![]() |
Jean Anouilh |
![]() |
Un lévrier avait des idées progressistes Et tenait des propos brumeux, Mais pleins de générosité sur la misère, Au valet qui le promenait tous les matins. C'était un animal fameux - Selon le dire des héraldistes - Qui descendait directement D'un chien célèbre en Angleterre. Mais il ne prétendait s'en vanter nullement. Pour rien au monde, il n'eût salué le carlin, Qu'un autre valet le matin Faisait pisser sur l'avenue... Les deux hommes s'entendaient bien; Se retrouvant tous deux à l'heure convenue Ils discutaient de la belote à petits pas-Mais les chiens ne se parlaient pas. Le lévrier, qui mettait de la complaisance A compisser les réverbères Après les chiens les plus vulgaires - Reniflant quelquefois, galant, Le derrière d'un chien errant - Ne pouvait souffrir l'arrogance Insolente du carlin. « Pour qui se prend-il donc, enfin ? Disait-il. Il a un grand nom ? Bon. J'en ai un aussi, je pense ? Il a coûté une fortune ? Bon. Qu'est-ce que tout cela, au siècle où nous vivons, Quand un chien a atteint la lune ? Ce n'est pas le manteau de tissu écossais Ni l'excellence du cuir de ma laisse Qui me différencie des autres, c'est Peut-être, si l'on veut, Que je cours sensiblement mieux; Que j'ai certaine noblesse Dans la démarche, certaine grâce Particulière à ma race. Mais pourtant je ne suis qu'un chien Moi aussi ! Et le fox du portier voisin - Qui n'a de fox je l'avoue, le pauvre être, Que les illusions de son maître - Est mon ami. Vous dirais-je (et je n'y mets aucune pose) Que j'ai quelquefois plaisir à croquer, Nos hommes étant occupés à bavarder, Un os, dans une poubelle ? Un os. Mais oui, mon cher, un os! C'est excellent. Et puis tellement amusant De le chercher du nez parmi les immondices! Non, non. (Il redevenait grave tout à coup.) Je suis sûr que la justice Sociale est maintenant à la base de tout. Fini le temps du toutou A sa mémère ! Egaux devant la misère, Afin qu'un jour nos enfants Aient des lendemains triomphants... » Il eût continué longtemps, Soliloquant sur ce ton, Fouillant artiste et amusé dans les ordures, Si un vieux chien bâtard sans nom, Qui y fouillait aussi cherchant sa nourriture, Ne l'eût soudain à coups de dents Fait déguerpir de son terrain de chasse. Utilisant les vertus de sa race, Notre lévrier prudent Prit du champ. Saignant du nez, un grand accroc à sa pelisse, Derrière la porte aux deux battants cadenassés Du luxueux immeuble, il glapissait : « C'est insensé! En pleine avenue Foch ! Que fait donc la police ? |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
|
|||||||||
Jean Anouilh (1910 - 1987) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Jean Anouilh | |||||||||
|
|||||||||
CarrièreFormation Biographie de jean anouilh Jean Anouilh est né en 1910 à Bordeaux (France). Son père est tailleur et sa mère est musicienne et professeur de piano, elle joue dans un orchestre se produisant sur des scènes de casino en province. OuvreThéâtre |
|||||||||
![]() |