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François Zola

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LE NATURALISME


Poésie / Poémes d'François Zola





Depuis longtemps, Zola caressait le projet d'un livre dont l'action se déroulerait parmi les ouvriers des faubourgs. Il en avait noté l'idée dans son dossier préparatoire, Ébauche : « Montrer le milieu peuple et expliquer par ce milieu les mours peuple : comme quoi à Paris la soûlerie, la débandade de la famille, les coups, l'acceptation de toutes les hontes et de toutes les misères viennent des conditions mêmes de l'existence ouvrière, des travaux durs, des promiscuités, des laisser-aller, etc. En un mot, tableau très exact de la vie du peuple, avec ses ordures, sa vie lâchée, son langage grossier, etc. Un effroyable tableau qui portera sa morale en soi. »





Cette vision générale, il la précise dans son Plan complet : « Des chapitres de vingt pages en moyenne - inégaux -, les plus courts de dix pages, les plus longs de quarante pages. Le style, à toute volée. Le roman est la déchéance de Gervaise et de Coupeau, celui-ci entraînant celle-là dans le milieu ouvrier.



Expliquer les mours du peuple, les vices, les chutes, la laideur morale et physique par ce milieu, par la condition faite à l'ouvrier dans notre société. »

À partir de cette indication, voici Zola lancé. Le roman sera avant tout l'histoire de la douce et misérable Gervaise. « Elle doit être une figure sympathique..., poursuit-il dans l'Ébauche. Elle est d'un tempérament tendre et passionné... Une bête de somme au travail... Chacune de ses qualités tourne contre elle... Le travail l'abrutit, sa tendresse la conduit à des faiblesses extraordinaires. » Peu à peu, autour d'elle, naissent les autres personnages de L'Assommoir : Coupeau, l'ouvrier zingueur droit et honnête qui l'épouse, mais qui, s'étant cassé une jambe en tombant d'un toit, sombre dans l'alcoolisme, et Lantier, le bellâtre, dont elle a eu deux enfants et qui, après l'avoir abandonnée, revient à elle, s'installe chez le couple et pousse Coupeau à boire jusqu'à la déchéance.

Rentré à Paris le 4 octobre 1875, Zola écrit à Paul Alexis : « Dès le lendemain de mon arrivée, j'ai dû me mettre en campagne pour mon roman, chercher un quartier, visiter des ouvriers1. » Certes, il a connu lui-même des coins pauvres de la capitale, mais les logis minables où il a vécu dans sa jeunesse sont ceux de la bohème estudiantine, non ceux de la population ouvrière, livrée à l'ignorance, à la fatigue et à l'ivrognerie. Déjà, dans Germinie Lacerteux, les Goncourt se sont demandé si « le peuple doit rester sous le coup de l'interdit littéraire ». Décidé à relever le gant, Zola parcourt, un carnet à la main, le secteur de la rue de la Goutte-d'Or et de la rue des Poissonniers . Bourgeois des Batignolles égaré chez les sauvages, il prend des croquis, décrit avec minutie l'aspect des maisons, des boutiques, remarque au passage une femme en cheveux qui boitille, une ceinture rouge autour des reins d'un ouvrier, une envolée de blanchisseuses hors d'un atelier à la vitrine garnie de bonnets de dentelle pendus sur des fils de laiton. Dévoré de curiosité, il entre chez un mastroquet, observe les consommateurs avachis, l'oil terne, la lippe baveuse, hume l'odeur de la vinasse et ressort avec la sensation d'avoir passé toute son existence dans ce heu de perdition et de veulerie. Il lui faut plus de courage, sans doute, pour s'aventurer dans un lavoir, peuplé de femmes dépoitraillées et suantes, qui s'interpellent grossièrement et battent le linge dans un nuage de vapeur. Mais, là aussi, il note tout : les réservoirs de zinc, les baquets d'eau chaude, les barres à égoutter, le prix de l'eau de Javel (deux sous le litrE) et celui de l'eau de lessive (un sou le seaU). Quand il regagne son coquet pavillon des Batignolles, après ces randonnées hallucinantes au pays de la mouise, il se replonge avec un regain d'intérêt dans Le Sublime de Denis Poulot, ouvrage où l'auteur, analysant le sort des travailleurs, préconise la création de syndicats pour s'opposer aux patrons. Il Ut aussi le Dictionnaire de la langue verte d'Alfred Delvau et y relève plus de six cents mots qui l'enchantent par leurs sonorités brutales. Chaque fois qu'il en utilisera un dans son livre, il le barrera sur sa liste. « Chier la colonne », « boire un canon », « faire sa Sophie », « s'endormir sur le rôti », il se grise de ces expressions imagées et, assis à son bureau, les pieds dans ses pantoufles et le ventre à l'aise, jouit d'être à la fois si proche des petites gens et si préservé de leurs malheurs.

Reste le problème du style. Par une intuition éblouissante, Zola décide de ne pas limiter l'emploi du parler populaire au dialogue des personnages. Il estime que tout le récit doit être conduit sur le même ton âpre et argotique. Ainsi, la narration sera comme imprégnée de l'essence même de la Goutte-d'Or. Le lecteur n'aura pas l'impression de voir ce quartier de l'extérieur, en curieux, en intrus, mais de participer à la fois au langage et à l'esprit de ses habitants. Il ne regardera pas les poissons du vivier à travers une vitre, il sera plongé dans leur jus.

Cette écriture volontairement plébéienne donne un relief de cauchemar aux grandes scènes du livre : la noce, la bataille des femmes au lavoir, l'enterrement, la crise de délirium tremens de Coupeau... À un journaliste, Albert Millaud, qui lui reproche d'utiliser « le langage de la rue », il va répondre : « Vous me concédez que je puis donner à mes personnages leur langue accoutumée. Faites encore un effort, comprenez que des raisons d'équilibre et d'harmonie générale m'ont seules décidé à adopter un style uniforme... D'ailleurs, ce langage de la rue vous gêne donc beaucoup ? Il est un peu gros, sans doute, mais quelle verdeur, quelle force et quel imprévu d'images, quel amusement continu pour un grammairien fureteur ! »



Au vrai, alors même qu'il se glorifie d'avoir écrit un roman qui rampe au ras du trottoir, Zola n'a pas grande confiance en l'avenir de L'Assommoir. Il prévoit déjà que le public élégant se bouchera le nez devant ce déballage. N'est-il pas allé trop loin en peignant un univers à l'horizon fermé, aux maisons lépreuses, aux odeurs pestilentielles, hanté par des malheureux dont pas un n'ose relever le front ? N'a-t-il pas eu tort de refuser que le moindre rayon de lumière traverse ces ténèbres, où l'individu, réduit à l'état de bête, marche pas à pas, sans espérance, vers l'abattoir ? Ne va-t-on pas l'accuser d'avoir simplifié à l'extrême la psychologie de ses personnages pour les transformer en marionnettes, tout juste bonnes à appuyer sa théorie de l'hérédité? Tant pis! Il est trop tard pour corriger quoi que ce soit dans ce livre de sincérité et de courage.



Ayant soumis le manuscrit à Yves Guyot, rédacteur en chef du Bien public, journal républicain radical dont le chocolatier Menier assure le financement, Zola se résigne néanmoins à voir pratiquer quelques coupures dans son texte pour ménager la pudibonderie des lecteurs. Or, les coupures ne suffisent pas à transformer L'Assommoir en une prose acceptable par les honnêtes gens. La publication commence le 30 avril 1876. Immédiatement, les abonnés se hérissent. Devant le flot des lettres de protestation, Yves Guyot capitule. Le feuilleton est arrêté. Indigné, Catulle Mendès offre à Zola de faire paraître la suite de son roman dans la revue littéraire qu'il dirige : La République des lettres. Après un mois de pénitence, Gervaise, Coupeau et Lantier reprennent du service dans la presse. Et les incidents recommencent. Dès septembre 1876, Albert Millaud, le critique du Figaro, plante la première banderille : « On pouvait espérer que M. Zola, quoique trop réaliste, marquerait sa place et fournirait une bonne carrière dans l'art difficile du roman contemporain. Soudain M. Zola s'arrête en route. Il publie en ce moment, dans une petite revue, un roman intitulé L'Assommoir, qui nous fait l'effet de devoir être réellement l'assommoir de son talent naissant. Ce n'est pas du réalisme, c'est de la malpropreté, ce n'est pas de la crudité, c'est de la pornographie. »



Quand il lit cet article, Zola se trouve en vacances, avec Alexandrine et la famille Charpentier, à Piriac, en Bretagne, où il pêche la crevette et, dit-il, « [s'Jempiffre de coquillages du matin au soir1 ». Aux attaques de Millaud, il réplique que nul ne saurait juger la portée morale d'une ouvre en cours de publication. Cette mise au point lui ayant attiré une nouvelle diatribe de Millaud qui le taxe d'être un écrivain « démocratique et quelque peu socialiste », Zola prend la mouche : « J'entends être un romancier tout court, sans épithète; si vous tenez à me qualifier, dites que je suis un romancier naturaliste, ce qui ne me chagrinera pas... Ah! si vous saviez comme mes amis s'égayent de la légende stupéfiante dont on régale la foule chaque fois que mon nom paraît dans un journal! Si vous saviez combien le buveur de sang, le romancier féroce est un honnête bourgeois, un homme d'étude et d'art, vivant sagement dans son coin, tout entier à ses convictions!... Quant à ma peinture d'une certaine classe ouvrière, elle est telle que je l'ai voulue, sans une ombre, sans un adoucissement. Je dis ce que je vois, je verbalise simplement, et je laisse aux moralistes le soin de tirer la leçon... Je me défends de conclure dans mes romans, parce que, selon moi, la conclusion échappe à l'artiste. Pourtant, si vous désirez connaître la leçon qui, d'elle-même, sortira de L'Assommoir, je la formulerai à peu près en ces termes : instruisez l'ouvrier pour le moraliser, dégagez-le de la misère où il vit, combattez l'entassement et la promiscuité des faubourgs où l'air s'épaissit et s'empeste, surtout empêchez l'ivrognerie qui décime le peuple en tuant l'intelligence et le corps. »



Le Figaro renonce à publier cette lettre et Le Gaulois se joint à la bande des détracteurs : « C'est le recueil le plus complet que je connaisse de turpitudes sans compensations, sans correctifs, sans pudeur, écrit Foucauld. Le romancier ne nous fait pas grâce d'un vomissement d'ivrogne... Le style..., je le caractériserai d'un mot de M. Zola, qui ne pourra se fâcher de la citation : " Il pue ferme. " »

Bien que férocement égratigné, Zola se dit que cette polémique est une excellente publicité pour le roman. « Quant à moi, je suis très satisfait, écrit-il au peintre Antoine Guillemet. L'Assommoir continue à me faire couvrir d'injures... Je crois que, lorsque le livre paraîtra, en janvier, on en vendra beaucoup. D'ailleurs, je suis déjà content du succès de bruit2. » Ce qui l'étonné pourtant, c'est que les journaux de gauche, eux aussi, sont contre lui. Arthur Ranc, dans La République française, lui reproche son « mépris néronien » pour le peuple. Victor Hugo et l'équipe du Rappel l'accusent d'insulter les ouvriers en donnant d'eux une image trop noire. Flaubert écrit à Tourgueniev : « J'ai lu comme vous quelques fragments de L'Assommoir. Ils m'ont déplu. Zola devient une précieuse à l'inverse. Il croit qu'il y a des mots énergiques, comme Cathos et Madelon croyaient qu'il en existait de nobles. Le système l'égaré. Il a des principes qui lui rétrécissent la cervelle1. » Pour la première fois, les caricaturistes s'en prennent à Zola. C'est la gloire sous les crachats. Lorsque L'Assommoir paraît en volume chez Charpentier, à la fin de janvier 1877, le débat rebondit. Aucun lecteur ne peut rester indifférent à ce livre. On est pour ou on est contre. Le Service de la presse, au ministère de l'Intérieur, commence par interdire la vente de l'ouvrage dans les gares, étant donné « l'obscénité grossière et continuelle des détails ». En revanche, parmi les laudateurs, il y a Anatole France qui écrit le 27 juin, dans Le Temps : « L'Assommoir n'est certes pas un livre aimable, mais c'est un livre puissant. La vie y est rendue d'une façon immédiate et directe... Les personnages, fort nombreux, y parlent le langage des faubourgs. Quand l'auteur, sans les faire parler, achève leur pensée ou décrit leur état d'esprit, il emploie lui-même leur langage. On l'en a blâmé. Je l'en loue. Vous ne pouvez traduire fidèlement les pensées et les sensations d'un être que dans sa langue. » Paul Bourget affirme à Zola : « C'est votre meilleur roman. La fureur même des attaques le prouve. Vous êtes absolument sur une terre à vous. Ah ! vous êtes un terrible homme ! Les jeunes gens que je vois, nous tous, nous vous mettons au premier rang2. » Et Mallarmé renchérit : « Voilà une bien grande ouvre ; et digne d'une époque où la vérité devient la forme populaire de la beauté. »



Dans l'autre camp, les adversaires de L'Assommoir le vouent aux gémonies pour des raisons diverses. Les uns condamnent le roman pour son « écourante malpropreté », d'autres à cause de son mépris du peuple, d'autres encore parce qu'ils y voient une simple étude pathologique, d'autres enfin sous le fallacieux prétexte que l'auteur s'est trop inspiré du Sublime de Denis Poulot. A la fois plagiaire, ennemi des humbles, provocateur de la bourgeoisie et faux carabin aux lectures mal digérées, Zola se pourléche en consultant les comptes d'auteur. L'Assommoir s'enlève avec une rapidité et une régularité stupéfiantes. Les piles de volumes fondent chez les libraires. On sort en quelques mois jusqu'à trente-cinq éditions. Hugo chancelle sur son socle. Le bruit qu'ont fait Les Misérables, quinze ans plus tôt, est étouffé par le vacarme autour de L'Assommoir. Alors que, dans Les Misérables, la lutte entre le Bien et le Mal avait des accents encore romantiques, dans L'Assommoir aucun souffle d'air pur ne traverse la fétidité des bas-fonds. Zola a, sur le vieux maître, l'avantage de regarder le monde sans illusions. Il peint l'enfer et chacun a envie d'y aller voir.



Avec une générosité et une élégance exceptionnelles, Charpentier déchire le contrat qui le liait à son auteur, l'associe aux bénéfices de la vente et lui verse d'emblée dix-huit mille cinq cents francs. Dans la rue, on chante des couplets célébrant les malheurs de Gervaise. Au cirque Franconi, L'Assommoir devient une pantomime parodique. Pour le public huppé, le roman de Zola est une « nouveauté » qu'il faut avoir lue coûte que coûte, afin de pouvoir donner son avis dans un salon. La bourgeoisie frissonne, à la fois choquée par l'outrance du propos et satisfaite de l'image horrible que Zola présente du milieu ouvrier. Mais voici que le milieu ouvrier lui-même s'intéresse au livre. Des lecteurs d'une classe modeste reconnaissent la vérité cruelle des descriptions. La clientèle de Zola englobe maintenant toutes les couches de la société. Il s'en rend compte et la tête lui tourne. L'argent afflue, avec la notoriété et la haine. Aurait-il enfin atteint son but ?



Jaloux de ce brusque succès, Edmond de Gon-court reproche à Zola, dans son Journal, de s'être inspiré trop évidemment de son propre roman La Fille Élisa pour certains passages de L'Assommoir. Il ne comprend pas pourquoi ce n'est pas lui mais cet « Italianasse » qui soulève tant de passions. Le 16 avril 1877, lors d'un dîner au restaurant Trapp, de jeunes écrivains, dont Huysmans, Céard, Henni-que, Paul Alexis, Octave Mirbeau, Guy de Maupas-sant, « la jeunesse des lettres réalistes, naturalistes », acclament Flaubert, Zola et Goncourt, et les sacrent maîtres de l'heure présente. « Voici l'armée nouvelle en train de se former », note Goncourt. Il devrait être rassuré. Mais, un an plus tard, il laisse de nouveau éclater sa hargne : Zola gagne décidément trop avec ses livres. « Je n'ai jamais vu un homme plus exigeant, moins satisfait de l'énormité de sa fortune que le nommé Zola », écrit Goncourt.



Au fond, il en veut surtout à l'auteur de L'Assommoir de s'être saisi du mot « naturalisme » et de s'en faire à présent un drapeau. Comme Flaubert, au cours d'une réunion amicale, plaisante Zola sur son goût pour les préfaces et les professions de foi naturalistes dont il se sert pour assurer le lancement de ses livres, celui-ci rétorque, d'après Goncourt : « Vous, vous avez eu une petite fortune qui vous a permis de vous affranchir de beaucoup de choses. Moi, qui ai gagné ma vie absolument avec ma plume, qui ai été obligé de passer par toutes sortes d'écritures honteuses, par le journalisme, j'en ai conservé, comment vous dirai-je cela? un peu de banquisme... Oui, c'est vrai, je me moque comme vous de ce mot naturalisme : et cependant je le répéterai sans cesse, parce qu'il faut un baptême aux choses pour que le public les croie neuves... J'ai d'abord posé un clou et d'un coup de marteau je l'ai fait entrer d'un centimètre dans la cervelle du public; puis, d'un second coup, je l'ai fait entrer de deux centimètres... Eh bien, mon marteau, c'est le journalisme que je fais moi-même autour de mes ouvres. » Et Goncourt conclut : « Zola, dans le triomphe, a quelque chose d'un parvenu arrivé à une fortune inespérée. »



Il est vrai que Zola étale volontiers sa réussite. Il s'est découvert une passion : les bibelots. Depuis qu'il a touché le pactole, il en achète à profusion chez les brocanteurs. « Le moins qu'on puisse dire, c'est que son cabinet-salon ne produit pas une impression d'élégance et de classicisme, note le journaliste russe Boborykine. Il ressemble à un petit magasin de bric-à-brac. » Alexandrine participe à cette rage de décoration. « Ma femme est dans une besogne formidable, écrit Zola à Mme Charpentier. Elle fait mes rideaux, des appliques de vieilles fleurs de soie sur du velours et je vous affirme que c'est un joli travail1. » C'est que les Zola ont encore déménagé, et il s'agit d'orner dignement la nouvelle demeure du maître. Ils habitent maintenant un appartement situé 23, rue de Boulogne2, au deuxième étage, avec antichambre, cuisine, cabinet de toilette, salle à manger, salon, chambre à coucher. Le style gothique domine dans l'ameublement. En entrant dans la chambre du couple, Flaubert s'écrie : « J'ai toujours rêvé de dormir dans un ht pareil !... C'est la chambre de saint Julien l'Hospitalier ! » Convié à la pendaison de la crémaillère, Goncourt ricane : « Un cabinet de travail où le jeune maître travaille sur un trône de palissandre massif portugais. Une chambre avec un ht sculpté à colonnes, des vitraux du xne siècle à la fenêtre, des tapisseries de saintes verdâtres aux murs et aux plafonds, des devants d'autel au-dessus des portes, tout un mobilier fabriqué d'antiquailleries ecclésiastiques fait un entour un peu excentrique à l'écrivain de L'Assommoir3. » En revanche, le dîner arrache des cris d'admiration aux convives. Daudet, très en verve, compare la chair parfumée des gelinottes à « la chair de vieilles courtisanes marinée dans un bidet ». Flaubert, échauffé par le vin et la bonne chère, tonne contre les stupides bourgeois et truffe ses propos de jurons orduriers, ce qui offusque Mme Daudet, qui ne s'attendait pas à « ce gros et intempérant déboutonnage ». Zola, de son côté, parle d'abondance, les yeux étincelants derrière son lorgnon, les joues rouges, coupe la parole à ses amis, gesticule, et Charpentier, qui a la grippe, murmure en regardant son auteur : « Il est étonnant, il voudrait qu'il n'y eût que lui, lui tout seul dans le salon. »



Pendant le dernier été, Zola s'est rendu à L'Esta-que avec Alexandrine et y a fait une large cure de bouillabaisse. Mais, malgré ses lourdeurs d'estomac, il a trouvé le courage d'écrire là-bas, au soleil du Midi, dans le chant des cigales, le huitième roman du cycle, intitulé Une page d'amour, de participer à l'adaptation théâtrale, par William Busnach et Octave Gastineau, de L'Assommoir et de corriger sa comédie sur le cocuage, Le Bouton de Rose. Refusé à l'époque parce que l'auteur était inconnu, ce vaudeville va être monté, à la rentrée, parce que Zola s'est imposé depuis à grand fracas. Le public attend avec impatience cette farce qui ne peut être que « naturaliste ». Comment Zola, après avoir fait pleurer, s'y prendra-t-il pour faire rire ?



La première, qui a heu le 6 mai 1878, est un désastre. Au fur et à mesure que les scènes se succèdent, la salle, consternée par la platitude et la vulgarité du spectacle, devient plus houleuse. Au troisième acte, le rideau tombe sous les huées. Quand un comédien veut, selon l'usage, annoncer le nom de l'auteur, on hurle du parterre : « Il n'y a pas d'auteur ! » « Je ne comprends pas comment un garçon qui a l'ambition d'être un chef d'école a pu - et cela sans être poussé par le besoin d'argent - laisser représenter une chose si ordinaire et si pareille à ce que les derniers des vaudevillistes fabriquent », écrit Goncourt. Les amis de Zola tentent de minimiser l'échec. Abasourdi de chagrin, il veut néanmoins les réunir pour un souper au Véfour. « Le malheureux, complètement bouleversé, poursuit Goncourt, laisse sa femme commander le souper et, absent, étranger aux choses qui se disent, le front tout pâle, penché sur son assiette, fait tourner machinalement dans son poing fermé son couteau de table, la lame en l'air. » De temps en temps, comme se parlant à lui-même, Zola grogne : « Non, ça m'est égal, mais ça change tout mon plan de travail... Je vais être obligé de faire Nana... Au fond, ça dégoûte, les insuccès au théâtre..., je vais faire du roman... » En face de lui, Alexandrine mange avec appétit et, entre deux gorgées de vin, reproche à son mari de n'avoir pas opéré certaines coupures dans le texte comme elle le lui avait conseillé. Enfin, la compagnie se lève de table. Descendant l'escalier du restaurant derrière Mme Charpentier, dont la traîne de la robe glisse sur les marches, Zola marmonne : « Ah.' prenez garde, je n'ai pas les jambes fortes, ce soirï l »



Rentré chez lui, il embrasse du regard tous les objets qu'il a pu se payer avec ses « droits » de romancier, et sa confiance renaît. Ils sont les témoins de sa réussite passée et les garants de son triomphe futur. Les sifflets du public se heurtent à leur rempart. Quelques jours plus tard, à un dîner chez les Charpentier, il affirmera même que l'échec du Bouton de Rose le comble d'aise. « Cela me rajeunit.' s'écrie-t-il. Cela me donne vingt ans ! Le succès de L'Assommoir m'avait avachi. Vraiment, quand je pense à l'enfilade de romans qui me restent à fabriquer, je sens qu'il n'y a qu'un état de lutte et de colère qui puisse me les faire faire ! » Puis on parle du bal des Cernuschi. Zola se prétend trop fatigué pour y aller. Mais Alexandrine intervient, avec, dit Goncourt, « l'aigreur d'une harengère maigre ». « Il faut qu'il y aille, déclare-t-elle. Il a des notes à prendre ' » Et Goncourt écrit ironiquement : « L'observation spontanée et faite presque en dépit de soi, bon ! je veux bien ; mais de l'observation comme on se rend à son ministère, mercil ! »

Malgré l'insuccès du Bouton de Rose, retiré de l'affiche après sept représentations, Zola n'hésite pas à en publier le texte dans un recueil agrémenté d'une fïère préface : « On a bien fini par lire mes romans, on finira par écouter mes pièces. » Mais, dans son for intérieur, il n'est plus très sûr d'être aussi un homme de théâtre.



Entre-temps, il a fait paraître Une page d'amour, dont il dit que c'est une histoire « un peu popote ». Jugement simpliste, car en fait il s'agit du drame d'une femme, Hélène Grandjean, veuve et belle, en proie au remords parce que, tandis qu'elle se pâmait dans les bras de son amant, le docteur Deberle, sa fille Jeanne est morte de phtisie galopante. Après une terrible crise de conscience, elle surmontera son chagrin, se mariera avec un vieil ami et retrouvera son calme et son honnêteté de matrone raisonnable, bien plantée sur ses pieds dans un univers de convention parisienne. « Je dois étudier l'amour naissant et grandissime comme j'ai étudié l'ivrognerie », notait Zola dans son Ébauche, et il s'écriait devant le critique italien Edmondo De Amicis : « Je ferai pleurer tout Paris ! »



En tête du volume, figure l'arbre généalogique des Rougon-Macquart. Un superbe dessin, comportant, sur chacune des feuilles de l'arbre, le nom d'un personnage avec sa date de naissance et les caractères cliniques de son hérédité. L'ensemble est impressionnant. Zola le contemple avec l'émotion du Booz endormi de Victor Hugo, à qui Dieu envoie en songe la révélation de sa future descendance. Ses confrères, cependant, se gaussent de cette innovation. Daudet assure que, s'il avait imaginé un tel arbre, il se serait pendu à la branche la plus haute. Avec une gravité professionnelle, Zola se justifie dans une préface : « Aujourd'hui, j'ai simplement le désir de prouver que les romans publiés par moi, depuis bientôt neuf ans, dépendent d'un vaste ensemble, dont le plan a été arrêté d'un coup et à l'avance, et que l'on doit par conséquent, tout en jugeant chaque roman à part, tenir compte de la place harmonique qu'il occupera dans cet ensemble. » Maintenant, ce n'est pas dix romans qu'il prévoit pour le cycle des Rougon-Macquart, mais vingt ! Et il espère vivre assez longtemps pour parachever son ouvre. S'il veut arriver au bout, il doit surveiller sa santé afin d'être toujours en forme, à l'exemple des « sportsmen ». N'est-il pas un athlète de l'écriture ?



Après la violence de L'Assommoir, il ambitionne de séduire les âmes sensibles par la délicatesse, toute en demi-teintes, de son nouveau livre. Mais, malgré des critiques aimables dans les journaux et les lettres enthousiastes d'amis et de confrères, l'aventure d'Hélène passionne moins le public que celle de Gervaise. La vente est moyenne. Faut-il en conclure que les lecteurs, à leur insu même, sont friands de littérature épicée ? Incontestablement, tout en dénigrant Zola, ils attendent de lui une cuisine qui leur emporte la bouche. Il se le tient pour dit et, sans désemparer, met le cap sur Natta.



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François Zola
(1796 - 1847)
 
  François Zola - Portrait  
 
Portrait de François Zola
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