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Georges Ribemont-Dessaignes



Politique - Poéme


Poéme / Poémes d'Georges Ribemont-Dessaignes





(extrait)





Il m'est arrivé de dire que le communisme consacrait le malheur des hommes : qu'on ne suppose pas que je vais promettre par voie d'affiches cinquante francs de récompense à qui m'apportera la meilleure manière d'assurer le bonheur. D'abord parce que la recherche du bonheur me semble une préoccupation imbécile, ensuite parce que l'humanité a en réserve des liasses de bonnes recettes assurant le paradis universel par la volupté de quelques-uns, ou encore cette manière américaine qui consiste à répandre la plénitude alimentaire, somptuaire ou voluptuaire jusqu'à ne plus faire de toute la société qu'un amas de ventres couverts de gabardine et roulant sur un moteur.



On revient périodiquement sur le sujet de la destinée humaine. C'est un souci aussi stérile que celui qui présiderait à la recherche d'un point spatial vers lequel se dirige le soleil et son système. Mais on peut toutefois affirmer, quelque force qu'on donne à l'esprit, que la collectivité s'embarrasse peu de l'esprit pur. Elle ne s'inquiète de l'esprit qu'au point de vue utilitaire. Elle reconnaît, en ce qui concerne les sciences, par exemple, que le savant opère ses investigations en dehors de toute utilité et que les applications de toute découverte n'interviennent qu'en dernier. Mais si elle consent à lui décerner les honneurs sociaux, les mêmes que ceux qu'elle réserve à un grand épicier ou à un foudre de guerre, c'est à cause des résultats utilitaires de ses découvertes.

II est assez singulier que la Genèse n'envisage la création de la race humaine que sous cette forme d'un individu devenant couple et qui, se perpétuant, finit par constituer la société. De fait, la société, telle que la conçoit l'Ancien Testament, n'est qu'un amas d'individus. Son histoire n'est qu'une suite de vociférations de grandes gueules ouvertes au-dessus d'un grouillement dont on ne connaît rien. L'histoire humaine générale est cependant un singulier mélange que règle toujours la température et la pression de la masse collective. Tour à tour la voix individuelle est le signe d'une révolte contre la tyrannie sociale ou la proclamation du consentement, et quelque chose comme le chant de l'oiseau mâle en plumage de noces.



Les individus en état de révolte coïncident avec les périodes individualistes. Leur abondance est une apothéose et marque le relâchement de la cohésion sociale. Mais par un retour singulier, par une transformation mystérieuse, l'abondance des révoltes précipite la chute du désordre et du relâchement et réclame le resserrement collectif. La révolte des individus contre la tyrannie sociale opère une révolution et n'a de cesse que la contraction n'ait ramené la sécurité collective en péril ; c'est alors une tyrannie bien plus stricte que la précédente, mais elle est acceptée par les individus qui, dans la circonstance, n'ont été que des glandes préservatrices de la société et n'ont réalisé leurs fonctions externes que pour masquer leurs fonctions endocrines et favoriser les hormones.

Discourir est donc assez vain, du point de vue de l'intelligence. Du point de vue de l'esprit qui est bien différent du précédent, on peut sauver la face si compromise par les faillites passées, en imaginant que l'Esprit individuel n'existe pas et que seul existe l'Esprit collectif, d'une existence effective, et affleurant à la surface de la connaissance en des points différents - si peu - qui sont les individus. Ainsi concevra-t-on que la collectivité ne court de la part des individus aucun danger, qu'elle sait toujours ce qu'il lui faut, et ne fait que ce qu'il faut qu'elle fasse. Mais en cela encore, comme toujours, on remarquera que nous avions commencé par poser la fin, et que se séparer d'une position négative reste vain, puisque nous ne pouvons rien déduire que nous n'ayons commencé par concevoir. Il ne nous reste que notre volonté et notre voix pour crier plus fort que les autres notre absence d'espoir à la recherche de l'espoir.



Trouver une possibilité d'évasion dans le silence de l'individu au sein du collectif ne pouvait résulter que d'un malentendu ou d'une duplicité de passage, et aboutir à une impasse. Mais la révolte demeure la seule possibilité d'évasion et de libération; et, à l'avance, la seule possibilité d'acceptation des lois sociales, quelles qu'elles soient, me remplit de dégoût. Étant donné l'obscurité de sa fatalité, la société vient se confondre avec Dieu. L'acceptation des volontés de l'une devient la soumission à Dieu. La seule ressource qui nous reste pour manifester notre existence est la révolte contre ce personnage à face de caméléon. L'acceptation des lois futures d'une société, fût-elle établie par la plus chère révolution, ne peut être comprise que comme moyen explosif. Mais la chose faite, si nous nous maintenons en état de révolte permanente, il nous reste l'opposition (c'est peu dire) aux nouvelles formes sociales cristallisées et fonctionnaristes et l'opposition à l'acceptation de notre propre bureaucrate, celui que nous nourrissons dans notre cour.



Il apparaît de plus en plus que la révolte contre l'oppression collective est celle qui renforce le plus les tendances instinctives de notre bureaucrate intérieur. Notre révolte contre nous-mêmes devait nous conduire à la possibilité de libération absolue. La plus grande dévastation était à exercer à l'intérieur. La preuve en est donnée par ceux qui ont persisté à chercher sans retour dans la révolution sociale la solution possible à leur tourment: au sein du collectif, ou ils se soumettent à jamais, ou ils renaissent avec l'orgueil de l'individualiste; ils se révolteront contre la perspective du vide complet comme devant le pied qui marche sur leur pied. Être prisonnier de soi-même n'est pas un sort pour qui rêvait de libération absolue.

Il doit y avoir désormais rupture complète au sein du même individu entre l'individu et l'individu. L'état de vacuité inremplissable est le seul qui libère l'être au sein de n'importe quelle société.

On sait quelle recherche est faite à la traîne d'une littérature populaire. C'est une singulière coïncidence que cette recherche et la naturelle pente qui conduit la littérature de notre époque du surréalisme au réalisme. Je suppose que l'état de vacuité inremplissable donnera la clé pour une espèce de réalisme inaccepté permettant de sortir de l'un et de l'autre en laissant l'être en perpétuel état de disponibilité.

C'est pour éviter d'enchaîner le moindre de mes traits qu'en relisant les lignes précédentes je suis pris d'un rire inextinguible ; Dieu merci, comme dit l'autre, on peut toujours se libérer de soi-même.



On peut se demander quelle position nous reste devant la société si on cesse d'être totalement absorbé par elle. Entrer dans le communisme et en sortir au même moment n'était pas si méprisable qu'on le pense. Du point de vue de l'acceptation et de la négation, cela se défend : il s'agissait d'une suite de révoltes aussitôt brisées que tentées afin de former autour de sa vie une chaîne de libération continue.

C'est à dessein que je parle de chaîne. Il reste à savoir, en effet, s'il ne faudra pas finir par se libérer de la libération. Il n'est pas sûr que l'acceptation affirmée d'une chaîne quelle qu'elle soit apporte la clé de cette porte de sortie. L'interprétation de l'esprit collectif, les réflexes sociaux sont les signes d'une tyrannie enchaînante dont il est bien difficile de se garder aussi bien dans l'acceptation apparente que dans la révolte. D'autre part, la méfiance à l'égard de tout ce qui tombe sous le sceau politique a trop de points de contacts avec le scepticisme classique et national pour qu'on ne donne pas une part de soi-même à la révolte contre les lois.

Là encore, on ne saurait trop affirmer qu'il ne faut pas confondre l'indépendance, la liberté et la libération. L'absolu secret d'une prison est, au sein du collectif comme de l'individuel, ces corridors, une porte de sortie autant que d'entrée. Rien ne complique le problème de la libération comme la liberté perpétuelle.

C'est peut-être là que gît l'attraction la plus vivace de l'esprit vers le communisme.



L'homme hait l'homme. La haine est le lien le plus fort entre les hommes : c'est la revanche de l'individu contre les liens du collectif. Si libératoire qu'elle soit, elle n'en est pas moins un lien au même point que l'amour.

L'amour pour un objet sexuel ou physique ou métaphysique projette sans doute sur la toile de fond d'assez jolis paysages. Il ne dépend que de soi d'entretenir en soi ce ver du fruit qui vous détache avant la maturite et dans la pire acceptation vous conserve l'intégrité de l'oil central.

Il est peut-être plus facile de veiller à cette vie fragile et de conserver ce détachement dans l'amour que dans la haine. Il y a le bureaucratisme de la haine comme celui de l'amour. L'un comme l'autre sont aussi onéreux. À moins que tout ne soit submergé dans la haine de soi-même.

On sait quel but poursuit l'amour. Il se confond avec celui de la haine, et, en fin de compte, ne se trouve au bout que la destruction. Qu'il s'agisse du collectif ou de l'individu, et que l'un pense se libérer par l'autre, l'amour et la haine s'arrangeront pour faire le vide ou, si l'on préfère, la vidange. Le rejet hors de soi de tout ce qui y a été accepté, la possibilité de n'être jamais plus qu'un masque sous lequel on n'est pas nu, mais vide, d'un vide dont le vide physique ne donne pas même la moindre idée, et de changer de masque comme de chemise... et l'on sait si ces chemises-là se salissent vite, cela fait perdre à toute question sociale et politique un peu de son acuité ardente...

Et cependant cela n'empêche pas que la masse se précipite comme une folle sur son malheur, entre en transe sur son travail, enchaîne un soir au matin et un matin au soir... marcher, manger, travailler, souffrir, crever. Et, de toute manière, au bout du chemin on place la musique et une grande lanterne. Démocratie à l'américaine ou prolétariat communiste. Marcher, manger, travailler, souffrir, crever, lanterne et musique.

Peut-être afin de réveiller la masse en marche sur sa voie de sommeil et de ténèbres, et de la dresser une fois pour toutes contre son sort, les seules voix ayant chance d'être entendues seront-elles celles qui jailliront du vide complet de l'individu, vide du cour, de l'âme, de l'esprit.






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Georges Ribemont-Dessaignes
(1884 - 1974)
 
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