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Victor Segalen



Thibet - Poéme


Poéme / Poémes d'Victor Segalen





I



Des ailes...
Non.
Le vol plumeux n'a que faire aux sommets des cimes

Où jeux d'ouragans ne portent pas.
Ce n'est plus d'un frisson léger que se dompte ici cette rime.

Mais saccadant le roc sous mon pas,
A droit de vie à gré de mort, méprisant la plaine marine,

D'un pied dur j'aborde ta colline,
Bod, o
Tô-bod, o
THIBET ! lutrin du monde chantant,

J'ose en toi ce poëme exaltant.
Qu'il n'aille point « comme l'oiseau qui se nourrit de riz et graines »

-
Vautour tordant la broche du vers,
Ou l'effort redressé des millions de temps d'haleine.

Bec neuf dans la glace des hivers.
Et laissant l'homme s'ébaudir au verbe sonnant par sa bouche.

Noyé sous les flots de la langueur,
Puissé-je, - moi - scander à coups de reins dans ta grandeur

Cet hymne mouvant, ce don farouche,
Tribut d'essor escaladant à
Toi des pays le plus haut !

-
Mon cour, qu'il en batte chaque mot.



II



Lors, que mon chant ne suive point en leur trop commune mesure

Ces vains jeux de mots encadastrés.
Le rytlime qu'il se fasse bond et, crevant la vieille masure,

Chemine au plus haut des cieux astres.
Et quel célébrant célébré, hauteur des vieux lieux liturgiques.

Prophète en haut-mal de l'avenir.
Quel récitant discipliné ou conducteur d'élans bacchiques,

Ne s'essoufflerait à ton gravir ?
Ou bien cet enfermé, - le fou ! - suaut son encre à domicile

Prend peur à ton immense horla.
N'opposez point la motte au mont : l'Horeb au
Tonnant de
Sicile.

L'Olympe petit au
Dokerla.
Mais sur les coupes de tes croupes, par les rimes de tes cimes, les créneaux

Béant en tes rejets synclinaux,
Et par les laisses de tes chaînes, par les cadences d avalanches

Des troupes de tes séquences blanches.
Il le faut : que, - magique au monde rare dont tu fais le toit, -

L'Hymne ne se fonde que sur toi.



III



Même si je meurs plongeur à la mer saumâtre, mauvaise au goût.

Ou nageur à plat dessus la plaine.
Ou de mort tiède étalé dans l'immobile lit trop doux.

Je n'omettrai point de mon haleine
Ardente, - cri de rappel, - le souvenir à voix d'airain

De ton premier geste souverain.
Thibet, d'un bond tu m'apparus, - le monde changé, - vierge énorme

Au delà des monts de mon désir; ant le
Ciel-Océan de ton promontoire sans norme,

Radjah du gigantesque gésir.
L'espace a durci ; le poids tombe; l'eau se fait lutte mouvante ;

Ici, tout dévale de ton haut ;
Et l'eau et l'espace et le poids et je ne sais quoi d'épouvante,

Descend, majestique en
Tes troupeaux :
Ces humains !
Ces taureaux enrobés ! des deux arcs m encornant, - deux mains m'empoignant.

Intrus et interdit dès l'orée ;
Ces géants grenats et grands, faces saintes, démarche délurée.

Ces bucrânes vivants et grognants
I



IV



Sois loue,
Thibet inhumain, pour ce front masqué de glaciers ;

(Je n'y vois d'insolites visages...) -
Marmonnants mufles de mes yaks, chanfreins de mes chevaux d'acier, -

(Je n'y vois d'insolites visages...)
Pour ton blason sans traits ni teint ; pour ta figure d'icoglan

(Je n'y vois d'insolites visages :
Je veux dire ici : vision soudaine d'un Être de l'autre clan,

D'Elles, en leurs magiques mirages
I
Larves douces douloureuses plus que tout remords vicieux

Je veux dire, ici, ces
Paysages
Vivants : deux sourcils, et un front, des joues amantes, et des yeux

Si lourds avec ce regard d'orage ;
Ces puits effrayés de se voir ; et cette source des dieux :

La bouche avec ses pouvoirs de rage,
Demi-mouvante demi-mue, et bue ou buvante à son gré,

Tout l'Etre aux horizons de naufrage ;
Dans la traîne du monde vrai si radieuse en ses ravages

Sans jamais s'y laisser intégrer !



V



Terre !
Terre !
Surhaussement du
Continent plus que lui-même

Roi, - se couronnant sur ton pouvoir.
A travers lui les vassaux vont et viennent, mouvant diadème,

Portant la rançon de leurs savoirs.
Ceux qui s'élancent sur des pieds à sabots griffus de démons ;

Les filles qui marchent d'un bond libre ;
Et ces longs serpents de tes eaux, nés du plus pur jet de tes monts :

Grands fleuves cherchant leur équilibre !
A travers gorges et ressauts sautant, roulant, fluant, bavant,

Ils mènent leur course à l'embouchure,
La vasque finale dissoute en son déhanché décevant :

La mer, hydropique bavochure ;
La mer sans monts, la mer sans front, la cuve d'ennui gris-de-plomb

Qui danse comme ours en ses marées ;
Prodige ! la voici par
Toi, - à tes pieds grimpante - halée,

La mer pérégrine à ton aplomb
I
Elle se courbe, elle est en route en son esclavage éphélide

Vers toi, véhément dans le solide !



VI



Par le voyage de la vie en caravane personnelle,

Exploratrice du temps blanc ;
Par les étapes et le gîte en cette aventure charnelle ;

Par les déduits les plus accablants,
Il y a ces abandonnés jetés aux heures éternelles...

Instants d'une extase sans remords. -
J'ai vu mieux et de mes yeux vu cinquante grands yaks aux yeux morts.

Rochers asséchant que l'eau abreuve ;
Blocs sinistres et fruits du froid saisis dans l'étreinte du sort.

Cinquante incrustés dedans le
Fleuve.
Ayant voulu le traverser ils furent pris avant le port ;

Têtes si belles à grand'corncs !
Cinquante mufles desséchés et pleins de vide et creux de mort...

Mais plus épouvantable de morne.
J'ai contemplé de tous mes yeux trop tremblants d'un rude soupçon

Ce moine gelé, bloc irascible.
Délaissé là par ses conjoints avant l'agonie impossible :

-
J'ai vu l'homme vif pris au glaçon.



VII



Quel homme eût sculpté cet effort?
Quel être-dieu eût ébauché

Ce corps innombrable et sans-figure ? -
Ils sont là tous, taillant, rodant et ravalant à leurs carrures

Le trop-plein du bloc bien retouché.
Ces bons potiers qui tournent, tournent leurs jolis dieux comme des pots.

Enfants bégayant de leurs mains grises,
Coulant sans rire un masque en pleurs et sous le galbe d'un suppôt.

Refaisant toujours la forme apprise ;
Sols artisans n'osant pas plus que simuler le bon vivant :

Es travaillent non pas sur eux-mêmes. -
Mais toi,
Thibet, tu t'es pétri, levé du plus fort de toi-même.

Héros terrassier et émouvant :
Non point potier mais poète ; et non artisan mais poëme

Non point du dehors mais du dedans ;
Dieu statuaire et dieu surgi, ciseau et feu et roc ardent.

Tu fis ta médaille planétaire,
Ton propre grand ouvre dressé à ta devise escaladant :

«
Montagnes, sculpture de la terre. »



VIII



Tout le village s'est levé, en joie, en proie à l'aventure :

Ils vont divisant l'espace ami
La tête haute sur le ciel sillé de leur désinvolture

Ils marchent - et moi - vers
Mont-Omi
I
Ils ont paré leurs beaux habits tués de neuf de l'azalée

Qui fête la plus grande en-allée.
Us fleurent la bête cousue, ils me flairent en bondissant

Sans voir - je regarde ces passants.
Lestes et gais et bons parleurs, hommes-rouges, femmes - turquoise

Leurs jambes, vives reines du bond...
Leurs pendeloques ondulant dans une mine si courtoise

Ces airs de souverains vagabonds ! -
O
Fille si vite envolée
I o pércgrine cuirassée

Espoir d'une étape harassée !
Gazelle forte au harnais bleu - ah ! ce n'est ce regard d'élan,

Ni rut ou même étreinte mystique...
De grâce ô marcheuse implorée : un coup d'épaule !
A ton élan

Monter de ce grand pas élastique !



IX



Dans la rumeur et le brouillard gris, dans la honte encotonnée, terreuse et sordide

J'invoque ton immense parure
Pendeloques de beau métal et de pierres faites de toi

Couvrant le sein de la pérégrine
Fille cuirassée d'argent, couronne parée, diadème et manteau bien serti

Tibet, déesse encabochonnée
Je te soupèse et je te ris en marchand du
Ladak bavant sur sa proie qui reluit,

Mais bien plus avarement que lui,
Je tiens à deux mes richesses : tes métaux et tes pierres... tes monts et lacs et roches...

Que jamais plus désormais
On ne puisse penser à toi ni prononcer le cri de «
Tibet » !

Sans entendre parmi l'oreille
L'impitoyable cliquètement de cette parure orfévrée

La séquelle de mes mots précieux,
La suite enchâssée de mes pierres, la chute de mes cristaux tintants

Et que, non épouvanté de mon ouvre.
Petit, au bas, mais non pas effacé, ni trop humilié,

Mon nom comme un coin se redéchiffre !



X



Fille de la force, fille des monts, maîtresse d'un corps épuisé,

Fatigue. - voici l'heure enivrée.
Que le chanteur hindou et noir distille son herbe poivrée.

Liquide pieux, brûlant, rusé,
Offert-offrant et poison-dieu et pétillante girandole...

-
Je bois la fatigue mon idole.
Sur un rythme préparateur, j'incante : «
O mortier !_o pilon !

Instruments d'un ivre sacrifice
Servants en marche balances dans le quotidien supplice,

O
Genoux, o plantes, o talons !
Broyez et tirez de ma chair oh ! le seul jus qui l'invigore :

Sucez mon humaine mandragore :
Pressez, foulez, et vendangez l'offrande à toi seul
Thibet-Roi,

Bétail assommé tout d'un arroi !
Troupeau haletant de mes membres ; dévotion inassouvie :

Ma peau se dégonfle de ma vie...
Je la consacre et te l'accroche en un trophée, en un seul vou :

Seul don de mon être qui se meut.



XI



Fatigue qui vient : lente et leste, avec ce beau pas d'éléphant ;

Dorée au midi ; matrone rousse
Des soirs: vierge lourde au matin quand mon rêve se fend

En deux univers comme une gousse !
La voici maîtresse incrustée en cet inexorable affront.

Solitaire, pénétrante et nue ;
Dans mes cuisses et dans mon cour et à ma gorge et à mon front

Jusqu'aux creux des sources inconnues.
Jusqu'aux replis invisités ; jusqu'en la moelle de mes reins.

Vampire elle me jouit et m'habite.
Soit-elle abondante et repue, - o baume en mes vases murrhins.

Soit-elle hébergée et bénédite
Jusqu'à défaillir et mourir, pour
Celui plus grand qui la suit,

(Non point le repos, non pas la nuit.
Moins encor le sommeil toujours le même en sa trop quiétude)

Mais pour son vainqueur des lassitudes.
Dieu fier, dieu pur, parèdre mâle et le plus noble des amants

Fatigue, pour le surpassement.



XII



A moi,
Thibet, à l'aide ! à moi ! voici l'imprévu et l'obstacle,

Voici la frontière du fini.
Il faut passer.
Je dois passer, et malgré toute la débâcle,

Franchir le
Crand-Fleuve d'Infini.
Je tâte du pied ta falaise et cette faille terrienne ;

Ce pont, arqué du ciel à l'enfer :
Est-il balustrc de solide ou fait de trame aérienne ?

Est-ce un tablier chaîné de fer ?
Est-ce le tronc qui se dérobe ou le gué profond gonflé d'outrés,

Ce bac du
Ta-Kiang torrentueux,
Ou l'envol ailé inventé pour ce gros flux mystérieux

Que
Brahmes dénomment
Brahmapoutre.
Est-ce le glissement léger sur un câble beurré au choc,

L'essor d'une flèche prisonnière,
Ou cet engin vertigineux - allant - venant, et pendulaire,

Battant sa longueur de roc en roc ?
Si je ne lâche - je m'abîme - au temps voulu, - temps pulsatile,

En ce long linceul fluviatile.



XIII



J'aimai le seul, j'aimai l'unique, - o pic singulier et morose

Celui...
Régnant sur l'air, entouré d'air, égoïste et nu...

J'ai bu
Mais non pas à l'égal du monstre-ascète encaqué dans sa pierre,

Muré, mourant là, et pourrissant,
Dont la main sèche seule sort en quête

Un homme enseveli dans son sang !
J'aimai l'en-allée haletante et me sentir très erratique,

Marcheur insolite et surmené.
Mais non plus à l'égal de lui : ce vagabond érémitique

Sorcier des hauts pics embéguinés
Encontre face à face errant sur la crête d'un col de glace,

Hagard, armé - nu - de son trident.
Maquillé d'air, rougi de vent, farouche masque à feu-ardent

La bouche tremblante de grimace...
D se crut tout-à-coup visé, reflété en moi, - moi en lui :

Voilà pourquoi tous deux avons fui.



XIV



Je me défends de t'aimer,
Bod, en dépit de ce tutoiement :

L'hymne * j'aime » est réservé pour
Elle.
Mâle-Thibet tu comprendrais ma discrète ardeur en amant :

Voici : (ce n'est pas une amourclle !)
Elle est divine au bout du monde et plus diverse que tes monts :

Elle est extrême, mon démon.
Et pourtant proche, et si vraiment à portée à moi dans la vie,

A moi provocante au grand combat.
Mais cette défensive enclose et sa retraite inassouvie

Ce mur aux créneaux que mon cour bat !
Entre elle et moi entre elle et moi il y a cette rose armure

La chair non-pareille est malgré nous.
Défaut des yeux, et boucliers aux points dressés comme parures.

Défaut qui se baise à deux genoux. -
Je t'ai monté.
Pôle du froid ; je t'ai dompté,
Pic des montagnes.

Mais elle où la vaincre et la gravir?
La voici nue et blanche et haute afin de mieux me rassouvir

D'Elle - ma multiple compagne.



XV



Dans les terrains les plus abstrus, sous les minéraux les plus aigres.

Au plus sourd des mondes anciens.
Par les marais et les magmas dormant sur les gisements maigres.

Aux cours des plus durs géoraanciens,

-
J'ai vu ces jets, ces jeux brillants, coulés de fonte d'un or rare.

Percer les grossiers soubassements.
Toi-même
TIIIBET, rocher pur, es pénétré de ces carrares,
Toi-même es veiné comme un amant.

-
Je suis doué de trop de vue et perçant ta solide armure.

Je vois le filon non minéral :
Sous tes glaciers étoiles d'air, et sous tes pics en endentures,

Voici cet éclat non sidéral :
L'Autre élément qui n'est de feu, ni de bois ou fer, ni de terre,

Ni d'eau, - et ni même de lumière :
L'Autre
Etre toute de mon sang, la même en sa métamorphose

La
Seule, qui pose un halte-là !
Ma concubine dans l'esprit et ma complice dans la chose :

THIBET, par beauté, exalte-la !



XVI



Me recueillir en ma coupe de monts : baigner dans ma seule piscine

Couler en moi-même comme un
Lac.
Me ruisselant de haut en bas, fleuve sans flux et sans racine

Creuser mon vivier à coups de lacs ;
Sans cesse rcbu et reçu; avec mes vasques alevines

Mes jeunes poissons aux goûts rieurs ;
Mon casque de ciel sur la tête et mon cirque dur que ravinent

Les jeux des seuls vents intérieurs... -
Mais mieux encore : à ton exemple ô
Thibet riche d'aventures,

Puissé-je imiter ton
Yam-dok-tsô !
Lac double -
Lac ! - deux fois serti dans sa liquide investiture

Distillant sur lui sa seconde eau.
Puissé-je aussi par hyperbole et séquence en marche au poème troisième

Reporté de niveau en niveau
Atteindre haut et de crue en barème,

Être, - à la puissance neuvième
Et jusqu'au centuple, au nombre croissant, sans déni,

Et ainsi de suite à l'infini ?



XVII



Ce n'est pas seulement l'horreur et le vertige de puissance

Que détient ton monde
Thibétain...
Ni cette austère et superbe affrontée, ni ce rugissement d'insolence

Que portent tes fronts éléphantins,
Pays rebelle et âpre lieu, - mais voici que ta vallée haute

Enclose, o désespérante si loin.
C'est la prairie inattendue, c'est l'auberge claire, don et joie de l'hôte

C'est le chant des fleurs...
Voici le vallon que je sais, -
Prairie enclose !
Prairie haute,

O calme et fleuri, o doux
Thibet !
Tu as des vallons que je sais à peine penchés vers la terre

Des champs immobiles m'attendant...
Des mousses douces, et terrains mous où poussent et tremblent les airelles

Toute une forêt floréale
Une retraite, un rêve haut : un reliquaire aux joies encloses

Vallon des vallées impériales
Cependant que de branche à branche noire comme les guirlandes des années

Volent
Iongissimes les usnees.



XVIII



Ils se rapprochent...
Ils s'en vont.
Ils s'en viennent... ei disparaissent...

Marcheurs achalandés par un mot...
Ce troupeau fait pour faire route, ces marchands sans peur ni paresse

S'en vont d'un seul pas vers
Bhamo.
Cloches sonnant et bétes mourant...
Ils s'en viennent et disparaissent...

Bruits d'ombres et paumes de chameaux. -
C'est tout, c'est ainsi.
Me voici au bord de l'espace à la fleur reelose

Comme un mendiant de l'infini
Ne bougeant pas, - ne mourant pas - mais tout implorant l'hymne close

Passant du voyage non défini...
Couché, vautré, dormant, rêvant : qui donc se promène et démène

Là,
Là ! perçant la tente ou le mur :
Non seulement autour de moi, mais en moi seul, en mon domaine...

Passe la
Crande
Caravane
Qui ne monte pas, ne descend, mais d'âge en âge souverain

Clisse et dévale la moraine
Sans fond de cet effroyable glacier vertical et chutant

Du
Temps.



XIX



Même là-haut, même ici-haut, je cherche éperdu l'Autre, l'Autre :

La reine du royaume d'ailleurs.
Dans cette course échevelée, dans ce paradis sans apôtre

Le jeu du divers aux yeux railleurs.
Que serait-elle ici pour toi ? ton climat et tes âpres fruits

Saurait-elle mordre à belle bouche ?
Que dirait-elle devant toi. dans ce haut règne de l'esprit...

Se taire, et s'incliner sur la couche ?
Je ne dis point l'aborigène au pelage doux sur la peau

Mais l'autre, la mienne et fraternelle
La blême, blanche, équivoque et si pareille en ses appeaux

Parèdre d'une vertu maternelle
La sour de sang, du même sang, de même vertu amoureuse...

O sour dans la fête incestueuse
Que dirait-elle dans ton sein ?
Saurait-elle, harmonieuse.

Se taire, et.
Là-bas, vivre et jouir ?



XX



En vain ! en vain ! et j'en suis là : seul et
Toi devant ton spectacle.

Ce lieu fixé dru par le regard.
Pour t'enlacer ainsi,
Thibet, au plus haut de tes simulacres,

(Blanc, nu, dominé d'un oil hagard)
J'ai fendu deux lunes durant, et tant de soleils de jours et d'aurores,

L'espace fluant sans riverains.
J'ai fait plus de bonds et de chants d'amour et mort en métaphores.

Qu'il n'est permis au jeu de mes reins !

-
Et voici : le moment est haut et je la tiens pour bien acquise,

Amoureuse à pleurer de plaisir.
Je suis le possesseur humain d'un dieu-fait-Ève la conquise,

Dieu-vierge incarnée à mon désir.
Que l'heure soit.
Vienne l'instant.
Tombe la cime d'allégresse.

Et crève le cri de profondeur.
Un autre monde diibétain jaillit du volcan de caresse

Et règne au sommet des impudeurs.

-
En vain.
En vain.
Et j'en suis las.
Seul et
MOI,

- moi penché sur elle :

Elle, appareillant sa caravelle.



XXI



Où est le sol, où est le site, où est le lieu, - le milieu,

Où est le pays promis à l'homme ?
Le voyageur voyage et va...
Le voyant le tient sous ses yeux

Où est l'innommé que l'on dénomme :
Ncpcinakn dans le
Poyoul et
Padma
Skod,
Knas-Padma-Bskor

Aux rudes syllabes agrégées !
Dites, dites, moine errant, moine furieux, - encor :

Où est l'Asiatide émergée ?
J'ai
Irop de fois cinglé, doublé les contours du monde inondé

Où cour ni oiseau ni pas ne pose.
Où est le fond ?
Où est le mont amoncelé d'apothéose.

Où vit cet amour inabordé ?
A quel accueil le pressentir, - à quel écueil le reconnaître ?

Où trône le dieu toujours à naître ?
Est-ce en toi-même ou plus que toi,
Pôle-Thibet,
Empereur-Un !

Où brûle l'Enfer promis à l'Etre ?
Le lieu de gloire et de savoir, le lieu d'aimer et de connaître

-
Où gît mon royaume
Terrien ?





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Victor Segalen
(1878 - 1919)
 
  Victor Segalen - Portrait  
 
Portrait de Victor Segalen


Biographie / chronologie

1878
14 janvier. Naissance à Brest de Victor Segalen. Son père était breton, sa mère, mi-bretonne, mi-champenoise. Elle était autoritaire, étroitement catholique et dominait les siens. Bonne musicienne, elle fit faire de.la musique à son fils dés son plus jeune âge.
Eludes classiques dans un établissement dirigé par des Jésuites à Brest.

Bibliographie / Ouvres

OUVRES DE VICTOR SECALEN.

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