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JEAN TARDIEU CLAIR-OBSCUR


Poésie / Poémes d'Jean Tardieu





« La première personne du singulier » : il suffit, d'inscrire ces mots en toutes lettres sur la couverture d'un livre, comme t'a fait Jean Tardieu, pour que la personne en question ne soit plus la première, contenue dans une formule purement grammaticale, mais devienne en quelque sorte une tierce personne, mise à distance et prise dans une singulière illusion de perspective.



Fils de rien, figurant, orphelin, selon le titre de quelques-unes de ses proses, l'auteur avoue du reste : « J'étais (tout en n 'étant pas !) j'étaii on ne sait quoi de béant et d'illimité, de mélancolique et d'avide, quelque chose comme rien. Je n'aurais donc pas pu dire " Je ", comme je le dis aujourd'hui avec l'accent confortable d'un individu particulier. > Et le livre entier est une confession impossible, souvent burlesque et grave quelquefois : en somme une difficile déclaration de naissance, car le sujet est aux prises avec une parole qui ne lui appartient pas, un nom qu'il lui faut adopter, un murmure qui lui parvient à travers l'épaisseur des murailles et des siècles, quand il ne se contente pas d'écouter « te silence d'une signification antérieure et parfaite ». dans la nostalgie d'un étal où le regard et l'ouïe n'étaient pas encore séparés.





Nulle rêverie vague, nulle méditation métaphysique à ce propos, mais l'apparence d'un souvenir qui prend la précision du fantasme, dans une enfance revécue avec assez de force pour que La première personne du singulier commence ainsi : « À l'âge de sept ou huit ans, je n 'étais pas admis à entrer dans le salon, quand ma mère recevait... » Le récit tourne court aussitôt, et le pastiche du même coup : nous ne saurons pas si l'enfant qui devait plus tard signer Jean Tardieu s'est longtemps couché de bonne heure, mais nous savons dès lors d'où vient une blessure qui deviendra lézarde à travers tout l'édifice du langage, une ligne brisée qui court d'un livre à l'autre, bref le vide sonore qui s'entend dans la plupart des poèmes de Jean Tardieu. et qui en fait des dialogues de sourds. Car c'est au travers de plusieurs cloisons, et par l'intermédiaire d'un « tuyau acoustique », que l'enfant exilé peut saisir, sinon des paroles, du moins la musique des conversations : « Seul le timbre des voix montait jusqu'à moi : les intonations ronronnantes du visiteur alternaient avec le chantonnement aigu de la voix de ma mère : " Ils ne disent rien du tout, pensai-je au comble de la joie, ils font semblant de parler !" » L'ouvre de Jean Tardieu, qui du langage donne à entendre avant tout l'air et la chanson, tend donc à prouver qu'on écrit selon l'écoute qu'on eut jadis, et que le silence n'est pas le même d'un écrivain à l'autre.



Ecrire, cette activité d'insomniaque ou de somnambule en plein jour, c'est « dessiner et faire entendre », dira Jean Tardieu dans Obscurité du jour , comme s'il s'agissait par ce geste étrange, emprunté à l'enfance de l'art, de colmater une brèche, voire de réunir un couple. Un peu plus loin dans le même livre, le mélange d'une forme et d'un son est décrit comme « une sorte de naissance ». Et dans un poème sous-titré Naissance de cent mille Vénus3, on trouve ces trois vers : dans un sens ou dans l'autre longtemps hésita le passage de rouie au regard



Le poème seul permet parfois de réunir (mais sans effacer la contradictioN) « les images qui chantent et les musiques muettes », de soulever les lames du parquet, d'écouter et se taire pour entendre le soupir des dieux étouffés, le murmure des monstres ou les craquements des meubles - de prêter l'oreille, derrière la cloison, au frou-frou d'une mère dont on se demande si elle est maritime ou maternelle, musicienne en tout cas.

Toujours dans La première personne du singulier (précisément dans le chapitre IV des « Trois souvenirs d'un figurant *), on trouve même une porte derrière laquelle on entend la mer : « C'est comme le léger froissement d'une robe à l'ancienne mode ou d'un jupon garni de beaucoup de volants et de dentelles, un frisson insistant et cérémonieux. Puis le bruit s'amplifie, comme s'il y avait maintenant non plus une seule femme, mais dix, mais cent, mais cent mille qui, se déshabillant toutes ensemble, lancent leur linge en paquets contre la porte et la font trembler sous le choc. » En continuant sur cette pente on pourrait citer un poème plus explicite encore, bien que faisant partie des Histoires obscures, le poème intitulé Le jeune homme et la mer4, si le double ironique de Jean Tardieu ne nous tirait par la manche, le professeur Froppel qui écrit dans son journal intime : « Si racontant un voyage en bateau, j'écris : " La mer était houleuse ", il est bien évident que mon inconscient entend comparer la tempête sur l'océan à l'agitation d'une mère en proie aux douleurs de l'enfantement. Si j'acris : " la moer " était " mouleuse *, je veux, par celte belle allitération, évoquer à la fois le vol des mouettes et les rochers couverts de moules , »

Par bonheur, les mots sont quelquefois aussi légers que les portes de toile qu'ils soulèvent, et quand Tardieu entreprend une variation à partir des autoportraits de quatre pères de la peinture , c'est tout naturellement qu'il trouve le miroir de Rembrandt « maestoso », celui de Corot « largo », celui de Rubens « allegro », et celui de Van Gogh « furioso »...

Mais l'accord ne saurait être prolongé, et la dissonance revient aussitôt entre « la vue qui approche de la cécité » et « les sons qui déchirent le tympan ». Toute l'ouvre de Jean Tardieu semble naître de cette faille et de cet écart : son théâtre en particulier, du décor vide d'Une voix sans personne à la confusion délirante d'Un mot pour un autre, se joue sur une scène proprement primitive. Le drame bourgeois, anodin en apparence, qui sert de toile de fond à la plupart des pièces de Jean Tardieu, est en réalité un décor familial très véridique, et la convention d'époque sert ici à masquer fantasmes et souvenirs à demi inventés : * Je ne peux entendre parler un être humain à travers une porte qui masque ses paroles sans être saisi d'une insupportable angoisse. »



C'est cette angoisse que Jean Tardieu a tournée en ridicule, qu il a attaquée par le rire, en feignant de croire que les monstres peuvent être réduits par le langage, ce fétiche qu il vénère et qu il brise comme toute idole, parée tout de même d'un semblant de vérité, mais pour découvrir à la fin que la vérité est un mot-valise, ou que le fin mot de notre histoire est imprononçable . De même, il n'a cessé de nous dire, et sur tous les tons, qui se cache derrière la cloison : Elle et Lui. mais ce sont des êtres sans visage et sans nom. dont l'absence même est encombrante, car le mystère dont ils s'entourent n'arrive pas à les dissimuler tout à fait. Elle, elle est invisible et intouchable comme les sons. Lui, pronom affecté d'une majuscule et parfois écrit en capitales, souvent confondu avec un visiteur, un étranger, un intrus, c'est un personnage solaire et assassin. Au nom d'autant plus imprononçable qu'il contient peut-être, en sa finale, celui d'un dieu révolu.

Si j'ajoute maintenant ce que savent tous les amis de Jean Tardieu, et tous ses lecteurs attentifs, à savoir que son père était peintre et sa mère musicienne, je sais que je n 'aurai rien dit de plus, car la biographie n 'est ni la source ni l'embouchure - tout juste le lit défait du jour, les draps du songe où roule un fleuve caché.

Limage du fleuve caché, dont Jean Tardieu nous a dit lui-même à quel point elle a marqué toute sa vie (entre la présence et l'absencE), pourrait être une image chinoise, appartenant à la peinture aussi bien qu 'à la poésie. Qu'on ne croie pas à un jeu de l'esprit, comparaison abusive ou complaisance, car il y a plus chinois encore dans l'oeuvre de Jean Tardieu : je veux parler de son attention aux mots vides . au dualisme actif qui est le moteur du monde (sens dessus dessous, comme ceci comme celA), à la présence agissante du Rien qui n'est pas tout à fait néant...

De tous les poètes de son temps. Tardieu est celui qui s'est le plus défié de la métaphore (qui donne à toute chose une plénitude parfois redondante et ridiculE), ou du moins qui en a usé avec humour ou discrétion, pour nommer sans se payer de mots un petit nombre de réalités élémentaires, pour s'intéresser aux mots usés jusqu 'à la trame (et qui laissent voir le Jour au traverS), aux < mots rayés nuls » (qui de la marge des contrats sont passés au cour des poèmeS), aux conjonctions (qui peuvent « créer un trouble de la logique *). quand ce n'est pas à la pure et simple conjugaison (pour ce qu'elle contient. « de dramatique et presque de sacré'' »). Autant d'abolis bibelots dont le métal insignifiant donne au poème sa musique muette, écho de chocs invisibles dans l'espace aérien de la page. Quand Tardieu avoue sa fascination pour le Coup de dés mallarméen, c'est d'ailleurs pour conclure : « Une nuit incomparable envahit les pages et ce sont les mots qui sont les " blancs " », avant d'ajouter ; « Mais j'imagine aussi ce que doit être la complète satisfaction de l'oil, de l'oreille et de l'intelligence, chez un Chinois ou un Japonais amateur de poèmes. »



Le beau titre de Jean Tardieu, Obscurité du jour, semble à première vue prolonger la remarque fameuse de Mallarmé, dans Variations sur un sujet : « A côté d''ombre, opaque, ténèbres se fonce peu ; quelle déception, devant la perversité conférant à jour comme à nuit, contradictoirement, des timbres obscur ici, là clairis. » Mais au lieu de chercher une solution qui « rémunère le défaut des langues », ou de voir la contradiction résolue dans la métaphore ou l'élaboration du rêve, comme Borges et Freud lisant tous deux les travaux du linguiste Abel le bien nommé . Tardieu préfère montrer le défaut du doigt, et se tenir comme un funambule au-dessus du vide, entre le rire et l'angoisse, la lumière et l'ombre, en équihbre instable sur ce fil invisible auquel tient notre vie.



Les soupirs, les silences dans le langage et dans l'opacité des choses, sont au cour du poème l'écho du vide et sa présence active. Or la négation (l'interrogation à un moindre degré) est le mode même de. la poésie chez Jean Tardieu. Qu'on pense à des titres de poèmes ou de livres (presque au hasard : « Le témoin invisible », « Les dieux absents », « Je dissipe un bien que j'ignore », « Non ce n'est pas ici », « Nous n'irons pas plus loin », ' Il ne répond même plus », « Ni l'un ni l'autre », « Obje.Li perdus », etc.), à la môme Néant et à monsieur Monsieur, aux « verbes en creux » ou à ce mot de « Personne » qui résume en deux syllabes, et dans le même instant, l'apparition de. l'être et sa disparition : vocables qui appartiennent a un monde sans dieu ni dogme, expression du « Vide sauveur », du « Vide où tout recommence ». Même, ou surtout, si le commissaire-priseur n 'adjuge rien d'autre que son vain bavardage, l'humour de Jean Tardieu est peut-être taoïste, comme celui de Raymond Queneau en plus d'une occasion.

Du trouble qu'éprouve Jean Tardieu devant l'inscription éternelle et mouvante du Rien, devant la preuve négative qui est la seule évidence. Comme ceci comme cela donne un exemple plein de sens : pour écrire La fête et la cendre, sous-titré « Lamento en quatre parties», Tardieu s'est inspiré d'un article de journal racontant comment, au cours de fouilles récentes à Pompéi, on a pu remodeler un homme et une femme morts ensemble, à partir de l'empreinte qu'avaient laissée leurs corps : ce qui fascine Tardieu est donc moins la survie de ce couple que sa forme en creux, sa présence entre la pierre et l'oubli.

Aussi n 'est-on pas étonné de voir comment apparaissait ce nom qui nous importe, et fait pour briller au-dessus des mots vides comme des autres, dans les deux-derniers vers du recueil intitulé Accents (1939) : elles sont venues trop tard et, désespérées, elles se taiseni : il n'es! même plus temps pour LUI dire adieu!

Le crépuscule et l'obscurité du jour, la divinité taciturne étaient donc déjà dans ce nom :

TARDIEU que nous lâchons ici de décrire de face, de profil et de trois quarts.






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Jean Tardieu
(1903 - 1995)
 
  Jean Tardieu - Portrait  
 
Portrait de Jean Tardieu


Biographie / Ouvres

Né en 1903 à Samt-Gerrnain-de-Joux (Jura), d'un père peintre (Victor Tardieu. 1870-1937) et dune mère musicienne.
Étude.a Paris : Ivcée Condorcet. puis Sorbonne. Suit, dès 1923. les > Entretiens d'été » de Pontigny, où ses premiers écrits poétiques sont remarqués par Paul Desjardins, André Gide, Roger Martin du Gard. Premiers poèmes publiés par Jean Paulhan. en 1927. dans La Nouvelle Revue

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