Louis Aragon |
Ah chien et loup du soir Un Paris d'entresols Referme ses tiroirs et reprend son chapeau C'est l'heure las§e où la poudre de riz s'envole Qui masque la sueur dans les plis de la peau Un coup d'oil aux miroirs vaguement se console Le poème va-t-il avoir d'autres héros Tout un peuple hâtif se bouscule et se croise Où s'en vont vos regards debout dans le métro Femme peinte de lait homme au menton d'ardoise C'est l'heure où le hasard rentre de son bureau Les autos s'arrêtaient aux feux rouges L'automne Entre ses doigts battait les cartes de son jeu Que de gens que de gens qui souhaitaient maldonne Et tout recommencer avant d'être chez eux Mais le vent a rouvert les chemins monotones Et tout reprit son cours sifflant un air connu Des cafés éblouis sortaient les voyous blêmes Des lampadaires neufs flambaient les avenues On voyait s'allumer au front des H.B.M. De blancs oillets tremblant comme une fille nue La ville à ce boucan que des ombres escortent Éventail des vélomoteurs développé Scande sur les pavés de son cour à ses portes La polka des blousons de cuir aux bras crispés Le souffle en fait au loin tourner les feuilles mortes Lorsque le bruit retombe il semble que vraiment Le silence pareil au parfum de la rose Pareil à l'eau profonde et pure du moment Tout à coup le silence est une étrange chose On dirait le partir soudain de deux amants Quartiers déserts que tout réveille et que tout berce Entre ces bâtiments le ciel est à l'étroit Et le bariolage atroce du commerce Cerne la place vide où caracole un roi On n'entend plus qu'au loin des pas qui se dispersent Des pas s'en vont des pas s'en vont le long des quais Et des chansons et des chansons se sont éteintes On n'entend plus ce rire au loin qui se moquait Un ronron de moteur une porte une plainte L'ombre étouffe et confond les sanglots les hoquets Il y a beaucoup de gens qui vont au théâtre Les Messieurs au vestiaire ont mis leur pardessus Ce soir pour le programme il a fallu se battre J'aurais choisi l'autre chapeau si j'avais su Tu as les billets Fauteuils cent deux et cent quatre Qui mène aux accoudoirs ce monde incognito Le simple ennui la mode ou la pièce peut-être Le Jean-Jacques Gautier était mauvais plutôt Le désir d'oublier le désir de paraître Madame aura voulu montrer son beau manteau Allons pour quelque temps ils vont prêter leur âme Épouser cette histoire et ses péripéties On verra dans leurs yeux se peindre un même drame Sortons Celui que je cherche est ailleurs qu'ici Au carrefour Montmartre à reluquer des femmes Ses cheveux sont frisés 11 rêve à l'Algérie Il fait un carton dans un tir du boulevard Il s'arrête un instant dans une brasserie A moins qu'il ne se soit assis dans un Milk-Bar Pour rouler dans ses doigts la rangaine du gris Ou bien c'est la kermesse et sa tête de laine S'appuie à l'appareil qu'il écoute debout 11 a pour la musique un attrait de phalène Pour lui cette chanson semble être un rendez-vous Ce qu'il aime cet air qui dit Plaine ma plaine Et dans ses yeux mi-clos se lèvent des palmiers Le petit âne a la couleur de la colline Ma mère avait les yeux plus noirs que les ramiers L'eau petitement coule où la tuile l'incline Mon enfance revient dans ses pas coutumiers Plaine ma plaine où toute lumière est si vive Qu'elle brûle son ombre étroite à l'olivier Et la vie a le goût et le feu de l'olive Ô fellahs c'est ce paysage où vous viviez En ces temps sans expédition punitive Plaine ma plaine où le nuage est un passant Plaine sans pluie un jour où tomba la colère Et depuis ce jour-là dans le village absent Monte l'odeur du chaume et des chairs qui brûlèrent Et la terre altérée appelle un autre sang Les phonos tournent sous des lampes de couleur Dans le Pathé-Kermesse énorme et murmurant Il a rouvert ses yeux comme des figues-fleurs À tous les appareils chante un air différent Il a rouvert ses yeux plus noirs que la douleur Pour suivre ces soldats éloignons-nous de lui Qui vont se bousculant un calot sur l'oreille Et plus ils parlent fort plus profonde est la nuit La Trinité passée et plus ils ont sommeil Il commence à tomber une petite pluie Ces vers nous ont conduit du côté de Pigalle En retienne chacun ce qu'il a le mieux lu Je vous tends le miroir illégal ou légal C'est vous qui choisissez moi je n'en sais pas plus Si vous vous trouvez laids voilà qui m'est égal Belle écuyère allons vite à califourchon Les étrangers sont là Toutes la jambe en l'air En avant la musique et sautent les bouchons Ladies et Gentlemen on ne veut que vous plaire Aimez-vous le strip-tease ou le ciné-cochon Salut à toi Laurec nain génial et triste Dont l'art triomphe ici jusqu'au petit matin Danseuses pressez-vous et pressez-vous choristes Arrivez arrivez Paris fait sa catin Voici venir les cars qui portent les touristes II Rappelez-vous ce que de Londres dit Shelley Hell is a city much like London There are ail sorts of people undone And there is little or no fun done Il faut rendre à Paris ce qu'à Londres l'on donne Comme Londres Paris est un enfer à clefs Cette citation vous le voyez me plaît Ville tu ressembles diablement à l'enfer Ce n'est pas le feu qui manque ou le mal à faire On rencontre des damnés partout dans la rue Les voilà réduits à la portion congrue Ils ont vendu leur âme et quant à leur amour C'est une marchandise ici qui n'a pas cours La force est à vil prix l'homme à donation On solde les héros les cieux les passions On solde les yeux purs les songes les promesses Paris mon beau Paris ne vaut plus une messe On solde on solde l'avenir et le passé Et puis prenez mon cour si ce n'est pas assez La boue et la sueur les larmes et les rires Vous trouverez, ici ce qu'il faut pour décrire Et la déconfiture et les abaissements Et l'odeur à tomber dont on fait les romans L'encre des quotidiens nous tient lieu de cervelle Car c'est vivre pour nous que lire les nouvelles La réclame aux balcons accroche ses panneaux Salit la vue et l'autobus et les journaux Mané Thécel Phares au néon de nos murs Une épouvante épelle un pâle Shell-Azur L'archange de l'épée a cadoriciné Biceps et seins géants I'Épinal des cinés Tout se couvre de dieux sexy sur isorel Sauf l'emplacement réservé pour Rasurel Tout jusqu'à notre corps au commerce est loué D'une lèpre d'argent nous sommes tatoués Wagram est un secteur le scandale une gaine Madame a les cheveux mauves de Van Dongen Tout est préfabriqué le rêve et le manger On trouvera son bonheur aux Arts-Ménagers O pool-charbon-acier Bénélux Euratom Nous peuplons le vacarme avec des mots fantômes Et nous acclimatons sur les Champs-Elysées Doucement l'horreur en salle climatisée De suspense en suspense et d'image en image Le meurtre grimaçant imprime son grimage Nous entrons aux replis du crime d'Attila Aux perceurs de plafonds et nous sortons de là Avec le seul regret que le sang soit fictif Télévisez-nous la mort prise sur le vif Nos sens sont émoussés de couleurs et de bruits C'est peu que le relief il nous faut dans la nuit Sentir sur nous les mains assassines qui frôlent Et saveurs et parfums viennent jouer leur rôle Tout spectacle pourtant nous demeure enfantin Sans le sixième sens et le dernier instinct La souffrance qui fait en nous ses fleurs éclore Qu'on nous donne enfin des films en techni-dolor Vite le multiplex hurlant des agonies On demande une guerre et que tout soit fini Allons du calme il faut tout regarder en face De fond en comble ensemble il faut que l'on refasse Même l'enfer même la nuit patiemment Patiemment ensemble et du commencement |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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