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Jean-Jacques Viton



8 panneaux de ville - Poéme


Poéme / Poémes d'Jean-Jacques Viton





J'imagine que les piétons qui avancent sans hésiter les conducteurs qui roulent tout droit sans ralentir ne poursuivront pas longtemps leur ligne unique je me dis qu'ils se décideront un jour à tourner à droite ou à gauche quelque part à obliquer dans une allée transversale ou à un carrefour s'engageront dans n'importe quelle autre rue et s'ils n'en trouvent pas de praticable ou s'ils n'ont pas de raisons particulières pour enfiler une ruelle une contre-allée un boulevard alors ils penseront à la corniche en bord de mer nous en avons une ici accessible dans les deux sens l'un par le
Vieux-Port sur la gauche après le bassin du
Carénage l'autre sur la plage du
Prado à droite du
David j'imagine que ces gens qui se fixent sur la ligne droite feront accomplir un angle de quelques bons degrés à leur ensemble corps-machine et réussiront bien à échapper à la ligne intransigeante harnachée de bandes blanches et d'abris transparents j'imagine que tous ces prisonniers de la piste en parlent seuls et rêvent qu'ils lui échappent



mais je n'ai jamais entendu un fileur de ligne avouer

je suis allé jusqu'au bout de la droite suivie

je me suis arrêté en arrivant à l'horizon

j'ai mis des années à avancer comme ça maintenant

je suis mort de fatigue et d'ennui je voudrais revenir

par un autre chemin mais je n'en trouve pas.



Les fileurs de ligne droite ne connaisent personne chez qui aller qui habiterait un angle quelqu'un qui leur ferait signe d'un coin d'un bord d'un creux entre les grilles d'un portail sur la descente d'une cave un sédentaire qui s'exclamerait en surveillant l'heure ah ! c'est le moment de l'échappée ils arrivent ! et qui changerait la disposition des fleurs dans son séjour tapissé de chasses à courre qui rangerait les magazines mettrait un disque pourquoi pas
Comme haute est la lune ferait le plein de bières et de vins dans son frigidaire inventerait un geste domestique un peu neuf capable de transformer une habitation ordinaire pour la venue de ces rescapés de la ligne droite anonyme mais je crois que c'est pour les captifs qui ne connaissent personne dans les trous de la ville que ces rails continus sont imposés remarquables sur les grandes cibles
New
York
Mexico
Paris
Moscou peut-être aussi pour que cavaliers et fourgons jaillissent mieux et dévalent plus vite sur les bras des obliqueurs réunis dans un cortège une manifestation une émeute ce n'est pas ici la question mais ne l'oublions pas



je veux dire que ces droites sont des lignes de tunnels ou les fuyards rapides ne sont jamais distraits regardez les pigeons sur les arbres des avenues ils volent en ligne droite dans l'axe du béton ils ne s'envolent jamais vers un autre quartier les plans des villes ressemblent à des cages.



Je suis allé voir l'exposition
Les
Danses
Tracées dessins et notations de quelques chorégraphes
Nikolaïs
Laban
Saint-Point
Wigman
Duboc
Huilmand
Childs

Larrieu dessins et quadrigrams de
Nijinski et
Trisha
Brown les carnets rappellent les réseaux d'une gare de triage les empreintes de
Dana
Reitz ressemblent à des
Soulages
Cunningham écrit la danse est un acte visible de la vie ici la lune rousse aux saints de glace est une vision de nuit dans le bar
La
Canasta sur la sciure et les coques de cacahuètes les souliers frappent les aigus du raï projectiles de rythmes qui filent directement du transistor aux oreilles entre les tournées de
Cristal et les flèches traçantes du téléphone à chaque appel un client agite la main pour indiquer qu'il n'est pas là j'ai l'impression de n'y être moi non plus pour personne je pourrais bien être ailleurs c'est vrai n'importe où il faut poser son verre payer sortir entrer dans un autre bar me dira-t-on on vous souhaite la bonnavenue ou bien on vous souhaite une bonne ligne droite était-ce une ligne brisée ou continue que je suivais un jour



à
Venise en
Septembre 81 je descendais seul à onze heures le court escalier du pont de la calle dei
Morti j'avais sur l'épaule une sacoche qui renfermait des fruits trois mètres plus bas j'allais quitter la zone de lumière pour entrer dans la zone des ombres d'un quartier inconnu tu ne pourras pas m'y suivre c'est toi qui prends la photo sur laquelle à sa fenêtre une femme te regarde.



C'est en préparant une cigarette assis à une table devant une fenêtre d'une pièce qui donne sur un jardin c'est en triant du tabac sur le cuir d'une blague en soufflant pour la saisir sur une feuille de papier en pinçant la portion à fumer jusqu'au petit canal le caniveau que fait la feuille entre les doigts c'est en tassant comme une mécanique en tapotant le mince rouleau lavé de ses minuscules bûches c'est en passant la langue de droite à gauche puis de gauche à droite sur la ligne gommée du papier en calibrant encore une fois entre les phalanges pour donner sa forme à ce qui devient ma cigarette et que j'allume que je me dis après cette hiérarchie de gestes exacts jamais appris jamais confondus que j'ai besoin de donner cette liste d'actes automatiques rendus nécessaires autant que ceux qui me permettent d'ouvrir ou de fermer une porte comme ces gestes accomplis maintenant en tirant à moi la table pour ouvrir la fenêtre sur l'espace réservé de ce futur jardin planté d'obstacles déjà anciens brouette pelles tas de sable tréteaux pioches cercles

bassins tas de gravier petites buttes sacs de ciment balisant l'étendue révélée jusqu'aux deux arbres indifférents amandier et olivier entre les trous d'eau à l'intérieur desquels les reflets sont rouilles c'est là que je me rends compte que le triangle de mer saisi au loin dans la vitre est un décor de trop.



Elle doit aller à
Nice.
C'était prévu.
Nous descendons

ensemble.
Je fais le marché.
Je bois une pression.
Le mistral est violent.
Je remonte les vivres.
Elle passe à l'atelier.
Elle ferme les

volets.
J'écoute la radio.
Je n'aime pas les voix russes.
Je bois un

Cristal.
Surtout
Les bateliers de la
Volga.
Exaspérant.
Le folklore.
Ni ceux qui disent tout aimer.
Insupportable. Ça m'énerve.
Le flamenco.
Le blues.
Les crotales de
Cybèle.
Les chants eskimos.
La cornemuse écossaise.
Les chasseurs

pygmées.
La cithare grecque.
Les bergers corses.
J'éteins la radio.
Elle est dans le train.
Je baisse le chauffage.
Je ferme la

porte.
Je redescends.
J'achète du vin.
Je prends le métro.
Je sors où il faut.
Je bois un
Cristal.
Je traverse une
Place.
Je monte chez mes amis.
Je déjeune avec eux.
On parle de

la
Russie.
Je reprends le métro.
Je sors où il faut.
Je ne sais pas quoi

faire.

Je note les horaires d'un film.
Je bois une pression.
Je ne

pense à rien.
Je remonte chez moi.
J'enlève ma veste.
Je me lave les mains.
Je roule une cigarette.
Je me fais un café.
J'allume la radio.
Je décide de travailler.
J'invente une lettre.
J'en écris trois.
Je construis un voyage.
Je relis le tout.
Je fabrique une

surprise.
Je déchire la fiction.
Je bois une grenadine.
Je mange une

amande.
Je me déshabille.
Je mets de vieux vêtements.
Je me lave

les dents.
Je prépare du thé.
J'en garde pour boire glacé.
Je découpe

un citron.
J'ai envie de dormir.
Impossible l'après-midi.
Je suis

désemparé.
Je me fais un programme.
Je classe des invitations.
Je siffle

des idioties.
Je prépare un article.
Je cherche trois livres.
Je débranche

le téléphone.
Le soleil est trop fort.
Je tire les rideaux.
Je n'ai aucun désir.
Je m'assois sans rien faire.
Je ne suis plus là.
J'entends le

trafic.



Et ce trafic de fumée dans le nuage du trafic-Haven la fumée du carbonisé dans ses colliers de caoutchouc corps saisi à terre ou corps volutes dans l'air quel espace éponges de fumées gonflées striées comme cerveau colosse hémisphères géants abreuvés de courants noirs compacts flottant soudés sur la tôle crevée sur la peau laquée par le feu je lis la mer se meurt la mer est morte quels sont les noms des disparus du tanker ou celui du

gisant qui tend ses bras sans mains aux vivants mains dans les

poches attroupés pour le cadrage de ces mêmes poses choisies aux guichets des hippodromes pour le classement des

arrivées la dernière ligne droite la dernière image la dernière coulée du vent avant la pluie la dernière entrée du soleil sous le rideau de la chambre le dernier sommeil profond avant le rejet du drap la dernière bouchée la dernière parole inaudible le dernier baiser avant la fermeture automatique des portes la dernière mouette après l'arrivée de la nuit

la dernière pierre le dernier verre le dernier coup

la dernière pensée le dernier regard

la dernière explication le dernier sens

le dernier livre la dernière faute responsable

les dernières réflexions faites seul à haute voix

comment trier comment saisir cette vaisselle clandestine

ces rigoles ces tuyaux comment prononcer ce trafic

devant quelqu'un qui dirait savoir et avancerait la tête

ferait très attention à tout et ne comprendrait rien.



Je suis allé à midi sur les rochers de la
Pointe-Rouge

des blocs qui fortifient une cuvette pour barquasses

moteur et voile fers à repasser modernes affalés

bord à bord douze mois dans cette copie de port

je ne touche pas au sandwich apporté il y a un couple

allongé pas loin au soleil derrière une grue je vois

la tête rouge de la fille très frisée elle sourit

je suis assis dans le sens de l'immobilité face à la rade

le dos appuyé à la tour gauloise de la capitainerie

trente dériveurs dérivent sur une ligne droite imposée

chargés d'enfants empêtrés dans leur gilet de survie

un dinghy crasseux remonte la colonne piloté par un type

en tricot vert il agite un porte-voix je suis dans le vent

je n'entends pas ce qu'il crie en direction des gosses

la coupole de la basilique de
La
Garde brille beaucoup

gros bubon doré immanquable sur la colline riche

les rades me font un effet terrible quelque chose

taillé dans l'angoisse et le vide cousus ensemble

je trouve les rades trop vastes et trop lointaines

je les sais profondes froides bourrées de disparus

porteuses de changements de vents et de couleurs



et de courant contraires disloquant des plaques de j'arrive à regarder longtemps sans plaisir une rade sur laquelle tout ce qui flotte et bouge paraît suivre en douce les pointillés d'une route immergée cachée sous l'écume douteuse des vagues basses fabriquées je ne sais où misérables et obstinées.



A l'heure où les bars de nuit sentent encore le tabac j'ai marché jusqu'au
Vieux-Port il faisait beau et frais les oiseaux de mer étaient calmes à
Nice elle devait dormir je téléphonerai avant le repas les chalutiers déchargeaient derrière les crieurs bottés le poisson luisait à côté des citrons et du persil arabe de la terrasse du
Café je regardais ce grand décor il manquait des blazers roses des ombrelles des canotiers des saxophones et des danseurs de claquettes il manquait beaucoup de choses tout est devenu hostile et tiède la journée commençait mal à
Leningrad pour se faire conduire plus sûrement en taxi proposer un dollar et un paquet de
Marlboro au chauffeur il dira ne fumer que des
Opal faites de tabac bulgare et qu'il appelle larmes des hommes m'a raconté
Yvan
Mignot au pâle aidait
Claude
Minière à désigner l'écriture menée contre l'envahissement du travail alimentaire dire au pâle plutôt qu'au noir est une magnifique dérision qui sublime la clandestinité de l'écrivain dans le social je téléphonerai à
Nice après avoir mis au clair
TRAFIC un poème où je commence par interroger la ligne droite où je poursuis par une narration d'événements et termine



en répétant je suis allé jusqu'au bout de la ligne suivie je me suis arrêté en arrivant à l'horizon je ne sais quand j'ai mis des années à avancer comme ça maintenant je suis mort de fatigue et d'ennui et je voudrais revenir par un autre chemin je n'en trouve pas si j'en découvrais un tu ne m'y suivrais pas c'est toi qui prends la photo.



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Jean-Jacques Viton
(1933 - 1620)
 
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