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Louis-Ferdinand Destouches

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CELINE ENFIN LE 15 OCTOBRE 1932...


Poésie / Poémes d'Louis-Ferdinand Destouches





Le médecin s'amuse



Louis Destouches, 1929... Il venait donc de déménager pour s'installer à Montmartre et très vite il se lia à de nouveaux amis, des relations fugitives, des peintres, des artistes, des fantaisistes qui l'entraînèrent dans de pittoresques débordements. Le médecin s'amusait...

Mais au dispensaire de Clichy, il continua d'assurer sa vacation quotidienne. Il entra par ailleurs comme chercheur dans un nouveau laboratoire pharmaceutique. Il trouva aussi de nombreux prétextes pour s'absenter ; Ludwig Rajchman et la Société des Nations lui subventionnèrent plusieurs voyages d'étude aux quatre coins de l'Europe. Le médecin exerçait... . Le médecin écrivait aussi. C'était son activité la plus secrète, la plus importante sans nul doute à ses yeux. Voyage au bout de la nuit s'élabora ainsi, à partir de 1929, par à-coups, poussées de fièvre, rédaction rageuse, repentirs, heures volées à la nuit, aux malades, au dispensaire. Les pages s'accumulaient...



En avril 1932, tout était fini, rédigé, dactylographié. Le médecin pouvait se mettre en quête d'un éditeur. Le médecin publiait. C'était le dernier acte qui se jouait avant la naissance officielle de Céline le 15 octobre 1932, date de la mise en vente du volume.



1929-1932... Durant ces trois années, Louis Destouches continue ainsi de nous apparaître comme un homme partagé. Les portraits que ses proches nous en donnent concordent parfois difficilement/ L'homme est si contradictoire ou, si l'on préfère, si secret ! Un seul mot permet peut-être de relier les images diverses qu'il présente : le mot de curiosité. Cette curiosité qu'il met à explorer les arcanes de la société, ses coulisses, ses délaissés, ses marginaux. Cette curiosité médicale aussi qui l'entraîne d'un pays à l'autre, d'un malade à l'autre, hygiéniste passionné soucieux d'une médecine sociale véritablement novatrice. Cette curiosité littéraire enfin qui le pousse à défricher, sans qu'il s'en rende tout à fait compte peut-être, de nouveaux territoires romanesques. ^

Mais il y a d'abord le médecin et la société, le médecin dans sa vie privée, le médecin et ses distractions...



En août 1929 donc, chassé de Clichy par les punaises de l'immeuble et l'ennui de la banlieue, Louis et Elizabeth s'installèrent au 98 rue Lepic, à Montmartre. Un petit immeuble moderne et déjà vétusté, dont la façade sur rue, au débouché de la rue Girardon, sur les hauteurs de la butte, avait une allure plutôt triste, avec sa façade blanc crème percée de deux fenêtres seulement par étage, sans la moindre fantaisie architecturale, semblable un peu à une grange qui aurait été convertie en immeuble d'habitation. Leur logement était au troisième, au fond de la cour, sous les toits. Un cadre pour la Vie de bohème, loin déjà des rumeurs de la ville et de la rue, avec Paris déployé sous leurs yeux.

L'aménagement intérieur ? « Décor bourgeois, style médecin de campagne, curé peut-être ? Table rustique, armoires bretonnes encaustiquées, luisantes, fauteuils de style, large divan, haut paravent tapisserie, des carpettes bien disposées au sol, au mur un petit pastel de danseuse signé Degas, deux ou trois bricoles décoratives et, à travers la baie du studio, la vue sur Paris l... Ah ! Paris !... Paris et son ciel1 !... »

Louis ne quittera pour ainsi dire plus Montmartre jusqu'en juin 1944, sa fuite et la fin d'une guerre, la fin d'un monde - Montmartre qui n'était déjà plus le village des peintres, des cabarets et des filles, aux accents de Bruant, à l'enseigne du « Chat Noir » et aux toiles de Toulouse-Lautrec, mais qui se protégeait encore de l'effarante ruée de l'après-guerre, des autocars du monde entier, des boutiques de souvenirs, des restaurants graillonneux pour touristes et de la place du Tertre entartrée de peùure&ianommables... Et désormais les amis de Céline, Gen Paul, Daragn§sVSlarcel Aymçtet les autres, ce seront les amis de Montmartre, les voisins, les complices, un peu à l'écart de la ville, du brouhaha des Grands Boulevards, du désordre interlope de Pigalle et de la sérénité bourgeoise de la rue Caulaincourt. La géographie parisienne de Céline allait trouver là son centre. Son point d'observation aussi. L'Occupation, il la contemplera de Montmartre. Comme les bombardements alliés sur Paris et sa banlieue en 1944. Et pour symboliser dans son délire apocalyptique et littéraire la destruction de la ville, il imaginera dans Féerie pour une autre fois la butte Montmartre s'écroulant, s'effondrant sur elle-même, ses trous, ses carrières, rongée par les mites, assommée par les bombes, effacée par le temps. Quittant Montmartre, il la détruira d'un trait de plume, comme si rien ne devait plus rester debout derrière lui.



Mais en 1929 c'était le temps de la découverte, il y entraîna Elizabeth dans la sarabande de leur liaison à éclipses, orageuse, passionnée, distante, amusée, féroce, où les éclats de voix étaient entre eux plus fréquents que les tendres chuchotements.

Étrange liaison à y bien réfléchir, où la formidable et candide vitalité d'Elizabeth s'opposait à la désespérance sarcastique de Louis. Elle satisfaisait en lui la part des rêves, l'insouciance inaccessible d'un autre monde - un monde sans le poids du péché, sans le carcan de la morale, on l'a dit. Il l'aimait et il l'observait. Il ne lui demandait aucune fidélité. Au contraire. « Elle n'accorde ses faveurs qu'aux vieux amis et aux jeunes amies de Louis, si ça amuse Louis... Ça l'amuse souvent... Elle ne tromperait pas Louis pour un Empire ! Dans les compétitions où il la présente elle aime jouxter avec les "petits cotres", tendres brunettes, dont la taille et la beauté contrastent avec la sienne. Mais elle ne se départ jamais de sa dignité de fier trois-mâts toutes voiles dehors, quitte à saborder à l'arrivée devant tout le jury ébahi si celui-ci émet quelques doutes sur la qualité de cette course au bonheur2... »

Elle, de son côté, n'en finissait pas de s'étonner de ce médecin étrange, aux yeux si clairs et aux pensées si sombres, qui l'entraînait dans des soirées où la fantaisie triomphait sans trop de mal de la vertu, parmi des peintres, des cocottes, des chansonniers, des comédiens, des traîne-patins, des noceurs fatigués et des cinéastes pétulants. Ou bien alors, rue Lepic, tandis qu'il écrivait, elle se laissait tendrement tenir compagnie par les proches de Louis, Marcel Brochard en tête.

Mais parfois, Louis n'en pouvait plus. Il ne s'amusait plus. Il se fatiguait d'observer. Sa lucidité le renfermait sur lui-même. Il écrivait. Il souffrait de maux de tête répétés. Comme toujours. Il voulait être seul. Elizabeth l'exaspérait. Le monde entier l'exaspérait. Ses hallucinations auditives l'entraînaient dans d'immenses colères que l'écriture, parfois, tentait d'exprimer, de soulager. Et quelques heures plus tard, la douleur s'apaisait comme une mer qui se retire. Elizabeth était là. Échouée. Malheureuse. Il la retrouvait. Elle lui était indispensable.

Mais plus frivole bien sûr, plus insouciante, d'une sensualité rayonnante qui ne lui imposait pas, dans ses choix et ses figures erotiques, une stricte détermination du sexe de ses partenaires, Elizabeth commençait à se lasser. Elle repartait chaque année en Amérique. De plus en plus longtemps. Elle cherchait d'autres distractions. Ou un port où pouvoir relâcher pour la vie, à l'abri des tempêtes. Les voyages au bout de la nuit n'étaient pas faits pour elle.

A Paris, elle avait repris ses cours de danse. Elle suivait les leçons de Mme Egorova, rue Rochechouart. Elle y rencontra au tout début des années trente une danseuse danoise, brune, grande, élancée, aux yeux bleu clair, âgée de vingt-sept ans, issue d'une riche famille de Copenhague, qui dansait un peu partout pour des spectacles de variétés, à Berlin ou New York, Chicago, Copenhague ou Paris, et qui répondait au joli nom de Karen Marie Jensen. Cette jeune femme, elle l'aima aussitôt, elle la présenta à Louis en février 1931, et ils formèrent bientôt comme un étrange trio de complicité sensuelle, d'attente, d'équivoque et de jalousie plus ou moins déguisée. B n'est pas douteux que le charme de Louis opéra sur Karen. Celle-ci contribua-t-elle à évincer Elizabeth, lui suggéra-t-elle d'abandonner Louis et de retourner pour toujours en Amérique ? Il est difficile de percer la pénombre des âmes.



Louis de toute façon ne percevait aucune de ces manouvres. « Je suis tout à fait Français en ce sens que ces infinies variantes autour du bien banal et impérieux instinct de la reproduction m'ont toujours semblé de parfaites furies - J'ai vécu dans Priape toute ma vie, soit maquereau, soit mécène et toujours à la rigolade ! Le tragique du cul ne m'apparaît point sauf pour les maladies et les grossesses - mais pour le reste je lui donne comme Lénine l'importance d'un "très précieux stimulant biologique". Rien de plus - Rien de moins - Dépourvu de toute jalousie, don-juanisme, sadisme etc. je n'ai jamais eu d'enthousiasme que pour la beauté des formes, la fluidité, la jeunesse, la grâce -... En bref je suis cochon 1 Et je consomme peu hélas, concentré comme je suis sur mon terrible boulot. Si sérieux - malgré moi- scrupuleux - féroce à ma tâche - J'ai toujours aimé que les femmes soient belles et lesbiennes-Bien appréciables à regarder et ne me fatiguant point de leurs appels sexuels ! Qu'elles se régalent, se branlent, se dévorent - moi voyeur-cela me chaut ! et parfaitement ! et depuis toujours ! Voyeur certes et enthousiaste consommateur un petit peu mais bien discret3 !... »

A peu près à l'époque de son déménagement, Louis Destouches fit la connaissance d'Henri Mahé. Germaine Constans, par l'entremise d'Aimée Barancy, journaliste à l'Intransigeant, les avait présentés l'un à l'autre. Une sacrée figure que celle de ce peintre breton, hâbleur, fantaisiste, truculent, qui fréquentait plus volontiers le demi-monde ou les marginaux de tous poils, les proxénètes, les putains, les artistes, les maquerelles, les chanteurs et les écrivains que les clients comme il faut ! Avec sa femme Maggy, la nièce d'un professeur de piano de Rennes que connaissait bien Edith Follet, il habitait sur une péniche, la Malamoa, d'abord amarrée à Croissy-sur-Seine puis quai de Bourbon dans l'île Saint-Louis, avant de se retrouver, chassé par la police fluviale, au bord du quai des Tuileries. Mahé travailla comme décorateur pour certains films d'Abel Gance, fut chargé avec beaucoup d'autres peintres de l'aménagement du paquebot Normandie. Louis, plus modestement, lui commanda une « fresque nautique » pour sa salle de bains de la rue Lepic ! Parmi les titres de gloire de Mahé figurent encore les peintures murales du « Balajo » de la rue de Lappe et la décoration du cinéma « Rex » du boulevard Poissonnière (inauguré le jour de l'échec de Céline au GoncourT). Mais Mahé la grande gueule, dit « Riton-la-Barbouille », qui allait bientôt puiser son inspiration davantage au fond des bouteilles d'alcool que des godets de peinture, s'était fait surtout une spécialité dans la décoration des bordels et autres « maisons de société ». Le « Sphinx » de la rue Montparnasse, le « Joubert » de la rue Joubert, le « Charonne's Hôtel » refuge du Milieu ou le « 31 cité d'Antin », c'était lui. Autant dire qu'il y bénéficia par la suite de ses petites entrées pour ses grandes sorties.



Selon Germaine Constans, « Henri Mahé avait un vocabulaire qui ne pouvait que plaire au docteur Destouches. Ils devaient se rencontrer. Us avaient une façon similaire de penser. C'étaient des Vikings, incompréhensibles pour nous, petits Méridionaux. Henri ne boira que beaucoup plus tard. Leurs affinités et leur complicité n'empêchaient pas d'exister entre eux une certaine rivalité d'artistes. Dès que Louis entrait dans une bande, il voulait l'animer. Les familiers de la Malamoa ? Marie Dubas, Eliane Tayar et Nane Germon, Roger Lécuyer, "expert en poésie et en cuisine", Beby et Antonet, Emmanuel Auricoste... les dimanches de la Malamoa, c'était nos jeudis enfantins. On revenait aphone de Bougival, à force d'avoir chanté, dans l'autobus de Saint-Germain4. »

Sur la péniche défilaient parfois de bien jolies femmes et de bien douteux messieurs. Roger Lécuyer, le poète-épicier, se souvenait de son côté des autres amis occasionnels de Mahé : Paul Belmondo, Maurice Cloche, Francis Carco, Mistinguett, Georges Simenon ou les Fratellini. « Henri organisait des bals costumés. Louis Destouches déclarait être le vampire de Dûsseldorf à une Isabeau de Bavière puis entonnait à tue-tête un chant révolutionnaire américain. Edmond Heuzé jouait de l'accordéon. Je chantais "les Beaux Dimanches" qui évoquaient à Louis la vie de province. On repartait à l'aube, aphones, par le tramway5. »

Et Mahé se rappelait les nuits du quai des Tuileries quand, à la lueur pâle des réverbères, se livraient derrière les arbres les tours de cache-cache et de passe-passe d'une prostitution à la sauvette, vite faite, mal faite et bien observée par les voyeurs en maraude. Quand la police des mours débarquait, ces dames affolées se réfugiaient sur la péniche la plus proche6.

Cette fameuse péniche d'Henri Mahé, on allait la retrouver bientôt dans Voyage au bout de la nuit, nouveau refuge providentiel et provisoire de Bardamu, Robinson et Madelon, en pleine campagne, une péniche bien propre, pimpante, avec de la nourriture sur la table, les tableaux du patron sur les murs, des airs d'accordéon, de la fête et de la franche gaieté7.

Entre Louis Destouches et Henri Mahé, le Normand et le Breton, il y avait bien sûr cette même jubilation ironique et curieuse à arpenter les bas-côtés de la société, ce côté bambocheur un peu voyou, un peu canaille, un peu artiste, mais tout cela très prudemment, sans trop prendre le large, juste pour voir, pour se donner des frissons, au moindre prix. Mais il y avait surtout ce même appel insatisfait des grands espaces, des bateaux, de la mer, des océans. Une péniche, pour Mahé, ce n'était encore rien, juste un ersatz pour tromper son rêve comme on trompe sa faim. Louis aimait de son côté revenir en Bretagne pour un oui ou un non, un prétexte. Il aimait les mouvements des ports, les remorqueurs, les côtes de granit, l'odeur iodée des algues et des embruns. A Saint-Malo ou ailleurs, Louis et Henri allaient se retrouver au cours des années. Le voilà, au fond, leur seul véritable terrain d'entente.

Parlaient-ils des femmes entre eux, discutaient-ils de leurs mérites respectifs, de leur beauté, de leurs promesses ? Les métaphores maritimes s'imposaient. « Ainsi une fille prometteuse était un "petit cotre" et dès que nous en apercevions un dans la rue nous filions cap dessus ; dût-il naviguer au plus près d'une grosse "belle baille", la maman, nous sautions à l'abordage !(...) 14,15 ans ? C'étaient nos goélettes ! Là, il fallait serrer le vent ! Annoncer le fret ! La visite de la péniche (...) Enfin ! Passé 20 ans, longues jambes, c'étaient nos trois mâts8. »



Mais tout cela, les rencontres avec Mahé, les nuits de la Malamoa, les trois-mâts à l'abordage et les débauches du petit jour constituaient des intermèdes plutôt rares dans la vie de Louis Destouches. Il demandait à voir. Il voyait. Il ne demandait alors qu'à tourner la page. U travaillait surtout.

Elizabeth, il l'entraînait au cinéma, sur les Grands Boulevards. Immanquablement il partait avant la fin comme toujours. Il comprenait trop vite. Autrement dit il s'ennuyait. Les opérettes, les ballets le retenaient plus volontiers. Au moins il y avait la danse, les danseuses, une sorte de réalité enchantée et tangible à se mettre sous les yeux, pour y arrimer ses rêves, une heure ou deux durant. Et il y avait le théâtre enfin, auquel il avait tant songé en écrivant l'Église et Progrès.

En novembre 1929, Louis correspondit avec Charles Dullin, son voisin de Montmartre, dont il suivait les spectacles et les mises en scène. Celui-ci avait-il songé à monter l'Église ? En tout cas, au moment où Louis renonçait lui-même à une carrière d'auteur dramatique et à ses deux ouvrages trop immobiles, au moment où il lançait le prodigieux mouvement romanesque de Voyage au bout de la nuit, une lettre comme celle-ci qu'il adressait à Dullin pour définir à ses yeux les critères d'une bonne pièce de théâtre nous paraît particulièrement frappante. Il parle de théâtre en effet et nous pensons à ses romans : «... il faut, me semble-t-il, après tout, préférer celles qui vont quelque part. Le monde, bien qu'on en dise, va quelque part, il a l'air seulement de se mordre la queue. Les vraies bonnes pièces vont quelque part. Où ? Vers l'avenir du monde et c'est leur rôle. Presque tout Shakespeare va quelque part, c'est un feu d'artifice, une délivrance. C'est ça : une bonne pièce doit être une délivrance9. »

Les années passaient donc et Colette grandissait. Neuf ans, dix ans bientôt en 1930. Louis la voyait peu, il y pensait souvent. Sa fille lui ressemblait étonnamment, le même regard clair, le front haut, les lèvres fines et le nez un peu fort. Il tenait, malgré l'aisance des Follet, à lui verser une pension alimentaire. Le sens strict du devoir, toujours, à sa façon. Apprenait-il que Colette était souffrante, il prenait le premier train pour Rennes afin de se rassurer, la consoler, surveiller la qualité des soins qui lui étaient prodigués. Parfois, il la prenait avec lui à Paris, pour quelques jours, une semaine ou deux, quand il voulait. Edith n'y faisait pas obstacle. Elle venait même la lui conduire. Elle avait le temps d'apercevoir une jeune femme rousse, élancée, un peu nerveuse, qui lui souriait, la tutoyait avec un parfait naturel. C'était Elizabeth Craig. Et quelques jours plus tard, le temps des vacances passé, Colette retrouvait le chemin de Rennes, de l'école et de la bonne société. Elizabeth Craig, parfois, la ramenait chez sa mère.

« Louis aurait bien voulu que Colette devienne danseuse, reconnaît Edith Follet, mais dans ce temps-là, ça ne se faisait pas du tout, on aurait vu ça d'un très mauvais oil en province... Elizabeth Craig ? Elle était fine et ronde en même temps, elle avait sur la tête un monument de cheveux roux, elle n'était peut-être pas une très jolie femme mais elle était pleine de charme, très bien10. »

Mais on ne se lassera pas de le répéter : cette vie parisienne de Louis Destouches, ses distractions, Henri Mahé et les autres, l'opérette, le théâtre, Dullin et le cinéma, ce n'était rien, juste l'écume des jours et des nuits, une curiosité, un bouillon de culture que Louis Destouches entretenait, observait, comme pour de futures expériences littéraires et humaines. Quoi qu'il en dise, quoi qu'on affirme, il n'avait rien d'un jouisseur. Il ne savait pas. Il n'avait pas le temps. Ni la tranquillité d'âme pour cela. Il lui fallait d'abord courir. Travailler. Écrire. Soigner. Pourchasser la vérité d'une souffrance à l'autre. Observer les convulsions les plus secrètes des hommes. S'inventer des histoires, des dérives et des délires. Hurler sa révolte contre la mort, d'une page à l'autre. Sans illusion ni réconfort.





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Louis-Ferdinand Destouches
(1894 - 1961)
 
  Louis-Ferdinand Destouches - Portrait  
 
Portrait de Louis-Ferdinand Destouches
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