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François-René de Chateaubriand

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Chateaubriand - L'Homme, sa vie, ses voyages, son caractère


Poésie / Poémes d'François-René de Chateaubriand





Dès sa naissance, François-René de Chateaubriand (1768-1848) découvrit des paysages romantiques : la mer et ses fureurs, le château de Combourg et sa tristesse hautaine. Auprès de sa sour, il connaît un climat de mélancolie et d'imagination maladive. En 1786, sous-lieutenant au régiment de Navarre, puis capitaine de cavalerie, il se partage entre sa carrière militaire et son goût des lettres. Reçu à la cour, il a pour conseillers Fontanes et Joubert, pour relations Chamfort, La Harpe, Parny, Ginguené, Malesherbes, Lebrun. Dans l'Almanach des Muses, il publie l'Amour de la campagne. Durant les années 1791-1792, il entreprend un voyage dont la narration sera vivement controversée : la traversée de l'Atlantique pour trouver un passage au nord de l'Amérique. Il descend jusqu'aux Grands Lacs. Il s'est passionné pour les récits des voyageurs (le Voyage, imaginaire ou réel, est une des régions poétiques de la littérature et de la géographiE). Si l'on en juge par l'invraisemblance de ses itinéraires, son imagination s'y fertilise. N'a-t-il pas masqué, avec ce fameux passage à découvrir, un autre désir : comme Beaumarchais celui de spéculations commerciales? Recevant des influences multiples, québécoises ou américaines notamment, il trouve au moins une fortune littéraire. Revenu en France au moment de la mort du roi, il se marie, rejoint l'armée des émigrés, est blessé à Thionville, passe, comme plus tard Hugo, à Bruxelles, Jersey, puis en Angleterre où il connaît comme, plus tard encore, le couple Verlaine-Rimbaud, la misère.





En 1800, c'est le retour en France. Sa mère et sa sour sont mortes. Les lectures de Volney, Bayle, Diderot, Voltaire, Rousseau lui ont apporté des doutes, des tiraillements, et il vit dans un incessant tourment religieux. Il retrouve finalement la foi de son enfance. Lorsqu'en 1802, paraît le Génie du Christianisme, Bonaparte cherche à y prendre appui pour ses essais de restauration religieuse. Successivement secrétaire d'ambassade à Rome, ministre plénipotentiaire dans le Valais, Chateaubriand démissionne avec éclat lors de l'assassinat du duc d'Enghien. Il visite alors Venise, la Grèce, Rhodes, Chypre, Constantinople, la Palestine, Tunis, l'Espagne : les Martyrs, l'Itinéraire en naîtront, ainsi que d'autres ouvres. La flânerie littéraire de Chateaubriand, de Lamartine, de Dumas est féconde. Dans toutes ses ouvres, Atala, le Voyage en Amérique, les Natchez, le Génie du Christianisme, les Martyrs, l'Itinéraire, Chateaubriand est le voyageur lyrique, le pèlerin passionné ouvert au merveilleux, plantant son chevalet de peintre en tous lieux, en tous temps. La nature lui fournit un incessant diéâtre, il en brosse le décor, la mise en scène, et, parmi une foule de personnages, il n'oublie pas sa place : au premier plan.

De 1814 à 1830, il participe activement à la vie politique française. Pair de France au retour des Bourbons, il est ambassadeur de France à Berlin, à Londres, il représente la France au congrès de Vérone, il devient ministre des Affaires étrangères, mais en 1824, il est relevé de sa charge. En 1828, il est ambassadeur à Rome. A la chute de Charles X, il entre dans la vie privée.

Sa vieillesse, malgré l'admiration qui l'entoure, malgré son immense influence, malgré qu'il règne sur le salon de Mme Réca-mier, est morose et solitaire. Il vend ses Mémoires qui ne devront paraître qu' « outre-tombe ». Lorsqu'il meurt en 1848, on construit, face à la mer, un monument pompeux prêt pour ravir des générations de touristes.



Son caractère est dominé par l'orgueil, la mélancolie, la passion. Cette vie étonnante, si bien remplie, si riche d'action et d'engagement, avec ses phases de grandeur et de misère, pourrait être génératrice de satisfactions, mais son caractère l'en soustrait : toujours le spectacle de la mer, la morne solitude du château de Combourg, la méditation sur les pays et les siècles lui apportent leur mélancolie. « Élevé comme le compagnon des vents et des flots, ces flots, ces vents, cette solitude, qui furent mes premiers maîtres, convenaient peut-être mieux à la nature de mon esprit et à l'indépendance de mon caractère », écrit-il dans son introduction au Voyage en Amérique. Il connaît le spleen, on le voit dans les Mémoires d'outre-tombe : « Pasteur ou roi, qu'aurais-je fait de mon sceptre ou de ma houlette? Je me serais également fatigué de la gloire et du génie, du travail et du loisir, de la prospérité et de l'infortune... » Il ajoute : « Tout me lasse : je remorque avec peine mon ennui, et je vais partout bâillant ma vie. » Cette disposition spleenétique, si elle ne lui est pas particulière, est chez lui profonde. Mais ce n'est pas par simple imitation qu'on la retrouvera durant tout un siècle dont elle est le signe le plus constant (on le verra chez BaudelairE) : elle est née de l'histoire et des formes de la pensée et de la civilisation en quête d'autres contrées.

Orgueilleux, égotiste, solitaire, il saura se définir : « Sincère et véridique, je manque d'ouverture de cour : mon âme tend incessamment à se fermer. » S'il ne se sépare pas de la conviction de sa supériorité, il a la noblesse de le confesser et de tenter des corrections : « Cette hauteur était le défaut de ma famille; elle était odieuse dans mon père; mon frère la poussait jusqu'au ridicule; elle a un peu passé à son fils aîné. Je ne suis pas bien sûr, malgré les inclinations républicaines, de m'en être complètement affranchi, bien que je l'aie soigneusement cachée. »

Un tel orgueil était nécessaire pour s'opposer aux puissants. En 1814, Chateaubriand écrit : « Si Napoléon en avait fini avec les rois, il n'en avait pas fini avec moi. » En finit-on jamais avec les poètes? Certes, Chateaubriand sait que son ennemi est un géant de l'histoire et il en naît une fascination, mais que partage, face à l'homme de l'Atlantique et du Nouveau Monde, l'homme venu d'une île de Méditerranée : il sait, cet empereur, que son opposant est un géant de la poésie, de la littérature, de la pensée, et de cela il connaît les effets durables. Il est difficile de museler un poète. Le tombeau des Invalides et celui de la mer se refermeront sans vainqueur ni vaincu.

La tentative incessante de connaissance de soi chez Chateaubriand aura des adeptes. Il nous apprend finalement qu'il n'est de vanité que dans l'orgueil non reconnu. Qu'il y ait de la pose, de la complaisance même dans ses Mémoires d'outre-tombe, n'empêche pas sa sincérité. Des confidences masquées de René à son ouvrage de prédilection, il montre toutes les étapes d'une existence multiple et toutes les faces de son talent.

N'aurait-il pas eu une telle influence sur le romantisme qu'il mériterait qu'on s'y attachât.



La Preuve poétique.



Le lecteur de ces pages pourrait se demander pourquoi Chateaubriand, essentiellement prosateur, apparaît dans cet ouvrage : ce serait alors qu'il ignorerait la magie d'une prose qui porte en elle toutes les caractéristiques du poème, non seulement rythme et nombre, mais aussi la poésie la plus significative du romantisme : mélancolie du poète, enthousiasme religieux, union avec la nature, recherche du passé, histoire vivante et imagée, ouverture sur l'univers, caractère épique et didactique, excellence à magnifier et à sublimer, peinture et musique par les mots, explorations et preuves, passages du clair de lune à l'aube solaire.

Avec Agrippa d'Aubigné, André Chénier, Victor Hugo, il est un des rares poètes français qui aient la tête épique. En plus, il a le don d'introduire dans l'épopée des éléments comparatifs dans le temps et des temps successifs comme des « moi » divers, des personnages comme René qu'on en peut extraire, et qui, malgré les apparences, ne se perdent pas absolument dans les brumes, révélant un nouveau réalisme. Mais les caractères multiples du genre en ce qu'il a de plus classique sont réunis dans le Génie du Christianisme dont il veut dire, par opposition à Voltaire, les « beautés morales et poétiques ». Il s'attache aux dogmes et aux doctrines, et, quand il en arrive à « l'existence de Dieu prouvée par les merveilles de la nature », sa démarche, purement poétique, s'éloigne de la démonstration philosophique ou métaphysique. Il écrit là, dans un style admirable, ses plus belles pages. Pour lui, la religion inspire mieux que le paganisme. Des poètes épiques lui apportent un soutien : Dante, le Tasse, Camoëns, Milton, Klopstock, Voltaire même. Par ses comparaisons entre anciens et modernes, il inaugure la critique historiquç : ses analyses des caractères naturels et sociaux, du sens religieux et des passions, selon les pays et les époques, est nouvelle.



René lui permet d'illustrer sa thèse. Il ne sait pas encore qu'il regrettera sa composition. Destiné à montrer dans le Génie le vague des passions, cet ouvrage sera publié ensuite à part. René, c'est Chateaubriand. C'est le souvenir de deux années à Combourg auprès de sa sour Lucile, laquelle, on le sait, inquiétée par la tendresse quasi amoureuse qu'elle porte à son frère, entrera au couvent tandis qu'il s'exilera. La maladie romantique, le « mal du siècle » fait son apparition :



Sans parents, sans amis, pour ainsi dire, sur la terre, n'ayant point encore aimé, j'étais accablé d'une surabondance de vie. Quelquefois je rougissais subitement, et je sentais couler dans mon cour comme des ruisseaux d'une lave ardente; quelquefois je poussais des cris involontaires, et la nuit était également troublée de mes songes et de mes veilles... Une langueur secrète s'emparait de mon corps. Ce dégoût de la vie que j'avais ressenti dès mon enfance revenait avec une force nouvelle. Bientôt mon cour ne fournit plus d'aliments à ma pensée, et je ne m'apercevais de mon existence que par un profond sentiment d'ennui.



Les jeunes gens du temps reconnurent leur tristesse et leurs doutes dans René. Face à tant de disciples, Chateaubriand fut troublé comme il le dit dans ses Mémoires :



Si René n'existait pas, je ne l'écrirais plus; s'il m'était possible de le détruire, je le détruirais. Une famille de René poètes et de René prosateurs a pullulé; on n'a plus entendu que des phrases lamentables et décousues; il n'a plus été question que de vents et d'orages, que de maux inconnus livrés aux orages et à la nuit. Il n'y a pas de grimaud sortant du collège qui n'ait rêvé d être le plus malheureux des hommes.



Le Génie du Christianisme établit sans cesse des parallèles : entre le merveilleux chrétien et le merveilleux païen, entre la Bible et Homère. Les parties consacrées à la musique et aux arts sont plus faibles et montrent lacunes et incompétences. On retient cependant sa réhabilitation de l'architecture gothique qui suscitera au XIXe siècle cet engouement bien connu. Il passe en revue avec plus ou moins de bonheur la philosophie, n'étant vraiment à son aise qu'avec Pascal. L'influence du christianisme sur la manière d'envisager l'histoire, l'éloquence sacrée, les « Harmonies de la religion chrétienne », la poésie des ruines, lui inspirent des pages inoubliables.

C'est là que prend place Atala publié un an auparavant. Comme René, cette ouvre fit d'abord partie des Natchez et sera publiée séparément. Cette relation des « Amours de deux sauvages dans le désert » non seulement affirme sa théorie de la beauté du christianisme et de la poésie de la religion, mais encore révèle l'amour de Chateaubriand pour la nature évocatrice de sentiments qu'apprécieront tant les romantiques. Ce livre est composé de ce qu'on pourrait appeler de grands poèmes en prose lyrique que relie le récit qui apporte son orchestration. Entre le prologue et l'épilogue, des titres sont donnés aux grandes parties : les Chasseurs, les Laboureurs, le Drame, les Funérailles. L'idylle des deux jeunes gens s'accompagne d'une vision pénétrante des passions humaines sur le fond de la nature éblouissante. Sur la voie ouverte par Jean-Jacques, Chateaubriand réussit une parfaite fusion des troubles de l'amour et des descriptions qui situent le couple humain dans son univers originel.



Les Martyrs se greffent eux aussi sur le Génie du Christianisme pour démontrer la supériorité du merveilleux chrétien dans l'épopée. « Il m'a semblé, écrit-il, qu'il fallait chercher un sujet qui renfermât dans un même cadre le tableau des deux religions, la morale, les sacrifices, les pompes des deux cultes; un sujet où le langage de la Genèse pût se faire entendre auprès de celui de l'Odyssée. »



Aujourd'hui, nous ne sommes plus guère sensibles aux arguments déployés par Chateaubriand, car ils valaient surtout pour leur époque. Ces descriptions et ces impressions, ces études juxtaposées, ces introspections qui voisinent avec des polémiques lointaines sont souvent étrangères à nos formes de pensée contemporaines. Le système apparaît incohérent dès qu'on le compare à ceux de penseurs tels que Joseph de Maistre. Peut-être l'amateur de poésie oubliera-t-il les démonstrations de Chateaubriand et jugera-t-il que son mérite à nos yeux est autre. Une lecture dans le contexte historique est nécessaire, mais s'en séparerait-on que demeurerait l'éblouissement constant des pages admirables par le style, la couleur et la vie.

Il est le père de ces méditations philosophiques et religieuses qui, de Lamartine, Hugo, Vigny, à tant de poètes, ont permis à notre art poétique de trouver sa mesure, de faire oublier notre réputation de légèreté pour nous égaler à nos voisins allemands ou anglais. Une ouvre gigogne comme le Génie du Christianisme, avec Atala, Rem, les Martyrs, l'épopée indienne des Natchez et encore les Aventures du dernier Abencérage (qui annonce le goût des romantiques pour l'EspagnE) tout comme les Mémoires ou l'Itinéraire, dans son immensité, constitue un trésor inépuisable pour le sourcier et le chercheur de pépites.



Prose et poésie.



Il est heureux que Chateaubriand ait choisi la prose, car le poème de son temps, mal préparé à son vaste projet, ne lui aurait pas permis cette intensité romantique. Les Rousseau, les Bernardin de Saint-Pierre, les Volney avaient démontré que la prose pouvait être autre chose que le vêtement de la pensée, qu'elle pouvait se faire le véhicule d'éléments sensibles, imagés, pittoresques. On avait maintes fois affirmé au xvme siècle qu'elle pouvait rivaliser avec la poésie. Par sa souplesse et son sens musical, Chateaubriand en apporte la preuve.

Il garde des défauts d'époque : épithètes vagues, mots « nobles », un peu trop d'airain, un peu trop d'urnes (les parnassiens ne s'en priveront paS). Il pastiche le style de ses devanciers, des poèmes bibliques et d'Homère à Fénelon. Son exotisme convenu, ses sauvages guindés et littéraires lassent, et, lorsque, dans les Natchez, il veut reproduire le langage indien, sa tentative le fait sombrer dans le galimatias, lui, le maître de la prose.

Nous avons vu, dans le précédent volume, qu'il a écrit des vers dans sa jeunesse. Cela pouvait apparaître comme une curiosité. Or, si l'on y regarde de près, on s'aperçoit bientôt que sa connaissance de la prosodie lui a permis de sentir le rythme de la phrase, les lois du nombre et de l'harmonie, la musicalité du mot, les sonorités expressives et imitatives. Comme Rousseau le voulait dans son Essai sur la musique, il « peint avec des sons ». Il rejoint l'univers des correspondances par un art très précis, dans une tradition bien assimilée.

Le lecteur ayant l'oreille musicale et qui serait assez patient pour compter dans sa prose les vers de différents mètres qui y sont contenus pourrait faire une inépuisable moisson. Si nous prenons un passage des Natchez :

La mort est un bien pour les sages; lui plaire est leur unique étude; ils passent toute leur vie à en contempler les charmes, nous reconnaissons bien vite la présence de deux octosyllabes suivis de deux vers de sept pieds.



De même, cet autre passage :

Qu'il est insensé, celui qui s'écrie : Sauvez-moi de la mort! Il devrait plutôt dire : Sauvez-moi de la vie! ô mort, que tu es belle au milieu des combats! pourrait se décomposer en un décasyllabe, trois vers de six pieds et un alexandrin :



Qu'il est insensé, celui qui s'écrie :

Sauvez-moi de la mort!

Il devrait plutôt dire :

Sauvez-moi de la vie!

Ô mort, que tu es belle au milieu des combats!



Lorsque voulant comparer la Bible et Homère, il traduit en langage homérique le simple verset de Ruth, on distingue cinq octosyllabes, un vers de sept pieds, deux de cinq :

Ne vous opposez point à moi, / en me forçant à vous quitter / et à m'en aller : / en quelque lieu que vous alliez, /j'irai avec vous. /Je mourrai où vous mourrez; / votre peuple sera mon peuple, / et votre Dieu sera mon Dieu.



Les exemples peuvent être multipliés interminablement et l'on voit bientôt qu'il ne s'agit pas d'effets heureux du hasard. Comme au temps des rhétoriqueurs, où la prosodie permit à la prose de s'assouplir et de trouver sa musique, le phénomène se reproduit chez Chateaubriand. Et puis, comme le dit Albert Chérel, « les sonorités lui servent à marquer le rythme; un rythme ralenti, lorsqu'il espace les syllabes accentuées, ou que par leur alternance habile avec les syllabes sourdes, il sait prolonger leur durée : ainsi - et par l'immobilité alanguie ou rigide qu'il donne alors à ses images -, il paraît s'immobiliser lui-même à contempler sa séducdon de peintre. Ailleurs, ou presque en même temps, le rythme s'accélère pour évoquer le désordre d'un orage, ou les fiévreuses amertumes du cour de l'homme ». Il y a en lui du chef d'orchestre et du cinéaste : le miracle incessant vient de ce qu'il distribue à son gré la musique et les images dans des mouvements de flux et de reflux, d'accélération et de repos qui animent son ouvre.

Il efface aisément les tentatives d'épopées en vers de ses pâles contemporains de la gent académique. L'épopée, nous l'avons vu au moyen âge, a trois têtes : roman, histoire, poème. Les contemporains de Chateaubriand, comme Ballanche et Marchangy, sont disposés à faire se répondre roman et histoire, la troisième partie étant remplacée par le poème en prose ou la prose poétique. Chateaubriand y réussit mieux que tous. Il sait que la monotonie peut être le défaut de ses grands ouvrages; pour le pallier, il introduit dans le cours de sa narration des scènes et des récits illustrateurs, des jeux et des pastiches poétiques. Il sait aussi quitter une tension trop constamment forte pour des croquis agréables, lestes, malicieux, satiriques ou même humoristiques, ajoutant au besoin une bonhomie feinte par un brusque « ture lure ».



Il aime prendre, on le voit dans les Natchez ou les Martyrs, le merveilleux, non comme sujet, mais comme ornement. L'imagination, si elle ne lui fait pas défaut, a besoin d'être soutenue. Recourant aux textes des géants de la poésie universelle, il trouve des modèles, fait des emprunts, ne s'en cache pas : « D'autres ont leurs ressources en eux-mêmes; moi, j'ai besoin de suppléer à ce qui me manque par toutes sortes de travaux. » Il a beaucoup lu « les Anciens, nos maîtres en tout ». L'observateur reconnaît au passage les Grecs comme nos classiques (Racine, La Fontaine, Bos-suet...), la Bible comme les poètes anglais. Il transcende l'énorme documentation dont il a besoin pour des ouvres aussi vastes. Imitant, il dépasse ceux qu'il imite. Il se montre digne des rendez-vous qu'il a donnés. Peintre de l'histoire, de la nature et de l'âme, il résout toutes les difficultés par l'harmonie du style en donnant, ce manieur savant des mots, l'impression des données de l'instinct.

Une double leçon de prose et de poésie court dans ses pages. Voici une phrase souvent citée qui se balance sur deux membres égaux, rythmée par la répétition de « peut-être », dont la première partie s'achève sur le glissement du mot « voyage », et la seconde, par opposition, sur le mot « océan » également musical, mais avec une sonorité sourde, brève et d'un intense prolongement :



Le matelot ne sait où la mort le surprendra, à quel bord il laissera la vie : peut-être, quand il aura mêlé au vent son dernier soupir, sera-t-il lancé au sein des flots, attaché sur deux avirons, pour continuer son voyage; peut-être sera-t-il enterré dans un îlot désert que l'on ne retrouvera jamais, ainsi qu'il a dormi isolé dans son hamac, au milieu de l'Océan.



S'il conduit sa prose à la perfection, s'il a une vue large et un souffle puissant, si les exemples prosodiques abondent, sa langue est celle d'un homme du xvme siècle - et il n'est pas le seul à bien écrire, on le sait, car le siècle des philosophes en cela constamment nous émerveille. Il n'est pas à l'abri des routines classiques et des clichés, mais ils apparaissent dans un contexte d'une telle qualité qu'il les fait oublier. Son goût pour les contrastes, pour l'union des mots qui semblent inconciliables lui permet, comme chez Bos-suet, des images pénétrantes, des dissonances qui frappent. Il sourira lui-même de ce goût pour le mariage du concret et de l'abstrait, se limitant au besoin dans ses hardiesses comme lorsqu'il biffe du Génie du Christianisme cette phrase digne de M"e de Scudéry : « Virgile est le géographe du cour, avec lequel il a mesuré la terre. » Pierre Moreau a relevé de ces hardiesses montrant la subtilité des correspondances : « Dans René, une colonne demeurée debout dans le désert est une grande pensée qui s'élève dans une âme dévastée; dans Atala le cour humain est un de ces arbres qui donnent leur baume pour les blessures des hommes lorsque le fer les a frappés eux-mêmes. La création s'anime tout entière : la lune est une blanche vestale, la brise est sa fraîche haleine... Par le seul charme des mots, des fils mystérieux relient toutes les choses du ciel, de la terre et de l'âme. »

Seuls de grands poètes pourront retrouver dans leurs vers cette magie de l'animation, ce chant qui utilise des temps forts et des temps atténués. Chateaubriand connaît les possibilités de l'orgue des vocables, des voyelles et des consonnes qu'il marie comme des notes de musique tandis que ses doigts courent sur tous les claviers. « Il joue du clavecin sur toutes nos fibres», dit sa chère Mme de Beau-mont. Ce n'est pas par hasard que le poète de la prose écrit : « J'ai fait des vers vingt ans de ma vie avant d'écrire une ligne de prose. » Comme dit si bien Pierre Moreau : « II ouvre un siècle de poésie qui ne cessera d'écrire l'histoire des rêves. »



Sa prose rivalise donc avec les vers les plus harmonieux. Les belles pages d''Atala sont dignes des grandes élégies qui vont naître : le Lac, la Tristesse d'Olympio ou le Souvenir. Sa période est sans cesse poétique, il a tout autant de musique par le balancement mélodieux des phrases euphoniques. Et que d'expressions neuves, en son temps, si souvent contestées, de « la jeunesse de la lumière » au « marbre tragique » en passant par « l'âme de la solitude » ou « la fidélité des ombres ». Il donne à entendre et il donne à voir, ce peintre, ce musicien : « La lune répandit dans les bois ce grand secret de mélancolie qu'elle aime à raconter aux vieux chênes et aux rivages antiques. » Nous retrouverons des voix fraternelles pour lui répondre et, par-delà les batailles, il est un novateur classique unissant Tacite, Sénèque, Bossuet, Racine, Pascal, Montaigne aux génies poétiques du xixe siècle.

Aurait-il pu ne pas figurer ici celui dont Goethe dit qu'il est « assurément un rhéteur et un poète de grande envergure »? Il est pour Lamartine le « Rubens du style », mais André Gide affirme : « Mon penchant naturel me portait vers Chateaubriand ; je décidai de lui préférer Stendhal, qui m'instruisit bien davantage. » Louis Veuillot veut en faire un « homme de lettres ». Karl Marx le juge sévèrement : « Ce fabricant de belle littérature qui allie de la façon la plus répugnante le scepticisme le plus distingué et le voltairia-nisme du xvme siècle au sentimentalisme distingué et au romantisme du xix*. » Joubert disant « Sa prose est de la musique et des vers » trouve un écho chez Stendhal : « C'est la harpe éolienne du style ».

On n'est point toujours tendre avec lui de nos jours. José Cabanis écrit : « Qu'en reste-t-il ? Quelques pages de René,quelques paysages d'Atala. Ce ne sont ailleurs que balancements oratoires, et périodes éloquentes. » Le poète Claude Roy heureusement le découvre « plus vivant que bien des gens qu'on croise dans la rue », il établit des filiations, celles des « fils du mal du siècle et de l'absurde, de Maurice Barrés à Drieu la Rochelle, de Montherlant à Camus », celles de ses héritiers pour qui la politique « est toujours une passion et souvent l'ersatz d'un absolu, de Barrés à Aragon, de Mauriac à Malraux, de Bernanos à Sartre ». Et nous voulons conclure sur ces phrases avec lesquelles nous sommes en accord : « Car Chateaubriand n'invente pas seulement une façon nouvelle de faire vivre la prose, il inventé aussi une façon moderne de faire palpiter la vie, de la considérer, de l'aimer, de la dédaigner. Il est avec Rousseau et Hugo, un des trois pères de la sensibilité contemporaine. »






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François-René de Chateaubriand
(1768 - 1848)
 
  François-René de Chateaubriand - Portrait  
 
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