'est à propos de ces genres, également, que la supériorité de la littérature moderne étrangère apparaissait le mieux.

La poésie lyrique, la forme de beaucoup la plus importante et la plus essentielle de la poésie, paraissait en 1820 n'avoir rien donné en France de Malherbe à Chénier, et on ne remontait pas plus haut. Comment la recréer, ou plutôt comment la créer ? Hugo, dès 1822, remarque avec profondeur : « La poésie n'est pas dans la forme des idées, mais dans les idées elles-mêmes. La poésie, c'est ce qu'il y a d'intime dans tout. » C'est dire qu'il faut renoncer à ces manières fleuries de parler, à ces tournures agréables mais froides, qui font résider toute la poésie dans la manière de dire, qui s'ajoutent artificiellement au « fond » au lieu de s'en dégager naturellement. Pour que le a fond » crée la « forme », il faut que la matière de la poésie soit, avant tout, le sentiment ; l'idée même, si elle fournit le sujet, devra s'échauffer de toute la chaleur du cour et se transmuer pour ainsi dire en sentiment. C'est dans le coeur que sera la source de poésie, non dans quelque recueil d'images de tradition où puiserait avec plus ou moins d'habileté l'artiste érudit. Cette poésie devra être sentie plutôt que comprise, s'adresser au cour et non à l'esprit. Elle devra avoir une portée générale, rendre des sentiments communs à tous les hommes d'une époque, dans ce qui fait qu'ils sont de cette époque. Lamartine écrit, en 1834 : « La poésie sera intime surtout, personnelle, méditative et grave,... l'écho profond, réel, sincère... des plus mystérieuses impressions de l'âme. Ce sera l'homme lui-même et non plus son image, l'homme sincère et tout entier... »



Renouveler le fond de la poésie ne suffit pas ; il faut aussi réformer la versification, assouplir le vers, et cependant lui donner de la fermeté, varier la place de la césure, enjamber librement, suivre, en un mot, l'exemple d'André Chénier.



La tragédie française n'est pas moins usée que la poésie lyrique ; et, si elle a donné au xvir8 siècle d'incontestables chefs-d'ouvre, le respect qu'on a pour eux, et l'imitation servile avec laquelle on les suit, la rendent un obstacle d'autant plus dangereux à toute tentative originale. Les drames étrangers, anglais, allemands, espagnols, offrent des ouvres dont l'effet est puissant, et où tout semble s'opposer à notre tragédie classique, genre que les règles des unités et les obligations du ton soutenu atrophient particulièrement. D'abord, ruiner les unités; puis rénover les sujets en les tirant de notre histoire nationale (StendhaL) ; agrandir ensuite le sujet, en ne prenant pas seulement les dernières heures d'une intrigue, mais en offrant toute l'évolution de l'action ; prendre comme personnages non des types généraux, froides abstractions auxquelles se réduisent nos héros classiques, mais des individus, « seul moyen d'intéresser à l'humanité » (VignY) ; mêler comme dans la nature le beau et le laid le grand et le petit, le sublime et le grotesque ; éclairer le drame intérieur par la couleur locale extérieure ; en faire l'image complète d'un monde et d'une époque ; varier le ton et le style, le rythme, les coupes (HugO).



De tant de dissertations sur ce que doit être la littérature moderne, et c'est surtout à la poésie que l'on songe, parce que Chateaubriand avait, par son exemple djt. mieux que n'importe quelle théorie ce que devait être la prose romantique, se dégagent donc quelques grandes tendances fort simples et communément admises par les initiateurs du Romantisme : élargissement de l'horizon littéraire ; adaptation de la littérature à l'âme moderne issue de la Révolution ; tendance à la liberté dans l'art, à l'individualisme ; goût du vrai, tant du vrai intime que du vrai historique ; particularisation de la littérature en la faisant nationale. La gloire du Romantisme n'est pas d'avoir senti le besoin de réformer, mais d'avoir rencontré un nombre imposant de génies pour appliquer ces réformes. Ce sont ces génies que nous allons voir maintenant dans leurs ouvres.



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