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Marie de France - La question des sources celtiques


Poésie / Poémes d'Marie de France





L'héritage breton et ses traces



Quelle que soit la désinvolture de Chrétien à l'égard de ses sources, il n'a pas tout inventé des histoires qu'il raconte, tant s'en faut. Geoffroy de Monmouth et Wace non plus. Le premier déclare explicitement avoir utilisé des sources bretonnes, c'est-à-dire celtiques (lui-même, rappelons-le, était galloiS). Le second, en mentionnant la Table ronde, souligne que les Bretons racontent à son sujet « mainte fable ». Il évoque les conteurs qui ont célébré et enjolivé le règne d'Arthur. Le personnage d'Arthur lui-même est mentionné depuis le ixr siècle, et les Bretons, on l'a dit, attendaient son retour. Il n'est d'ailleurs pas exclu qu'il ait eu un modèle historique en la personne d'un chef breton qui combattait les envahisseurs saxons au début du VIe siècle. A la cour du roi Henri II Plantagenêt un conteur gallois nommé Breri ou Bleheris faisait connaître la légende de Tristan : on en reparlera. Les noms, les événements, les motifs, le type de merveilleux, parfois les récits mêmes que l'on trouve chez Wace, chez Chrétien, chez ses successeurs ont des répondants et des échos dans le folklore et dans les textes celtiques, essentiellement irlandais et gallois. C'est ainsi que dans plusieurs récits gallois en prose (mabinogioN) on rencontre le roi Arthur et ses compagnons (Le songe de Rhonabwy, Kulhwch et OlweN) ou des personnages qui portent le même nom que ceux de Chrétien et connaissent des aventures similaires (Owein et Lunet, Peredur, Gereint et Enid, qui correspondent à Yvain et Luncte, Perccval, Erec et EnidE). Le récit irlandais de Diarmaid et Grainne évoque la légende de Tristan et Iseut. Mais, conservés dans des manuscrits du XIIIe siècle, les mabinogion, dans l'état où nous les connaissons, sont postérieurs aux romans français et semblent avoir subi, au moins partiellement, leur influence. Cependant, l'originalité et l'ancienneté des littératures et des traditions celtiques sont trop avérées et les rapprochements avec les romans français trop constants et trop frappants pour que l'on puisse sérieusement nier que les seconds aient emprunté aux premières. Malgré le scepticisme excessif d'Edmond Faral1, et comme d'autres critiques l'ont à l'inverse soutenu (Roger Sher-man Loomis, Jean MarX), il n'est pas douteux que Geoffroy de Monmouth a effectivement emprunté à des sources celtiques et que les romanciers français ont ensuite, directement ou indirectement, fait de même, sans qu'il soit, bien entendu, le moins du monde légitime de réduire leur ouvre à ces sources.





Marie de France et le lai breton



Dans un cas au moins le poète français s'est expliqué sur le travail d'adaptation auquel il s'est livré. Ce poète est une poétesse, sans doute contemporaine de Chrétien de Troyes, Marie de France ce surnom indiquant simplement que cette femme qui vivait en Grande-Bretagne était originaire de l'Ile-de-Francc. On a conservé sous le nom de Marie de France un recueil de fables - les plus anciennes en français -, et sous celui de Marie l'Espur-gatoire saint Patrke, adaptation d'un texte latin de Henri de Saltrey relatant la vision qu'avait eue le chevalier irlandais Owen des peines de l'autre monde, et surtout une collection de douze lais. Peut-être ces trois Marie ne font-elles qu'une, mais cela n'est pas certain. Aucune des identifications qui ont été proposées ne s'impose absolument. Le mot lai peut s'appliquer soit à un genre musical et lyrique soit, comme dans le cas de Marie de France, à des contes en vers. C'est que ces contes eux-mêmes se donnent pour le développement narratif des légendes auxquelles se rapportent les lais musicaux bretons. Dans le prologue général du recueil Marie déclare ainsi avoir décidé d'adapter en français ces lais bretons afin que la mémoire n'en soit pas perdue, et au début de chacun d'eux elle souligne soigneusement son origine et son enracinement celtiques, en en donnant par exemple le titre dans la langue d'origine ou en précisant le lieu auquel est attaché la légende. Par exemple



Une aventure vus dirai Je vais vous raconter une aventure

Dunt li Bretun firent un lai. dont les Bretons ont fait un lai.

Laiistk a nun, ceo m'est vis, Son titre est Laustic : C'est ainsi, je crois,

1. La légende arlhurimne, i vol., Paris, 1929.



L'un de ses lais est arthurien (LanvaL), un autre se rattache à la légende de Tristan (ChèvrefeuillE). Outre les douze lais de Marie de France, nous connaissons un nombre à peu près égal d'autres lais bretons'anonymes. L'examen des uns et des autres ne contredit nullement les affirmations de Marie, bien au contraire. Les motifs et les personnages que l'on y rencontre sont familiers, non seulement au folklore, mais spécifiquement, pour certains d'entre eux, au folklore celtique : animaux blancs psychopompes (Guigemar de-Marie de France, mais aussi Graelent, Guingamor, Tyolet, EspinE), frontière de l'autre monde marquée par les eaux (Guigemar et Lanval de Marie de France, mais aussi Graelent, Guingamor, Désiré, Tydo-rel, Tyolet, EspinE), loups-garous (Bisclavret de Marie de France et MélioN), fées amantes (Lanval, mais aussi Graelent, Guingamor, Désiré), amants venus de l'au-delà, soit du fond des eaux (TydoreL), soit du fond des airs (Yonec de Marie de FrancE).

Mais le mérite de Marie de France n'est pas seulement de nous avoir conservé des légendes celtiques. Il est aussi d'être une conteuse admirable, au charme d'autant plus prenant et d'autant plus troublant que son art paraît n'être que transparence et simplicité. Un style fluide et aisé, sans effets apparents, une façon inimitable de se mouvoir avec évidence et naturel dans le monde du merveilleux, le don de suggérer d'un mot que les forces obscures du monde et celles de l'âme entrent en résonance, l'évocation discrète et audacieuse tout à la fois d'amours passionnées et graves qui réalisent au-delà des convenances les lois du destin. Quelque chose comme « le mystère en pleine lumière ».



Les réminiscences celtiques dans la littérature « bretonne » en langue française pour en revenir à elles, ne peuvent être niées. On ne les trouve pas seulement dans la littérature romanesque, mais jusqu'aux confins de l'hagiographie, par exemple, et en grand nombre dans la Navigation de saint Brendan de Bene-deit du XIIe siècle et dans l'original latin du X', qui racontent le périple de sept années accompli par cet abbé irlandais du VI siècle et ses quatorze moines à la recherche du paradis terrestre.

Quand bien même les romanciers prétendraient ces emprunts au monde celtique plus nombreux dans leur ouvre qu'ils ne le sont en réalité, ils ne feraient ainsi que confirmer davantage encore la séduction exercée par cet univers sur eux-mêmes et sur leurs lecteurs. Mais sur quoi reposait cette séduction ? Comment interpréter l'acuité des réminiscences, non seulement d'ailleurs de la mythologie celtique, mais, plus largement, de la mythologie indo-européenne dans les romans français, dont les intérêts affichés, la cohérence apparente paraissent d'un ordre si différent ? On a pu, par exemple, déceler chez eux, et en particulier chez Chrétien, une attention si précise au temps calendaire et à son enchevêtrement de traditions hagiographiques et mythologiques qu'on ne peut ni l'attribuer au hasard ni très bien mesurer la valeur qu'elle revêt dans la composition littéraire. Les relations qu'entretient cette littérature avec les mythes ou avec ce que nous appelons le folklore posent désormais moins un problème de sources qu'un problème d'interprétation.



En marge et au centre de la matière bretonne : Tristan et Iseut



Une gloire ambiguë



Pourquoi réserver une place à part aux amants de Cor-nouailles, Tristan et Iseut ? N'appartiennent-ils pas au monde breton et aux romans bretons ? Ne finiront-ils pas, dans la littérature française, agrégés au monde arthurien ? Pourtant ils ne sont réductibles à aucune norme. Leur histoire est très tôt connue, citée partout, mais, des premiers romans français qui la racontent, nous ne connaissons que des fragments. On voit en eux à la fois le modèle de l'amour et un repoussoir pour les amants modèles. Chrétien ne cesse de les rencontrer sur son chemin sans jamais réussir à conjurer la malédiction dont il les voit chargés. Rarement héros littéraires auront connu une gloire aussi ambiguë.

Bien que les témoignages invoqués soient tantôt de datation incertaine, tantôt d'interprétation un peu douteuse, il semble que dès le milieu du XIIe siècle - avant Chrétien, avant Wace même - les troubadours aient connu Tristan et Iseut. La passion de Tristan devient très vite pour eux la référence et la mesure de tout amour, et le jeu de mots « triste -Tristan », qui s'imposera avec une insistance croissante dans les avatars successifs du roman, paraît ancien. D'autres témoignages permettent de supposer que l'histoire circulait dès la première moitié du Xir siècle : le conteur Brcri, que le Roman de Tristan de Thomas d'Angleterre (ca 1172-1175) invoque comme une autorité en la matière, est certainement le même que le Bleheiis mentionné vingt ans plus tard dans la Seconde continuation de Perceval et que le Bledhericus famo-sus ille fabulator (le célèbre conteur BledhericuS), actif avant 1150 à en croire la description du pays de Galles de Giraud de Barri qui écrit lui-même vers 1180. On a vu en lui non sans vraisemblance le chevalier gallois Blcdri ap Cadifor, mentionné par des documents entre 1116 et 1135.



Quoi qu'il en soit de cette identification, il ne fait pas de doute que la légende est connue de bonne heure et qu'elle est d'origine celtique. Un conte d'enlèvement irlandais (aitheD), celui de Diarmaid et Grainne, qui remonte au moins au ixr siècle, présente, non seulement dans son schéma général, mais aussi dans certains de ses détails les plus précis, d'extrêmes similitudes avec l'histoire de Tristan et Iseut. Les triades galloises, dont nous ne connaissons, il est vrai, que des manuscrits tardifs, parlent à plusieurs reprises d'un Drystan ou Trystan, fils de Tallwch, amant d'Essylt, femme de son oncle, le roi March. Elles l'associent d'ailleurs au roi Arthur en en faisant un de ses proches.

Malgré la popularité précoce de la légende, une sorte de malédiction semble avoir frappé les premières ouvres françaises qui lui sont consacrées. Deux sont entièrement perdues - phénomène plus rare qu'on ne le croit parfois -, le roman d'un nommé La Chievre et le poème de Chrétien « du roi Marc et d'Yseut la blonde ». Les autres sont fragmentaires, soit qu'elles aient choisi de ne traiter qu'un épisode particulier, comme le lai du Chèvrefeuille de Marie de France et les deux versions de la Folie Tristan, soit qu'elles nous soient parvenues mutilées, comme le roman de Béroul et celui de Thomas. Pour reconstituer l'histoire dans son intégralité, il faut se tourner vers les romans allemands inspirés des ouvres françaises, celui d'Eilhardt d'Oberg (fin du XIIe sièclE) et celui de Gottfried de Strasbourg (début du XIIIe sièclE), eux-mêmes cependant incomplets, et vers la Tristrams-saga norroise, adaptation en prose du roman de Thomas exécutée en 1226 par frère Robert pour le roi Haakon V et première version intégrale de la légende à nous être parvenue. Cette situation intrigue. On y a vu l'effet d'une sorte de censure. Et il est vrai que la légende a troublé autant qu'elle fascinait. Les poètes - et parmi eux Chrétien dans l'une de ses deux chansons - proclament, fidèles en cela à l'ordiodoxie courtoise, la supériorité de leur amour sur celui de Tristan, car ils ont choisi d'aimer en toute liberté, alors qu'il y était contraint par la puissance du philtre. Dans Cligès, on l'a vu, Chrétien se réfère ouvertement à la situation de Tristan et d'Iseut pour essayer - sans réel succès - de la rendre plus morale en évitant à l'héroïne d'avoir à se donner à la fois à son mari et à son amant. Mais ces réticences, qui n'ont pas porté atteinte à l'immense succès de la légende, n'expliquent nullement le caractère fragmentaire des premiers poèmes français qu'elle inspire. A n'en pas douter, celui-ci est au contraire la conséquence d'une popularité qui rendait inutile de raconter chaque fois l'histoire du début à la fin ou de la recopier intégralement.



Résumé synthétique de la légende



Dans ses grandes lignes, l'histoire est la suivante. Fils de Rivalen et de Blanchcfleur (les noms de ces deux personnages varient selon les versionS), Tristan, très tôt orphelin, est élevé par son oncle maternel Marc, roi de Cornouailles. Le Morholt, guerrier monstrueux venu d'Irlande, impose à la Cornouailles un tribut de jeunes gens et de jeunes filles. Tristan l'affronte dans une île, le tue mais est blessé par une arme empoisonnée. Abandonné dans un bateau au hasard des flots, il touche terre en Irlande où il est guéri par la reine et sa fille Iseut. Lorsque plus tard Marc déclare qu'il n'épousera que la femme à qui appartient le cheveu d'or qu'une hirondelle a apporte dans son bec, Tristan reconnaît un cheveu d'Iseut la Blonde et repart la conquérir pour son oncle. Il tue un dragon qui dévastait l'Irlande et, reconnu comme le vainqueur malgré la traîtrise d'un sénéchal, gagne par cet exploit la main d'Iseut - mais pour le roi Marc. Iseut l'a reconnu comme le meurtrier de son oncle le Morholt grâce au fragment d'arme trouvé dans sa blessure qui correspond à une brèche de l'épée de Tristan. Sur le bateau qui les conduit en Cornouaille, Tristan et Iseut boivent par méprise le philtre d'amour que la mère d'Iseut a confié à la suivante Brangien à l'intention des époux. Le soir des noces, Iseut demande à Brangien de prendre sa place auprès de Marc. Elle veut ensuite la faire périr par crainte d'une trahison, puis se repent de sa cruauté et se réjouit que les serfs chargés du meurtre l'aient épargnée. Une série d'épisodes retracent alors les amours clandestines et les rendez-vous dangereux de Tristan et d'Iseut, épiés par les barons de Marc et par le nain Frocin (Marc caché dans le pin et trahi par son reflet dans la fontainE). Surpris, bien que Tristan ait éventé le piège de la fleur de farine, les amants sont condamnés au bûcher. Tristan s'échappe et libère Iseut, que Marc avait livrée à des lépreux. Ils mènent, avec le précepteur de Tristan, Governal, et le chien Husdcnt, une vie errante dans la forêt du Morois où Marc les surprend chastement endormis et les épargne. Lorsque le philtre cesse d'agir (Béroul, EilhardT), Tristan consent à rendre Iseut à Marc par l'intermédiaire de l'ermite Ogrin tandis que lui-même devra s'exiler. Iseut se justifie des accusations de ses détracteurs grâce à un serment ambigu. Tristan mène au loin une vie aventureuse. Il épouse en Petite Bretagne Iseut aux Blanches Mains, parce qu'elle porte le même nom que sa bien-aimée, mais il ne peut se résoudre à consommer ce mariage. D. retourne voir Iseut la Blonde avec son beau-frère Kaherdin, qui s'éprend de Brangien. Blessé par une arme empoisonnée, il envoie Kaherdin chercher Iseut la Blonde, mais Iseut aux Blanches Mains surprend son secret. Elle lui dit mensongèrement, lorsque le bateau de Kaherdin revient, que la voile en est noire, ce qui signifierait qu'Iseut n'est pas à bord. Tristan se laisse mourir et Iseut, qui a débarqué, meurt de chagrin près de lui.



Béroul, Thomas et les poèmes fragmentaires



Le roman de Béroul (ca 1170-1175 ?), dont il nous reste la partie centrale, livre la version dite « commune » de Tristan et Iseut et celui de Thomas (ca 1172-1175), dont nous possédons plusieurs fragments séparés, et en particulier la fin, la version dite « courtoise ». L'une des différences entre les deux est que le philtre agit pour une période limitée chez Béroul, mais pour la vie entière chez Thomas, qui en fait ainsi une sorte de symbole de l'amour. Mais ils s'opposent surtout par leur style. Plus fruste, Béroul écrit avec une simplicité efficace qui ne s'embarrasse pas d'analyser les sentiments et tire sa profondeur de son laconisme même, voire de ses apparentes contradictions. Plus encore qu'un roman de l'amour, il écrit un roman de la peur. Certains motifs prennent chez lui une ampleur particulière, comme l'obsession de la lèpre obscurément liée à la sexualité. Thomas, pour sa part, met une rhétorique d'une virtuosité un peu complaisante au service d'une perception aiguë et violente de la passion, et tout particulièrement de l'imbrication des pulsions sexuelles, du masochisme et de la jalousie. Quant aux poèmes qui ne traitent qu'un épisode, ils relatent tous une rencontre fugitive et clandestine des amants séparés en exploitant les motifs récurrents de cette légende où les symétries et les répétitions sont nombreuses : la ruse, le déguisement, la folie, les talents verbaux et musicaux qui sont ceux de Tristan. C'est le cas non seulement du lai du Chèvre-feuille et des deux poèmes de la Folie Tristan, datant probablement de la fin du XIIe siècle, mais aussi des récits tristaniens insérés dans des ouvres de caractère différent, le Donna des amants, sorte de traité de didactique amoureuse sous forme de dialogue (fin du XII sièclE), ou, vers 1230, la Continuation de Perceval de Gerbert de Montreuil.



La légende des amants de Cornouailles occupe ainsi dans la littérature du Moyen Age une place à la fois centrale et marginale. Elle exerce un mélange de fascination et de répulsion. Elle paraît être l'illustration la plus représentative de la passion et de l'adultère courtois, mais elle heurte en réalité profondément les valeurs courtoises parce que le philtre est une négation du libre choix amoureux et parce que les amants sont exposés au scandale. Elle est tirée du fonds breton sans appartenir au monde arthurien, et pourtant le roi Arthur y joue un rôle dès le roman de Béroul, où le roi Marc se soumet tout naturellement à son autorité morale, en attendant que la matière tristanienne, celle de Lancelot, celle du Graal soient mêlées dans le Tristan en prose et dans les grandes compilations romanesques de la fin du Moyen Age. Telle qu'elle nous apparaît, elle constitue l'un des principaux mythes littéraires de l'Occident. Les variations de Thomas sur la mort, l'amour, l'aimer, l'amer, la mer ne cessent, au-delà du heurt des mots, de frapper l'imaginaire.



L'héritage de Chrétien de Troyes



Les romans de Chrétien de Troyes ont exercé une influence profonde, qui s'est manifestée de plusieurs façons. Ils ont été imités. Ils ont fourni la matière des premiers romans en prose, qui apparaissent, nous le verrons, au tournant du Xlir siècle. Ils ont suscité sur le moment même la réaction de concurrents du maître champenois, soucieux d'affirmer leur originalité mais contraints de se définir par rapport à lui.



La survie du roman arthurien en vers



Les romans de Chrétien ont été imités, et le roman arthurien en vers, désormais constitué en genre littéraire, connaît un vif succès jusque dans la seconde moitié du XIIIe siècle, moment où il recule définitivement devant la concurrence du roman en prose. Il conserve les caractères que lui a donnés Chrétien en peignant avec prédilection, à travers des aventures qui font volontiers appel au merveilleux et suivent très souvent un schéma de quête, l'apprentissage amoureux et chevaleresque d'un jeune héros - ou tout simplement ses exploits, quand ce héros est un chevalier et un amant aussi confirmés que Gauvain, le neveu du roi Arthur. Dans cette lignée se situent des romans comme La Mule sans frein de Paien de Mézières, Le Chevalier à l'épée, Meraugis de Portlesguez de Raoul de Houdcnc, fa Vengeance Raguidel qui a été attribuée au même poète, Humbaut, Beaudous de Robert de Blois, Yder, Durmart le Galbis, fa Chevalier aux Deux Epées, Les Merveilles de Rigomer, l'interminable Claris et Laris, Fhriant et Florete, Escanor, Gli-glois. L'imitation du personnage de Perceval est sensible dans Fer-gus de Guillaume le Clerc, dont le héros, un jeune berger fils d'un vilain et d'une dame noble, reproduit la rusticité initiale et l'apprentissage chevaleresque de celui de Chrétien, mais sans éveiller les mêmes résonances du sens. Le seul roman arthurien en langue d'oc, Jaitfré, se souvient lui aussi du Conte du Graal (l'inverse, qui a été soutenu, est très peu vraisemblablE). La recherche de soi-même et la question du père, qui sont au centre des romans de Chrétien, et surtout du Conte du Graal, fournissent à plusieurs épigoncs le ressort de leur intrigue. Ainsi dans le Bel inconnu de Renaut dit de Beaujcu (en réalité, sans doute, de Bagé) : ce « bel inconnu » apprendra à la fin du roman qu'il est le fils de Gauvain. Ainsi dans l'Atre périlleux : Gauvain, que chacun croit mort, accepte provisoirement la perte de son identité et doit pour la retrouver résoudre l'énigme qui est à la source de ce malentendu.

On a soutenu non sans vraisemblance1 que le genre du roman arthurien en vers, déjà désuet au XIIIe siècle, survit à cette époque dans le milieu, littérairement conservateur désormais, de la cour anglo-normande. A la fin du XIVe siècle, alors que personne n'en a plus écrit depuis cent ans, le Méliador de Froissait renoue une dernière fois avec cette tradition.



La fortune du Graal



L'influence de Chrétien s'est exercée de la façon la plus féconde à travers le succès de la matière du Graal. Son dernier roman, le Conte du Graal, est resté, on le sait, inachevé. Au château du Graal, Perceval n'a pas posé la question qui aurait guéri son cousin, le Roi Pêcheur ; il a ensuite erré pendant cinq ans, loin de Dieu et loin des hommes, avant de se confesser à son oncle, l'ermite. On pressent qu'il est désormais prêt à réussir là où il a échoué la première fois, mais le roman cesse alors de parler de lui : il suit les aventures de Gauvain et s'interrompt au milieu de l'une d'elles. Un roman admirable, un sujet fascinant, un graal mystérieux, une mystérieuse lance qui saigne : comment supporter de rester dans l'incertitude du dénouement ? Et c'est ainsi qu'on a ajouté au Conte du Graal des continuations. La première, écrite dans les premières années du XuT siècle, loin de conduire le roman jusqu'à son terme, ne revient même pas à Per-ceval : elle se contente de poursuivre, non sans talent d'ailleurs, les aventures de Gauvain et d'en adjoindre d'autres en un foisonnement un peu hétéroclite. La seconde, placée sous l'autorité de Wauchicr de Dcnain attribution aujourd'hui acceptée après avoir été longtemps mise en doute est bien, quant à elle, une Continuation Perceval. Mais elle est, elle aussi, inachevée. Entre 1233 et 1237, une troisième continuation, due à un certain Manessier, plus soucieux que ses prédécesseurs de tirer parti des éléments mis en place par Chrétien, clôt enfin le récit : Perceval succède au Roi Pêcheur et règne sur le château du Graal. D'autre part, dans les années 1225-1230, un poète nommé Gerbert, qui se confond peut-être avec Gerbert de Montrcuil, auteur du Roman de la Violette, écrit une continuation indépendante des trois autres qui, malgré ses 17 000 vers, ne termine pas tout à fait l'ultime aventure du Graal. Manessier et Gerbert accentuent la coloration religieuse, déjà discrètement présente dans le roman de Chrétien où le vieux roi, père du Roi Pêcheur et oncle de Perceval, ne se nourrissait que de l'hostie contenue dans le Graal et où les échecs et les succès du héros étaient fiés à son péché et à sa pénitence. Mais cette tendance est plus sensible encore avant eux dans l'ouvre de Robert de Boron.



Robert de Boron



De ce chevalier franc-comtois nous possédons un roman en vers, le Roman de l'estoire du Graal ou Joseph d'Arimathie, écrit au plus tard vers 1215, mais sans doute plus tôt, peut-être autour de 1200. Dans ce poème, le Graal est une relique chrétienne : le calice de la dernière Cène, dans lequel Joseph d'Arimathie a ensuite recueilli le sang du Christ. Le roman, comme son titre l'indique, retrace l'histoire de ce vase sacré et de la lignée à laquelle il a été confié, celle de Joseph d'Arimathie, en Terre sainte, puis en Bretagne. La perspective en est eschatologiquc, avec, peut-être, à l'arrière-plan la théorie des trois époques de l'histoire universelle enseignée par Joachim de Flore. Pour faire la jonction entre l'histoire ancienne du Graal et celle du monde arthurien, Robert de Boron écrit ensuite un Merlin, dont il ne nous reste que les cinq cents premiers vers mais dont nous connaissons la mise en prose. Ce roman s'inspire de YHistoria regum Britanniae et de Wace pour raconter l'histoire du royaume de Logres. Merlin, prophète et enchanteur né d'une femme et d'un démon incube, révèle sa puissance à l'usurpateur Vortigern, aide le roi légitime Utcr Pcndragon à reconquérir son royaume, lui permet, en lui donnant l'apparence du duc de Cornouailles, de passer une nuit avec la duchesse Ygcrne dont il s'est épris, et veille sur le jeune Arthur, fruit de cet amour, avant de succomber lui-même à l'amour de Niniène qui Ventombera.

Enfin, Robert de Boron aurait été, selon certains, l'auteur d'un Perceval, dont le roman généralement désigné sous le nom de Didot-Perceval ou Perceval de Modène, d'après les deux manuscrits qui le contiennent, serait la mise en prose. On dira dans le chapitre suivant pourquoi cette dernière hypothèse n'est sans doute pas fondée. Mais, quel que soit le point jusqu'où Robert lui-même a mené son récit, son ouvre est l'amorce d'un premier cycle du Graal, dont l'ensemble Estoire del saint Graal - Merlin - Perceval en prose sera la réalisation. Cette ouvre marque à un double titre un tournant important dans le traitement de la matière du Graal. D'une part, on l'a dit, elle en impose définitivement - une interprétation religieuse et mystique. D'autre part, on le verra, le destin de cette ouvre, écrite en vers mais bientôt mise en prose, se confond avec l'apparition des premiers romans en prose, qui sont des romans du Graal.

Mais, encore une fois, il n'y aurait pas eu de matière du Graal sans le roman de Chrétien. C'est ainsi que l'essentiel de la production romanesque du XIIIe siècle, aussi bien dans ce qu'elle a de traditionnel - les romans arthuriens en vers - que dans ce qu'elle a de plus nouveau - les romans en prose - lui est, par des voies différentes, redevable.





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Marie de France
(1160 - 1199)
 
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Portrait de Marie de France

Biographie / chronologie

Marie de France est une poétesse médiévale célèbre pour ses lais - sortes de poèmes - rédigés en
ancien français1. Elle a vécu pendant la seconde moitié du XIIème siècle, en France puis en Angleterre,
où on la suppose abbesse d'un monastère, probablement2 celui de Reading.

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