Pierre de Ronsard |
Printemps, fils du Soleil, que la terre arrosée De la fertile humeur d'une douce rosée, Au milieu des oillets et des roses conçut, Quand Flore entre ses bras nourrice vous reçut, Naissez, croissez, Printemps, laissez-vous apparaître : En voyant Isabeau vous pourrez vous connaître. Elle est votre miroir, et deux lis assemblés Ne se ressemblent tant que vous entresemblez. Tous les deux n'êtes qu'un, c'est une même chose. La Rose que voici ressemble à cette Rose, Le Diamant à l'autre, et le fleur à la fleur : Le Printemps est le frère, Isabeau est la sour. On dit que le Printemps, pompeux de sa richesse, Orgueilleux de ses fleurs, enflé de sa jeunesse, Logé comme un grand Prince en ses vertes maisons, Se vantait le plus beau de toutes les saisons, Et se glorifiant le contait à Zéphyre. Le Ciel en fut marri, qui soudain le vint dire A la mère Nature. Elle, pour rabaisser L'orgueil de cet enfant, va partout ramasser Les biens qu'elle épargnait de mainte et mainte année. Quand elle eut son épargne en son moule ordonnée, La fit fondre, et versant ce qu'elle avait de beau, Miracle nous fit naître une belle Isabeau, Belle Isabeau de nom, mais plus belle de face, De corps belle et d'esprit, des trois Grâces la grâce. Le Printemps étonné qui si belle la voit, De vergogne la fièvre en son cour il avoit; Tout le sang lui bouillonne au plus creux de ses veines; Il fit de ses deux yeux saillir mille fontaines, Soupirs dessus soupirs comme feu lui sortaient, Ses muscles et ses nerfs en son corps lui battaient. Il devint en jaunisse, et d'une obscure nue La face se voila pour n'être plus connue. Et quoil disait ce Dieu, de honte furieux, Ayant la honte au front et les larmes aux yeux, Je ne sers plus de rien, et ma beauté première, D'autre beauté vaincue, a perdu sa lumière Une autre tient ma place, et ses yeux en tout temps Font aux hommes sans moi tous les jours un Printemps; Et même le Soleil plus longuement retarde Ses chevaux sur la terre, afin qu'il la regarde; Il ne veut qu'à grand-peine entrer dedans la mer, Et se faisant plus beau fait semblant de l'aimer. « Elle m'a dérobé mes grâces les plus belles, Mes oillets et mes lis et mes roses nouvelles, Ma jeunesse, mon teint, mon fard, ma nouveauté, Et diriez en voyant une telle beauté, Que tout son corps ressemble une belle prairie De cent mille couleurs au mois d'avril fleurie. Bref, elle est toute belle, et rien je n'aperçoi Qui la puisse égaler, seule semblable à soi. Le beau trait de son oil seulement ne me touche, Je n'aime seulement ses cheveux et sa bouche, Sa main qui peut d'un coup et blesser et guérir : Sur toutes ses beautés son sein me fait mourir. Cent fois ravi je pense, et si ne saurais dire De quelle veine fut emprunté le porphyre, Et le marbre poli dont Amour l'a bâti, Ni de quels beaux jardins cet oillet est sorti, Qui donna la couleur à sa jeune mamelle, Dont le bouton ressemble une fraise nouvelle, Verdelet, pommelé, des Grâces le séjour. Vénus et ses enfants volent tout à l'entour, La douce mignardise et les douces blandices *, Et tout cela qu'Amour inventa de délices. Je m'en vais furieux, sans raison ni conseil, Je ne saurais souffrir au monde mon pareil. » Ainsi disait ce Dieu tout rempli de vergogne, Voilà pourquoi de nous si longtemps il s'élogne : Craignant votre beauté dont il est surpassé. Ayant quitté la place à l'hiver tout glacé, Il n'ose retourner. Retourne, je te prie, Printemps, père des fleurs : il faut qu'on te marie A la belle Isabeau, car vous apparier, C'est aux mêmes beautés les beautés marier, Les fleurs avec les fleurs; de si belle alliance Naîtra de siècle en siècle un Printemps en la France. Pour douaire * certain tous deux vous promettez, De vous entre-donner vos fleurs et vos beautés, Afin que vos beaux ans, en dépit de vieillesse, Ainsi qu'un renouveau soient toujours en jeunesse. |
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Pierre de Ronsard (? - 1585) |
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Portrait de Pierre de Ronsard | |||||||||
Biographie1524 - (10 ou 11 septembre) : naissance au château de la Posson-nière (Couture, Loir-et-Cher). Orientation bibliographique |
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