Louis Aragon |
Es sont partis J'écoute mourir les pas sur la route je les suis Je demeure arrêté comme un train dans un tunnel de suie On dirait un signal interminablement dans la nuit qui sonne Personne personne personne Il me semble avoir entendu déjà quelque part cette chanson Ancienne ancienne ancienne Même quand on n'y voit goutte il faut prendre les choses comme elles sont Et nous à vingt ans devant nous qu'est-ce qu'on voyait de la route Nous qu'est-ce qu'on avait à dire somme toute J'écoute les pas mourir j'écoute Au loin mourir les jeunes gens Hélas ce n'est pas là parler par métaphore Ceux même qui ne meurent pas quelque chose en eux s'est éteint Quelque chose qui meurt en eux sans même attendre le matin Ô pâle cigarette des mots qu'étoile un dernier effort Il n'y a pas que des feux d'artifice où se brûler les doigts On se dit d'abord c'est du jeu rien n'est joli comme les flammes Et comme les autres d'abord on croyait faire ce qu'on doit Le diable ne rend pas leur jeunesse à ceux dont il a pris l'âme Ceux qui s'en reviennent flétris et ceux qui n'en reviennent pas Nous aussi nous avons appris à vingt ans à marquer le pas Il y a pour vous jeunes gens toujours une guerre où partir Partir on se dit c'est partir et peu nous importe comment Puisque aussi bien vivre ou mourir l'un comme l'autre n'a do sens Il s'agit d'être ivre ou courir ce monde cruel et dément Moi la démence dans les mots m'y paraissait une innocence Et je comprends ceux qui se font une bouche d'obscurité Ils sont à leur tour aujourd'hui ce qu'hier nous avons été Il y a pour vous jeunes gens toujours une guerre où partir Une bonne fois éprouver comme à la nage sa folie Aller jusqu'au bout de sa force aussi loin qu'on peut dans la mer Comme on découvre le plaisir comme on s'y plonge et s'y oublie Faire encore une fois l'amour quitte à mourir de le refaire Honte à qui trouve sa limite à qui sa limite suffit Prudemment qui reprend sa mise et qui décline le défi Il y a pour vous jeunes gens toujours une guerre où partir Tout était pour vous un grand rire au seuil d'un pays inconnu Vous portiez en vous ce pouvoir que les yeux ne peuvent pas voir Vous aviez l'âge triomphant qui marque tout de son pied nu Ce soleil du dedans de vous à vos gestes mettait sa gloire Les murs sont faits pour les sauter On ne court jamais assez loin Quand on en brise les miroirs la belle couleur qu'ont les poings Il y a pour vous jeunes gens toujours une guerre où partir Quand le soir vient sur vous avec la mémoire du jour qui fut Que vous vous asseyez pesamment dans vos jambes sur la terre Ce sable dans votre gorge est-ce bien l'orgueil de vos refus Qu'est-ce qui vous fait le regard de ceux qui préfèrent se taire Pouvez-vous parler d'autre chose avec ce fusil dans vos mains Autour de vous la nuit mûrit profondément des mots humains Il y a pour vous cependant toujours une guerre où partir D'abord on se servait des mots comme des oufs font les jets d'eau Et puis voilà qu'ils ont pris dans la paume une chaleur vivante Nous aussi nous pensions qu'il fallait attendre courber le dos Je me souviens d'une autre guerre et voilà la guerre suivante Et bien sûr que cela fait mal ce qu'on y trouve ressemblant Et qu'il y ait entre les choses et les mots ce lien sanglant Il y a pour vous jeunes gens toujours une guerre où partir Le bien le mal qui ne sait plus les distinguer il s'étourdit Si la guerre est l'honneur de l'homme ainsi qu'on le disait naguère Pesez vos mots hommes qui naissez à l'homme Je vous le dis Eh bien faites-la mais qu'elle soit à votre honneur cette guerre Que ce soit du moins une guerre à vous Enfants de la Patrie Où l'on ne puisse entre la chose et le mot honneur faire son tri Il y a pour vous jeunes gens toujours une guerre où partir Il y a un monde à conquérir autrement que par le canon Un monde où jeter joyeusement votre gant dans la balance Un monde où l'on peut appeler toutes les choses par leur nom Il y a un monde à la taille de l'homme et de sa violence Où tous les mots de l'homme entre la vie et la mort ont choisi Je réclame dans ce monde-là la place de la poésie |
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Louis Aragon (1897 - 1982) |
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Portrait de Louis Aragon | |||||||||
BiographieLouis Aragon, que son père, un haut fonctionnaire et député, n'a jamais voulu reconnaître, montre très jeune un don pour l'écriture. Il est étudiant en médecine lorsqu'il rencontre André Breton en 1916 avec lequel il se lie d'amitié. En 1918, il publie ses premiers poèmes, puis part, en tant que médecin auxiliaire, au front des Ardennes. Son courage lui vaut d'être décoré de la Croix de Guerre. Principales oeuvresPOÈMES ET POÉSIES Citations de louis aragon |
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