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Jean Pierre Louis de Fontanes

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Louis de Fontanes - portrait littéraire


Poésie / Poémes d'Jean Pierre Louis de Fontanes





On a remarqué dans la suite des familles que souvent le fils, ne ressemble pas à son père, mais que le petit-fils rappelle son aïeul, le petit-neveu son grand-oncle, en un mot que la ressemblance parfois saute une ou deux générations, pour se reproduire (on ne saurait dire commenT) avec une fidélité et une pureté singulière clans un rejeton éloigné. Il en est de même, en grand, dans la famille humaine et dans la suite inépuisable des esprits. Il y a de ces retours à distance, de ces correspondances imprévues. Un siècle illustre disparaît; le glorieux talent qui le caractérisait le mieux, et dans les nuances les plus accomplies, meurt, en emportant, ce semble, son secret; ceux qui le veulent suivre altèrent sa trace, les autres la brisent en se jetant de propos délibéré dans des voies toutes différentes: on est en plein dans un siècle nouveau qui lui-même décline et va s'achever. Tout d'un coup, après ce long espace et cette interruption qui semble définitive, un talent reparaît, en qui sourit une douce et chaste ressemblance avec l'aïeul littéraire. Il ressemble, sans le vouloir, sans y songer, et par une originalité native: dans le fond des traits, dans le tour des lignes, à travers la couleur pâlie, on reconnaît plus que des vestiges. C'est le rapport de M. de Fontanes à Racine; il est de cette famille, et il s'y présente à nous comme le dernier.





Dans cette sobriété et cette paresse même du poëte, se retrouve donc un sentiment touchant, modeste, et qu'on peut dire pieux. Je n'invente pas: M. de Fontanes le nourrissait en son coeur et l'a exprimé en plus d'un endroit. Dans son ode sur la littérature de l'Empire, rappelant les modèles du grand Siècle, beaucoup moins méconnus et moins offensés alors par les doctrines que par les oeuvres du jour, il se borne, lui, pour toute ambition, au rôle de Silius, à celui de Stace disant à sa muse:



......Nec tu divinam Aeneida tenta,

Sed longe sequere, et vestigia semper adora!

De Virgile ainsi, dans Rome,

Quand le goût s'était perdu,

Silius à ce grand homme

Offrait un culte assidu;

Sans cesse il nommait Virgile;

Il venait, loin de la ville,

Sur sa tombe le prier;

Trop faible, hélas! pour le suivre,

Du moins il faisait revivre

Ses honneurs et son laurier.



Et il avait autrement droit de se rendre ce témoignage, et de se dire ainsi l'adorateur domestique de Racine, que Silius pour Virgile.



Mais rien n'est tout à fait simple dans la nature des choses, et il ne faut pas, en tirant du personnage l'idée essentielle, ne voir en lui que cette idée. Dernier parent de Racine, et adorateur du XVIIe siècle, M. de Fontanes est pourtant du sien; il en est par les genres qu'il accepte, par ceux même qu'il veut renouveler; il en est par certaines teintes philosophiques et sentimentales qui font mélange à l'inspiration religieuse, par certaines faiblesses et langueurs de son style poétique élégant; mais, hâtons-nous d'ajouter, il en est surtout par le goût rapide, par le ton juste, par l'expression nette et simple, par tout ce que le XVIIIe siècle avait conservé de plus direct du XVIIe, et que Voltaire y avait transmis en l'aiguisant. De plus, M. de Fontanes n'était pas étranger au nôtre. Contraire aux nouveautés ambitieuses, il ne résistait pourtant pas à celles qui s'appuyaient de quelque titre légitime, de quelque juste accord dans le passé. Sur quelques-uns de ces points d'innovation, il devient lui-même la transition et la nuance d'intervalle, comme il convient à un esprit si modéré. Par ses pièces élégiaques et religieuses, par la Chartreuse et le Jour des Morts, il devançait de plus de trente ans et tentait le premier dans les vers français le genre d'harmonieuse rêverie; il semblait donner la note intermédiaire entre les choeurs d'Esther et les premières Méditations. Mais surtout, à cette époque critique de 1800, par son amitié, par sa sympathique et active alliance avec M. de Chateaubriand, il entrait dans la meilleure part du nouveau siècle; il s'y mêlait dans une suffisante et mémorable mesure. Le dernier des classiques donnait le premier les mains avec une joie généreuse à la consécration de la Muse enhardie, et lui-même il s'éclairait du triomphe. Tels, durant les étés du pôle, les derniers rayons d'un soleil finissant s'unissent dans un crépuscule presque insensible à la plus glorieuse des nouvelles aurores!



Pour nous, appelé aujourd'hui à parler de M. de Fontanes, nous ne faisons en cela qu'accomplir un désir déjà bien ancien. Quelle qu'ait été l'apparence bien contraire de nos débuts, nous avons toujours, dans notre liberté d'esprit, distingué, à la limite du genre classique, cette figure de Fontanes comme une de celles qu'il nous plairait de pouvoir approcher, et, dans le voile d'ombre qui la couvrait déjà à demi, elle semblait nous promettre tout bas plus qu'elle ne montrait. Sensible (par pressentimenT) à l'outrage de l'oubli pour les poëtes, nous nous demandions si tout avait péri de cette muse discrète dont on ne savait que de rares accents, si tout en devait rester à jamais épars, comme, au vent d'automne, des feuilles d'heure en heure plus égarées. L'idée nous revenait par instants de voir recueillis ces fragments, ces restes, disjecti membra poetoe, de savoir où trouver enfin, où montrer l'urne close et décente d'un chantre aimable qui fut à la fois un dernier-venu et un précurseur. C'était donc déjà pour nous un caprice et un choix de goût, une inconstance de plus si l'on veut, mais j'ose dire aussi une piété de poésie, avant d'être, comme aujourd'hui, un honneur.



Louis de Fontanes naquit à Niort, le 6 mars 1737, d'une famille ancienne, mais que les malheurs du temps et les persécutions religieuses avaient fait déchoir. L'étoile du berceau de madame de Maintenon semble avoir jeté quelque influence de goût, d'esprit et de destinée sur le sien. La famille Fontanes, autrefois établie dans les Cévennes (comté d'AlaiS), y avait possédé le fief d'Apennès ou des Apennès, dont le nom lui était resté (Fontanes des ApennéS): un village y portait aussi le nom de Fontanes. Mais, à l'époque où naquit le poëte, ce n'étaient plus là que des souvenirs. Sa famille, comme protestante, ne vivait, depuis la révocation de l'Édit de Nantes, que d'une vie précaire, errante et presque clandestine. Son grand-père, son père même étaient protestants; il ne le fut pas. Sa mère, catholique, avait, en se mariant, exigé que ses fils ou filles entrassent dans la communion dominante.



Les premières années de cet enfant à l'imagination tendre et sensible furent très-pénibles, très-sombres. Son frère aîné avait étudié au collège des Oratoriens de Niort; mais lui, le second, sans doute à cause de la gêne domestique, fut confié d'abord à un simple curé de village, ancien oratorien, le Père Bory, par malheur outré janséniste. Le digne curé, au lieu de tirer parti de cette jeune âme volontiers heureuse, sembla s'attacher à la noircir de terreurs: il envoyait son élève à la nuit close, seul, invoquer le Saint-Esprit dans l'église; il fallait traverser le cimetière, c'étaient des transes mortelles. M. de Fontanes y prit le sentiment terrible du religieux; pourtant l'imagination était peut-être plus frappée que le coeur. Le curé ne se bornait pas aux impressions morales, il y ajoutait souvent les duretés physiques; et le pauvre enfant, poussé à bout, s'échappait, un jour, pour s'aller faire mousse à La Rochelle: on le rattrapa. M. de Fontanes, en sauvant l'esprit religieux, conserva toute sa vie l'aversion des dogmes durs qui avaient contristé son enfance. S'il défendit le calvinisme dans son discours qui eut le prix à l'Académie, c'était au nom de la tolérance, par un sentiment de convenance domestique et d'équité civile; mais il n'en sépara jamais dans sa pensée les longs malheurs que lui avait dus sa famille, de môme qu'il associait l'idée de jansénisme au souvenir de ses propres douleurs. Dans son Jour des Morts, il a grand soin de nous dire de son humble pasteur:



Il ne réveille pas ces combats des écoles,

Ces tristes questions qu'agitèrent en vain

Et Thomas, et Prosper, et Pélage et Calvin.



Une telle enfance menait naturellement M. de Fontanes à placer son idéal chrétien dans la religion de Fénelon.



Ses études se firent ainsi de neuf ans à treize, en ce village appelé La Foye-Mongeault, entre Niort et La Rochelle. Il ne les termina point pourtant sans suivre ses hautes classes aux Oratoriens de Niort, d'où sortait son frère aîné; et celui-ci, poëte lui-même, dans leurs promenades aux environs de la ville et le long des bords de la fontaine Du Vivier, l'initiait déjà au jeu de la muse. Il perdit ce frère chéri en 1772. Puis, dans l'intervalle de la mort de son père (1774) à celle de sa mère, qui arriva un an après, il alla séjourner en Normandie, aux Andelys, y apprit l'anglais par occasion, y recueillit, dans ses courses rêveuses, de fraîches impressions poétiques, que sa Forêt de Navarre et son Vieux Château nous ont rendues. Venu à Paris vers 1777, il y commença des liaisons littéraires. Je ne parle pas de Dorat, singulier patron, qu'il se trouva tout d'abord connaître et cultiver plus qu'il ne semble naturel d'après le peu d'unisson de leurs esprits. Il aimait à raconter qu'à la seconde année de ce séjour, se promenant avec Ducis, ils rencontrèrent Jean-Jacques, bien près alors de sa fin. Ducis, qui le connaissait, l'aborda, et, avec sa franchise cordiale, réussissant à l'apprivoiser, le décida à entrer chez un restaurateur. Après le repas, il lui récita quelques scènes de son Oedipe chez Admète, et lorsqu'il en fut à ces vers où l'antique aveugle se rend témoignage:



.......Écoutez-moi, grands Dieux!

J'ose au moins sans terreur me montrer à vos yeux.

Hélas! depuis l'instant où vous m'avez fait naître,

Ce coeur à vos regards n'a point déplu peut-être.

Vous frappiez, j'ai gémi. J'entrerai sans effroi

Dans ce cercueil trompeur qui s'enfuit loin de moi.

Vous savez si ma voix, toujours discrète et pure,

S'est permis contre vous le plus léger murmure;

C'est un de vos bienfaits que, né pour la douleur,

Je n'aie au moins jamais profané mon malheur!



Jean-Jacques, qui avait jusque-là gardé le silence, sauta au cou de Ducis, en s'écriant d'une voix caverneuse: «Ducis, je vous aime!» M. de Fontanes, témoin muet et modeste de la scène, en la racontant après des années, croyait encore entendre l'exclamation solennelle.



Il ne vit Voltaire que de loin, couronné à la représentation d'Irène; mais il n'eut pas le temps de lui être présenté. Son frère aîné (Marcellin de FontaneS), mort, je l'ai dit, en 1772, à l'âge de vingt ans, et doué lui-même de grandes dispositions poétiques, avait composé une tragédie qu'il avait adressée à Voltaire, aussi bien qu'une épître déjeune homme, et il avait reçu une de ces lettres datées de Ferney, qui équivalaient alors à un brevet ou à une accolade.



Fontanes eut le temps de voir beaucoup d'Alembert: laissons-le dire là-dessus: «Tout homme, écrit-il au Mercure à propos de Beaumarchais99, tout homme qui a fait du bruit dans le monde a deux réputations: il faut consulter ceux qui ont vécu avec lui, pour savoir quelle est la bonne et la véritable. Linguet, par exemple, représentait d'Alembert comme un homme diabolique, comme le Vieux de la Montagne. J'avais eu le bonheur d'être élevé à l'Oratoire par un des amis de ce philosophe, et je l'ai beaucoup vu dans ma première jeunesse. Il était difficile d'avoir plus de bonté et d'élévation dans le caractère. Il se fâchait, à la vérité, comme un enfant, mais il s'apaisait de même. Jamais chef de parti ne fut moins propre à son métier.» Toutes ces relations précoces, ces comparaisons multipliées et contradictoires expliquent bien et préparent la modération de Fontanes dans ses jugements, sa science de la vie, son insouciance de l'opinion, et ne rendent que plus remarquable le maintien de ses affections religieuses. Il écrivait ce mot sur d'Alembert, et il allait tout à l'heure appuyer M. de Bonald.



L'Almanach des Muses de 1778 nous donne les premières nouvelles littéraires du poëte. On y lit de lui une pièce composée à seize ans, qui a pour titre le Cri de mon Coeur, et un fragment d'un Poëme sur la Nature et sur l'Homme, qui sort déjà des simples essais juvéniles. Ce Cri de mon Coeur ne serait qu'une boutade adolescente sans conséquence, s'il ne nous représentait assez bien toutes les impressions accumulées de l'enfance douloureuse de Fontanes. La mort de son frère aîné, celle de son père et de sa mère, qui l'ont frappé coup sur coup, achèvent d'égarer son âme. Il s'écrie contre l'existence; il va presque jusqu'à la maudire:



Monarque universel, que peut-être j'outrage,

Pardonne à mes soupirs; je connais mon erreur.

Pour un jeune arbrisseau que tourmente l'orage,

Dois-tu suspendre la fureur?

D'un pas toujours égal, la Nature insensible

Marche, et suit les décrets avec tranquillité.

Audacieux enfant contre elle révolté,

Je me débats en vain sous le bras inflexible

De la Nécessité.



Il s'arrête un moment aux projets les plus sinistres et les envisage sans effroi:



Terre, où va s'engloutir ma dépouille fragile,

Terre, qui l'entretiens de la cendre des morts,

O ma mère, à ton fils daigne ouvrir un asile,!

Heureux, si dans ton sein doucement je m'endors!

Sous la tombe, du moins, l'infortune est tranquille.



Mais à l'instant la terre s'entr'ouvre, l'Ombre de son père en sort et le rappelle à la raison, à la constance, à la vertu, lui montre une soeur chérie qui lui reste, et l'invite aux beaux-arts, à la poésie noblement consolatrice. Ce Cri de mon Coeur semble avoir exhalé en une fois toute cette ferveur troublée de la jeune âme de Fontanes, et on n'en retrouvera plus trace désormais dans son talent pur, tendre, mélancolique, et moins ardent que sensible100.



L'Almanach des Muses de 1780 le fit plus hautement connaître, en publiant la Forêt de Navarre. Ce petit poëme descriptif, vu à sa date, avait de la fraîcheur et de la nouveauté. L'auteur, en y développant une peinture déjà touchée dans la Henriade, y faisait preuve de son admiration pour Voltaire et de son amour pour Henri IV, deux traits essentiels qui ne le quittèrent jamais. Il y marquait par un vers d'éloge sa déférence à Delille, déjà célèbre depuis 1770; mais, même à cette heure de jeunesse première, il semblait plus sobre, plus modéré en hardiesse que ce maître brillant. On remarquait, à travers les exclamations descriptives d'usage, bien des vers heureux et simples, de ces vers trouvés, qui peignent sans effort:



Le poëte aime l'ombre, il ressemble au berger....

L'oiseau se fait, perché sur le rameau qui dort....

Foulant de hauts gazons respectés du faucheur....

Ils ne sont plus ces jours où chaque arbre divin

Enfermait sa Dryade et son jeune Sylvain,

Qui versaient en silence à la tige altérée

La sève à longs replis sous l'écorce égarée.



Il n'y avait pas abus de coupes, quelques-unes pourtant assez neuves, quelques jets un peu libres, que plus tard son ciseau, en y revenant, supprima:



Quel calme universel! je marche: l'ombre immense,

L'ombre de ces ormeaux dont les bras étendus

Se courbent sur ma tête en voûtes suspendus,

S'entasse à chaque pas, s'élargit, se prolonge,

Croît toujours; et mon coeur dans l'extase se plonge.

Enfin, quelque chose de senti inspirait le tout.



Garât, rendant compte de l'Almanach des Muses dans le Mercure (avril 1780), s'arrêta longuement sur le poëme de Fontanes, et le critiqua avec une sévérité indirecte et masquée, qui put sembler piquante dans les habitudes du temps. Il fait bien ressortir l'absence de plan, les contradictions entre l'appareil didactique et certaines formes convenues d'enthousiasme: Que de tableaux divers!...A pas lents je m'égare. Oui, à pas lents. Mais il ne va pas au fond. Quand il en vient au style, il frappe encore plus au hasard et souligne quelques-uns des vers que nous citions précisément à titre de beauté. Fontanes fut très-sensible à l'article de Garât, et faillit en être découragé à cette entrée dans la carrière. La plus sûre preuve de l'impression profonde qu'il en reçut, c'est que trente-sept ans après, lorsqu'il fixa la rédaction dernière de la Forêt de Navarre, il tint compte dans sa refonte de presque toutes les critiques de détail, même de celles où Garat avait tort. Voilà de la sensibilité de poëte, mais bien modeste et docile.



Garât, que nous trouvons ainsi au début de Fontanes, et qui, nonobstant son article sévère, d'ailleurs très-convenable, fut et resta lié avec lui dans les années qui précédèrent la Révolution, Garat, plus âgé de plusieurs années, nous offre à certains égards, et en fait de destinée littéraire, le pendant du poëte dans le camp opposé, dans les rangs philosophiques: grand talent de prosateur, s'essayant d'abord aux éloges académiques, se dispersant en tout temps aux journaux, puis intercepté brusquement par la Révolution et désormais lancé à tous les souffles de l'orage; exemple déplorable et frappant du danger de ne se recueillir sur rien, et, avec des facultés supérieures, de ne laisser qu'une mémoire éparse, bientôt naufragée! Durant la Révolution, soit sous la Terreur, soit après Fructidor, Fontanes crut avoir beaucoup à se plaindre de lui, et il rompit tout rapport avec un adversaire au moins indiscret, qui se figurait peut-être, dans son sophisme d'imagination, continuer simplement envers le proscrit politique l'ancienne polémique littéraire. Mais, sans faire injure à aucune mémoire, et dans l'éloignement où l'on est de leur tombe, on ne peut s'empêcher de pousser le rapprochement: Garat, avec plus de verve et bien moins de goût, louant Desaix et Kléber, comme Fontanes louait Washington; Garat se flattant toujours d'élever le monument métaphysique dont on ne sait que la brillante préface, comme Fontanes se flattait de l'achèvement de la Grèce sauvée; mais, avec une imagination trop vive chez un philosophe, Garat n'était pas poëte, et l'avantage incomparable de Fontanes, pour la durée, consiste en ce point précis: il lui suffit de quelques pièces qu'on sait par coeur pour sauver son nom.



A leur date, la Chartreuse et le Jour des Morts, déjà un peu passés, mais à maintenir dans la suite des tons et des nuances de la poésie française; sans date, et de tous les instants, les Stances à une jeune Anglaise, l'ode à une jeune Beauté, ou celle du Buste de Vénus; en un mot, le flacon scellé qui contient la goutte d'essence; voilà ce qui surnage, c'est assez. Les métaphysiciens échoués n'ont pas de ces débris-là.



Dans les premiers temps de son séjour à Paris, Fontanes travailla beaucoup, et il conçut, ébaucha ou même exécuta dès lors presque tous les ouvrages poétiques qu'il n'a publiés que plus tard et successivement. Un vers de la première Forêt de Navarre nous apprend qu'il avait déjà traduit à ce moment (1779) l'Essai sur l'Homme de Pope, qui ne parut qu'en 1783. Une élégie de Flins, dédiée à Fontanes101, nous le montre, en 1782, comme ayant terminé déjà son poëme de l'Astronomie, qui ne fut publié qu'en 1788 ou 89, et comme poursuivant un poëme en six chants sur la Nature, qui ne devait point s'achever. La Chartreuse paraissait en 1783, et on citait presque dans le même temps le Jour des Morts, encore inédit, d'après les lectures qu'en faisait le poëte. Ainsi, en ces courtes années, les oeuvres se pressent. Tous les témoignages d'alors, les articles du Mercure, une épître de Parny à Fontanes102, nous montrent celui-ci dans la situation à part que lui avaient faite ses débuts, c'est-à-dire comme cultivant la grande poésie et aspirant à la gloire sévère. Mais bientôt la vie de Paris et du XVIIIe siècle, la vie de monde et de plaisir le prit et insensiblement le dissipa. Il voyait beaucoup les gens de lettres à la mode, Barthe, Rivarol; il dînait chaque semaine chez le chevalier de Langeac, son ami (encore aujourd'hui vivanT), qui les réunissait. Et qui ne voyait-il pas, qui n'a-t-il pas connu au temps de cette jeunesse liante, de d'Alembert à Linguet, de Berquin à Mercier, de Florian à Rétif; tous les étages de la littérature et de la vie? Par moments, soit inquiétude d'âme rêveuse et reprise de poésie, soit blessure de coeur, soit nécessité plus vulgaire, et, comme dit André Chénier:



Quand ma main imprudente a tari mon trésor, il sentait le besoin de se dérober. Il se retirait à Poissy en hiver; il se faisait ermite, et se vouait à l'étude entre son Tibulle et son Virgile. Mais cela durait peu. Les amis heureux le désiraient, le rappelaient. Un voyage en Suisse, vers 1787, auparavant un autre voyage de deux mois en Angleterre, ne tardaient point à le leur rendre. La prospérité pourtant ne venait pas. Si c'était la saison des plaisirs, c'était aussi celle des rudes épreuves:



Redis-moi du malheur les leçons trop amères, a-t-il écrit plus tard parlant à sa muse secrète et en songeant à ce temps. Ainsi se passèrent pour lui, trop au hasard sans doute, les années faciles et fécondes. La Révolution le surprit, et dans l'Épître à M. de Boisjolin, en 1792, jetant un regard en arrière, à la veille de plus grands orages, il pouvait dire avec un regret senti:



Tu m'as trop imité: les plaisirs, la mollesse,

Dans un piége enchanteur ont surpris ta faiblesse.

La gloire en vain promet des honneurs éclatants:

Un souris de l'amour est plus doux à vingt ans;

Mais à trente ans la gloire est plus douce peut-être.

Je l'éprouve aujourd'hui. J'ai trop vu disparaître

Dans quelques vains plaisirs aussitôt échappés

Des jours que le travail aurait mieux occupés.

Oh! dans ces courts moments consacrés à l'étude,

Combien je chérissais ma docte solitude!...



C'est en cet intervalle de 1780 à 1792 qu'il convient d'examiner dans son premier jour Fontanes: il prend place alors; sa vraie date est là. On a pour habitude, dans les jugements vagues et dans les à-peu-près courants, de faire de lui, à proprement parler, un poëte de l'Empire. Il ne se jugeait pas tel lui-même; il n'estimait guère, on le verra, la littérature de cette époque; il n'y faisait qu'une exception éclatante, et s'y effaçait volontiers. Il fut orateur de l'Empire, mais le poëte chez lui était antérieur.

La traduction de l'Essai sur l'Homme, si perfectionnée depuis, mais déjà fort estimable, et enrichie de son excellent discours préliminaire, parut pour la première fois en 1783, et valut à l'auteur un article de La Harpe, adressé sous forme de lettre au Mercure 104. Un article de La Harpe, c'était la consécration officielle d'un talent. Le critique insistait beaucoup, en louant M. de Fontanes, sur la marche imposante et soutenue de sa phrase poétique, et cet art de couper le vers sans le réduire à la prose, et de varier le rhythme sans le détruire, deux choses, dit-il, si différentes, et qu'aujourd'hui l'ignorance et le mauvais goût confondent si souvent. Il louait avant tout dans le traducteur, et recommandait avec raison aux jeunes écrivains l'ensemble et le tissu du style, qu'on sacrifiait dès lors à l'effet du détail; il s'élevait à plusieurs reprises contre les métaphores accumulées et les figures nébuleuses: «Ce n'est pas, ajoutait-il, à M. de Fontanes que cet avis s'adresse, il en a trop rarement besoin; mais les vérités communes ne peuvent pas être perdues aujourd'hui; il faut bien les opposer aux nouvelles extravagances des nouvelles doctrines:



Note 104: (retouR) Septembre 1783.-La Harpe envoya son article sous forme de lettre, parce qu'il s'était retiré de la rédaction du Mercure dès 1779. C'avait été une résolution presque solennelle. La guerre qu'il faisait depuis quelques années aux novateurs, aux rimeurs hasardeux, était devenue si vive, qu'elle les ameuta contre lui, et il y eut ligue pour le forcer à quitter le jeu. Injures, calomnies, menaces, tout fut employé, à ce qu'il semble. A la mort de Voltaire, comme aux funérailles d'un monarque absolu, il y eut redoublement de sédition littéraire; le nom du mort était invoqué contre un disciple trop faible pour son héritage; on se plaisait à remarquer que le grand homme ne l'avait pas mis sur son testament. Bref, la place n'était plus tenable. La Harpe fit pourtant bonne et courageuse contenance; il prépara en secret sa pièce des Muses rivales, qui répondait à certaines inculpations, et la fit jouer sans qu'on sût à l'avance qu'elle était de lui. Le succès fut grand, et, le lendemain de ce triomphe, il déclara se retirer du Mercure: il abdiqua, mais en vainqueur. Ce fut un des grands événements de ce temps-là. Puis, comme tous ceux qui abdiquent, il ne tarda pas à se repentir, et revint dans la suite de plus belle à ces querelles de journaux qu'il maudissait et qui étaient sa vie.

«Un tronc jadis sauvage adopte sur sa tige



Des fruits dont sa vigueur hâle l'heureux prodige105;



«Hâter le prodige des fruits est une métaphore très-obscure. C'est peut-être la seule fois que l'auteur s'est rapproché du style à la mode, et Dieu me préserve de le lui passer!» On cherche à qui peut avoir trait, en somme, cette véhémence de La Harpe; ce n'est pas même à Delille, c'est tout au plus à quelques-uns de ses imitateurs, à je ne sais quoi d'énorme aux environs de Roucher ou de Dorat. A la distance où nous sommes, au degré d'hérésie où nous ont poussés le temps et l'usage, cela fuit106.



Fontanes se tenait sans effort dans les mêmes principes que La Harpe: en traduisant Pope, le sage Pope, il ne l'approuvait pas toujours. Il blâme, dès les premiers vers de son auteur, ces métaphores redoublées, selon lesquelles l'homme est tour à tour un labyrinthe, un jardin, un champ, un désert, et n'y voit que manque de goût, de précision et de clarté. Quand il rencontre ce vers tout pétillant:



In folly's cup still laughs the bubble, joy, la joie, cette bulle d'eau, rit dans la coupe de la folie, il le supprime. Il est bien plus que l'abbé Delille de l'école directe de Boileau et de Racine.



Il est mieux que de l'école, il est du sentiment tendre et de l'inspiration émue de ce dernier dans la Chartreuse et dans le Jour des Morts. Racine jeune, Racine déjà revenu d'Uzès et à la veille d'Andromaque, Racine né au XVIIIe siècle, ayant beaucoup lu, au lieu de Théagène et Chariclée, l'Épître de Colardeau, et se promenant, non pas à Port-Royal, mais au Luxembourg, aurait pu écrire la Chartreuse.



La manière littéraire a beau changer; les formes du style.

Racine et Despréaux ont vu leur gloire usée,

Et par des écoliers leur langue méprisée.

Voltaire au seul hasard a dû quelques beaux vers;

Ses succès, soixante ans, ont trompé l'univers.

Il n'existe en effet qu'une seule science:

C'est des mots discordants la bizarre alliance,

Des tropes entassés le chaos monstrueux.

L'ignoble barbarisme, aujourd'hui fastueux,

Est le trait de la force et le fruit de l'étude,

Et sait donner au vers une noble attitude.

Veut-on que notre mètre, en sa marche arrêté,

De la mesure antique ait la variété?

Substituez alors (la ressource est aiséE)

Au rhythme poétique une prose brisée.

Enfin sachez frapper le dernier coup de l'art:

Que de tous ses rayons Phébus vous illumine;

Et, faute d'égaler la langue de Racine,

Osez ressusciter le jargon de Ronsard.



Rien n'est donc nouveau, ni l'audace, ni le cri d'alarme, ni l'injure dans un sens et dans l'autre; ne nous attachons qu'au talent, ont beau se renouveler, se vouloir rajeunir, et, même en n'y réussissant pas toujours, faire pâlir du moins la couleur des styles précédents; les idées, sinon la pratique, en matière de goût et d'art sévère, ont beau s'élever, s'affermir, s'agrandir, je le crois, par une comparaison plus studieuse et plus étendue: il est des impressions heureuses, faciles, touchantes, qui, dans de courtes productions, tirent leur principal intérêt du coeur, et qui durent sous un crayon un peu effacé. La lecture de la Chartreuse, si l'on a l'imagination sensible, et si l'on n'a pas l'esprit barré par un système, cette lecture mélodieuse et plaintive, faite à certaine heure, à demi-voix, produira toujours son effet, émouvra encore et finira par mêler vos pleurs à ceux du poète:



Cloître sombre, où l'amour est proscrit par la Ciel,

Où l'instinct le plus cher est le plus criminel,

Déjà, déjà ton deuil plaît moins à ma pensée!

L'imagination, vers les murs élancée,

Chercha leur saint repos, leur long recueillement;

Mais mon âme a besoin d'un plus doux, sentiment.

Ces devoirs rigoureux font trembler ma faiblesse.

Toutefois, quand le temps, qui détrompe sans cesse,

Pour moi des passions détruira les erreurs,

Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs;

Quand mon coeur nourrira quelque peine secrète;

Dans ces moments plus doux, et si chers au poëte,

Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins,

Et jouir de lui-même et rêver sans témoins;

Alors je reviendrai, Solitude tranquille,

Oublier dans ton sein les ennuis de la ville,

Et retrouver encor, sous ces lambris déserts,

Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.



De tels vers, pour la couleur mélancolique à la fois et transparente, étaient dignes contemporains des belles pages des Études de la Nature.



Le Jour des Morts offre plus de composition que la Chartreuse; c'est moins une méditation, une rêverie, et davantage un tableau. Il dut plaire plus vivement peut-être aux contemporains; il a plus passé aujourd'hui. Le XVIIIe siècle y a jeté de ses couleurs de convention. Ce curé de village, rustique Fénelon, qu'on n'ose pas appeler curé, et qui n'est que pasteur, mortel respecté, homme sacré, ce prêtre ami des lois et zélé sans abus, qui n'ose faire parler la colère céleste contre le mal, et qui ne sait qu'adoucir la tristesse par l'espérance, est un de ces chrétiens comme on aimait à se les figurer à la date de la Chaumière indienne. On se demande si le poëte partage absolument l'esprit du spectacle qu'il nous retrace avec tant d'émotion. A un endroit de la première version du Jour des Morts, il était question de destin107. Plus d'un vers reste en désaccord avec le dogme; ainsi, lorsqu'il s'agit, d'après Gray, de ces morts obscurs, de ces Turenne peut-être et de ces Corneille inconnus:



Eh bien! si de la foule autrefois séparé,



Illustre dans les camps ou sublime au théâtre,



Son nom charmait encor l'univers idolâtre,



Aujourd'hui son sommeil en serait-il plus doux? dernier vers charmant, imité de La Fontaine avant sa conversion; mais depuis quand la mort, pour le chrétien, est-elle un doux sommeil et le cercueil un oreiller? En somme, la religion du Jour des Morts est une religion toute d'imagination, de sensibilité, d'attendrissement (le mot revient sans cessE); c'est un christianisme affectueux et flatté, à l'usage du XVIIIe siècle, de ce temps même où l'abbé Poulle, en chaire, ne désignait guère Jésus-Christ que comme le Législateur des chrétiens. Ici, ce mode d'inspiration, plus acceptable chez un poëte, cette onction sans grande foi, et pourtant sincère, s'exhale à chaque vers, mais elle se déclare surtout admirablement dans le beau morceau de la pièce au moment de l'élévation pendant le sacrifice:



O moment solennel! ce peuple prosterné,

Ce temple dont la mousse a couvert les portiques,

Ses vieux murs, son jour sombre, et ses vitraux gothiques;

Cette lampe d'airain, qui, dans l'antiquité,

Symbole du soleil et de l'éternité,

Luit devant le Très-Haut, jour et nuit suspendue;

La majesté d'un Dieu parmi nous descendue;

Les pleurs, les voeux, l'encens, qui montent vers l'autel,

Et de jeunes beautés, qui, sous l'oeil maternel,

Adoucissent encor par leur voix innocente

De la religion la pompe attendrissante;

Cet orgue qui se tait, ce silence pieux,

L'invisible union de la terre et des cieux,

Tout enflamme, agrandit, émeut l'homme sensible;

Il croit avoir franchi ce monde inaccessible,

Où, sur des harpes d'or, l'immortel séraphin

Aux pieds de Jéhovah chante l'hymne sans fin.

C'est alors que sans peine un Dieu se fait entendre:

Il se cache au savant, se révèle au coeur tendre;

Il doit moins se prouver qu'il ne doit se sentir.



Il y avait longtemps à cette date que la poésie française n'avait modulé de tels soupirs religieux. Jusqu'à Racine, je ne vois guère, en remontant, que ce grand élan de Lusignan dans Zaïre. M. de Fontanes essayait, avec discrétion et nouveauté, dans la poésie, de faire écho aux accents épurés de Bernardin de Saint-Pierre, ou à ceux de Jean-Jacques aux rares moments où Jean-Jacques s'humilie. Son grand tort est de s'être distrait sitôt, d'avoir récidivé si peu.



Dans le Jour des Morts, il s'était souvenu de Gray et de son Cimetière de Campagne; il se rapproche encore du mélancolique Anglais par un Chant du Barde:108 tous deux rêveurs, tous deux délicats et sobres, leurs noms aisément s'entrelaceraient sous une même couronne. Gray pourtant, dans sa veine non moins avare, a quelque chose de plus curieusement brillant et de plus hardi, je le crois. Les deux ou trois perles qu'on a de lui luisent davantage. Celles de Fontanes, plus radoucies d'aspect, ne sont peut-être pas de qualité moins fine: le chantre plaintif du Collège d'Eton n'a rien de mieux que ces simples Stances à une jeune Anglaise.



Une affinité naturelle poussait Fontanes vers les poëtes anglais: on doit regretter qu'il n'ait pas suivi plus loin cette veine. Il avait bien plus nettement que Delille le sentiment champêtre et mélancolique, qui distingue la poésie des Gray, des Goldsmith, des Cowper: son imagination, où tout se terminait, en aurait tiré d'heureux points de vue, et aurait importé, au lieu du descriptif diffus d'alors, des scènes bien touchées et choisies. Mais il aurait fallu pour cela un plus vif mouvement d'innovation et de découverte que ne s'en permettait Fontanes. Il côtoya la haie du cottage, mais il ne la franchit pas. L'anglomanie qui gagnait le détourna de ce qui, chez lui, n'eût jamais été que juste. De son premier voyage en Angleterre, il rapporta surtout l'aversion de l'opulence lourde, du faste sans délicatesse, de l'art à prix d'or, le dégoût des parcs anglais, de ces ruines factices, et de cet inculte arrangé qu'il a combattu dans son Verger. De l'école française en toutes choses, il ne haïssait pas dans le ménagement de la nature les allées de Le Nôtre et les directions de La Quintinie, comme, dans la récitation des vers, il voulait la mélopée de Racine. En se gardant de l'abondance brillante de Delille, il négligea la libre fraîcheur des poëtes anglais paysagistes, desquels il semblait tout voisin. Son descriptif, à lui, est plutôt né de l'Épître de Boileau à Antoine.



Son étude de Pope et son projet d'un poème sur la Nature le conduisirent aisément à son Essai didactique sur l'Astronomie: M. de Fontanes n'a rien écrit de plus élevé. Je sais les inconvénients du genre: on y est pressé, comme disait en son temps Manilius, entre la gêne des vers et la rigueur du sujet:



.....Duplici circumdalus aestu

Carminis et rerum........



Il faut exprimer et chanter, sous la loi du rhythme, des lois célestes que la prose, dans sa liberté, n'embrasse déjà qu'avec peine. Comme si ces difficultés ne se marquaient pas assez d'elles-mêmes, le poëte, dans sa marche logique et méthodique, dans sa pénible entrée en matière et jusque dans ce titre d'Essai, n'a rien fait pour les dissimuler. Mais combien ce défaut peu évitable est racheté par des beautés de premier ordre! et, d'abord, par un style grave, ferme, soutenu, un peu difficile, mais par là-même pur de toute cette monnaie poétique effacée du XVIIIe siècle, par un style de bon aloi, que Despréaux eût contre-signe à chaque page, ce qu'il n'eût pas fait toujours, même pour le style de M. de Fontanes. Cette fois, l'auteur, pénétré de la majesté de son sujet, n'a nulle part fléchi; il est égal par maint détail, et par l'ensemble il est supérieur aux Discours en vers de Voltaire; il atteint en français, et comme original à son tour, la perfection de Pope en ces matières, concision, énergie:



Vers ces globes lointains qu'observa Cassini,

Mortel, prends ton essor; monte par la pensée,

Et cherche où du grand Tout la borne fut placée.

Laisse après toi Saturne, approche d'Uranus;

Tu l'as quitté? poursuis: des astres inconnus,

A l'aurore, au couchant, partout sèment ta route;

Qu'à ces immensités l'immensité s'ajoute.

Vois-tu ces feux lointains? Ose y voler encor:

Peut-être ici, fermant ce vaste compas d'or

Qui mesurait des cieux les campagnes profondes,

L'éternel Géomètre a terminé les mondes.

Atteins-les: vaine erreur! Fais un pas; à l'instant

Un nouveau lieu succède, et l'univers s'étend.

Tu t'avances toujours, toujours il t'environne.

Quoi! semblable au mortel que sa force abandonne,

Dieu, qui ne cesse point d'agir et d'enfanter,

Eût dit: «Voici la borne où je dois m'arrêter!»



Cette grave et stricte poésie s'anime heureusement, par places, d'un sentiment humain, qui repose de l'aspect de tant de justes orbites et répand une piété toute virgilienne à travers les sphères:



Tandis que je me pends en ces rêves profonds, Peut-être un habitant de Vénus, de Mercure, De ce globe voisin qui blanchit l'ombre obscure, Se livre à des transports aussi doux que les miens. Ah! si nous rapprochions nos hardis entretiens! Cherche-t-il quelquefois ce globe de la terre, Qui, dans l'espace immense, en un point se resserre? A-t-il pu soupçonner qu'en ce séjour de pleurs Rampe un être immortel qu'ont flétri les douleurs?



Et tout ce qui suit.-Le style, dans le détail, arrive quelquefois à un parfait éclat de vraie peinture, à une expression entière et qui emporte avec elle l'objet: on compte ces vers-là dans notre poésie classique, même dans Racine, qui en offre peut-être un moins grand nombre que Boileau:



Quand la lune arrondie en cercle lumineux

Va, de son frère absent, nous réfléchir les feux,

Il vous dira pourquoi, d'un crêpe enveloppée,

Par l'ombre de la terre elle pâlit frappée.



En terminant cet Essai qui est devenu un chant ou du moins un tableau, le poëte invite de plus hardis que lui à l'étude entière et à la célébration de la nature et des cieux: il se rappelle tout bas ce que Virgile se disait au début du troisième livre des Géorgiques:



Omnia jam vulgala: quis aut Eurysthea durum,

Aut illaudati nescit Busiridis aras?

Cui non dictus Hylas puer?......



........................................



... Tentanda via est, qua me quoque possim

Tollere humo, victorque virûm volitare per ora.

Faut-il offrir toujours, sur la scène épuisée,

Des tragiques douleurs la pompe trop usée?

Des sentiers moins battus s'ouvrent devant nos pas.



Mais nul poëte depuis n'a tenté ces hauts sentiers, et les descriptifs moins que les autres. Cet Essai sur l'Astronomie, qui n'a pas été classé jusqu'ici comme il le mérite, pourrait presque sembler, par sa juste et belle austérité, une critique en exemple, une contre-partie et un contre-poids que Fontanes aurait voulu opposer aux excès et aux abus de l'école envahissante.



Il a laissé du pur descriptif lui-même; sa Maison rustique (l'ancien Verger refondU) n'est pas autre chose. N'oublions pas pourtant que ce Verger, qui parut en 1788, fort court et un peu pressé entre notes et préface, était encore une protestation indirecte contre la manie du jour, un sous-amendement respectueux au poëme des Jardins. Fontanes se sauvait dans le verger pour faire de là opposition, pour jeter en quelque sorte son caillou de derrière les saules. Il s'élevait fort contre ces colifichets soi-disant champêtres, contre cette négligence acquise à grands frais,



Où la simplicité n'est qu'un luxe de plus.



Ermenonville, avec son Temple de la Philosophie et sa Tour de Gabrielle, ne trouvait pas grâce absolument devant son goût sans fadaise. L'ouvrage d'un Allemand, Hirschfeld, sur les jardins et les paysages, lui fournissait surtout matière à gaieté. Le professeur d'esthétique avait conseillé au bout du verger un étang, d'où monterait en choeur le cri des grenouilles, effectivement si harmonieux de loin le soir, dans la tranquillité des airs. Mais cette harmonie, qui sentait trop Aristophane, et que Jean-Baptiste Rousseau n'avait pas réhabilitée, ne revenait guère à Fontanes, non plus que l'étang bourbeux. Il prenait de là occasion pour se jeter sur le germanisme en littérature, et il en prévoyait dès lors, il en combattait les conséquences en tout genre, avec une vivacité qui prouve encore moins sa prévention extrême que sa promptitude de coup d'oeil et d'avant-goût. Quand vint madame de Staël, elle le trouva tout armé à l'avance et très-averti.



On voit que M. de Fontanes n'était pas un homme de révolution; aussi la nôtre de 89 ne l'enleva point d'un entier élan. A trente ans passés, sa situation restée si précaire semblait le pousser en avant: sa modération d'esprit le retint. Il partagea pourtant avec presque toute la France le premier mouvement et les espérances de l'aurore de 89; l'on a même un chant de lui sur la fête de la Fédération en 90. Mais ce fut sa limite extrême. Dès le commencement de 90, il participait avec son ami Flins à la rédaction d'un journal, le Modérateur, qui remplissait son titre. On distingue difficilement les articles de Fontanes dans cette feuille, qui d'ailleurs a peu vécu; et comme il n'y a que l'esprit général qui en soit remarquable, il importe peu de les distinguer. Le Modérateur suit, avec moins de verve et d'audace, la ligne d'André Chénier. J'aime à y voir111 le chevalier de Pange, cet autre André, loué pour ses Réflexions sur la Délation et sur le Comité des Recherches. On y devine, à quelques mots jetés çà et là, combien Fontanes jugeait le moment peu favorable aux vers; et il n'était pas homme à s'armer de l'ïambe. Des ébauches de tragédies qu'il conçut alors, Thrasybule, Thamar, Mazaniel, n'eurent pas de suite et n'aboutirent qu'à quelques scènes. Il quitta Paris peu après, et, retiré à Lyon, il adressait de là cette gracieuse et un peu jeune Épître à Boisjolin.112 Un grand calme, un sourire d'imagination y règne. Il a retrouvé les champs, il a repris l'étude, et le voilà qui resonge à la belle gloire. Dans les conseils qu'il donne, lui-môme il se peint, et, à cette lenteur de poésie qu'il exprime si merveilleusement, on reconnaît son propre talent d'abeille:



Comme on voit, quand l'hiver a chassé les frimas,



Revoler sur les Heurs l'abeille ranimée,



Qui six mois dans sa ruche a langui renfermée,



Ainsi revole aux champs, Muse, fille du Ciel!



De poétiques fleurs compose un nouveau miel;



Laisse les vils frelons qui te livrent la guerre



A la hâte et sans art pétrir un miel vulgaire;



Pour toi, saisis l'instant: marque d'un oeil jaloux



Le terrain qui produit les parfums les plus doux;



Reposant jusqu'au soir sur la tige choisie,



Exprime avec lenteur une douce ambroisie,



Épure-la sans cesse, et forme pour les cieux



Ce breuvage immortel attendu par les Dieux.



Je suis porté à placer alors la première inspiration de la Grèce sauvée; je conjecture que l'Anacharsis de l'abbé Barthélémy, dont l'impression sur lui fut si vive, et qu'il célébra dans une épître, lui en donna idée par contre-coup. Son poëme de la Grèce sauvée, en effet, eût été pour la couleur le contemporain du Voyage d'Anacharsis, comme sa Chartreuse et son Jour des Morts étaient bien des élégies contemporainesdes Études de la Nature. Arrivé à trente-cinq ans, et songeant à se recueillir enfin dans une oeuvre, Fontanes se disait sans doute un peu pour lui-même ce qu'il écrivait à l'abbé Barthélémy:



Tandis que le troupeau des écrivains vulgaires

Se fatigue à chercher des succès éphémères,

Et, dans sa folle ambition,

Prête une oreille avide à tous les vents contraires

De l'inconstante opinion,

Le grand homme, puisant aux sources étrangères,

Trente ans médite en paix ses travaux solitaires;

Au pied du monument qu'il fut lent à finir

Il se repose enfin, sans voir ses adversaires,

Et l'oeil fixé sur l'avenir.



Mais, au moment où il reportait son regard vers l'idéal avenir, les orages s'amoncelaient et ne laissaient plus d'horizon. Fontanes se maria à Lyon en 92. Cette union, dans laquelle il devait constamment trouver tant de vertu, de dévouement et de mérite, fut presque aussitôt entourée des plus affreuses images. Le siège de Lyon commença. Madame de Fontanes accoucha de son premier enfant dans une grange, au moment où elle fuyait les horreurs de l'incendie. Les bombes des assiégeants tombaient souvent près du berceau, que le père dut plus d'une fois changer de place. Il revint à Paris en novembre 93, pour y vivre oublié, lorsque les députés de Lyon, de Commune-Affranchie, chargés de dénoncer à la Convention de Robespierre les horreurs de Collot-d'Herbois et de Fouché, qui avait fait regretter Couthon, lui vinrent demander d'écrire leur discours. Il l'écrivit dans la matinée du 20 décembre; le brave Changeux le lut le jour même à la barre, d'une voix sonore.



L'effet sur la Convention fut grand. On a comparé cet énergique langage à celui du paysan du Danube en plein Sénat romain. L'art pourtant, qui se dérobait, y était d'autant moins étranger. Fontanes avait adroitement emprunté et prodigué les formes sacramentelles du jour: «Une grande Commune a mérité l'indignation nationale: mais qu'avec l'aveu de ses égarements vous parvienne aussi l'expression de ses douleurs et de son repentir! Ce repentir est vrai, profond, unanime; il a devancé le moment de la chute des traîtres qui nous ont égarés.» Mais toute cette phraséologie obligée de peuple magnanime et de traitres n'était qu'une précaution oratoire pour amener la Convention à entendre face à face ceci:



«Les premiers députés (après le siège de LyoN) avaient pris un arrêté, à la fois juste, ferme et humain: ils avaient ordonné que les chefs conspirateurs perdissent seuls la tête, et qu'à cet effet on instituât deux Commissions qui, en observant les formes, sauraient distinguer le conspirateur du malheureux qu'avaient entraîné l'aveuglement, l'ignorance et surtout la pauvreté. Quatre cents têtes sont tombées dans l'espace d'un mois, en exécution des jugements de ces deux Commissions. De nouveaux juges ont paru et se sont plaints que le sang ne coulât point avec assez d'abondance et de promptitude. En conséquence, ils ont créé une Commission révolutionnaire, composée de sept membres, chargée de se transporter dans les prisons et de juger, en un moment, le grand nombre de détenus qui les remplissent. A peine le jugement est-il prononcé, que ceux qu'il condamne sont exposés en masse au feu du canon chargé à mitraille. Ils tombent les uns sur les autres frappés «par la foudre, et, souvent mutilés, ont le malheur de ne perdre, à la première décharge, que la moitié de leur vie. Les victimes qui respirent encore, après avoir subi ce supplice, sont achevées à coups de sabres et de mousquets. La pitié même d'un sexe faible et sensible a semblé un crime: deux femmes ont été traînées au carcan pour avoir imploré la grâce de leurs pères, de leurs maris et de leurs enfants. On a défendu la commisération et les larmes. La nature est forcée de contraindre ses plus justes et ses plus généreux mouvements, sous peine de mort. La douleur n'exagère point ici l'excès de ses maux; ils sont attestés par les proclamations de ceux qui nous frappent. Quatre milles têtes sont encore dévouées au même supplice; elles doivent être abattues avant la fin de frimaire. Des suppliants ne deviendront point accusateurs: leur désespoir est au comble, mais le respect en retient les éclats; ils n'apportent dans ce sanctuaire que des gémissements et non des murmures.»



Les murmures, les frémissements éclatèrent; ce furent un moment ceux de la pitié. Il est vrai qu'ils durèrent peu. En vain Camille Desmoulins hasarda dans son Vieux Cordelier quelques maximes tardives d'humanité. Collot-d'Herbois accourut de Lyon et se justifia.. On mit en arrestation les envoyés lyonnais; on se demandait qui les avait inspirés, qui avait pu faire à la Convention, par leur bouche, cette étrange et pathétique surprise. Garat eut le bon goût de deviner et la légèreté de nommer Fontanes.



Celui-ci ne fut pas arrêté, ou du moins il ne le fut que durant trois fois vingt-quatre heures, et par mégarde, comme s'étant trouvé dans la voiture de M. de Langeac, son ami, à qui on en voulait. Il put obtenir d'être relâché avant qu'on insistât sur son nom. Il quitta Paris et passa le reste de la Terreur caché à Sevran, près de Livry, chez madame Dufrenoy, et aussi aux Andelys, qu'il revit alors, comme nous l'attestent les vers touchants, et un peu faibles, de son Vieux Château.



Dans ce petit poëme et dans quelques autres pièces qui le suivent en date, comme les Pyrénées, le style de M. de Fontanes, il faut le dire, se détend sensiblement, ne se tient plus à cette ferme hauteur qu'avait marquée l'Essai sur l'Astronomie. La facilité fâcheuse du XVIIIe siècle l'emporte. Chaque manière (même la bonne, la meilleure, si l'on veuT) est voisine d'un défaut. Quand les poëtes de l'époque classique n'y prennent pas garde, ils deviennent aisément prosaïques et languissants, comme les autres de l'école contraire tendent très-vite, s'ils ne se soignent, au boursouflé, au bigarré, ou à l'obscur. L'Art poétique de Boileau, bien autrement poétique par l'exécution que par les préceptes; les préceptes et la pratique courante de Voltaire, à force de soumettre la poésie à la même raison que la prose et au pur bon sens, allaient à remplacer l'inspiration et l'expression poétique par ce qui n'en doit être que la garantie et la limite. On s'est jeté aujourd'hui dans un excès tout contraire, et l'image tient le dé du style poétique, comme c'était la raison précédemment. Mais ni la raison, à proprement parler, ni l'image, en ceci, ne doivent régir. L'expression en poésie doit être incessamment produite par l'idée actuelle, soumise à l'harmonie de l'ensemble, par le sentiment ému, s'animant, au besoin, de l'image, du son, du mouvement, s'aidant de l'abstrait même, de tout ce qui lui va, se créant, en un mot, à tout instant sa forme propre et vive, ce que ne fait pas la pure raison. Mais, cela dit, et même dans ce poëme du Vieux Château, où le style de Fontanes est si peu ce que le style poétique devrait être toujours, une création continue; même là, de douces notes se font entendre; ces négligences, ces répétitions d'aimé, d'amour,-d'amant, qui reviennent tant de fois à la dernière page, ont leur grâce touchante: le secret de l'âme se trahit mieux en ces temps de langueur du talent. Or, ce qu'on suit dans cette série, aujourd'hui complète, des poésies de Fontanes, soit durant les Terreurs de 93 et de 97, soit plus tard aux années de sa pompe et de ses grandeurs, c'est le courant d'une âme d'honnête homme, d'une âme affectueuse et excellente, qui se conserve jusqu'au bout et ne tarit pas; les poésies qu'on publie, même les moins vives, en sont la biographie la plus intime, trop longtemps dérobée. Elles me semblent une source couverte, discrète, familière, trop rare seulement, qui bruissait à peine sous le marbre des degrés impériaux, qui cherchait par amour les gazons cachés, et qui, depuis la Forêt de Navarre jusqu'à l'ode sur la Statue de Henri IV, dans tout son cours voilé ou apparent, ne cessa d'être fidèle à certains échos chéris.



On a donc publié de lui le Vieux Château, le poëme des Pyrénées, en vue de sa biographie d'âme, sinon de leur mérite même, et quoique ce soit un peu comme si l'on publiait pour la première fois le Voyageur de Goldsmith après que Byron est venu.



La Terreur passée, Fontanes put reparaître, et son nom le désigna aussitôt à d'honorables choix dans l'oeuvre de reconstruction sociale qui s'essayait. Il se trouva compris sur la liste de l'Institut national dès la première formation115, et fut nommé, comme professeur de belles-lettres, à l'École centrale des Quatre-Nations. Dans deux discours de lui, prononcés en séance publique au nom des autres professeurs, on trouve déjà l'exemple de cette manière qui lui est propre, comme orateur, de savoir insinuer ses opinions sous le couvert solennel. Dans la séance d'installation, parlant des législateurs de l'antiquité et de l'importance qu'ils attachaient à l'éducation, il s'exprimait ainsi: «Les législateurs anciens regardaient cet art comme le premier de tous, et comme le seul en quelque sorte. Ils ont fait des systèmes de moeurs plus que des systèmes de lois. Quand ils avaient créé des habitudes et des sentiments dans l'esprit et dans l'âme de leurs concitoyens, ils croyaient leur tâche presque achevée. Ils confiaient la garde de leur ouvrage au pouvoir de l'imagination plutôt qu'à celui du raisonnement, aux inspirations du coeur humain plutôt qu'aux ordres des lois, et l'admiration des siècles a consacré le nom de ces grands hommes. Ils avaient tant de respect pour la toute-puissance des habitudes, qu'ils ménagèrent même d'anciens préjugés peu compatibles en apparence avec un nouvel ordre de choses. La Grèce et Rome, en passant de l'empire des rois sous celui des archontes ou des consuls, ne virent changer ni leur culte, ni le fond de leurs usages et de leurs moeurs. Les premiers chefs de ces républiques se persuadèrent, sans doute, qu'un mépris trop évident de l'autorité des siècles et des traditions affaiblirait la morale en avilissant la vieillesse aux yeux de l'enfance; ils craignirent de porter trop d'atteinte à la majesté des temps et à l'intérêt des souvenirs.



«La marche de l'esprit moderne a été plus hardie. Les lumières de la philosophie ont donné plus de confiance aux fondateurs de notre république. Tout fut abattu; tout doit être reconstruit.»



Dans un autre discours de rentrée, il maintenait, contrairement au préjugé régnant, la prééminence du siècle de Louis XIV, et des grands siècles du goût en général, non-seulement à titre de goût, mais aussi à titre de philosophie:



«Chez les Latins, si vous exceptez Tacite, les auteurs qu'on appelle du second âge, inférieurs pour l'art de la composition, les convenances, l'harmonie et les grâces, ont aussi bien moins de substance et de vigueur, de vraie philosophie et d'originalité, que Virgile, Horace, Cicéron et Tite-Live. La France offre les mêmes résultats. A l'exception de trois ou quatre grands modernes qui appartiennent encore à demi au siècle dernier, vous verrez que Racine, Corneille, La Fontaine, Boileau, Molière, Pascal, Fénelon, La Bruyère et Bossuet, ont répandu plus d'idées justes et véritablement profondes que ces écrivains à qui on a donné l'orgueilleuse dénomination de penseurs, comme si on n'avait pas su penser avant eux avec moins de faste et de recherche.»



La théorie littéraire de Fontanes est là; son originalité, comme critique, consiste, sur cette fin du XVIIIe siècle, à déclarer fausse l'opinion accréditée, «si agréable, disait-il, aux sophistes et aux rhéteurs, par laquelle on voudrait se persuader que les siècles du goût n'ont pas été ceux de la philosophie et de la raison.» C'était proclamer, au nom des Écoles centrales, précisément le contraire de ce que Garat venait de prêcher aux Écoles normales. Il devançait dans sa chaire et préparait honorablement la critique littéraire renouvelée, que le Génie du Christianisme devait bientôt illustrer et propager avec gloire. Ainsi, en parlant un jour des moeurs héroïques de l'Odyssée, il les comparait aux moeurs des patriarches, et rapprochait Éliézer et Rebecca de Nausicaa. Vite on le dénonça là-dessus dans un journal comme contre-révolutionnaire, et on l'y accusa de recevoir des rois de grosses sommes pour professer de telles doctrines.



Fontanes ne se renfermait pas, à cette époque, dans son enseignement; il prenait par sa plume une part plus active et plus hasardeuse au mouvement réactionnaire et, selon lui, réparateur, dont M. Fiévée, l'un des acteurs lui-même, nous a tracé récemment le meilleur tableau117. Nous le trouvons, avec La Harpe et l'abbé de Vauxcelles, l'un des trois principaux rédacteurs du journal le Mémorial; et, dans sa mesure toujours polie, il poussait comme eux au ralliement et au triomphe des principes et des sentiments que le 13 vendémiaire n'avait pas intimidés, et qu'allait frapper tout à l'heure le 18 fructidor.



C'était, durant les mois qui précédèrent cette journée, une grande polémique universelle, dans laquelle se signalaient, parmi les monarchiens, La Harpe, Fontanes, Fiévée, Lacretelle, Michaud, écrivant soit dans le Mémorial, soit dans la Quotidienne, dans la Gazette française; et, parmi les républicains, Garat, Chénier, Daunou, dans les journaux intitulés la Clef du Cabinet, le Conservateur; Roederer dans le Journal de Paris; Benjamin Constant déjà dans des brochures. Le rôle de Fontanes, au milieu de cette presse animée, devient fort remarquable: la modération ne cesse pas d'être son caractère et fait contraste plus d'une fois avec les virulences et les gros mots de ses collaborateurs. Il est pour l'accord des lois et des moeurs, des principes religieux et de la politique, pour le retour des traditions conservatrices, et (ce qui était rare, ce qui l'est encorE) il n'en violait pas l'esprit en les prêchant. A part les jacobins, il ne hait ni n'exclut personne: «Des gens qui ne se sont jamais vus, dit-il (28 août 1797), se battent pour des opinions et croient se détester; ils seraient bien étonnés quelquefois, en se voyant, de ne trouver aucune raison de se haïr. Tel adversaire conviendrait mieux au fond que tel allié.» En fait de croyances religieuses, il exprime partout l'idée qu'elles sont nécessaires aux sociétés humaines comme aux individus, qu'elles seules remplissent une place qu'à leur défaut envahissent mille tyrans ou mille fantômes; et, à propos des superstitions des incrédules, il rappelle de belles paroles que Bonnet lui adressait en sa maison de Genthod, lorsqu'il l'y visitait en 1787: «Il faut laisser des aliments sains à l'imagination humaine, si on ne veut pas qu'elle se nourrisse de poisons118.» Je trouve, dans ce même Mémorial, un parfait et incontestable jugement de Fontanes sur Mirabeau119, et un autre, bien impartial, sur La Fayette, qu'on croyait encore prisonnier à Olmütz120: s'il exprime simplement une honorable compassion pour le général, il n'a que des paroles d'admiration pour son héroïque épouse; de même qu'en un autre endroit il sait allier à une expression peu flattée sur l'ancien ministre Roland un hommage rendu à l'esprit supérieur et aux grâces naturelles de madame Roland, avec laquelle il avait eu occasion de passer quelques jours près de Lyon, en 1791. Enfin, nous trouvons Fontanes (sa ligne de parti étant donnéE) aussi sage, aussi juste, aussi parfait de goût qu'on le peut souhaiter envers les personnes, envers toutes... excepté une seule: je veux parler de madame de Staël. Car il la toucha malicieusement bien avant les fameux articles du Mercure en 1800. A plusieurs reprises, dans le Mémorial, elle revient sous sa plume: en s'attaquant à une brochure de Benjamin Constant121, il n'hésite pas à la reconnaître aux endroits les plus vifs, les plus heureux, et c'est pour l'en louer avec une ironie cavalière que dorénavant, à son égard, il ne désarmera plus. Le piquant des premières escarmouches fut tel, dès ce temps du Mémorial122, que plusieurs lettres de réclamations anonymes lui arrivèrent. En déclarant le tort de M. de Fontanes, on sent le besoin de se l'expliquer.



Fontanes, comme Racine, comme beaucoup d'écrivains d'un talent doux, affectueux, tendre, avait tout à côté l'épigramme facile, acérée. Chez lui la goutte de miel lent et pur était gardée d'un aiguillon très-vigilant. S'il ne montrait d'ordinaire que de la sensibilité dans le talent, il portait de la passion dans le goût. Il était, ai-je dit, de l'école française en tout point: et en effet, tout ce qui, à quelque degré, tenait au germanisme, à l'anglomanie, à l'idéologie, à l'économisme, au jansénisme, tout ce qui sentait l'outré, l'obscur, l'emphatique, se liait dans son esprit par une association rapide et invincible; il voyait de très-loin et très-vite: son imagination faisait le reste. En somme, toutes les antipathies qu'on se figure que Voltaire aurait eues si vives durant la Révolution et de nos jours, Fontanes les a eues et nous les représente, et non par routine ni par tradition, mais bien vives, bien senties, bien originales aussi; il était né tel. De la famille de Racine par le coeur et par les vers, il touchait à Voltaire par l'esprit et par le ton courant. Très-aisément son tact fin tressaillait offensé, irrité: son accent se faisait moqueur; et, en même temps, sa veine de poëte sensible, et son imagination plutôt riante, n'en souffraient pas. Qu'on approuve ou non, il faut convenir que tout cela constitue en M. de Fontanes un ensemble bien varié et qui se tient, une nature, un homme enfin.



Or, il n'aimait pas les femmes savantes, les femmes politiques, les femmes philosophes. S'il ne faisait dès lors que prévoir et redouter ce qui s'est émancipé depuis, il doit sembler, comme, au reste, en un bon nombre de ses jugements, beaucoup moins étroit que prompt. En admirateur du XVIIe siècle, il permettait sans doute à madame de Sévigné ses lettres, à madame de La Fayette ses tendres romans; il aurait passé à madame de Staël ses Lettres sur Jean-Jacques, comme probablement il tolérait ses vers d'élégie chez madame Dufrenoy; mais c'était là l'exception et l'extrême limite. Une célébrité plus active, l'influence politique surtout, et l'expression métaphysique, le révoltaient chez une femme, et lui paraissaient tellement sortir du sexe, qu'à lui-même il lui arriva, cette fois, de l'oublier. Madame de Staël ne se vengea qu'en retrouvant à l'instant son rôle de femme, qu'on l'accusait d'abandonner, et en le marquant par la bonne grâce supérieure et inaltérable de ses réponses.



Pour revenir au Mémorial, l'ensemble de la rédaction de Fontanes dans cette feuille nous montre un esprit dès lors aussi mûr en tout que distingué, qui ne reviendra plus sur ses impressions, et qui, dans la science de la vie, est maître de ses résultats. La connaissance de cette rédaction est précieuse en ce qu'elle nous le révèle, à cette époque d'entière indépendance, essentiellement tel, au fond, qu'il se développera plus tard dans ses rôles publics et officiels; avec tous ses principes, ses sentiments, ses aversions même; journaliste louant déjà Washington124 dans le sens où, orateur, il le célébrera devant le premier Consul; attaquant déjà madame de Staël, avant qu'on le puisse soupçonner par là de vouloir complaire à quelqu'un.



Mais le pressentiment le plus notable de Fontanes, à cette date, est son goût déclaré pour le général Bonaparte, alors conquérant de l'Italie. Le 15 août 1797, il lui adresse, dans le Mémorial, une lettre trop piquante de verve et trop perçante de pronostic, pour qu'on ne la reproduise pas. C'est un de ces petits chefs-d'oeuvre de la presse politique, comme il s'en est tant dépensé et perdu en France depuis la Satire Ménippée jusqu'à Carrel: sa


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Jean Pierre Louis de Fontanes
(1757 - 1821)
 
  Jean Pierre Louis de Fontanes - Portrait  
 
Portrait de Jean Pierre Louis de Fontanes
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