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Louis-Ferdinand Destouches

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JADIS ET LA GUERRE - Rambouillet


Poésie / Poémes d'Louis-Ferdinand Destouches





Rambouillet



La France attendait la Grande Guerre et elle ne le savait pas encore. En 1910 la canonnière Panther mouillait en rade d'Agadir et pointait ses canons sur la côte marocaine, mais c'est la France d'abord qui se sentait visée par Guillaume IL Un an plus tard le président du Conseil Joseph Caillaux sauvait la mise, sauvait la paix. Court-circuitant le Quai d'Orsay et le Parlement, il établissait des contacts directs avec le secrétaire d'État allemand aux Affaires étrangères. L'Allemagne renonçait au Maroc et la France lui laissait en guise de consolation un petit morceau du Congo. Hélas ! c'était reculer pour mieux sauter - sauter sur les bombes bien entendu.



Car les bons esprits ne manquaient pas en France pour tenter de rallumer la mèche avec une rare ferveur, aux accents de Déroulède, les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges à en attraper le torticolis. Plus active, plus française que jamais, l'Action française multipliait les rassemblements, les défilés, les manifestations au pied de la statue de Strasbourg, place de la Concorde si mal nommée pour l'occasion. Jeanne d'Arc nous voilà ! répétaient en substance les étudiants et les fils de famille. Leurs idoles, leurs maîtres à penser et à lire : Barrés, Péguy, Psichari... Mais le patriotisme n'était pas une idée neuve réservée aux seuls cercles maurassiens. Et pour un Jaurès, combien de Poin-caré ? Et pour un pacifiste ou un socialiste, combien de boutiquiers va-t-en-guerre ? Les journaux menaient la charge : le Petit Parisien, le Figaro, l'Écho de Paris. A leurs yeux Caillaux était un traître et l'accord - pourtant avantageux - avec l'Allemagne un « désastreux traité ».

Poincaré, parlementaire lorrain ne l'oublions pas, lui succéda donc au pouvoir. La guerre, il la savait inéluctable. Il la prépara. La voulait-il ? Il nomma Alexandre Millerand ministre de la Guerre. Il épura le Quai d'Orsay jugé trop pacifiste à son goût. Il tenta de resserrer davantage les liens de l'Entente cordiale et l'alliance avec Saint-Pétersbourg, comme il aurait noué une cordelette autour du cou de Guillaume II pour le contraindre à une crise d'apoplexie. Il multiplia les crédits militaires et pas question de force de dissuasion ! Désormais la seule doctrine de l'École de guerre, c'était la guerre de mouvement, l'offensive systématique et marche à l'est, par-delà le Rhin, pour trouver du nouveau !

Fernand Destouches ne pouvait qu'applaudir. Quant à la fameuse loi des trois ans, égoïstement, familialement, il devait s'en moquer un peu. Il est exact qu'il fallait rattraper le retard entre l'armée prussienne (850 000 hommeS) et l'armée française (450 000 hommeS) et par conséquent allonger la durée du service militaire. Mais que lui importaient les âpres débats à la Chambre, les polémiques, les discours, les effets de manche qui précédaient les éclats d'obus ! Son fils Louis Destouches venait de signer le 28 septembre son engagement volontaire sous les drapeaux. Et les trois ans lui étaient déjà promis, quoi qu'il arrive. Drôle de promesse ! Rambouillet, 3 octobre 1912...

« J'avais attendu devant la grille longtemps. Une grille qui faisait réfléchir, une de ces fontes vraiment géantes, une treille terrible de lances dressées comme ça en plein noir. « L'ordre de route je l'avais dans la main... L'heure était dessus, écrite. « Le factionnaire de la guérite il avait poussé lui-même le portillon avec sa crosse. Il avait prévenu l'intérieur : « - Brigadier ! C'est l'engagé ! « - Qu'il entre ce con-là1 ! »

Et Louis Destouches entra. Les grilles se refermèrent. Le 12e cuirassiers l'attendait. Il y disparut bel et bien.

Disparition, c'est le mot qui convient. On entre dans l'armée, on entre dans une caserne comme on entre au couvent. Discipline de fer et vou de silence. L'armée, la Grande Muette, cela veut dire que les cris que l'on y pousse, cris de révolte, de fatigue, d'indignation ou de haine, ne sont pas entendus au-dehors. C'est un monde étanche, inaccessible aux civils. Un monde avec ses règles, sa hiérarchie, ses valeurs, ses ambitions, ses brimades. Un monde hors duquel il est vain de chercher du secours. Un monde qui aspira, qui engloutit Louis Destouches, dix-huit ans, forte tête, rêveur impénitent, curieux professionnel, lecteur tous azimuts, polyglotte approximativement distingué, ex-employé de commerce à l'expérience douteuse, Louis Destouches donc sous les drapeaux, sous l'uniforme et qui dut avoir toutes les peines du monde, au début, à tenir sur un cheval.



« - Vous vous êtes engagé par patriotisme, provocation ou par un certain goût ?...

« - Un certain goût aussi, parce que je suis lyrique, enfin un peu trop. C'était toujours l'Histoire. Je voyais ça très brillant, et puis l'histoire des cuirassiers de Reichshoffen, cela me paraissait quelque chose de très brillant, je dois dire. Et puis c'était très brillant parce que c'était le ton de l'époque2. » Ses illusions lyriques se dissipèrent sans tarder. Le « brillant » des cuirassiers s'effaça devant les ternes brutalités de l'éducation militaire. Et désormais plus d'escapades, de virées à Nice ou sur les Grands Boulevards, la part du rêve effacée sous la discipline haletante des exercices, des corvées et des revues ! Cette déception devait rappeler bien des souvenirs à son père car lui aussi s'était laissé griser autrefois par le prestige de l'uniforme, des colonies et de l'aventure, lui aussi avait déchanté très vite sous la monotonie poussiéreuse et rude des chambrées et des casernes.

Comment imaginer Louis Destouches en uniforme ? Comment imaginer Céline embrigadé ? Nous touchons là aux paradoxes entretenus par l'écrivain, sa vie durant. Impossible de nous le représenter sous un matricule, docile à une autorité. Céline, c'est d'abord le râleur, l'insatisfait, le coléreux, l'imprécateur, le violent aux tendresses extrêmes et pudiques, Céline c'est l'homme de toutes les solitudes. Sans doute flattera-t-il parfois ses lecteurs dans le sens du poil et des plus douteux instincts.''Son antisémitisme forcené de la fin des années trente lui ralliera les suffrages racistes et jubilants d'individus qui n'auraient sans cela jamais entendu parler de lui. Mais il échappera pour autant aux idéologies codifiées dans les petits livres rouges, noirs ou bruns comme on voudra, aux cartes des partis, aux rubriques des journaux d'opinion. Impossible d'enrôler Céline sous une bannière. Ils s'en rendirent compte très vite, les intellectuels socialistes ou communistes en 1932, les fascistes en 38, collaborateurs en 40. Céline n'était pas l'un des leurs. Parfois un allié objectif si l'on veut, rien de plus.'Et ce Céline-là astreint à dire : oui mon capitaine !, à balayer les couloirs et à défiler au pas cadencé, c'est en effet un Céline impossible à visualiser... Pourtant, Rambouillet, le 12e régiment de cuirassiers, ces noms, ces dates, ces lieux, ces couleurs clinquantes ont pour nous, pour lui, comme un parfum de nostalgie. Céline l'anarchiste n'a jamais rien eu, dans ses idées, de révolutionnaire. On peut se demander même s'il n'était pas plus conservateur qu'anarchiste, plus « vieille France » que prophète des temps futurs. L'ordre nouveau, à ses yeux, c'était une blague. Il ne rêvait qu'aux ordres anciens.rEt peut-être, en un sens, la discipline intraitable du 12e cuirassiers, l'armée française qui allait tenir le choc en 1914, son sens du devoir, son esprit de sacrifice, son héroïsme, son idéal, voilà ce qu'il allait chérir et regretter par la suite, comme il regrettait déjà sa grand-mère, les dentelles et le port de Rochester à l'ère victorienne, surtout quand la débâcle de 40 allait jeter une lumière cruelle sur les incertaines vertus du présent.

Mais pénétrons maintenant à l'intérieur de la caserne. Que voit-on ? Rien. Il faut s'habituer au noir, ou, si l'on préfère, accoutumer ses yeux au cauchemar La caserne de Rambouillet, c'est un mauvais rêve. Céline l'a évoqué dans Casse-Pipe, ce livre inachevé qu'il entreprit d'écrire après Mort à crédit en 1936. De ce dernier roman il constituait la suite logique, après l'année 1912, quand l'oncle du narrateur tente vainement de le dissuader de s'enrôler dans l'armée, jusqu'au début des hostilités qui ouvre Voyage au bout de la nuit. Mais Céline se laissa vite distraire de ce projet romanesque, saisi qu'il était par la débauche de la politique et la rédaction fiévreuse de ses pamphlets poli tiques. En 1941, il attaqua Guignols band et laissa définitivement son livre en plan. Quittant Paris en juin 44, il abandonna derrière lui fragments et brouillons de Casse-Pipe qui disparurent peu après dans les grands désordres, les pillages, les vengeances et les feux d'artifice de l'épuration. De Casse-Pipe ne fut donc retrouvé par la suite et publié qu'un prélude. Mais quel prélude et quelle image précieuse de Rambouillet, telle que la mémoire célinienne l'avait immobilisée

Le 12e cuirassiers relève en effet d'une vision nocturne. Passons sur le côté « gaietés de l'escadron » que découvrit et vécut Louis Destouches, la vie des bidasses, le ridicule de soldats qui ne se souviennent plus du mot de passe et bredouillent désespérément des onomatopées, les injures, les bêtises, les plantons ivres morts, les écuries avec leurs murailles de crottin fumant. Car ces « gaietés de l'escadron » se métamorphosent très vite en « cauchemar de l'escadron ». Jusqu'à ce que l'aube pointe, que le trompette sonne le réveil dans la brume, que les illusions se dissipent et que la vie - quelle vie ? - recommence enfin.


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Louis-Ferdinand Destouches
(1894 - 1961)
 
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