Louis Aragon |
Or cet enfant tué dans un matin de ville A qui fut cette vie une goutte de lait Sur l'avenir allait tourner ses yeux tranquilles Songez Ce tout-petit aurait vu l'an deux mille C'était prêt à bondir le coureur au relais A quelque lieu du monde à quelque creux du songe Que le porte ce bond un jour cueilleur de fruits Poète ou laboureur soldat pêcheur d'épongés Rien que de respirer un enfant nous prolonge Et demain balbutie à ce berceau son bruit Où s'en va le regard fixe et rond Quelle affaire Occupe intensément cet oil indifférent A quel mystère ouvert à quel soleil offert Au mépris des hochets à qui la main préfère Un invisible objet idéal qu'elle prend O contraste ô faiblesse Humaine violence Qui se Ut à ces doigts vers le soleil tendus Où je ne puis aller celte chose s'élance Ce tendre oscillement ce doute qui balance Ce germe cette chair cette cire perdue Ce long étonnement ce murmure d'absence Interrogation douce à ce que je suis Petit poing d'homme à peine où s'éveillent les sens Qui tient mon pouce et serre essayant sa puissance Le lâchant tout à coup pour la mouche qu'il suit Nous sommes devant ça comme le vieil athlète Dont chaque muscle infime obéit à l'esprit Harmonieux vouloir incarné qui reflète Le travail patient la science complète Et le commandement d'un corps d'horlogerie C'est l'homme à sa limite et soudain qui s'arrête Devant un être obscur informe et maladroit Et renonce pour lui le façonne l'apprête Car il y reconnaît l'origine secrète D'une force confuse encore mais qui croît Ce champion discobole escaladeur de pics Nageur dribbleur coureur de slalom écuyer Ce batteur de records roi des efforts épiques Fait ici triompher les rapports olympiques Ainsi que celui-là que l'on vit essuyer La sueur d'un rival et bander sa cheville Afin qu'il pût courir mieux et plus loin que lui Que ton livre donnait aux garçons et aux filles Sur la montagne Eisa pour l'arc-cn-ciel où brille Le paradis prochain dans la fin de la pluie Et je vois cette aurore et que bien l'on m'entende L'Olympe illuminé de cette aurore-là Zatopek ou Pasteur comme à l'assaut des Andes Pour les bras ouvriers endiguant les Hollandes Ou l'émulation de l'art a même éclat Cette aurore aussi bien qui soi-même critique Lueur du philosophe et du mécanicien La sublime Raison que le progrès implique Qui montre ses bras purs comme une République Au dessus des charniers des royaumes anciens Oui c'est là tout d'abord la règle générale De ce cheminement vers le soleil commun L'homme le flanc percé ne cherche plus le Graal Et je vois se lever cette aurore morale Où le bonheur de tous est celui de chacun Et le dépassement de ce qui fut possible Sur un autre tremplin l'élan perpétué Le javelot volant plus haut vers d'autres cibles L'accession de l'homme aux cieux inaccessibles Et je vois tout cela dans un enfant tué Et je vois tout cela dans les enfants qui vivent On va bien loin chercher l'avenir il est là Comme un miroir qui brille au fond des eaux naïves Au cour des oliviers la couleur des olives Un parfum de glycine à l'auvent des villas L'avenir sur un manche-à-balai caracole Dessine sur le mur un bonhomme au crayon Trouble d'un bout de bois le ciel dans les rigoles Il joue à balle-pied dans la cour des écoles Et court à perdre haleine après les papillons Dans cette féerie étrange du jeune âge Où rien n'est ce qu'il est tout paraît infini A qui tout camarade est comme un grand voyage Tout oiseau l'horizon la mer tout coquillage Homme sens-tu frémir ton cour et ton génie L'enfance tout entière est écrite au futur C'est ta vie à ses pas que la terre pressent Ton joug imaginaire au cou de la nature A ses jeux tes travaux ses yeux tes aventures Femme cette poupée est ton ventre et ton sang Dans ce théâtre fou tanguant sur ses deux pôles Qu'empourpre l'équateur au solstice d'été Ah que viennent les temps où rien sur ses épaules Pour lui faire oublier sa jeunesse et son rôle A cet adolescent ne puisse être jeté Qu'il grandisse et que soient à sa semblance heureuse Les peuples tels qu'enfin nous les imaginons Qu'ils ne trouvent la nuit qu'à l'amour ténébreuse Ombreuse la forêt les lumières nombreuses Créer soit leur plaisir humanité leur nom Qu'il grandisse l'enfant du passé que l'on nomme Avenir et défie à jamais le néant Et qu'il garde à jamais cette marque de l'homme Debout dans sa bonté sur les Herculanum Le baiser de sa mère à son front de géant Qu'il grandisse l'enfant Avenir qu'il grandisse Et s'élève en sa voix d'éphèbe le plain-chant De ce qu'on étouffa dans le profond jadis Et que noya la mer avec ses villes d'Ys Et la grande douleur qu'il y eut en PArchant Qu'il grandisse l'enfant qu'aux murmures d'Irlande Tristan de Léonnois ne vit Yseut bercer De leurs cercueils couplés monte au cour de la lande Au-dessus des genêts triomphe de guirlandes Le haut parfum de chair des amours traversées Qu'il grandisse l'enfant du songe et des colères Et l'appel massacré des vieilles Jacqueries Et pour Jeanne à Rouen que les Goddons brûlèrent Comme à ces insurgés qui ramaient aux galères Il soit au grand soleil délivrance du cri Qu'il grandisse l'enfant conçu dans les tempêtes Sur l'horreur des récifs revanche imaginée Ce sourire d'exil ce sanglot des conquêtes Cette épave de ciel ce jouet des défaites Le fils de la famine et des jours condamnés A peine abandonnant cette enfance fragile Dont la pudeur encore embue un front rêvant Te voilà donc jeune homme et tes membres agiles La force qui modèle à peine ton argile Ton souffle ta chaleur et tes cheveux vivants Te voilà donc dressé de toute ton allonge Calculant ton élan sa courbe aux eaux blessées Dans le ruissellement de ce monde où tu plonges Savon filant au bain qu'il colore d'axonge D'un coup de reins tu prends ton crawl éclaboussé Noël Noël tu semblés naître à chaque brasse Au grand éclair d'argent du coude à chaque fois Noël Noël comme l'aiguille et la sargasse Tu te glisses tu fuis tu surgis tu t'effaces Dans l'étoffe liquide où se trace ta voie Noël mon fils Noël qui fends de la poitrine Le temps époumonné comme un navire-obus Noël oublieras-tu ton humaine origine Noël où t'en vas-tu mon fils ma sauvagine Oublieras-tu Noël la crèche pour le but Noël je suis le feu de ta veine et ton rire Noël je suis ton corps ton plaisir et ton poing Comment mourir à moi toi qui ne peux mourir Loin de moi rien ne sert de nager et courir Tu ne peux m'échapper mon ciel mon île-au-loin |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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