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Jean Anouilh |
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Une fauvette se sachant Un talent bien au-dessus de l'ordinaire, Décida de prendre des leçons de chant. Chanter, comme ses congénères, Les louanges du jour dans le soleil levant, Ou des berceuses pour endormir les enfants, Lui semblait une vie banale. Sa renommée, hélas! était locale; Des flatteurs lui firent penser Qu'il lui fallait trouver quelqu'un de bien placé, Un maître illustre et influent, Dénicheur de nouveaux talents, Qui puisse la faire passer Dans la classe internationale. Il y en avait un, fort célèbre, à Milan. Elle décida le voyage. Elle économisa, grain par grain, jour par jour (Ces grands professeurs-là demandent des fortunes) Du lever du soleil au coucher de la lune Avec ce tenace courage Que donne aux plus faibles l'amour, Cherchant, chassant, thésaurisant (Et jusqu'à rationner les mouches des enfants), Elle passa les nuits et passa les journées, Petite héroïne obstinée, Risquant dix fois sa vie pour rapporter encor. « Voyez, voyez l'amour plus fort Que la fatigue et que la mort ! Héroïque petite fauvette!... » Disait, observant sa navette, Un maître d'école un peu niais A sa classe qu'il promenait. « L'amour de ses petits chez ces petites bêtes Est poussé à un point extrême. » C'était l'amour pour elle-même. Mais allez donc le faire comprendre à un sot, Socialiste, ayant lu Rousseau. La petite, pour sa part, Brûlant d'un feu sacré pensait : « C'est pour mon art. » Cela sublimait son courage. Un jour tout fut prêt pour le grand voyage; Et vint le moment du départ. A son époux, car elle en avait un, Un peu faible, un peu bonhomme, un peu commun, Ayant du cour et peu de grâce, Qui avait couvé les oufs à sa place; Elle fit en partant ses recommandations : Les enfants seraient bientôt grands, déjà gloutons, Il fallait éviter cependant qu'on se gave. Et prendre garde aux premiers vols : On fait le brave Et on ne peut plus remonter Sur l'arbre où les parents appellent. Bien surveiller le chat et l'engeance cruelle Des petits garçons d'alentour. Au reste, elle serait très vite de retour; Riche et célèbre et qu'elle Serait belle alors, la vie nouvelle ! « Adieu mes chers petits amours. » Elle s'enfuit à tire-d'aile... Le grand professeur de Milan Lui trouva un certain talent. Elle avait en effet une voix agréable, Qu'on pouvait, avec du travail, améliorer. Mais de là A être admise sur les toits de la Scala... Il ne fallait pas y songer. Comme c'est triste, une fable... On voudrait pouvoir les arrêter avant la fin. Quand elle décida de revenir enfin, Ses économies immolées, Le nid avait été détruit par un gamin. Les enfants fauvettes envolées... (Elle se reposa près d'une, sur un fil Electrique, sans la reconnaître.) Le mari ? On croyait qu'un chat... La fauvette, le soir de son retour, nicha Toute seule au bout de la branche. Oubliant les conseils subtils De son savantissime maître, Le cour meurtri, elle chanta Sa peine sous la lune blanche. Et sur le toit, pourtant fameux, de la Scala, Personne n'avait jamais chanté comme cela. Mais la presse spécialisée N'en fut jamais informée. Non loin de là, l'instituteur Traînait sa classe endormie, L'initiant aux joies de l'astronomie : « Ecoutez, leur dit-il, ce concert enchanteur. Voyez comme dans la nature Tout est ordre et harmonie ! Oyez ces quatre notes pures... C'est la fauvette au grand cour, La saison des nids finie, Son devoir accompli, qui chante son bonheur. » |
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Jean Anouilh (1910 - 1987) |
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Portrait de Jean Anouilh | |||||||||
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CarrièreFormation Biographie de jean anouilh Jean Anouilh est né en 1910 à Bordeaux (France). Son père est tailleur et sa mère est musicienne et professeur de piano, elle joue dans un orchestre se produisant sur des scènes de casino en province. OuvreThéâtre |
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