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Louis-Ferdinand Destouches

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Fin de contrat à la S.D.N.


Poésie / Poémes d'Louis-Ferdinand Destouches





Le 30 mai au matin, Louis Destouches et les médecins sud-américains arrivèrent enfin à Liverpool. Mais leur mission d'enquêtes était loin de s'achever. De nouveaux dispensaires, de nouvelles conférences, de nouveaux centres antituberculeux les attendaient aux quatre coins de l'Europe. Et tout d'abord à Londres.

Edith précisément se trouvait là-bas et Louis put la revoir. Elle n'avait certes pas songé à venir à sa rencontre, elle avait compris, elle apprenait doucement à renoncer à lui, à ne plus espérer. Elle souffrait, Edith, par à-coups, par crises violentes, comme des derniers sursauts fiévreux d'un grand amour qui se retire. Elle passait simplement un mois chez l'une de ses amies, sa plus chère et très tendre amie qui s'était fixée en Angleterre et qu'elle retrouvait ainsi chaque année. Cette fois-là, elle fut victime à Londres d'une crise violente, elle attrapa les oreillons et dut être hospitalisée. Et c'est de son lit d'hôpital qu'elle accueillit son mari, qu'elle l'entendit lui raconter l'Amérique, parler, monologuer à n'en plus finir, multiplier les anecdotes, les incidentes, les jugements à l'emporte-pièce, les gros mots et les charges subtiles, parler encore et ne pas écouter, s'enfermer dans sa parole pour ne plus voir le monde ou ne plus l'entendre, comme pour le refuser, ce qui est peut-être le propre des conteurs impénitents...





Sans doute y avait-il beaucoup de misanthropie hautaine, de dédain et, plus que du mépris, de l'indifférence au fond chez Céline envers les gens qu'il côtoyait en société et à qui il intimait, par sa parole virevoltante, d'une drôlerie irrésistible, inattendue, jaillissante, féroce, bougonnante, râleuse et grandiose, l'ordre de se taire. Tous les témoignages en font foi, durant toute la vie de l'écrivain : c'est d'abord d'un Céline oral qu'il faut parler. D'un autre côté, ne l'intéressaient vraiment que les gens qui savaient se taire : les malades, les pudiques, les souffrants, les prisonniers (pour ne pas parler bien entendu des animaux, des chats, des chiens, de ceux qui sont « l'ensorcellement même, le tact en ondes », pour emprunter ses propres termeS). Ceux-là seuls, paradoxalement, il prenait le temps de les écouter, de les deviner, de les comprendre. Cet homme de la parole se méfiait des mots, des messages, des fantaisies verbales dont il usait sans remords. Comme s'il tirait pour s'amuser des feux d'artifice langagiers, déployait un écran de paroles et de bruits, un rideau de fumée à l'abri desquels il faisait silence pour deviner le monde. Étrange décalage chez lui entre le réel et les mots ! Peut-être parlait-il d'une manière totalement irresponsable. Il avait du mal à concevoir que ses propos eussent la moindre responsabilité, la moindre prise sur le réel. Sa vie, ses engagements ultérieurs nous en donneront mille exemples. Avec Edith déjà, souvenons-nous, il semblait tout étonné quand, par ses paroles brutales, blessantes, cyniques, il parvenait à la bouleverser. Alors il faisait machine arrière, il effaçait par d'autres mots le trouble qu'il lui avait communiqué, mais il ne comprenait pas. Cela n'avait rien à voir. Les mots, c'était un jeu, c'était le contraire de la vie. L'essentiel, avec Edith, il ne le dirait jamais : cette affection qu'il éprouvait sincèrement pour elle, et pour Colette aussi qu'il n'avait pas désirée. Non, on ne parle pas, comme on dit, de ces choses-là...'

De Londres, Louis se rendit pour quelques jours à Genève. Il fallait bien qu'il rende compte à Ludwig Rajchman des premiers mois de sa tournée. La comptabilité dont il avait la charge était-elle approximative ? Qu'étaient devenus les fonds alloués à un médecin sud-américain qui, finalement, n'avait pas fait partie du groupe ? Peu importe, ses compagnons de voyage étaient contents de lui. L'un d'eux avait écrit à Ludwig Rajchman, depuis Montréal : « Le docteur Destouches se donne un mal inouï et tous les délégués lui en savent gré19 », tandis qu'un autre, dans un discours, s'était écrié : « Je voudrais également exprimer ma reconnaissance au docteur Rajchman, ainsi qu'à son collègue le docteur Destouches, qui a été infatigable, courageux, et qui, avec son esprit fin et critique, nous a donné plus d'une fois d'excellentes idées d'ensemble19. » En somme Ludwig Rajchman pouvait être satisfait de son protégé. La preuve : il augmenta son salaire de 250 francs par mois. Louis n'en demandait pas plus. Les Sud-Américains l'attendaient aux Pays-Bas. Il boucla sa valise. Il sauta dans un train. L'épuisant gymkana médico-hygiéniste allait se poursuivre de la Hollande à la Belgique, de la Suisse à la France.

L'envie est grande, à ce stade, de faire un peu l'école buissonnière, de renoncer à détailler les visites de La Haye, Amsterdam, Bruxelles, Berne, Lille, Dunkerque, Zuydcoote, en cette fin du mois de juin et en ce début juillet 1925. Retrouvons le groupe un instant à Paris, vraisemblablement plus séduit par le Moulin Rouge ou le Casino de Paris que par la visite du four crématoire du Père-Lachaise, les abattoirs de Vaugirard ou le système des égouts de la capitale - Paris encore sous le choc de la grande Exposition internationale des arts décoratifs ouverte le 29 avril, qui voyait s'épanouir le fameux style Arts Déco, le style des Années folles, de la frénésie d'après-guerre, des rythmes exotiques, Paris qui, quelques semaines plus tard, en novembre très précisément, allait réserver un triomphe à la « Revue Nègre » et à sa chanteuse-danseuse plus souple qu'une liane, plus dévêtue que ce que la morale conseillait : Joséphine Baker.



Tandis que Drieu La Rochelle publiait cette année-là l'Homme couvert de femmes, titre que n'aurait guère pu renier l'entreprenant Louis Destouches, le groupe gagna le Sud, Lyon et puis Turin à la fin de juillet. L'Italie les attendait. Ils n'en pouvaient plus, ces médecins sud-américains. L'orage grondait, la mutinerie. Une fabrique de quinine supplémentaire à inspecter, et ils étaient prêts à tout plaquer, à laisser tomber à jamais les dispensaires et les sanatoriums pour se réfugier dans le château fortifié de Ferrare, ne voir à Ravenne que les mosaïques ou à Rome que la galerie Borghese. Louis jugea donc prudent d'alléger in extremis leur programme. Il tenta du moins de le faire. Mais allez donc convaincre les organisateurs italiens que l'école de malarialo-gie de Nettuno, les travaux hydrauliques de Ferrare, la tour destinée à l'élevage des moineaux de Terracine, les gros travaux mussoliniens pour assécher les marais Pontins et combattre le paludisme ne présentaient pas un intérêt capital ! « Décidément les organisateurs sont incorrigibles (...) Nous voyons hélas ! l'Italie dans les plus mauvaises conditions - notre pouvoir d'admiration bien diminué par six mois de "sightseeing" chaleur saharienne20. » Épuisé, le groupe se sépara le 8 août en poussant un soupir de soulagement... Ce n'est qu'un au revoir... Oh non, sûrement pas ! Un adieu plutôt, et qu'on n'en parle plus !

A Genève, Louis retrouva Ludwig Rajchman, le grand palais de la Société des Nations, les tâches administratives, l'hôtel La Résidence, les distractions étriquées du bord du Léman, et l'attente d'un nouveau départ vers l'Afrique qui justifia de brefs voyages préparatoires à Paris, Bruxelles et La Haye à la fin de l'année 25 et en janvier 26...

Les mois passèrent donc ainsi, l'inactivité, la sédentarité et l'ennui succédant à l'épuisante course de la tournée américaine et européenne. Il en allait toujours ainsi avec Louis Destouches, il en sera de même avec Céline : une vie marquée d'une incessante hésitation, d'une palpitation entre la course et l'arrêt, la précipitation et la torpeur, l'illusion et l'accablement, la curiosité et l'ennui, l'ouverture sur le monde et le repli tragique et solitaire sur l'écriture. Il voulait l'Amérique, Louis Destouches, il l'avait eue, et s'en était très vite fatigué. A Genève, il retrouva ses quartiers, ses habitudes. Pour ne songer aussitôt qu'à sa prochaine mission, vers l'Afrique en l'occurrence. Mais on lui aurait proposé une expédition en Chine, en Australie, au Jutland, dans la lune ou en Patagonie, il aurait approuvé sans hésiter. Pour rêver tout de suite après au bonheur inaccessible du retour, du silence et des privilèges lucides de l'immobilité.



Fin décembre 25, Louis déménagea. On a les changements que l'on peut. Il quitta « La Résidence » pour un appartement de trois pièces à Champel, chemin de Miremont, dans une banlieue résidentielle de Genève. Un décor paisible, somnolent, une rue bien droite, verdoyante, flanquée de maisons de trois étages devant lesquelles s'ourlaient de sages jardinets cloisonnés par des haies taillées à l'équerre. En somme un cadre prospère et chuchoté pour des Suisses contents de leur sort, dont les revenus devaient s'arrondir paisiblement comme leurs silhouettes et où il faut imaginer un médecin français de trente et un ans, saccadé, bruyant, acharné à lire de nouveaux livres, à poursuivre de nouvelles et inutiles conquêtes féminines, à brocarder les fonctionnaires trop abstraits de la trop gigantesque Société des Nations, et qui voulait laisser sa marque, creuser un profond et douloureux sillage sur l'époque qu'il avait encore à traverser.

A Champel, Germaine Constans, l'amie des années de Rennes, proche de Francis Vareddes, vint le rejoindre. Elle accompagnait la petite Colette, elle était chargée de s'en occuper pour quelques semaines. Fut-elle pour Louis Destouches une maîtresse avant d'être une amie ? Il semblerait que les goûts de Germaine Constans la portaient plus vers les femmes que vers les hommes. Mais le fait n'est pas déterminant. Plus « voyeur » qu'actif, Louis laissait volontiers ses compagnes entretenir devant lui des rapports lesbiens. Les choisissait-il même en fonction de ce critère ? Les spectacles saphiques, entre autres combinaisons erotiques, excitaient sa curiosité. Mais encore une fois, aucun élément ne nous permet de préjuger des rapports de Louis et de Germaine Constans. De ce séjour, cette dernière devait dire, en 1978, avec toute l'approximation propre aux souvenirs lointains : « Le docteur Rajchman avait une fille et songeait à les marier... Louis avait déjà tout le Voyage en tête, mais il n'écrivait pas encore... Il achetait beaucoup d'objets anciens, et même un lit en bois doré21 !... »

Edith, de son côté, avait renoncé à se rendre à Genève. Pour quoi faire ? Son mari lui échappait. Son mari lui avait échappé. Elle avait renoncé aussi à son mari, et il fallait bien qu'elle songe concrètement au divorce. Son père la poussa-t-elle dans cette voie ? On l'a souvent affirmé. Mais rien n'est moins sûr. Athanase Follet s'accommodait fort bien lui-même, après tout, d'une vie conjugale agrémentée de liaisons multiples et de plus fidèles maîtresses. Qu'aurait-il pu reprocher à son gendre ? Ils se comprenaient l'un l'autre. Un divorce, par ailleurs, était un peu une tache, une honte dans une famille bourgeoise, catholique et provinciale par-dessus le marché. Il fallait songer aux rumeurs, aux cancans, à la clientèle... Louis non plus n'était guère favorable au divorce. A quoi bon? Il ne songeait pas à se remarier. A sa manière, il était un homme de devoir autant que de dissipations. La situation actuelle ne lui portait aucun ombrage. Et puisqu'il était père de famille, il pouvait continuer à accepter ce rôle qu'il n'avait pas souhaité, rester marié, de sorte que Colette ait un père et une mère unis par la loi, par l'état civil, à défaut de l'être toujours par la proximité géographique, le même toit et la vie commune.



Non, ce divorce, Edith seule le voulut (son témoignage que j'ai recueilli personnellement est catégoriquE), poussée simplement par des proches, par des amis qui l'abjuraient de retrouver sa liberté. Mais son père, naturellement, s'inclina devant sa décision, lui donna toute l'aide juridique requise, la confia à son propre avocat et son propre avoué. Louis, un peu surpris de son côté par la volonté bien arrêtée de son épouse, ne chercha pas à s'opposer à cette procédure. C'était la moindre des choses. Il accepta les torts du divorce, avec une tristesse sans doute un peu amère, comme si, au moment de regagner sa liberté tant chérie, de s'affranchir des liens conjugaux qu'il supportait mal, il regrettait soudain le bonheur d'autrefois, cette vie murmurée, irréelle pour lui, de la province, des habitudes et du confort. Louis Destouches, le nostalgique : ce qui allait se perdre, s'effacer dans le passé, prenait pour lui davantage de valeur. Louis Destouches, l'orgueilleux aussi : peut-être supportait-il mal d'être congédié de la sorte par la famille Follet dont il avait amplement profité pour mener à bien ses études de médecine. Lui qui claquait les portes sur son passage, en s'enfuyant. peut-être admettait-il moins volontiers d'être poliment mais fermement raccompagné jusqu'au perron, et bonsoir !



Le 9 mars 1926, la requête en divorce d'Edith fut présentée au palais de justice de Rennes. Et la tentative de conciliation fixée, elle, au 19 mars. Mais cinq jours plus tôt, Louis s'était embarqué à La Rochelle pour sa mission africaine. Constatant son absence, le magistrat confia la garde de l'enfant à la mère. L'appareil judiciaire était en marche. Le 21 juin, au tribunal de grande instance de Rennes, le divorce était enfin prononcé aux torts et griefs du mari. Aux débats avait été versée une lettre de Louis à son épouse qui avait contribué à la décision prise par le juge :

« Il faut que tu découvres quelque chose pour te rendre indépendante à Paris, quant à moi, il m'est impossible de vivre avec quelqu'un - Je ne veux pas te traîner pleurarde et miséreuse derrière moi, tu m'ennuies, voilà tout - ne te raccroche pas à moi. J'aimerais mieux me tuer que de vivre avec toi en continuité - cela sache-le bien et ne m'ennuie plus jamais avec l'attachement, la tendresse - mais bien plutôt arrange ta vie comme tu l'entends. J'ai envie d'être seul, seul, ni dominé, ni en tutelle, ni aimé, libre. Je déteste le mariage, je l'abhorre, je le crache ; il me fait l'impression d'une prison où je crève22. »

Cette lettre, Louis l'avait-il écrite à dessein, comme un élément de preuve pour hâter la procédure ? Ou bien était-elle antérieure, témoignant simplement de l'excès parfois cruel et irresponsable de ses propos, de son tempérament ? En tout cas, la procédure de divorce se déroula en son absence, après son départ pour l'Afrique, pour se conclure au moment où il regagnait la France. Louis ne pouvait davantage être mis devant le fait accompli. Que dire par ailleurs de la mission africaine qui avait pour objet d'étudier les organisations sanitaires coloniales de la côte ouest du continent, du Sénégal au Nigeria ? Louis y accompagna seize médecins, des Anglais, des Belges, des Espagnols, des Français, des Portugais, un Guatémaltèque et un Sud-Africain. Il s'était embarqué le 14 mars à La Rochelle à bord du Belle-Isle, il arriva à Dakar le 20 mars.

Dix années exactement s'étaient déroulées depuis sa première découverte de l'Afrique. Dix années, c'est-à-dire le passage de la guerre à la paix, de la jeunesse à la maturité, des espoirs encore vagues d'un garçon sans avenir, sans formation, sonné par la Grande Guerre, à la vie déjà plus décidée et prestigieuse d'un médecin chargé de mission, d'un responsable investi d'une autorité dont parfois il n'avait que faire. Dix années durant lesquelles Louis n'avait pas seulement bénéficié, avec ses études, avec son mariage, avec ses expériences professionnelles multiples, d'une sorte d'assurance, d'une philosophie de la vie plus tranchées, mais qui étaient aussi pour lui comme autant de gagnées ou de perdues en direction de la mort. Ses rides s'étaient creusées. Son caractère s'était durci. Ses certitudes, son pessimisme, son amertume, ses intransigeances et ses préjugés s'étaient peu à peu calcifiés dans le raidissement des habitudes et de la vieillesse qui menace. Louis Destouches avait maintenant trente-deux ans, l'énergie d'un tout jeune homme mais l'expérience d'un homme fatigué. Il retrouvait l'Afrique et déjà son regard avait pris cet éclat où la curiosité se voilait d'un intense désabusement. Il ne semblait plus désormais soumis à l'aventure. Les aventures ou les voyages, il les soumettait au contraire à ses caprices ou à sa volonté. C'est peut-être cela, la fin d'une éducation. Ce moment où les accidents, les rencontres, les déplacements ne peuvent plus guère vous modeler. Ou au contraire les accidents, les rencontres ou les déplacements confirment les traits acquis du caractère, cessent d'être des causes pour devenir des conséquences.

D'où il s'ensuit que ce second voyage en Afrique de quatre mois à peine allait être bien moins décisif que le premier. En 1916, Louis avait découvert là-bas le colonialisme, la liberté, la solitude, le goût immodéré des voyages, la haine définitive de la guerre et les premiers rudiments de la médecine. En 1926, rien ne l'attendait plus. Pas même l'espoir d'être utile, d'agir, de soigner, de soulager médicalement quelques misères. Il n'allait retrouver en Afrique que la fatigue, le désordre et l'ennui.

Après le succès relatif de la première mission américaine, celle-ci fut marquée tout de suite du signe de l'échec. La faute en incombait pour une part à Louis Destouches. Il avait mal préparé son affaire. Le groupe dut affronter de multiples difficultés de transport. Le manque de moyens financiers leur imposa de se scinder en trois équipes qui allaient d'abord parcourir des itinéraires différents23. Louis et les quelques médecins qui le suivirent se rendirent de Dakar à Bamako, de Bamako à Kouroussa, pour gagner enfin la Guinée. Train, auto, train encore : des milliers de kilomètres à l'aventure, des paysages de savane à l'infini, des crises de paludisme, de la poussière et des parlotes... Tout le monde se retrouva enfin à Konakry, embarqua sur un vapeur miteux pour une journée à Abidjan en Côte-d'Ivoire, puis des séjours un peu plus longs sinon plus instructifs à Accra sur la Gold Coast, à Lomé au Togo et à Lagos au Nigeria. Le sommet de la mission se joua le 18 mai à Freetown, en Sierra Leone, où une conférence plénière devait décider de l'implantation d'un bureau d'épidémiologie dans l'île de Gorée. Mais c'était compter sans les rivalités politiques, les susceptibilités nationales et les égoïs-mes de tous poils. Anglais et Français se chamaillèrent pour ne pas changer. Le délégué sud-africain préféra les positions politiques de principe aux modalités concrètes de surveillance des épidémies. Chacun resta sur ses positions. Et les congressistes embarquèrent sur le premier paquebot en partance.



Le 9 juin, le steamer Eubée arriva à La Rochelle.

Les archives de la S.D.N. ne conservent aucun rapport de Louis Destouches sur son périple africain, pour la raison la plus simple du monde : il n'écrivit aucun rapport, il traita avec la plus parfaite désinvolture les obligations administratives et rédactionnelles de sa mission. Le 19 juin à Paris, devant la T session du Comité d'hygiène, il se contenta d'informer oralement ses collègues des résultats passablement décevants de cette tournée.

Comme l'année précédente avec les autres médecins échangistes, celle-ci se poursuivit en Europe par des séjours en Hollande du 21 au 26 juillet, en Belgique du 26 juillet au 1er août, en France et en Suisse jusqu'au 10 août. Le 25 août à Genève, au palais des Nations, une table ronde consacrée à l'assurance sociale dans ses rapports avec l'hygiène vint clore cette mission...

Et l'été 1926 s'acheva qui avait vu, à Weimar, le triomphe d'Adolf Hitler au premier congrès du Parti national-socialiste et, un peu partout dans le monde, des suicides ou d'irréparables chagrins à l'annonce de la mort du plus beau séducteur gominé (à la virilité incertainE) de toute l'histoire du cinéma : Rudolph Valentino.

Pour Louis, tout était simple. Hitler, connais pas ! Valentino non plus ! Et de la S.D.N., il ne voulait plus rien savoir. Il en avait son compte des verbiages, des radotages et des papotages. Surtout, il en avait assez de ce qui devenait pour lui une routine. Et voilà l'essentiel. De son travail au Bureau d'hygiène, il lui semblait désormais qu'il avait fait le tour. Il n'avait plus aucune surprise, aucun espoir à en attendre. Trop pressé par la vie, il devait songer déjà à ce qu'il ferait à l'expiration de son contrat, à la fin de l'année

1927.

Mais s'il en avait assez de la S.D.N., il est juste de dire que la S.D.N. devait commencer à son tour à en avoir assez de lui. La bienveillance de Ludwig Rajchman ne pouvait éternellement le protéger. Comment Louis Destouches le réfractaire, le désordonné, qui répugnait à rédiger d'élémentaires rapports consécutifs aux missions dont il était chargé, qui ne devait guère se cacher pour témoigner à ses confrères ou à ses supérieurs le dédain moqueur qu'ils lui inspiraient, n'aurait-il pas été considéré assez vite comme persona non grata par les responsables du Bureau d'hygiène ? Sa vie privée était par ailleurs un peu trop voyante pour le bon goût et le sens de la mesure des diplomates et fonctionnaires en poste. On jasait sur son train de vie disproportionné, sur ses dettes laissées un peu partout, sur ses réceptions voyantes où la décence ne triomphait pas systématiquement, sur son beau cabriolet neuf, sur l'utilisation abusive qu'il faisait du crédit et du nom de la Société des Nations.

Comment se débarrasser de lui ? Par deux moyens fort simples. D'abord en le laissant systématiquement sur la touche. En convenant ensuite avec lui, de gré à gré, d'un congé maladie de longue durée (les crises de paludisme dont il souffrait fournissaient un prétexte rêvé), jusqu'à la fin de son contrat. Ce qui sera pratiquement conclu en juin 1927, au moment où il retrouvera Paris et sa propre indépendance, pour les derniers six mois de son engagement.








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Louis-Ferdinand Destouches
(1894 - 1961)
 
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