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Jean Tardieu

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La vérité sur les monstres


Poésie / Poémes d'Jean Tardieu





Heureux le visionnaire dont la seule arme est le stylet du graveur et qui part seul à la chasse de ses cauchemars pour pouvoir vivre ensuite délivré, sans succomber à la faiblesse de maudire la Création.

Il est pareil à l'anachorète de la légende sacrée, à saint Antoine qui, lui aussi, dans son désert hanté d'apparitions, avait peut-être besoin de combattre les monstres nés de la tentation du désespoir et des mirages du désir, pour pouvoir rejoindre, après l'orage des fantasmes, une solitude préservée.



Moi que rien ne protège contre mes monstres secrets, qui me donnera le courage de les sortir au grand jour, de désigner ce que je crains et qui déjà m'habite comme une promesse qui serait, en même temps, une menace ?



Pour mener à bien cette tâche redoutable, il me faudrait user d'un outil plus acéré et plus souple que le commun langage. Si je me contente d'assembler, dans un ordre imprévu, les termes de tous les jours, arrive-rai-je à en faire des hybrides comparables, pour leur bizarre et fascinante beauté, aux fantastiques découvertes que nous ont léguées ces pionniers de l'inconnu. ces navigateurs de l'invisible, les Jérôme Bosch, les Odilon Redon, les Max Krnst, - et Méryon parsemant le ciel, place de la Concorde, de chevaux ailés, de poissons volants, et vous que je ne connais pas. mais dont j'admire les images surprenantes, fixées par un burin cruel et précis.

J'envie l'inventeur de formes qui peut, comme vous le faites, imaginer, par exemple, un signe expressif qui n'existe dans aucun alphabet, un caractère dont vous seul possédez le sens et la clé, qui commence par un profil d'oiseau et finit par la lettre S ou le chiffre 8 !



Moi. si je dis : vagin-bec, oil-de-queue, pied-couille. torse-tête, anus-oreille, serpentestin. ventre-pied, ver-rez-vous autre chose que l'aspect comique de ces rapprochements verbaux ? Non, vous n'y verrez pas ce reflet inquiétant, à la fois funèbre et rêveur, qui change la tonalité du discours comme l'ombre d'un nuage de tempête et qui vient peut-être de l'enfer.

C est qu'il ne s'agit pas seulement d un jeu gratuit. Kn mettanl bout à bout l'origine et la fin. en bousculant l'ordre apparent, un commaridemeni mystérieux nous invite à saisir une vérité cachée, tme vérité qui pourrait être une surprise déplaisante, et même abominable.

La surprise, pour l'instant, c'est I identité du possible et de limpossible. car le rêveur inspiré, plongeant sous l'humus de ses songes, en retire des monstres, dune autre sorte peut-être, mais égaux en beauté et en imprévu à ceux que la vie invente sous nos yeux.



Les fonds de l'océan, habités de naufrages, où le végétal ei l'animal, empruntant même le secours du règne minéral, échangent leurs formes effarantes, le pullulant empire des insectes régi par les ruses impitoyables de l'espèce, acharnée à détruire pour survivre, ce sont les cauchemars du vrai, les rêves frénétiques du réel.

Dans le grand théâtre du Pire, nos songes sont les mêmes, leurs motifs sont les mêmes : le désir et la mort.

Lorsqu'un artiste imagine les grimaces du Démon assiégeant l'antre obscur de l'ermite entre deux prières épouvantées, il ne fait qu'obéir aux « tentations » de la Nature, qui se fraient un passage dans notre esprit autant que sur la terre, dans les airs et dans les eaux.

Qui dit mieux ? La vérité des choses ou la vérité de l'art ? De part et d'autre la surenchère est de règle. Il n'est pas ici de trompe qui ne dégage un nauséeux produit, gluant et suant le venin. Il n'est pas de femelle qui ne dévore son mâle après l'acte procréateur, pas de tête qui ne se termine en fouet, en cornes ou en pinces, pas une patte qui ne trempe dans une glu fécondante. Les ailes mouchetées d'or sont des pièges comme la danse du voile des méduses et quiconque est séduit est aussitôt croqué.

Haletant et émerveillé, j'éprouve un plaisir pernicieux à suivre votre vision inimitable où l'exactitude souligne et fortifie le sortilège, où la grâce couronne l'innommable. Mais ce n'est pas tout : les êtres que vous engendrez ont cet avantage terrifiant de rester devant nous absolument muets, de s'imposer sans un cri. sans un mot. Le monde enchanté de vos hantises est comparable au sol des mers, agité de secousses incessantes, là où évoluent, dans un silence et une lumière de sépulcre, les dévorateurs-dévorés, les grondants et les tremblants, les prédateurs et les victimes pourchassées, les poissons-fantômes et les arbres faussement endormis dont les rameaux flexibles ne savent pas faire autre chose que de manger, lentement inexorables et toujours affamés. Gare à qui se fie à ce calme apparent ! C'est un inonde frappé de stupeur, qui semble attendre on ne sait quoi, le cataclysme ou la délivrance.



Sur vos pas se lèvent en foule des personnages qui pourraient exister, qui existent sûrement et que peutêtre même nous rencontrons en secret lorsque nous somnolons autour d'une tasse de thé dans un banal salon bourgeois couvert de peluche rouge et or, semblable aux bas-fonds marins.



Voici l'un de ces enfants de vos songes, qui s'avance vers moi en ouvrant deux cuisses courtes et adipeuses où apparaît un sexe féminin pourvu, chose rare, d'un long nez : entre ses lèvres fines, au-dessus d'un menton elliptique, il fume une petite pipe. Au-dessus de ce nez, un anneau de cheveux plats laisse apercevoir deux yeux allongés, langoureux, souriants (mais ce sourire fait frissonneR), puis deux oreilles très détachées. Enfin cet anneau de Saturne en fourrure se trouve lui-même surmonté par la calotte d'une paire de fesses meurtries. Ainsi tout serait rassemblé des parties les plus délectables de la femme - la bouche et le sexe à côté du derrière, ainsi que les organes de la vue, de l'ouïe et de l'odorat - et tout serait pour le mieux dans cet objet défendu si le raccourci inhabituel de ses formes, la cellulite partout présente sous la peau grasse et tendue, si tout ce débordement de goinfrerie et de luxure n'évoquait pas les rondeurs d'un goret plutôt que celles de Vénus et si (détail déconcertanT) les genoux de cette dame goulue n'étaient prolongés par deux petits doigts plissés, rabougris comme deux pénis atrophiés mais érigés quand même, introduisant au cour de la canti-lène féminine je ne sais quelle dérision du motif masculin.



A peine ai-je reculé devant cette Mélusine, devant ce Charybde menaçant que je tombe dans le Scylla d'une femme-serpent dont il ne reste - ici encore, mais cette fois, de profil - qu'un grand nez collé à un grand oil sans front et les circuits de son corps de couleuvre, tandis que sur son dos arrondi et luisant, trois mains enfantines tracent des croix : mais attention ! Ce sont des mains volantes qui viennent de descendre du ciel en piqué et dont l'avant-bras figure un bec d'oiseau à langue de vipère.

Ne panez pas, de grâce ! Je vais tout vous dire, tout vous montrer de cette ménagerie ensorcelée.

Qui court, là-bas, sur une planche à roulettes molles, conduite par un hippocampe ?

C'est I'Oiseau-Z, un cou poilu qui se termine par deux fesses dont les replis abritent des yeux assassins d'Andalouse.



Qui s'accroupit pour pondre ? C'est la chèvre morte aux ailes de feuilles et son mari, sanglier-éléphant dont l'entrejambe laisse se dérouler un cobra issu d'une coquille d'escargot et dont les doigts sont des champignons qui se vengent de leur fragilité par leur talent d'empoisonneurs.

Quel est ce rêveur triste qui enfonce quatre doigts, l'un dans sa propre oreille, le second dans sa narine unique, les deux autres sous ses paupières ?

C'est le personnage le plus résumé que je connaisse : où finit le pied commence aussitôt la main. Cette main fouille la tête.

Quelle est cette danseuse aux jupes relevées qui se termine en haut par une tête de cigogne, en bas par des jambes boudinées enserrant un sexe de petite fille ?

C'est sans doute la sour de cette autre paire de cuisses qui laisse un noud de serpents, chacun d'eux terminé par un oil, envahir ses entrailles comme un bouquet de vers sur une charogne.

Autre part, un penseur au grand oil beaucoup trop intelligent, aux bras énormes et pileux, tient dans sa main gauche la moitié de sa tête et dans l'autre trois petits corps de femmes, bien faites quoique naines, qui viennent juste, on dirait, de naître dans son cerveau et qui se trouvent l'une à côté de l'autre serrées comme sardines en boîte. Le penseur est, du reste, si court sur pattes que son péplum antique aux plis droits n'est pas plus haut que ses épaules : le bout de ses pieds qui dépasse touche presque à ses coudes.



Non loin d'ici, un autre monstre au ventre énorme, aux jambes épaisses et très courtes, joue du violon sur sa propre tête penchée.

Que de petits poissons bossus pour faire un torse féminin ! Que de boursouflures de chair pour bâtir un centaure aux bottes incorporées, à la chemise de peau retroussée sur un ventre bedonnant flanqué d'un derrière latéral comme d'une énorme tumeur et croisant ses bras d'homme sur un torse de poulet !

Entendez les borborygmes de cette figure à pattes, dégorgeant, par un immense naseau ouvert et ensanglanté, une autre figure hébétée qui la regarde !

Enfin l'amour se couronne lui-même et s'apprête à célébrer ses propres funérailles, ô gland à tête de mon greffé, par un gilet de prépuce à boutons, sur une paire de couilles géantes, aux godillots de soldat : à ses côtés un gracieux vagin de demoiselle, déboutonné sur deux grands yeux verticaux et terminé par un bec de canard, danse avec ses jambes élancées dont les pieds sont aussi des becs et des yeux.



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Jean Tardieu
(1903 - 1995)
 
  Jean Tardieu - Portrait  
 
Portrait de Jean Tardieu

Biographie / Ouvres

Né en 1903 à Samt-Gerrnain-de-Joux (Jura), d'un père peintre (Victor Tardieu. 1870-1937) et dune mère musicienne.
Étude.a Paris : Ivcée Condorcet. puis Sorbonne. Suit, dès 1923. les > Entretiens d'été » de Pontigny, où ses premiers écrits poétiques sont remarqués par Paul Desjardins, André Gide, Roger Martin du Gard. Premiers poèmes publiés par Jean Paulhan. en 1927. dans La Nouvelle Revue

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