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Jacques Réda



Langue maternelle - Poéme


Poéme / Poémes d'Jacques Réda





(Strophe)



Plus de quarante ans ont passé : deux jours avant Noël, au dos d'une carte postale représentant la cathédrale de Metz il écrivait :

Tu sais mon Vieux Robert quand on est au régiment l'on change de caractère et tout en bas : Je ne vois plus rien à vous dire car la soupe sonne.

C'est une carte postale ramassée à Laon dans la rue un

jour d'hiver le vent la rejetait au vent plus qu'anonyme sans adresse et l'écriture ayant bien résisté violette sur fond vert

pomme

je demande à mon tour en effet qui parle où est l'auteur

à quoi ça rime d'écrire encore au chaud près des livres cousus

dans la toile ou du cuir pour qu'au long de rails d'or

inégaux brille l'adoration perpétuelle écrire

pour se perdre à nouveau dans l'indistinction des

colonnes qui assiègent le Sacré Texte quand parfois oh là là tous ces dos de costauds escamotés bloqués dans leurs petites stalles et qui gardent pour de bon la loi gravée sur les épaules : Tu porteras ton nom ? Gloire. Misère. Je est un autre ? Allons, allons, la vieille ruse. Quand Je ne peut plus se souffrir, hop il tente ce détour avec astuce ou rage vers un zénith obscur où clame Personne. Mais qui s'arrache ? Ma peau à moi reste collée et brûle. Quel détour compliqué, mon Vieux Robert, pour obtenir l'oubli, un fragment délité du cour dans la poussière où vont les sabots des glaneurs d'apocryphes, deux ou trois grains de poudre au fond du crâne en mal de Pentecôte ! En attendant, glossolalies, fumées, et ces braises comme à l'entracte qui s'éloignent à travers la panne éternelle, chacun son étincelle entre les doigts, éclairant le bout de la ligne, heurtant la courbe du miroir. Tu porteras ton nom. Lui qui t'enferme. Tu ne peux pas déposer ce poids, ni franchir ce cercle sinon d'une fine antenne déjà brûlée qui tâte le seuil en cendres de l'incompréhensible. Détestable peut-être, ton nom est prononcé derrière toi par la grande mâchoire décrochée. Il y a eu crime. Argos est frappée de stupeur. Redoute désormais l'annonce de toute victoire. Langue tranchée, yeux crevés, oreilles mortes, c'est la veuve somptueuse et volage qui s'avance accrochée aux basques sanglantes de ses enfants, et qui s'accroupit de nouveau tandis qu'ils font le guet à l'écart mais menaçant : Mère, il n'y a rien à faire, maintenant il va falloir que tu y passes ; et balançant leurs membres meurtriers dans le vide, criant : tu peux bien toujours te finir sur la tombe d'Agarnemnon, poète, - plus de semence, plus de moisson, nous voici maîtres de la maison sans fondateur où divague cette malheureuse.



Ainsi Mère on vous fait grand tort, on vous traite mal. Certes la vie est difficile. Le dimanche les gens des quartiers périphériques descendent vers le centre, mais d'un pas alourdi comme s'ils montaient. Ils ont mis le costume, la cravate, la robe qui fait un bruit sec. Les gens passent devant les rideaux baissés des boutiques, devant les magasins qui n'ont pas de volets et paraissent encore plus tristes, encombrés jusqu'au fond dans l'ombre où suffoquent des chaises. Les gens regardent : on a vu des chaises. C'est vrai. Un côté de la rue est jaune, l'autre côté violet- Le violet gagne. I-es gares désouvrées traversent le temps vide qui les traverse. On a vu la même robe de mariée que la semaine dernière. C'était la même. Le trottoir était le, les maisons étaient les, et le ciel était le, on était donc tous les - mêmes, mais juste un peu plus expulsés. La vie est difficile. On a beau parler et parler, descendre encore une bouteille, autant dire qu'on n'a rien dit, qu'il ne s'est rien passé. Si Renée vient à Andrésy, dis-lui qu'elle m'achète de la sparterie comme on a vu à la devanture de la rue de Rome. Je la lui rembourserai. Pas la rue de Rome. La sparterie. L'asparte quoi ? Sur le pont de l'Europe couraient vite comme des tapirs de longs nuages qui avaient honte de se défaire, et les paroles aussi c'est vapeur et fumée.



Mère, Mère, où étiez-vous dimanche ? - Je suis restée à la maison, j'ai préparé la soupe, ils n'y ont qu'à peine touché, affalés sans un mot devant le poste jusqu'à minuit, roulés dans la voix caverneuse qui contrôle chaque brique du galandage et le béton. Sans un mot et moi je ne suis plus que le ciment de leurs solitudes. Je devrais crier, me défendre. Mais où trouver la force? Je ne sais plus. J'en ai fait trop. Et je vois toujours ces petits qui s'endormaient ravis par la parole mystérieuse : des grands malins ou des brutes maintenant qui ricanent. Il faut céder la place, abandonner tout cet ouvrage qui ne servira plus. Quelquefois je crois bien que je commence à m'en aller, presque sans m'en rendre compte, comme on s'assoupit malgré soi au plein d'une telle fatigue. Et puis je me ressaisis.



Machinalement je range un peu, je ramasse la pelote et les aiguilles, je sors les cartes postales, je rapproche la lampe. Si d'autres survenaient, qui doivent tourner dans la nuit, ne sachant où frapper, et gardant partout enfoncé dans la mémoire l'angle idiot de la rue d'Amsterdam et de la rue de Londres, à se cogner la tête pour qu'elle éclate et comprendre c'que ça veut dire ? Et il n'y a que moi qui comprenne, allez, qui apaise et qui réunisse, même si je m'éloigne, même s'ils ne font que passer eux aussi, appelés sans répit, qu'est-ce qui les appelle, du fond d'un pays où peut-être je les précède, où ils me rejoignent, ensemble et séparés, mais toute la séparation murmure comme une prairie vibrant d'abeilles. Alors de nouveau je me sens jeune et belle. J'entre dans les bras de mes fils. Ils m'appellent leur petite fille, ils me

- Mère, voulez-vous bien vous taire ? Ça ne regarde personne ces histoires de famille. Restons entre nous je vous prie. Vous pouvez éteindre la lampe car la maison s'éclaire. Y passe un rayon comme un homme à jamais attentif" qui se penche, et les étoiles délicates avancent de leurs pas célestes, sans rien déranger, sans un bruit, de sorte qu'on distingue tout Bruxelles au fond d'un verre d'eau glacée, et l'ombre qui s'y promène encore à l'imparfait définitif répète Je marchais, Je marchais au milieu de choses mal unies, tandis qu'au loin le cri de cuivre et d'acajou des vieux rapides étire son glissement nocturne à travers l'Europe illuminée et que se lèvent d'autres souffles, un vent du sud avec de fortes ailes, et soudain (oh je me réjouis) dans le paysage en douceur déplié comme une phrase de Montaigne, soudain la selle Brooks aux exquis craquements par des sentiers vers la Loire invisible, soudain le vent de Zeus dans un tourbillon plein de paille et de poussières - ah Mère je me réjouis.

il est déjà trop tard pour rallumer la lampe

je me réjouis

le jour apparaît sur les toits comme un veilleur qui

tremble à la fin de sa garde je me réjouis restons ensemble ici permettez près d'eux que je reste dans l'acre et délectable odeur de l'encre et du tabac

qui leur rappelle quelque chose qui les réjouit

et qu'insensiblement je fonde comme la touche d'ombre le défaut dans l'éclat de la mosaïque.



Mais plus de quarante ans ont passé. Ma vie et la neige, fondues. Les cloches de Noël ballant creuses déjà dans l'aubépine ; dessous, le gris rêvant qu'il est le bleu, le rose, l'ocre. Déjà le miel qui se fige contre la lèvre et s'affadit, la boue au fond de l'encre et, de gauche à droite sans fin, la lettre égarée des nuages signée par une pie. Je regarde, j'écoute. Bible ouverte, muette, bien labourée. Douze ou treize corbeaux pour l'exégèse. Pieds et cour dans la betterave. Au hasard le vieux jour capucin, rôdeur entre les houx, prophétise un pas sur les blés et l'empreinte éclatante du colza par les collines. Des voix, des lambeaux déchirés s'arrachent de la hampe qui résiste. Vite emporté l'appel même des freux - tentes de feutre à bas, chevaux en rond, feux dispersés, rezzou sur le vallon, détonation de l'ouest au détour du carré d'épines. Assez. Pas un mot n'a changé l'inclinaison du sapin choisi pour la foudre, ni retenu l'invisible foulée : elle déserte en hâte les creux, heurte de proche en proche les bornes renversées de l'oubli, et l'ornière s'enfonce, loin, loin du tombereau dont la roue est rompue sous un hangar qu'assomme l'espace à grands coups contre la même poutre qui cède. J'ai cette ornière dans les os, ce tombereau en travers du dos, sa roue en travers de la gorge, et le poids du hangar je peux le porter, je le soulève, je crie sur la toiture, je crie : assez ! - et le temps infaillible se carre aux angles avec ses poings de tempête dans les oreilles, avec son regard sans pupille aux bords gelés et qui frissonne comme le poil d'une taupe, puis recueille à nouveau la tasse de porcelaine, le poteau à musique, le fil tiré droit sur la fumée et la solitude à toute vitesse. J'ai franchi les haies, les barrières. A même le sol violent du plateau je me suis couché, j'ai serré la grosse boule taciturne entre mes bras comme une tête pour l'entendre, pour qu'elle écoute, et plus bas quand le bord se casse, après les pentes suaves où broutent en paix les nuages près des taureaux, j'ai profané le bois aux sources - trois, neuf, douze goulots d'argile roucoulant au ras de la mousse, et les poings enterrés je tremblais sous la surveillance étroite entre les coudriers et les bouleaux, mon souffle et mes mots confondus au halètement de l'eau, mon désir de savoir au ciel constellé d'agonies.



Plus de quarante ans ont passé. Tour à tour ces petites maisons où j'aurais voulu m'arrêter. J'avais tant à vous dire. Dans les jardins l'herbe était haute, et fraîche, si haute qu'elle bloquait la porte, et toujours appeler de loin, personne à la fenêtre, insister et personne, laisser des lettres, mon cher enfant, mon grand amour, ma douce mort, mon bel automne, écoutez-moi, n'ayez pas peur, je dois, je dois continuer, dépasser le plateau, les sources, quitter l'enfance, tuer l'amour, entrer dans le verger désherbé de la mort qui chante maintenant trop fort pour que je la comprenne, la soupe sonne, bientôt la corne du chasseur, la grande tête de vache, le trou qui pue, est-ce possible (yes sir), est-ce bien moi (yes sir), peut-être un ou deux morceaux de mon cour de ma rate de ma trompe d'eustache en arrière sont restés, mais ici où je suis de tous côtés ça cloue on déménage, même le peu que tu pensais avoir encore te sera ôté, le gris, la solitude, le pire ; les lettres sont restées dans la boîte et si on les a lues pas de réponse, alors, était-ce moi qui répondais à tort et à travers croyant séduire un arbre ou une Dame? mais qui m'avait parlé, vers qui fallait-il revenir pour se perdre quand même, dans quel giron de vent parmi ces conversions d'escadrons à fanions d'azur et d'oiseaux qui ressuscitent, encore un coup chercher refuge et s'effacer ?






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Jacques Réda
(1929 - ?)
 
  Jacques Réda - Portrait  
 
Portrait de Jacques Réda


Biographie / Ouvres

Jacques Réda est né à Lunéville en 1929. Après des études inachevées de droit, il monte à Paris en 1953. Il y sera membre du comité de lecture des éditions Gallimard, avant de devenir rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Française de 1987 à 1995. Grand Prix de poésie de l'Académie française en 1997, il sera également récompensé de la bourse Goncourt de la poésie en 1999.

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