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Paul Neuhuys



Hasard, arbitraire - Prose


Prose / Poémes d'Paul Neuhuys





Dans Échappé belle, un poème de L'Arbre de Noël, on trouve encore cette énumération:

Accordéon, Cheptel, Hippocampe, Banquise Ô mots tirés en l'air comme des coups de feu Chacun vient à son tour sur la terre conquise Renouveler du sort l'inépuisable jeu (A.N., 44). Faisons confiance au hasard, dit Ncuhuys, c'est lui qui mène la danse. C'est lui qui choisit, qui lance en l'air les mots qui appréhendent, qui conquièrent le monde. Tout comme l'autre tirait, inscrits sur des bouts de papier, des mots de son chapeau pour en faire des poèmes, je m'abondonne, à ma manière, au «hasard graphique» (A.P., 105). Il faut nommer les choses, aligner les mots sans faire intervenir la logique. «La poésie ne vaut que par sa teneur en arbitraire» (Ça n'a, 183) et, comme le dit le grand saint Antoine, victime de nouvelles tentations alors qu'il effectue dans l'art contemporain un voyage plutôt burlesque, «il faut accepter l'inintelligible comme tel» (C.C, 235).

Une des manières les plus typiquement neuhuysiennes de convoquer et de faire intervenir le hasard au sein du poème pourrait être appelée «la règle de la rime riche». «Tu règnes sur nos cours Rime, par qui les mots/se poursuivent ainsi que d'espiègles jumeaux» (M.S., 59), proclame le poète. Tout fonctionne effectivement, dans un certain nombre de textes, comme si le fait d'inventer une rime, et de préférence une rime particulièrement remarquable, presque «tape-à-1'oil», le fait donc de « tirer en l'air comme des coups de feu » deux mots dont le second ne semble quasiment exister que pour être l'écho du premier, déterminait le contenu des deux vers; comme si seul comptait ici le jeu de miroir de deux signifiants, au détriment de toute signification autre que celle qui naîtra de leur rencontre fortuite. Les exemples de cette pratique sont légion, du poème Palmarès déjà cité, où le premier des mots qu'il faut faire rimer est, dans chaque distique, un prénom de femme («Rien n'émeut le cour de Line/comme un air de mandoline » (A.N., 47)) à telle évocation d'un écrivain qualifié d'une façon dont sans doute il aurait été surpris («car comme Lamennais/elle suivait ses idées là où elles la menaient» (A.P., 116)) ou à celle d'une héroïne antique dans un contexte qui n'est pas nécessairement le sien («Près de son père une Antigone/passe. souriante, en tea gown» (A.N., 40)). Jeux du non-sens qui n'est pas sans rappeler celui de certaines comptines ou de certaines fatrasies. A moins encore - autres formes du procédé - que cette mise en valeur de la rime ne vienne scander absurdement un bout de phrase somme toute banal («Dans ce/salon/où l'on/danse» (C.S.. 18)), qu'elle ne dicte la réponse à une quelconque question («Guirlande, mirliton, cocarde et ton amant,/est-il d'humeur entreprenante? Étonnamment» (Z.H., 23)) ou qu'elle n'implique une incongruité quelque peu provocante («Mon petit frère pissait dans le chapeau de la Fraulein/et lorsqu'elle s'emportait, il lui répliquait: «Nein» (Z.H., 24)). C'est même à des vers quasi-holori-mes que l'on aura affaire (des vers qui. du même coup, instaurent un aphorisme de haut vol: «L'Ère ottomane vient après la Rome antique/comme i'érotomane après la romantique» (D.I., 122)).



Ce jeu du hasard et cette licence que se donne l'écrivain de l'utiliser à sa guise n'empêchent en rien le monde de tourner selon un mouvement aussi absurde qu'imperturbable. Il arrive toutefois - et c'est là, peut-être, un des moments clés de cette ouvre - que hasard des mots et ordre inaccessible de l'univers trouvent, non pas à coïncider ou à s'organiser l'un par rapport à l'autre (ce serait croire alors au sens possible, imaginer que l'univers devient intelligible) mais à se confronter dans leur irréductibilité et, du fait même d'une telle confrontation, à s'auréoler d'une dimension nouvelle. Poursuivons notre lecture d'Echappé belle. Les mots ont été tirés en l'air mais rien n'a changé. Le poète, avec ses simagrées, n'est qu'un pitre: En vain te pares-tu d'un cour artificiel Dans le miroir d'argent nage une nuque blonde Rien ne peut déranger le système du ciel Et le clown désolé fait rire tout le monde Et à la troisième strophe, pourtant, c'est comme si tout se métamorphosait. Le monde, certes, poursuit sa route. Dieu qui existe et qui n'existe pas le regarde et rien n'a pris davantage de sens:



Fusez, rires d'enfants; coulez, larmes de mère

La jonque de l'amour chavire entre les fleurs

Dieu regarde s'ouvrir les tombes éphémères

Et naître des saisons l'éternelle fraîcheur (A.N., 44)



Est-ce, dans les deux derniers vers, le chiasme - figure poétique par excellence, puisqu'elle institue une contradiction, puisqu'elle impose le sens le moins probant (la fraîcheur, en saine logique, n'est-elle pas plus éphémère et la tombe plus étemelle?) - est-ce le chiasme qui vient en même temps dire autre chose que la seule incompatibilité de l'ordre du monde et de celui du langage? Mais dire quoi, au juste? Comment formuler cet autre chose autrement qu'en ternies de poésie! Tout Neuhuys est là, dans cette méditation trop diaphane, presque impalpable, qui ne fonctionne que par l'image et la figure de mots. Tout Neuhuys est là, qui témoigne ainsi, une fois encore, de la force - de la force malgré tout - de ce hasard auquel il fait appel. Car quoi de plus sémantiquement hasardeux, au fond, que la création d'une fleur de rhétorique?



Mais la "teneur en arbitraire» de la poésie se manifeste sans doute tout autant dans ces admirables poèmes en forme de récits abracadabrants dont Neuhuys a le secret. La continuité narrative qui y est à l'ouvre est digne d'un Lewis Carroll. A chaque pas, l'histoire racontée bifurque vers l'inattendu ou le bizarre, parfois à nouveau sous l'impulsion d'une rime (»I1 revint en Belgique/ cultiver des colchiques» (M.S., 53)), parfois en glissant d'un mot à son contraire («Viens tout contre moi, dit Marcelle, j'ai si froid/et raconte-moi une histoire. Le marin venait de Podor, l'endroit le plus chaud du monde» (A.P., 106)), mais le plus souvent par la seule vertu d'une conduite parfaitement saugrenue, «hasardeuse» du récit. Le plus bel exemple en est la biographie de Nicolas Pauvoiseau, malheureux poète et aventurier (A.N., 41). Sous la forme d'une relation objective, qu'accentue encore une construction en distiques - chacun de ceux-ci évoquant une étape de la vie de Nicolas -, Neuhuys fait défiler des informations que l'on serait bien en peine d'assembler pour donner au récit un sens général. D'où le sentiment de l'absurdité d'une telle narration et l'humour dont elle s'auréole. (Reste qu'il n'est sans doute pas indifférent que le non-sens de cette histoire, telle qu'elle nous apparaît, renvoie au non-sens même de la vie, sinon même, plus précisément, à celui de la vie d'un candidat écrivain ...). Avec ce poème, qui s'intitule Roman, comme avec Histoire (A.N., 37), Jérôme (M.S.. 53), Marcelle (A.P., 106), Mon Neveu le Mormon (D.I., 125) et quelques autres textes, l'auteur d'Octavie manifeste une singulière aptitude à l'extravagance romanesque la plus accomplie.



Il importe pourtant de dire aussi que cette extravagance n'est peut-être souvent qu'un rire pour ne pas pleurer. L'histoire de Marcelle est, à ce point de vue. exemplaire. Elle commence tragiquement: la prostituée doit, le lendemain, «être au tribunal pour son enfant mort» (A.P., 106). La suite entière du récit, l'arrivée du marin qui s'en revient de Podor et la légende saugrenue qu'il raconte, constitue une manière de se distraire de ce drame. «C'est «fête au hameau», conclut le marin, «quand Mai nous ramène en berline/la colombine à plumeau». Marcelle n'a-t-elle pas dans son déshabillé «deux petites plumes sous les aisselles»? La voici qui devrait, grâce à ce récit, être ramenée à de plus gais sentiments. Toute l*histoire a progressé en dansant joyeusement au gré des péripéties. Mais le moindre faux pas et s'ouvrait la blessure qu'elle s'efforçait de maintenir fermée. Personne d'ailleurs n'est dupe, ni Marcelle, ni le marin, ni le lecteur ...





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Paul Neuhuys
(1897 - 1984)
 
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