Louis Aragon |
Si je cessais de vous raconter cette ancienne histoire éteinte Si j'avouais tout simplement ce que pour moi fut aujourd'hui Si ce qui ne pourra jamais passer ma bouche avec mes plaintes Allait un moment vous ouvrir le panorama de ma nuit Parfois j'ai le regret de la guerre avec son parfum d'absinthe La guerre c'est la guerre allez qu'on la nomme ou non de ce nom La guerre mais la vie a-t-elle été rien d'autre que la guerre Tuer moins qu'à la guerre est-il la règle en cette vie ou non Habituelle violence et pour finir un trou grégaire Dites voir quel fossoyeur vous plaît mieux de l'homme ou du canon Laissez-moi Je voudrais tant arriver au bout de ce poème Je suis comme un cheval qu'on chasse avec le fouet hors du chemin Je tords mes pieds dans les cailloux je trébuche à tous les problèmes Je m'embourbe aux tâches du jour désespérant du lendemain Et le pis est qu'à tous les pas je heurte contre ce que j'aime Laissez-moi Je sais bien que ce n'est pas tellement important Un poème de plus ou de moins et qu'ici le chant s'arrête Ou là puisqu'un jour ou l'autre il faudra qu'il s'arrête pourtant Chacun me tire par la manche exige un instant et me traite Comme un qui manque à ses devoirs lorsqu'il lui refuse son temps Laissez-moi Pourquoi me jetez-vous l'un après l'autre la pierre Pourquoi faut-il toujours discuter tout remettre en question Est-ce que je ne connaîtrai la paix que dans le cimetière Est-ce que vous me poursuivrez jusqu'à ce dernier bastion Est-ce que seul je n'ai pas le droit de m'asseoir dans ma poussière D'écouter mon cour de laisser ma tête aller aux rêveries Est-ce que seul je n'ai pas le droit d'avoir en moi ma douleur D'être distrait à cause d'elle au milieu du monde proscrit Est-ce que seul il m'est interdit d'oublier la date et l'heure Et de laisser chanter en moi ce vieil orgue de Barbarie Mais tout à coup qu'est-ce que c'est qu'est-ce que c'est que cette peine Et le temps ensemble a figé les deux aiguilles de midi Qu'est-ce que c'est qu'est-ce que c'est que cette halte surhumaine Allez va-z-y la mécanique allez va-z-y la mélodie Allez Reprends en main ton cour ton chant tu es vieux le temps passe Au-dehors il faisait un froid exceptionnel ces jours-ci Tout a gémi sous le poids de la neige et l'haleine des glaces Et peut-être qu'en toi comme aux lauriers les feuilles ont noirci Ne compte pas trop sur l'été qui vient Reprends ton âme lasse Reprends sans discuter ta strophe Avance Avance je te dis Allez va-z-y la mélodie allez va-z-y la mécanique Le drame des Guatemala comme ta propre tragédie Entre à tout bout de champ dans ton poème y semant la panique Allez va-z-y la mécanique allez va-z-y la mélodie Écoute c'est un air très ancien Comme un battement de porte Au loin comme un bruit de robe sur le balcon comme un écho Dans la campagne Au fond de toi le souffle dur de ton aorte Laisse les jeunes gens hausser l'épaule et rire aux vers égaux Et même à coups de canne disperser au vent tes feuilles mortes Qu'importe II te faudra chanter jusqu'au bout dans le ciel glacé Laisse les enfants discuter sérieusement de ces choses Ton vers tu l'as ramassé jadis comme un animal blessé Laisse-les ouvrir le ventre à leurs jouets saccager les roses Je me souviens je me souviens de comment tout ça s'est passé |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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