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Corps et âme - Le Malfaiteur


Poésie / Poémes d'Julien Green





«Le Malfaiteur»



Commencé en 1937, ce roman fut interrompu et dormit dans les tiroirs de Julien Green jusqu'en 1955 où il fut terminé en six mois et publié, mais amputé d'une partie : La Confession de Jean, sur le conseil malheureux d'amis craignant d'y voir une provocation. Cette Confession ne paraîtra que dans l'édition définitive, plusieurs années plus tard, et rappelle combien Green avait été frappé par les cas publiés par Freud ou Have-lock Ellis - on en retrouve le ton vrai et nu.



Jean porte au jeune Gaston Dolange la même passion que le beau garçon inspire à Hedwige, mais aucune de ces amours n'est payée de retour. Gaston Dolange sait monnayer ses charmes loués dans tous les sens du terme par une antiquaire vicieuse. Le Malfaiteur, c'est Jean : il aime les trop beaux garçons, et la société bourgeoise consent à fermer les yeux tant que le scandale ne frappe pas à la porte avec le poing des policiers. Durant des années, Jean a vécu caché, puis il se confessera dans une lettre à Hedwige, qui ne peut rien comprendre, mais, aimant le même garçon que lui, s'apprête à vivre le destin misérable de la femme amoureuse d'un homme incapable de s'intéresser physiquement à elle.

L'auteur dans Sud avait vu par les yeux de son héros la tragédie de l'amour homosexuel, ici il montre aussi bien le point de vue de la femme refusée que celui de chacun des personnages, jusqu'au beau Gaston Dolange, sur l'incapacité d'aimer sans le désir physique de tout l'être.

Avec son titre violemment ironique, Le Malfaiteur sera un nouveau jalon dans l'univers des romans greeniens, le point focal se déplace d'un cour à l'autre. Une vie intense sourd de chaque personnage enfermé en lui-même. Le cauchemar tranquille de ' la réalité bourgeoise, aussi fort que dans Epaves, se mêle ici à une vision plus froide encore des préjugés, et les deux victimes, Jean et Hedwige, avec leur pitoyable secret, en sont plus émouvants. Dans le livre, cette tendresse humaine se fait jour qui sera au premier plan des romans futurs.

La Confession de Jean nous est livrée comme un mandat d'amener sur la table d'un juge d'instruction. C'est le récit des expériences sentimentales et sexuelles de cet homme. Il cherche l'amour, et sa quête de rôdeur l'a conduit à voir sa vie se défaire en nuits blanches et en peurs rétrospectives. Au fond de tout, il y avait un appel à la Beauté, mais la société avait truqué dès le départ la ^valeur des mots, et l'amour n'existait pour elle qu'au féminin, dans le confort d'une bonne conscience. Jean est un révolté. Il se défend d'abord en écrivant un roman qu'il intitule Le Malfaiteur, mot nocturne et chuchoté, roman dans le roman où sa vie se déforme, se transfigure comme dans Ta scène des comédiens de Hamlet, mais sa faiblesse de caractère fait avorter ce règlement de comptes entre les deux hommes qui sont en lui, et entre lui et les autres : alors sa confession remplace le projet initial. Cette confession, où le cour se met à nu, va tomber entre les mains de la mort, une des personnes de la famille représentant peut-être le comble de la respectabilité. Cette Mme Pauque met chaque printemps des boules de naphtaline dans les vêtements d'hiver, recouvre de housses les fauteuils et les meubles pendant les vacances, se charge des faire-part et de la surveillance placide des mours.

Si cette longue lettre ne parvient pas à Hedwige, la vie ironiquement lui fera parvenir un autre message. La révélation brutale de la nature profonde de son beau Gaston Dolange, par la couturière à la journée prise de vin, conduira à son tour la jeune fille vers une mort soudaine, qu'elle n'a peut-être pas voulue vraiment, mais qui au moins fera taire les battements inconsidérés de son cour. Roman noir qui se termine dans le noir absolu.



Courte parenthèse



Je suis catholique et écrivain, mais pas un écrivain catholique. On peut même dire que la plupart des romans de Julien Green ne sont pas très catholiques, il est nécessaire de faire cette remarque, car, avec parfois obstination et aveuglement, certains critiques avides de classements tout faits mêlent ceux qu'ils baptisent les romanciers catholiques. Dans beaucoup de ses livres, la ■ recherche de Dieu ne se fait sentir que par un silence, une absence qui devient un désir inversé, à l'opposé de h façon éclatante dont Dieu est absent de l'ouvre de Proust, comme Green l'écrit dans son Journal le 12 janvier 1972.

Son ouvre compte certes quelques personnages catholiques, mais plus encore de protestants, d'indifférents ou d'agnostiques. Pour les rares catholiques - Wilfred de Chaque homme dans sa nuit, Elisabeth de L'Ennemi, Karin à la fin de L'Autre - ce n'est pas tant l'étiquette d'une religion qui les marque que la recherche éperdue de Dieu, l'assurance qu'à travers tous les avatars de leur existence ils sont choisis par l'Amour. Julien Green n'est pas un écrivain catholique, il est catholique et écrivain, et il n'y a aucune interférence entre eux. Pas un seul de ses romans ne se passe dans un milieu catholique.

Cependant, si - indépendamment de Frère François - deux livres profondément religieux se répondent à travers le temps, en 1924 et en 1972, le Pamphlet contre les catholiques de France et Ce qu'il faut d'amour à l'homme, ce sont des ouvres autobiographiques. Le Pamphlet livre ce qu'il pense des catholiques en général et ceux de France en particulier, de quelque bord qu'ils soient, et rejoint Kierkegaard dans les exigences de la foi, dépassant le cadre d'une religion toute formaliste. Ce qu'il faut d'amour à l'homme résume le parcours religieux personnel de l'auteur. Mais, romancier ou homme de théâtre, il ne fait pas apparemment irruption dans son ouvre.



«Chaque homme dans sa nuit»



Le roman qui suivit Le Malfaiteur nous transporte de nouveau en Amérique, comme Moïra, mais ce roman-ci débouche sur un monde plus serein. Le livre est plein de détours, d'histoires qui croisent, de personnages se débattant chacun dans ses secrets, mais Wilfred est en quelque sorte le carrefour de leurs destinées. Simple vendeur de chemises dans un grand magasin de New York pour gagner sa vie, malgré une riche parenté, il mène en marge de cette existence monotone une vie déchaînée. Les plaisirs n'étouffent pas en lui les cris d'une foi manifeste aux yeux de tous. Là est son drame, celui de l'homme qui croit, quelle i que soit sa foi, mais singulièrement s'il est chrétien : comment concilier la chair et l'esprit? Wilfred drague sans cesse et ne connaît pas d'échec, il a vingt-quatre ans, la fraîcheur et le charme, des yeux gris et rieurs auxquels les filles ne résistent pas. Son oncle, le richissime oncle Horace, le fait venir dans sa propriété de Wormsloe, en Virginie, alors qu'il va mourir. Il sait que la foi de Wilfred est absolue. Et c'est à celui-ci qu'il confiera son trésor, une épaisse enveloppe contenant de vieilles lettres d'amour (le scandale de la famillE) et quelques valeurs qui vont donner une certaine liberté au jeune homme. Mais rien ne se passe comme on le veut dans la vie. L'amour fond sur vous à l'improviste et vous êtes vous-même le désespoir d'un autre cour. Wilfred tombe amoureux de Phoebe, la femme de son cousin, James Knight, puritain qui comprend tout au premier coup d'oil. Et d'autre part son cousin Angus n'osera lui avouer qu'il l'aime et que pour lui l'amour de Wilfred serait le seul salut contre toutes les amours dans lesquelles il s'enlise. Et puis c'est la rencontre de Max, à la sortie d'une église. Le jeune homme mystérieux le poursuit, obsédé par la religion et s'adonnant au plaisir le plus violent. Il ne peut échapper à l'un ni à l'autre et mène une vie sacrilège, vivant dans un bordel et parlant de Dieu pour séduire son compagnon. D'autant plus religieux qu'il se livre aux ébats sadomasochistes d'inconnus. Max veut gagner Wilfred, corps et âme, pour lui voler et sa foi et sa fraîcheur, Max est un mensonge, ses angoisses spirituelles ont fait sombrer sa foi, et il revient sans cesse avec un acharnement suspect au problème de l'existence de Dieu, par une sorte de plaisir luci-

Iférien, pour perdre Wilfred. Il use de l'arme la plus déloyale : La foi ne résiste pas au désir, dit-il, sans se douter qu'il livre la clef de son propre mystère.

Une nuit, Wilfred restera près de Phoebe, mais il ne se passera volontairement rien. C'est un amour pur qui liera leurs cours. Wilfred sacrifie son amour charnel à une passion platonique dont le désir est proche d'une extase mystique. Le mari de Phoebe veille. Et tout se précipite, chacun appelant Wilfred au secours, tandis que le jeune homme se méprend sur chacun. Presque tous les gestes d'amour sont manques, incompris ou suspects. Max à qui il veut se confier le tuera d'un coup de revolver, après lui avoir fait peur de longues minutes dans un escalier obscur. Ce coup de feu est aussi un geste d'amour. Sur le point de mourir, par terre, dans la rue, Wilfred pardonne à son meurtrier. Alors tout commence.

Julien Green a ouvert une porte dans son monde obscur. James Knight a vu Wilfred sur son lit de mort, à l'hôpital, et dit à Angus, désespéré par la mort de son cousin aimé :



Il vivait! On aurait dit qu'il souriait et qu'il connaissait des choses secrètes qu'il gardait pour lui. C'est comme s'il nous avait joué un tour en s'en allant, un tour de jeune garçon, et malgré ses paupières closes, il semblait nous observer de loin comme d'une région de lumière.



C'est sur ce bonheur invisible que se clôt le livre. L'acte de charité de Wilfred mourant lui ayant ouvert les portes de son paradis. Julien Green a déclaré que c'était son premier roman optimiste.



C'est après avoir écrit le mot fin au bas de la dernière page que je me suis interrogé sur le sens de ce long récit, car il me fallait trouver le titre, que je n'avais pas encore découvert. Un vers de Victor Hugo, dans un poème relu par hasard, me sembla résumer le roman : « Chaque homme dans sa nuit s'en I va vers la lumière... » La vie de chacun de nous a un sens qui nous échappe, et ce serait le cas de reparler de la fameuse tapisserie dont nous n'apercevons que l'envers : l'endroit, nous ne le verrons que beaucoup plus tard. Ce qui nous paraît aujourd'hui embrouillé, ténébreux, confus, se montrera sous un aspect harmonieux. Chacun, malgré ses difficultés, ses vacillations, ses ' chutes, n 'en va pas moins, dans une obscurité étouffante, vers la paix. Il y aura finalement ce jour où, comme dit l'Ecriture, Dieu essuiera toutes les larmes... Certes, nous ne savons pas comment notre salut s'opère, et notre vie apparaît comme un roman dont nous n'arrivons pas à trouver le titre, mais Dieu trouve le titre.



«L'Autre» et «Le Mauvais Lieu»



Les romans qui suivent, l'angoisse d'être et le désir du bonheur physique immédiat les rendent furieusement vivants. Les jeunes ne s'y trompent pas qui écrivent à l'auteur ; en cette fin de siècle sans amarres, sans doute ressentent-ils les mêmes entraves à leur liberté (et non seulement sexuellE), cette liberté violente à laquelle accèdent les héros de Green. Dans ses livres, même les personnages secondaires - Félicie du Malfaiteur, Bro-chard du Mauvais Lieu, par exemple - sont en révolte contre le monde, les usages, la morale.

Entre 1958, fin du manuscrit de Chaque homme dans sa nuit et 1968 où il commencera L'Autre, Julien Green se détournera du roman pour écrire son Autobiographie, et, après L'Autre, il y aura de nouveau un interlude de sept ans avant Le Mauvais Lieu.

L'Autre continue la libération entrevue dans les dernières pages de Chaque homme dans sa nuit, mais Le Mauvais Lieu nous replonge dans les romans sombres de sa jeunesse. Dans ces deux ouvres cependant, plus l'âme sera présente, plus le corps sera . forcené. Il ne s'agit pas de manichéisme métaphysique, mais d'un I duel d'Amour. L'esprit et les élans sexuels se disputent Roger, puis Karin dans L'Autre.

L'Amérique, New York notamment, voyait se dérouler les actes de Chaque homme dans sa nuit, Julien Green avait brouillé les pas de ses souvenirs dans les itinéraires de ses héros. Cette fois, il revient en Europe et prend pour décor les endroits où, dans les années trente, il allait en chasseur sur les traces du plaisir. Et de Copenhague et du Danemark il va nous montrer les deux visages : celui de toutes les amours permises à la jeunesse avant guerre, puis celui de l'hypocrisie bourgeoise, lorsque l'héroïne aura continué pendant l'occupation à aimer les corps des hommes, sans se soucier que ce fussent ceux d'ennemis.

Au contraire de Si j'étais vous où la construction était circulaire, L'Autre présente d'abord la fin de l'histoire, la cruauté d'un fait divers, comme pour désamorcer la curiosité, puis les récits des deux antagonistes se succèdent, avec entre eux le gouffre de la guerre de 39, et un bref épisode nous donne enfin la clef du ! fait divers. A-t-on bien remarqué les différences de construction des romans de Green, souvent si classiques d'apparence, mais dont certains manipulent le temps ou sournoisement le mettent à plat ? Le sujet est simple : la soif de l'amour - le sexe, puis le cour, puis l'esprit, comme si l'amour se libérait peu à peu du poids de la chair. Toujours chez Green, cette obsession des corps, cette faim jamais rassasiée, est suivie presque en même temps du dégoût. La quête physique se change en chasse spirituelle.



Roger, un jeune Français, est arrivé à Copenhague en juillet 1939 pour s'amuser. Il a des adresses. Une libraire, Mlle Ott, accorde aux touristes de bonne mine, et jeunes, des entrevues avec de jeunes beautés danoises. Sans doute se sert-elle au passage, n'est-on pas libre en Scandinavie ? Et Roger tombe amoureux de Karin, la seule qu'il devait éviter. Comme lui, elle regardait dans les jardins de Tivoli des acrobates à peu près nus dans les pièges de la lumière, et le piège se referme sur elle et sur lui. Le bonheur physique sera de courte durée, la guerre éclate. Roger doit partir, Karin éclate de rire : elle a le cour brisé. Pendant la guerre, elle succombera à son amour de la beauté.



Dans leurs uniformes, les jeunes officiers allemands sont comme les acrobates, et Karin se conduira selon son corps, c'est-à-dire mal aux yeux des Danois bien-pensants, qui cependant s'accommodent fort bien de l'occupation de leurs voisins. L'Allemagne vaincue, la mauvaise conscience se reportera sur Karin. On ne fia mettra pas en prison, non, on la mettra en quarantaine. Elle i sera prisonnière en liberté ! Prisonnière dehors, le silence l'entourera mieux que des barreaux. Jusqu'au jour où Roger, transformé par la guerre, ayant retrouvé la foi, viendra essayer de réparer le mal qu'il croit avoir fait. Et ce avec toutes les vertus d'un zélé catholique converti, c'est-à-dire insupportable. Karin essaiera de le faire basculer de nouveau dans le plaisir, y réussira et le fera fuir. Mais puisqu'un étranger, un vainqueur, est venu rompre le cercle de silence, la bonne conscience danoise décide de pardonner, et Karin verra le monde revenir à elle. Alors, par un phénomène contraire, elle^cherchera Dieu, et dans ce pays protestant choisira de nouveau de faire partie de la minorité, elle se fera catholique, par les restes d'une provocation secrète. Mais son destin ne fait que commencer. Deux jeunes voyous la suivent sur le port, et, pour leur échapper, elle se noie.

On ne peut vraiment pas dire que le roman soit du genre convertisseur, catholique ou autre. Dans le pays de Kierkegaard, , Karin poursuit le même combat : à la recherche d'elle-même se i superpose la recherche de Dieu. Toutes les questions de l'existence sur terre se posent à Karin comme elles ne cesseront de se poser à la jeunesse, dans l'indécision de son avenir et les hésitations de son cour. Cependant, comme dans Chaque homme dans sa nuit, la lumière se fait jour dans le roman. Ainsi, Julien Green quitte de plus en plus les zones sombres de l'instinct où il immergeait ses personnages pour franchir ce no man's land qui les séparait de l'espoir.



Et puis Le Mauvais Lieu retrouve le noir absolu des romans du début sous une lumière froide et presque heureuse. Cette fois, c'est l'innocence qui est coupable, coupable d'être, coupable de déranger le conformisme des vivants autour d'elle. Et si ces vivants n'étaient que des morts en sursis ? Comme toujours chez Green, des personnages en apparence odieux ou antipathiques se révèlent soudain humains, trop humains. M. Gustave, tyran en tout genre, faisant régner l'ordre dans ses affaires, dans sa famille, et terrorisant même sa sour, est un amateur de Lolitas, et, par une de ses petites ironies, la vie met sur son chemin sa nièce, Louise, qui a toutes les beautés et les grâces de l'âge défendu. Le tyran amoureux est prêt à subir toutes les souffrances pour posséder ce qui le torture. Refusé, il se tuera. C'est le drame quotidien, c'est presque le drame dont nous sommes tous à la fois le bourreau et la victime, puisque au fond de nous demeure à jamais l'adolescent que nous étions et après qui nous continuons de courir. M. Gustave est l'un des personnages les plus pathétiques de la littérature moderne, par ce témoignage indirect qu'il porte sur le désir faustien de garder à jamais l'innocence, si ce n'est en soi, pour soi.

La petite Louise traverse cette histoire, laissant derrière elle un sillage de malheurs. Chacun voit en elle l'idéal, ce quelque chose d'enfoui au plus profond de l'homme depuis l'enfance, cette perfection physique et mentale qu'il rêve de posséder à jamais. Pour elle, le monde est simple. Elle est à l'âge de cristal, et le mauvais lieu, c'est le monde qui s'agite autour d'elle comme un shaker d'où ressortira le cocktail « qui fait vieillir » : envie, passions sexuelles et tout le reste. Et puis la petite fille grandit. Un soir d'hiver, elle va s'enfuir. La neige recouvre ses pas, efface toutes les traces. Alors tout casse, la vie des autres se brise comme un jouet, car, au fond, il n'y a guère de grandes personnes. Et, malgré cette neige, le livre se referme sur un monde noir sans issue.

Toujours dans cette tonalité, les Histoires de vertige groupent les histoires écrites depuis 1920, à l'Université de Virginie, jusqu'à 1956. Ce recueil de nouvelles donne une vision du monde aussi désabusée que possible ; d'une grande variété, elles ont en commun un sixième sens, celui du désespoir. L'exergue de Thomas De Quincey est explicite : histoire de la solitude et de ces minutes où tout chavire dans le secret des cours. La cruauté se donne libre cours pour traquer les amours cachées ou bafouées, tous les instincts sont en liberté, surtout celui de faire peur ou d'asservir : La Petite Fille est guettée par le jeune violeur, Le Dormeur par son maître sadique, le trop beau garçon d'un siècle d'autodafé est épié par son oncle, procureur des flammes au nom de la vertu ; dans toutes ces histoires, les victimes sont surtout des femmes et des jeunes gens, et il est curieux de noter combien à travers les années Julien Green prend toujours parti pour les opprimés, les marginaux, les révoltés. Ces nouvelles touchent des genres différents : fantastique avec La Grille et Le Rêve de l'assassin, d'aventures avec Le Duel et La Leçon, analytique dans toutes les nuances de la psychologie de Fabien à La Révoltée, sans oublier celles traversées par des courants de sensualité ou par la folie, comme Le Grand Ouvre de Michel Hozier et l'incroyable Enfer, décrivant, plus de cinquante ans avant, La Grande Bouffe et des vertiges à la Fellini.



Et comme Green est toujours inattendu, la toute dernière nouvelle, La Réponse, est résolument optimiste, mêlant l'ironie à la tendresse ; le désir de se comprendre abat soudain les barrières entre les âges. Si l'on ajoute Maggie Moonshine, histoire des années vingt-cinq restée inédite jusqu'à la dernière réimpression du Voyageur sur la terre, on aura un panorama de tout le monde greenien, ou du moins on croira l'avoir, tant on s'attendait peu aux deux derniers romans sudistes.

Qu'y a-t-il de commun entre ces romans se passant à des époques différentes, depuis la période saxonne du début de Varouna jusqu'aux années contemporaines de L'Autre ou du Mauvais Lieu, ces romans de pays différents, de l'Amérique à la Scandinavie, de Paris à la province française, ces romans où les héros ont tous les âges, même si la plupart sont jeunes ? Tout d'abord, les époques disparaissent et le climat de ces livres différents reste intemporel; le sujet, le pays, c'est toujours la nature humaine, loin des modes et des engagements. Ouvre à part, insolite, où l'homme est à la fois son propre enfer et son paradis. Attrait du plaisir et tristesse du plaisir, mystère des êtres, néant et beauté du monde visible, splendeur de la chair et mélancolie de la possession, Julien Green remplit de contradictions un monde étrangement réel et proche. Romancier de l'instinct, possédé par son ouvre au point de paraître insensible au monde extérieur, le paradoxe est qu'il crée un univers reconnaissable, franchissant les années sans rides et sans perdre son poids de sang et de chair. Les Allemands (Hesse, Joseph Roth, Klaus ManN) le considèrent comme un «Kafka chrétien», avec ce sens double du mystère : l'homme perdu au cour d'un monde qu'il ne comprend pas et ce monde inversé en lui, le rendant incompréhensible à lui-même.

«... Où que l'on classe Julien Green, écrit Gaétan Picon... le rapprochement entre son ouvre et les autres ouvres contemporaines ne pourra paraître qu'arbitraire : sa solitude est totale. » C'est cette raison qui rend Green incompris de la critique rapide, habituée à faire monter les écrivains sur sa petite échelle de valeurs, comme des grenouilles d'une météo antédiluvienne. Comment faire entrer Green dans la littérature française ? Est-il expressionniste, anglo-saxon, écrivain fantastique ou bien freudien ? Le fameux réalisme magique a été inventé pour lui, mais où mettre Epaves et L'Autre sommeil et Le Voyageur sur la terre, etc. ? Aucune frontière n'est définie dans son ouvre, et tout classement se révèle arbitraire. Nous en revenons au jugement de Gaétan Picon : «... sa solitude est totale. »



Green est un romancier de la violence, du désir et de l'échec Dès les premières pages, on est gagné par le malaise, le récit court vers les pièges auxquels les personnages seront pris. Les thèmes sont trop riches et trop variés pour être analysés brièvement, mais on peut retenir un point vélique, là où toutes les forces se conjuguent :


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Julien Green
(1900 - 1998)
 
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