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Jean Anouilh



Le procès - Fable


Fable / Poémes d'Jean Anouilh





Un commando de rats en pays ennemi

Découvrit un chat endormi.

Il avait, par erreur, lappé un somnifère.

Ils le prirent, le ligotèrent;

Au heu de le faire périr

En le faisant un peu souffrir -

Comme chacun attendait qu'ils le fissent -

Pour tirer plus grand bénéfice

De leur insolite succès,

Ils préparèrent son procès.

Un solennel lit de justice

Devant les délégués de tous les animaux.

Ils avaient souffert tant de maux,

Ce chat avait tué tant de rats dans sa vie,

Que chacun admit leur envie

De faire partout retentir

Qu'ils étaient un peuple martyr.

(Au reste, ces temps-là, la grande presse rate

Manquait un peu d'affaires scélérates,
Qui, chacun sait, font le tirage des journaux.)

Faisant appel à la conscience universelle -
Toujours sensible à des crimes commis

ailleurs -

Ils purent rassembler (tous frais payés d'ailleurs)

Un vieux lion portant encor belle

(Il était pédéraste et chacun le savait),

Un loup maigre au regard mauvais,

Un couple myope de gazelles

Au courage un peu incertain,

Une girafe protestante, plusieurs singes

Qui écrivaient dans des journaux américains,

Deux ânes de peu de méninges

-
Mais qu'on disait fort bien placés

Près du
Gouvernement français -

Un chien pelé, rêvant d'un os

(Au demeurant assez bonasse)

Et, enfin, un rhinocéros,

Qui prit à lui tout seul la moitié de la place.

En vérité, quoiqu'ils fussent flattés,

D'une présence aussi considérable,

En grand danger d'être écrasés,

Bien des rats eussent préféré

Que le lourd animal retourne à son étable.

Mais, enfin, il représentait

Un très puissant trust hollandais



Qui contrôlait toutes les mines

Où le peuple des rats avait des intérêts.

On dut lui faire bonne mine.

Tout le monde étant là, le procès commença.

On n'avait à juger qu'un chat :

Mais l'occasion était trop belle,

Le monde entier s'occupant d'eux :

Les rats, gonflés d'orgueil, voulurent montrer

[quelles
Avaient pu être leurs souffrances
Depuis le temps de leurs aïeux.
Remontant l'Histoire de
France,

Ils partirent de
Rodilard,

Premier chef honni de la clique :

Ils détaillèrent les massacres

Innombrables de ce soudard,

Dès le lendemain de son sacre.

On dut subir les statistiques

De tant de tueries, de carnages,

Que bientôt on n'écoutait plus.

Quand le lion, qui n'en pouvait plus,

Demanda qu'on fît une pose

Pour aller manger quelque chose,

Le procureur était en nage :
On n'en était qu'au
Moyen
Age.



La suspension ne fit d'ailleurs pas bon effet.

On avait oublié de prévoir un buffet.

(Le lion croqua discrètement une gazelle

Qu'il avait surprise au vestiaire -
Les autres n'eurent rien et parurent vexés,

Ce qui alourdit l'atmosphère.)

Dans les couloirs on papotait sur le procès.

Les singes excités propageaient des nouvelles

Fausses, qui vraies eussent été sensationnelles

C'est le petit défaut de leur profession.

De l'avis général, cela semblait bien long.

Bien sûr, ce
Rodilard, ou bien ce
Rodilon,

Avait beaucoup tué, mais l'époque était dure...

«
Chez les autres aussi, on avait massacré »,

Fit remarquer l'autre gazelle rougissante...

(Le lion mit son monocle, il la trouvait charmante.)

«
Tout cela c'était bien avant que le progrès

Et les lumières ne parurent! »

Dit la girafe, de toute sa hauteur.

On remarqua qu'elle avait un col de pasteur,

Mais si loin sur son cou qu'on n'y avait pris garde.

Le chat seul se taisait,

Calme, entre ses deux gardes;

Mais son oil semblait amusé.



Sous le lourd soleil de midi

A la reprise de l'audience, on s'endormit.

On arrivait à
Raminagrobis



Et la promulgation de ses lois scélérates

Qui décimèrent rats et rates,

Au début du seizième, quand la brise du soir

Vint rendre à chacun quelque espoir.

Apprenant où on en était

Lord
Lion, avec beaucoup d'autorité,

Décréta, qu'en effet, la cause était cruelle

Mais qu'on l'attendait à son club ;

Qu'avant il devait prendre un tub :

C'était assez pour lui.
Les rats épouvantés,

Chacun l'ayant suivi, tentèrent d'arrêter

Cette débâcle de la conscience universelle...

«
Attendez! criaient-ils, on n'en est qu'au début!

Vous verrez que les chats ont massacré bien plus,

Encor, pendant la période moderne. »

Un des ânes, une solennelle baderne,

Qui portait en sautoir une
Légion d'honneur,

.
Leur dit : «
Messieurs, toutes choses

Étant, d'ailleurs, ce qu'elles sont :

Je vous ai compris.
Votre cause

Est juste et de l'excès même de vos malheurs,

Étant donné la conjoncture,

Vous devez tirer la leçon.

Raterie de papa est morte !
Il faut tenir,

Chats et rats, une conférence

Et décider à quel nombre de rats

Les chats ont droit avec décence.

Il est des villes d'eaux en
France

Disposées à vous accueillir. »



Les rats se récrièrent, ils étaient pour la lutte,

D'autant plus qu'ils tenaient le chat.

Le chien dit : «
Si nombreux,
Messieurs, que vous

mourûtes,

La journée se termine et j'ai besoin de prendre.

J'avais espéré, je ne le cache pas,

Qu'on m'aurait chargé d'expédier le chat.

Mais on n'est pas près de le pendre

Du train où nous allons.
Je vais chercher un os. »

Il s'esquiva.
On se tourna vers le rhinocéros.

«
Messieurs, dit-il, d'une curieuse voix fluette -

Inattendue dans un corps tellement massif -

Messieurs, voilà belle lurette,

D'un point de vue spéculatif,

Que j'étudie la judiciaire -

Pour délasser un peu mon esprit des affaires

Importantes, dont j'assure le contentieux.

Si vous le voulez bien,
Messieurs,

Laissons la partie historique

Qui nous fait tourner en bourrique...

(L'âne à ces mots prit un air outragé.)

Votre procès n'est pas bien engagé.

Vous accusez le chat, ici présent, d'avoir mangé

Bon nombre de vos congénères.

D'abord où sont les corps ? »

«
Les corps sont dans le chat !

S'écrièrent en chour les rats -



Et on peut vous montrer les veuves ! »

«
Ainsi, il nous faudrait d'abord,

Si je vous comprends bien, autopsier l'accusé,

Pour avoir un début de preuve ?

Et s'il a déjà digéré ?

Vous voilà coupables d'un meurtre.

Nous qui représentons ici les pays neutres,

Croyez que nous alerterons

L'opinion internationale...

Nous dénoncerons le scandale,

Votre cas ne sera pas bon,

Devant le concert des
Nations !

Car il ferait beau voir qu'un principe périsse!...

Vous avez décidé d'invoquer la justice,

Au lieu d'occire votre chat le premier jour :

Justice doit suivre son cours. »

Les rats étaient extrêmement perplexes.

Trottinant, remuant leur nez qu'ils ont fort long,

Sourcils en accent circonflexe,

Rats toujours inquiets de ce que l'on dira;

Ils commencèrent des controverses de rats.

Ils y seraient encor, dit-on,

Si le chat

N'eût eu soudain un bon réflexe.

A un moment qu'on n'y prenait pas garde,

Il bondit, croqua ses deux gardes

Et s'esquiva

Modestement.



Le loup, muet, le suivit silencieusement.

Il n'avait pas paru, au cours de l'audience,

S'intéresser beaucoup à sa défense;

Mais il comptait le joindre au coin d'un bois voisin

Pour un court moment d'entretien.

Car il trouvait le chat plus fin que le lapin,

Contre ce qu'un vain peuple pense.

Ne jouons pas à la justice

Quand nous n'avons pas le cour pur.

Sur un crime, le monde glisse.

Un procès n'est jamais sûr.



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Jean Anouilh
(1910 - 1987)
 
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Portrait de Jean Anouilh

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Biographie de jean anouilh

Jean Anouilh est né en 1910 à Bordeaux (France). Son père est tailleur et sa mère est musicienne et professeur de piano, elle joue dans un orchestre se produisant sur des scènes de casino en province.

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