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Marie de France



Yonec - Poéme


Poéme / Poémes d'Marie de France





Puisque j'ai entrepris des lais, je continuerai ma tâche sans ménager ma peine.
Les aventures que je connais, je les mettrai toutes en rimes.
J'ai l'intention et le désir

de poursuivre mon travail en vous parlant d'Yonec, des circonstances de sa naissance, de la rencontre de son père et de sa mère.
Celui qui engendra
Yonec s'appelait
Muldumarec.

En
Bretagne habitait jadis un homme riche, vieux et très âgé.
Il était seigneur de
Carwent et il était reconnu pour tel dans le pays.
La cité est bâtie sur la
Daoulas.
Jadis, les navires passaient par là.
Il était très avancé en âge.
Parce qu'il avait beaucoup de biens à léguer, il prit femme pour avoir des enfants qui seraient à sa mort ses héritiers.
La jeune femme qu'on donna à cet homme riche était de haute naissance, avisée, courtoise et très belle.

Il l'avait beaucoup aimée à cause de sa beauté.

Parce qu'elle était belle et gracieuse,

il s'appliquait à la garder pour lui seul.

Il l'enferma dans sa tour,

dans une grande chambre pavée.

Il avait une sour ;

elle était vieille et veuve.

Il la mit avec son épouse

pour la garder plus étroitement encore.

Il y avait d'autres femmes encore, je crois,

dans une autre chambre où elles étaient entre

elles.
Mais la dame ne leur aurait jamais parlé si la vieille ne l'eût permis.

Il la retint ainsi plus de sept ans.
Ils n'eurent jamais d'enfants et elle ne sortit jamais de cette tour que ce soit pour voir un parent ou un ami.
Quand le seigneur allait se coucher, aucun chambellan ni aucun portier n'osait entrer dans la chambre ni allumer un cierge devant lui.
La dame était dans une fort grande tristesse. À force de larmes, de soupirs et de pleurs, elle perd sa beauté en femme qui n'en prend aucun soin.
S'il n'eût tenu qu'à elle, elle eût préféré qu'une mort hâtive la frappât.

Cela se passa au début du mois d'avril, quand les oiseaux sont tous à chanter.
Le seigneur s'était levé de bon matin ; il s'est préparé pour aller dans les bois.
Il a fait lever la vieille et lui a fait fermer les portes derrière lui.

Celle-ci a exécuté son ordre.

Le seigneur s'en va avec ses gens.

La vieille apporta son psautier

dans lequel elle voulait lire et chanter des versets.

La dame était éveillée et pleurait ;

elle remarqua la clarté du soleil.

Elle s'était aperçue que la vieille

avait quitté la chambre.

Elle se plaignait beaucoup el soupirait

et, en pleurant, elle se lamentait :

«
Hélas ! fait-elle, je fus mise au monde pour mon

malheur.
Ma destinée est très dure.
Je suis emprisonnée dans cette tour ; jamais je n'en sortirai sinon par la mort!
Ce vieux jaloux, que craint-il donc pour me mettre dans une telle prison ?
Il est vraiment très fou et bête.
Il craint toujours d'être trahi.
Je ne peux même pas aller à l'église pour écouter la messe.
Si je pouvais parler aux gens et me divertir avec eux, alors je lui montrerais un agréable visage, même si je n'en avais nulle envie.
Maudits soient mes parents et tous les autres aussi qui me donnèrent à ce jaloux et qui m'ont mariée à lui !
Je tire sur une corde bien solide ' !
Il ne pourra jamais mourir.
Quand il fut sur le point d'être baptisé, on le plongea dans le fleuve d'enfer.

Durs sont ses nerfs ainsi que ses veines



qui sont toutes pleines d'un sang vif.
J'ai très souvent entendu raconter que jadis on trouvait souvent des aventures dans ce pays qui redonnaient du courage aux gens tristes.
Les chevaliers trouvaient des jeunes filles selon leur désir, nobles et belles, et les dames trouvaient des amants, beaux et courtois, preux et vaillants de sorte qu'on ne leur en faisait jamais reproche et personne en dehors d'elles ne les voyait.
Et s'il est vrai que cela a pu exister, si jamais cela est advenu à quelqu'un, que
Dieu qui a tout en son pouvoir, en fasse ma volonté ! »

Quand elle se fut lamentée ainsi, elle aperçut l'ombre d'un grand oiseau, dans l'embrasure d'une étroite fenêtre.
Elle ne sait pas ce que cela peut être.
L'oiseau entra dans la chambre en volant; il avait des lanières aux pattes et ressemblait à un

autour '.
Il avait mué cinq ou six fois.
Il s'est posé devant la dame.
Après être resté là un moment, et après que la dame l'eut bien regardé, il devint un beau et noble chevalier.
La dame considéra cela comme un prodige.
Son sang s'agita en elle et frémit.
Elle eut grand-peur et se couvrit le visage.
Le chevalier était très courtois et il lui adressa la parole en premier. «
Dame, dit-il, n'ayez pas peur !
Un gentil oiseau se cache sous l'autour.



Si tout cela vous paraît bien mystérieux,

soyez certaine que vous n'avez rien à craindre

et faites de moi votre ami !

C'est pour cela, dit-il, que je suis venu ici '.

Quant à moi, cela fait longtemps que je vous aime

et je vous ai beaucoup désirée dans mon cour.

Jamais je n'ai aimé d'autre femme que vous

et jamais je n'en aimerai d'autre que vous.

Mais je n'aurais pas pu venir à vous

ni sortir de mon pays,

si vous ne m'en aviez pas fait la demande.

À présent, je peux bien être votre ami ! »

La dame se rassura,

elle découvrit son visage et parla.

Elle répondit au chevalier

et lui dit qu'elle ferait de lui son ami,

s'il croyait en
Dieu et s'il se pouvait

que leur amour pût effectivement exister.

Car il était d'une grande beauté.

À aucun jour de sa vie,

elle n'avait vu de si beau chevalier

et jamais elle n'en verra d'aussi beau.

«
Dame, dit-il, vous avez bien parlé.

Je ne voudrais pour rien au monde

que vous puissiez éprouver

quelque doute ou quelque soupçon à mon égard.

Je crois avant tout au
Créateur

qui nous délivra du malheur

où nous mit
Adam notre père

en mordant dans la pomme amère.

Il est, sera et fut toujours

vie et lumière pour les pécheurs.

Si vous ne me croyez pas,

faites venir votre chapelain.

Dites-lui que la maladie vous a surprise

et que vous voulez avoir le sacrement

que
Dieu a établi dans le monde

pour sauver les pécheurs.

Je prendrai votre apparence,

je recevrai le corps du
Seigneur
Dieu

et je réciterai tout mon credo.

Vous n'avez alors aucune raison de mettre ma

parole en doute. »
Elle lui répond qu'il a bien parlé.
Il s'est couché à côté d'elle dans le lit mais il ne voulait pas la toucher ni l'étreindre ni l'embrasser.
C'est alors que la vieille est revenue.
Elle trouva la dame éveillée et lui dit qu'il était temps de se lever.
Elle voulait lui apporter ses vêtements.
La dame dit qu'elle était malade, que sa garde devait se préoccuper du chapelain et qu'elle devait le faire venir rapidement car elle avait très peur de mourir.
La vieille lui répondit: «Allons, patientez!
Mon seigneur est parti dans les bois.
Nul autre que moi n'entrera céans. »
La dame était alors dans une très grande détresse ; elle fit semblant de s'évanouir.
En la voyant, la vieille prit peur.
Elle ouvrit la porte de la chambre et demanda au prêtre de venir ; il arriva le plus vite qu'il put.
Il apportait le corps de
Notre
Seigneur.
Le chevalier l'a reçu et il a bu le vin du calice".
Le chapelain est reparti

et la vieille a fermé les portes.

La dame était couchée à côté de son ami ;
Je n'ai jamais vu d'aussi beau couple.
Après qu'ils eurent bien ri et joué ensemble et qu'ils eurent bien parlé de leur amour, le chevalier prit congé.
Il veut s'en retourner dans son pays.
Elle le prie tendrement de revenir la voir souvent. «
Dame, dit-il, quand il vous plaira !
Il ne se passera pas une heure avant que j'arrive.
Mais faites en sorte que nous ne soyons pas surpris.
Cette vieille nous trahira ' ; nuit et jour elle nous guettera.
Elle s'apercevra de notre amour, elle le dévoilera à son seigneur.
S'il en est comme je vous dis et que nous sommes ainsi trahis, je ne pourrai plus jamais repartir sans qu'il me faille mourir. »

Alors le chevalier s'en va, il laisse son amie dans une grande joie.
Le lendemain, elle se lève toute guérie.
Elle fut heureuse pendant toute la semaine.
Elle entourait son corps de soins attentifs.
Elle retrouva toute sa beauté. À présent, il lui plaît le plus de rester dans sa

chambre plutôt que d'aller à quelque autre divertissement.
Elle veut voir souvent son ami et veut obtenir de lui tout son plaisir.
Dès que son seigneur s'en va, nuit et jour, tôt le matin ou tard le soir,

elle a son amant tout à loisir.

Que
Dieu lui en donne longue jouissance !

À cause de la grande joie où elle était

de pouvoir rencontrer souvent son amant,

tout son visage s'était transformé.

Son seigneur était très avisé.

Il s'aperçut en lui-même

qu'elle était autrement qu'à l'accoutumée.

Il éprouve du soupçon envers sa sour.

Il lui en parle un jour

et lui dit son étonnement

de voir la dame si bien habillée.

Il lui demande ce que cela signifie.

La vieille répondit qu'elle n'en savait rien

car personne ne pouvait parler avec elle,

elle n'avait ni amant ni ami,

toutefois elle demeurait seule

plus volontiers que d'habitude;

de cela, elle s'était aperçue.

Alors le seigneur lui a répondu :

«
Ma foi, je vous crois parfaitement.

À présent, il vous faut faire une chose ;

le matin, quand je serai levé

et que vous aurez fermé les portes,

faites semblant de sortir

et laissez-la seule dans son lit.

Tenez-vous bien cachée !

Regardez et voyez

ce qu'est et d'où vient

ce qui la rend si heureuse. »

Ils se quittent sur cette décision.

Hélas !
Comme ils sont malheureux

ceux que l'on veut ainsi espionner

pour les trahir et les prendre au piège !

Deux jours après, m'a-t-on raconté, le seigneur fait semblant de partir.
Il dit bien à sa femme que le roi l'avait convoqué par lettre mais il reviendra vite.
Il sortit de la chambre et ferma la porte.
Alors la vieille s'était levée et était allée derrière une tenture.
Elle pourra bien entendre et voir ce qu'elle brûle de savoir.
La dame était couchée ; elle ne dormait pas car elle désirait beaucoup son ami.
Alors il est venu la voir, il n'a pas tardé à venir, il n'a pas laissé passer le terme ni l'heure.
Ils menèrent une grande joie l'un et l'autre et le montrèrent par leur parole et leur visage, jusqu'à l'heure du réveil car alors il lui fallait partir.
La vieille le vit et regarda comment il vint puis repartit.
Elle eut grand-peur

de le voir d'abord homme et ensuite autour.
Quand le seigneur fut de retour, il ne s'était guère éloigné en fait, la vieille lui a dit et raconté la vérité au sujet du chevalier et il s'en montra fort soucieux.
Il se dépêcha de tendre un piège pour tuer le chevalier.
Il fait forger de grandes broches de fer bien acérées à leur extrémité, il n'y a pas sur terre de lame plus tranchante.
Quand il les eut apprêtées et garnies de pointes barbelées de toutes parts,

il les disposa sur la fenêtre, bien serrées et bien plantées, à l'endroit où le chevalier passait quand il retournait voir la dame.
Dieu ! que n'a-t-il pas su la trahison que lui préparaient les félons !

Le lendemain, dans la matinée, le seigneur se leva avant l'aurore et dit qu'il voulait aller chasser.
La vieille l'accompagne puis elle se recouche pour dormir car elle ne pouvait pas encore apercevoir le jour.
La dame veille et attend celui qu'elle aime loyalement et dit que maintenant il pourrait bien venir pour être avec elle tout à loisir.
Dès qu'elle l'eut demandé, il ne tarda plus guère.
Il vient en volant dans la fenêtre mais les tiges se dressaient devant lui.
L'une lui transperce le milieu du corps et un sang vermeil en gicle.
Quand il se sut blessé à mort, il se dégagea du fer puis entra.
Il descend devant la dame dans le lit de sorte que les draps étaient tout ensanglantés.
Elle voit le sang et la plaie et s'émeut douloureusement.
Il lui dit : «
Ma douce amie, c'est à cause de votre amour que je perds la vie.
Je vous avais bien dit ce qui arriverait: votre visage nous serait fatal. » À ces mots, elle tomba évanouie.
Elle fut comme morte un certain temps.

Il la réconforte tendrement

et dit qu'il ne sert à rien de s'affliger.

Elle est enceinte de lui.

Elle aura un fils preux et vaillant.

Il la réconfortera.

Elle lui donnera le nom de
Yonec,

il les vengera lui et elle,

il tuera son ennemi.

Il ne peut donc demeurer davantage

car sa plaie saigne toujours.

Il est parti avec une très grande douleur.

Elle l'accompagna de ses grands cris.

Elle sortit ' par une fenêtre.

C'est un miracle qu'elle ne se soit pas tuée

car la fenêtre d'où elle sauta

avait bien vingt pieds de haut.

Elle était nue sous sa chemise.

Elle suivit la trace du sang

que le chevalier perdait

sur le chemin où elle avançait.

Elle cheminait sur le sentier et le suivit

jusqu'à ce qu'elle arrivât à un tertre.

Dans ce tertre, il y avait une entrée,

elle était toute arrosée de ce sang.

Elle ne pouvait rien voir devant elle.

Alors elle se douta

que son ami y était entré.

Elle y pénétra en toute hâte.

Elle ne trouva aucune lumière à l'intérieur.

A force de suivre son chemin droit devant elle,

elle sortit du tertre

et arriva dans un très beau pré.

Elle trouva l'herbe toute mouillée de sang

et cela l'émut beaucoup.

Elle suivit la trace de sang sur le pré.

Il y avait tout près une cité.

Elle était tout entourée de murs ;

il n'y avait de maison, de salle ou de tour

qui ne parût toute d'argent.

Les bâtiments sont très riches.

Devant le bourg, il y a les marais,

les forêts et les bois en défens '.

De l'autre côté, vers le donjon

et tout autour de lui, coule une rivière.

C'est là qu'abordaient les vaisseaux,

il y avait plus de trois cents mâts.

La porte en aval était ouverte.

La dame entra dans la ville,

elle suit toujours le sang dont les traces fraîches

la conduisent du bourg au château.

Personne ne lui parla, à aucun moment ;

elle n'y trouva ni homme ni femme.

Elle arrive dans le palais, dans une salle pavée,

où elle voit plein de sang.

Elle entra dans une belle chambre

et y trouva un chevalier qui dormait.

Elle ne le connaissait pas et poursuivit son chemin.

Dans une autre chambre, plus grande,

elle trouve un lit, rien de plus,

et un chevalier dormant sur ce lit.

Elle passa outre

et entra dans la troisième chambre.

Elle trouva le lit de son ami.

Les montants du lit étaient en or pur.

Je ne sais pas évaluer le prix des draps.

Les cierges et les chandeliers

qui sont allumés jour et nuit

valent tout l'or d'une cité.

Dès qu'elle le vit,

elle reconnut le chevalier.

Elle s'avança tout effrayée

et s'évanouit sur lui.

Le chevalier qui l'aimait beaucoup la reçoit dans

ses bras.
Souvent, il dit combien il est malheureux.
Quand elle eut repris conscience, il la réconforta tendrement. «Ma chère amie, pour l'amour de
Dieu, allez-vous-en !
Fuyez d'ici !
Je vais bientôt mourir, aujourd'hui même.
Ici, on mènera une telle douleur que si l'on vous trouvait vous pourriez être très inquiétée.
Mes gens finiront par savoir

qu'ils m'ont perdu à cause de votre amour.

A cause de vous, je suis triste et inquiet. »

La dame lui dit : «
Mon ami, je préfère mourir avec vous

plutôt que souffrir auprès de mon mari.

Si je retourne auprès de lui, il me tuera. »

Le chevalier la rassura ;

il lui donna un petit anneau,

puis il lui dit et apprit ceci :

aussi longtemps qu'elle le gardera,

son mari n'aura aucun souvenir

de tout ce qui s'est passé

et il ne la persécutera pas.

Il lui donne et lui confie son épée

puis il la conjure et lui prescrit

de ne jamais la remettre à quiconque

mais de bien la garder à l'usage de son fils.

Quand il aura grandi

et qu'il sera un chevalier preux et vaillant,

elle l'emmènera, lui et son mari,

à une fête où elle se rendra.

Ils viendront dans une abbaye.

Grâce à une tombe qu'ils verront,

ils entendront raconter sa mort

et les circonstances dans lesquelles il fut tué à

tort.
Là elle lui confiera son épée.
Qu'on lui raconte ensuite l'histoire, comment il est né, qui l'a engendré et ils verront bien comment il réagira.
Après lui avoir tout dit et expliqué, il lui donne une tunique précieuse et lui recommande de la revêtir puis il la fait partir.
Elle s'en va, emporte l'anneau et l'épée qui la réconforte.
Au sortir de la cité,

elle n'eut pas parcouru une demi-lieue qu'elle entendit sonner les cloches et que des lamentations retentirent au château.
La douleur qu'elle en éprouve la fait s'évanouir quatre fois.
Lorsqu'elle retrouva ses esprits, elle se dirigea vers le tertre, elle y pénétra, passa outre et se retrouva dans son pays.
Avec son mari, elle resta bien des jours ensuite, sans qu'il l'accusât à ce sujet.
Il ne la brusqua pas ni ne la railla.

Puis son fils naît, il est bien éduqué, bien entouré et bien chéri.

Ils le nommèrent
Yonec.

Dans tout le royaume, on ne pouvait trouver

un homme si beau, si preux et si vaillant,

si plein de largesse et de générosité.

Lorsqu'il en à l'âge,

on l'adoube chevalier.

L'année même où cela advint,

écoutez ce qui est arrivé.

On avait demandé au seigneur d'aller avec ses amis, selon la coutume du pays, à la fête de saint
Aaron qu'on célébrait à
Carlion ainsi que dans plusieurs autres cités.
Il emmena sa femme et son fils et revêtit ses plus beaux atours.
Il en advint ainsi et ils se rendirent dans la ville mais ils ne surent pas où se diriger.
En leur compagnie, il y avait un jeune homme qui les mena tout droit jusqu'à un château.
Dans le monde entier, il n'y en eut jamais de plus

beau.
Il y avait à l'intérieur une abbaye de gens très pieux.

Le jeune homme qui les avait menés à la fête leur fit trouver un logis.
Dans la chambre qui était celle de l'abbé, ils furent bien servis et honorés.
Le lendemain, ils allèrent écouter la messe puis ils voulurent repartir.
L'abbé va leur parler et les prie de prolonger leur séjour.
Il leur montrera son dortoir,

son chapitre ', son réfectoire,

et la manière dont ils sont logés.

Le seigneur y consentit.
Ce jour-là, après le dîner,

ils vont voir les diverses parties de l'abbaye.

Ils vinrent d'abord au chapitre;

ils y trouvèrent une grande tombe,

couverte d'un tissu de soie à motif de rosaces,

traversé en son milieu par une somptueuse broderie d'or.

A la tête, aux pieds et sur les côtés

il y avait vingt cierges allumés.

Les chandeliers étaient d'or pur;

avec des encensoirs d'améthyste,

on encensait pendant la journée

cette tombe en signe de respect.

Ils questionnèrent et interrogèrent

les gens de la région

pour savoir qui était enterré dans cette tombe

et quel genre d'homme reposait là.

Les gens se mirent alors à pleurer

et à raconter en pleurant

que c'était le meilleur chevalier,

le plus fort et le plus courageux,

le plus beau et le plus aimé

qui ait jamais vu le jour sur terre.

Il avait été le roi de cette terre

et jamais personne ne manifesta plus de courtoisie.

Il fut pris dans un piège à
Carwent

et on le tua à cause de l'amour d'une dame.

«
Depuis ce temps-là, nous n'avons plus jamais eu de seigneur

mais nous avons attendu longtemps

un fils que la dame conçut avec lui,

et cela, selon ses paroles et ses ordres. »

Apprenant ce qui venait de se dire,

la dame appela son fils à voix haute et dit :

«
Mon cher fils, vous avez entendu

comment
Dieu nous a conduits jusqu'ici !

C'est votre père qui gît ici

et ce vieillard l'a tué à tort.

Maintenant, je vous donne et vous confie son épée :

je ne l'ai que trop gardée. »

Puis, devant tout le monde, elle lui révéla

que c'était ce roi qui l'avait engendré et qu'il était

son fils ; comment il venait souvent chez elle et comment son mari l'avait trahi; elle lui raconta toute la vérité.
Elle tombe évanouie sur la tombe et meurt pendant son évanouissement.
Jamais depuis elle ne parla à quiconque.
Quand son fils vit qu'elle était morte, il trancha la tête de son beau-père.
Avec l'épée qui fut celle de son père, il a donc vengé le deuil de sa mère.
Après que cet événement se fut répandu dans la cité, les gens vinrent en grande pompe prendre le corps

de la dame et ils le déposèrent dans le tombeau.
Ils firent de
Yonec leur seigneur avant qu'il ne quitte les lieux.

Ceux qui ont entendu cette aventure, longtemps après en firent un lai inspiré par la pitié des douleurs que les deux amants avaient souffertes dans leur

amour.






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Marie de France
(1160 - 1199)
 
  Marie de France - Portrait  
 
Portrait de Marie de France


Biographie / chronologie

Marie de France est une poétesse médiévale célèbre pour ses lais - sortes de poèmes - rédigés en
ancien français1. Elle a vécu pendant la seconde moitié du XIIème siècle, en France puis en Angleterre,
où on la suppose abbesse d'un monastère, probablement2 celui de Reading.

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