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François Zola

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LA DÉFAITE


Poésie / Poémes d'François Zola





À L'Estaque, Zola retrouve Paul Cézanne, qui se cache dans ce bourg oublié, face à la mer bleue, avec sa maîtresse, Hortense Fiquet. Même ses parents ignorent le lieu de sa retraite. Et les autorités militaires ont renoncé à mettre la main sur lui. Il se désintéresse superbement de la guerre pour peindre. Son affaire, ce n'est pas de suivre, sur une carte, la progression des Prussiens, mais de couvrir une toile avec des couleurs qui vous remuent les tripes. Il le dit à Zola. Celui-ci ne peut le comprendre. L'actualité le talonne. Il est solidaire de ceux qui se battent, de ceux qui s'indignent, de ceux qui songent au meilleur moyen de sauver la France. La paix ensoleillée de L'Estaque lui semble une insulte à la souffrance du pays tout entier. Après quelques jours d'oisiveté coupable, il choisit de s'installer à Marseille avec sa mère et sa femme. Il y sera, pense-t-il, plus proche des préoccupations de ses compatriotes.





Ce qu'il découvre en arrivant là-bas, le 10 septembre 1870, c'est une immense foire aux ambitions, désordonnée et glapissante. La république a été proclamée dans la ville, mais des rivalités éclatent entre les membres de l'équipe qui a pris le pouvoir. Gambetta donne, de loin, des consignes qui ne sont pas exécutées. La cité est aux mains d'une plèbe incontrôlable dont les cortèges parcourent les rues en vociférant. Leur homme de confiance est le député Esquiros. Il s'oppose à Gambetta. Tout cela va-t-il se terminer par une lutte fratricide? Non, ici on crie fort, on gesticule beaucoup, mais le sang ne coule pas. Ayant nommé Alphonse Gent préfet des Bouches-du-Rhône, Gambetta l'expédie à Marseille pour chasser les gardes civiques de la mairie dont ils se sont emparés. Les gardes civiques sont mis au pas et des élections municipales, organisées en hâte, installent un Conseil modéré à l'Hôtel de Ville.

À peine le calme est-il revenu que Zola songe à reprendre son activité de chroniqueur. Il retrouve son ami Marius Roux et Léopold Arnaud qui lui a commandé naguère Les Mystères de Marseille. Ensemble, ils décident de fonder un journal : La Marseillaise. L'inspiration en est à la fois républicaine et prudente. Rien qu'à baguenauder dans la ville pendant cette parodie d'insurrection, Zola a pris en horreur les foules imbéciles, qui, une fois lancées contre le pouvoir, perdent tout contrôle d'elles-mêmes. Il lui semble que, réunis en masse, les hommes intelligents deviennent stupides par contagion. Un flot de fureur et d'aberration emporte les têtes. Partisan de l'ordre et de la réflexion, il condamne les extrémistes de tout poil. Aussi se range-t-il résolument derrière Alphonse Gent. Selon lui, on peut fort bien militer tout ensemble pour la justice sociale et le confort bourgeois.

Malgré les efforts des rédacteurs, La Marseillaise s'effondre. Voici Zola sur le pavé. Mais il a des relations dans la ville. Subitement, il songe à demander un poste de préfet ou de sous-préfet. Cela assurerait « la matérielle » de la famille. Or, toutes les nominations s'effectuent à Bordeaux. C'est donc là-bas qu'il doit se rendre s'il veut décrocher la timbale. Malheureusement, en pleine guerre, le moindre voyage pose des problèmes insolubles. Les horaires des chemins de fer varient de jour en jour. Après un long temps d'hésitation, Zola se résout à l'épreuve et prend un billet de troisième classe. Son wagon est bondé. Le froid le pénètre. Il a faim. Par chance, il peut acheter, à Cette, une tranche de gigot. Le ventre calé, il regarde avec tristesse la neige qui, de Cette à Montauban, ensevelit la campagne.

À Bordeaux, où il arrive le 12 décembre, il court d'hôtel en hôtel, sous la pluie, pour trouver un logement. Tout est complet. Enfin on lui propose une chambre de domestique à l'hôtel Montré, rue Montesquieu. Elle ne coûte que deux francs. À sa première sortie, Bordeaux lui déplaît. Il juge la ville « toute grise et toute boueuse ». Pour se consoler, il s'offre des huîtres à un franc vingt la douzaine. Et aussitôt il commence les démarches.



Si Paris est assiégé par les Prussiens, Bordeaux l'est par les quémandeurs. Depuis que le gouvernement s'est installé dans cette ville, après un bref passage à Tours, la population paraît avoir doublé. Politiciens, journalistes, avocats, spéculateurs de tout acabit sont pendus aux basques des hommes du pouvoir pour obtenir qui une protection, qui un poste, qui un marché juteux. Alors que Paris, encerclé, affamé, épuisé, lutte héroïquement pour sa survie, ici on intrigue, on parlote, on complote... Cette chasse aux sinécures dégoûte Zola, mais il ne peut faire autrement que d'y participer. Ses premières visites aux gens en place le déçoivent : « Il n'y a absolument rien de libre dans la magistrature, écrit-il à Alexandrine et à sa mère. D'abord, le ministère ne nomme guère que les préfets, laissant à ceux-ci le soin et la charge de trouver des sous-préfets. Or, toutes les préfectures sont prises, et pas un préfet ne paraît disposé à lâcher sa proie... Restent les sous-préfectures. Masure1 m'a offert celle de Quimperlé, en Bretagne, que j'ai refusée ; c'est trop loin et trop laid... Il m'a proposé ensuite celle de Lesparre, une petite ville qui est à quelques lieues de Bordeaux. J'ai encore refusé, quitte plus tard à accepter, si je ne trouve rien de mieux2. »

Sans se laisser démonter, il continue à tirer les cordons de sonnette. Il vise la sous-préfecture d'Aix. Evidemment, elle a déjà un titulaire. Il faudrait donc révoquer celui-ci, et Alphonse Gent, préfet à Marseille, pourrait le faire. Que Marius Roux s'occupe donc de la manouvre ! Qu'il alerte pour cela Arthur Ranc, collaborateur de Gambetta et directeur de la Sûreté générale ! Qu'il remue ciel et terre !



Sollicité, Alphonse Gent répond que la sous-préfecture d'Aix n'est pas vacante. Un autre sous-préfet a été nommé entre-temps. Zola se désespère. Sa mère lui écrit : « Ne te fatigue pas trop, je te souhaite une bonne réussite, mais si par malheur tes efforts n'étaient pas couronnés de succès, ne t'en attriste pas trop. Que la pensée d'avoir fait ce que tu pouvais te console dans ce cas... Ton retour près de nous n'en sera pas moins fêté, puisque tu nous seras rendu. »

Zola est au bout du rouleau. Il ne peut vivre à moins de dix francs par jour. Dans une semaine, il sera complètement ratissé. « Il pleut continuellement, écrit-il à sa mère et à Alexandrine. Comme je ne suis occupé que deux ou trois heures par jour, je passe le temps à me promener sous les arcades du théâtre. Les cafés sont ignobles. L'eau ruisselle sur tous les murs des maisons... Quelle ville humide !... Je me lève à huit heures, et je mange un petit pain. Puis je fais mes courses et je marche sous les arcades du théâtre jusqu'à midi. À midi, je déjeune au Chapon Fin, après quoi, je dors et je lis jusqu'au moment du dîner. À neuf heures, je me couche. Ce n'est pas d'une gaieté folle. »



À distance, sa mère, qu'il a surnommée « Mme Canard », et Alexandrine, qu'il appelle tendrement « Coco », le plaignent de ses échecs successifs dans une ville inhospitalière. Elles lui donnent des nouvelles de son chien, Bertrand, qui s'ennuie sans son maître. Elles le pressent de retourner à Marseille. Mais il s'entête dans son idée d'obtenir, coûte que coûte, une sous-préfecture. Il envisage même, en cas de victoire, de faire venir les deux femmes à Bordeaux : « Ah ! si vous étiez ici, près de moi, je serais sûr de mon affaire, avec un peu de patience et d'énergie. Ne vous désespérez pas trop. Le malheur est que je ne puis plus vous fixer le jour de mon retour. Je sens que tout est perdu si je lâche pied. Mais je vais presser tout le monde et tâcher d'obtenir un prompt résultat... Dites-moi, dans vos prochaines lettres, ce que vous avez d'argent et ce qu'il vous faudrait pour venir me rejoindrel. » Émue par cette invitation, Emilie songe déjà à un possible voyage et répond : « Au revoir, mon Emile, mon gros caneton. Mme Canard apprête ses ailes afin de voler vers toi si tu fais bien couan, couan pour l'appeler2. »



À présent, Zola place tous ses espoirs en Alexandre Glais-Bizoin, membre du gouvernement et écrivain à l'occasion. Pour être sûr de ne pas le manquer, il fait le pied de grue pendant une heure, sous une pluie battante, devant son domicile. Dès que cet important personnage met le nez dehors, il l'aborde avec cordialité. Glais-Bizoin l'emmène au café et lui propose un chocolat qu'il refuse par diplomatie, le sachant très près de ses sous. Au bout de cinq minutes, rengainant sa fierté, il ose dire à son vis-à-vis : « Si vous aviez des bureaux, je vous demanderais un petit coin chez vous. » « Je n'ai qu'un secrétaire, répond Glais-Bizoin. Il est à Vannes. Voulez-vous le remplacer ? »



En apprenant que le salaire serait de cinq cents francs par mois, Zola accepte d'enthousiasme. Le voici remis à flot. Certes, ce poste est moins reluisant que celui de sous-préfet. Mais, par ces temps de troubles et d'intrigues, c'est péché que de se montrer trop difficile. Dans sa joie d'être tiré d'affaire, le nouveau secrétaire ministériel écrit à « Madame Coco et Madame Canard » afin de leur annoncer la bonne nouvelle et leur recommander d'emporter le plus d'argent possible pour les frais d'installation. Il leur annonce aussi que ses fonctions officielles lui valent déjà « des coups de chapeau » et qu'il lui arrive de « donner audience ». D'ailleurs, il ne se contentera pas d'assurer le courrier de son bienveillant et pâle patron : « Je trouverai à coup sûr des correspondances à faire dans les journaux des départements ; on croira qu'à titre de secrétaire de Glais-Bizoin je suis dans le secret des dieux, et je pense pouvoir vendre honorablement de la copie1. »

La question du logement l'inquiète : « J'en ai deux en vue qui présentent de grands inconvénients, et j'hésite. Les cuisines ici sont horribles : pas de fourneaux, un âtre bas et étranglé. Vous ne serez guère à votre aise. Enfin, je ne pense rester à Bordeaux que le temps de conquérir quelque préfecture, à moins que ma place de secrétaire ne me convienne mieux. » Pour ce qui est du voyage, l'idéal serait d'obtenir deux billets de train gratuits : « Mais ce n'est pas possible. Cela montrerait trop la corde et ne réussirait sans doute pas : j'ai pris mes informations. Il faut que je me pose ici en monsieur très bien, non en employé. »



Et il poursuit, plein de sollicitude pour sa femme et sa mère, mais aussi pour son chien Bertrand, qu'elles doivent impérativement lui amener : « Ce que je vous recommande, c'est de bien vous couvrir. Il fait un froid glacial. Ce pauvre Bertrand va être bien mal. Il y a des niches pour les chiens, qui sont fermées d'un côté : demandez-en une de cette façon, pour qu'il ne gèle pas. Enfin, tâchez de l'installer pour le mieux. À la rigueur offrez une pièce de deux francs au conducteur et demandez-lui ce qu'on pourrait faire pour empêcher la pauvre bête de prendre une fluxion de poitrine...1. À bientôt, je vous attends dimanche soir. Et quelle joie2 ! »

Le 25 décembre, les deux femmes ne sont pas encore arrivées et Zola perd courage. « Il fait, ici, un froid tel que je n'en ai jamais ressenti à Paris, et je suis dans les rues à errer comme une âme en peine. Tant qu'il m'a fallu lutter, j'ai pu supporter notre séparation, mais, depuis que je suis casé, vous ne sauriez combien je m'impatiente... Quel triste jour de Noël ! J'ai grelotté tout le jour ; je vais aller vous attendre à la gare, et si je reviens sans vous, je serai bien triste3. »

Les voyageuses n'atteignent Bordeaux que dans la nuit du 26 au 27 décembre. Elles ont dû passer toute une journée à Frontignan, bloquées par la neige. On emménage tant bien que mal dans un petit appartement que Zola a loué entre-temps, au 48, rue de Lalande.

À peine les Zola sont-ils installés qu'Emile s'inquiète de ce qu'est devenue sa maison des Batignol-les. Ayant entendu dire qu'elle était réquisitionnée, il écrit à Paul Alexis : « Le jardin a-t-il été dévasté ? Quelles sont les pièces livrées aux occupants ? Mon cabinet a-t-il été pris? Les meubles sont-ils restés dans les pièces, ou les a-t-on montés en haut, ce qu'on n'aurait pu faire que par les fenêtres?... A-t-on respecté mes papiers dans mon bureau, dans mon cartonnier et dans mon secrétaire ? N'a-t-on pas cassé de vaisselle ? N'a-t-on rien pillé ou emporté ?... J'espère d'ailleurs que l'occupation de mon logis s'est faite selon la loi, avec l'assistance d'un commissaire. J'espère aussi que les scellés ont été posés et qu'un inventaire a été dressé... Ma situation est particulière : à titre de fonctionnaire, comme secrétaire de Glais-Bizoin, j'avais droit à ce que mon domicile fût respecté. Veuillez dire cela au concierge, au propriétaire, au maire, à tous ceux que vous verrez... Dans quel état doit être mon pauvre cabinet, où j'ai commencé avec tant de ferveur mes Rougon-Macquart ! »



Sans attendre cette requête, Paul Alexis était allé inspecter la maison et avait adressé à Zola un état des lieux. Mais leurs lettres se sont croisées. Celle de Paul Alexis n'arriva à Bordeaux qu'avec un grand retard. Il écrivait : « Batignolles n'a pas été bombardé, mais une partie de votre logement a été réquisitionnée par la mairie des Batignolles pour abriter pendant le siège une famille de réfugiés. Toutes les démarches que j'ai tentées, à plusieurs reprises, pour vous éviter ce désagrément sont restées vaines. Oui, mon cher Emile, horresco refe-rens, toute une famille, le père, la mère et cinq enfants !... Je me hâte d'ajouter, pour vous rassurer, que le rez-de-chaussée seul a été laissé à leur disposition. La toile de Manet, votre argenterie, divers autres objets que vous aviez laissés étalés sur les tables ont été montés au premier étage par mes soins. J'ai plusieurs fois donné mon coup d'oeil en passant; j'espère donc que vous ne trouverez pas trop de dégâts. Vous en serez quitte pour faire refaire votre matelas1.» Zola est consterné, mais il a conscience d'être un privilégié parmi ses compatriotes, dont un grand nombre ont eu leur maison détruite ou un proche parent tué au combat. Tout en assurant le secrétariat de Glais-Bizoin, il brûle de se lancer de nouveau dans le journalisme et écrit à Louis Ulbach, directeur de La Cloche, pour lui proposer ses services. Affaire conclue.

Dans l'intervalle, les événements ont marché à un train d'enfer. Paris, exsangue, a tenté de vaines sorties pour desserrer l'étau des Prussiens. Après des combats meurtriers, un armistice a été signé par Jules Favre et Bismarck. À Tours, Gambetta a lancé un ultime appel aux armes dans un pays abasourdi par sa défaite et qui ne songe plus qu'à lécher ses plaies. Après des élections législatives qui se sont déroulées dans la panique, l'Assemblée nationale s'est réunie à Bordeaux. Thiers a été nommé chef du pouvoir exécutif, les troupes prussiennes ont défilé sur les Champs-Elysées pour fêter leur victoire et les nouveaux députés ont souscrit aux conditions de paix imposées à Versailles : perte de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine, versement à l'Allemagne d'une indemnité de cinq milliards de francs. Zola est suffoqué de chagrin devant le résultat de cette guerre atroce qui aurait pu être évitée. Mais, en même temps, il se révolte contre l'outrecuidance des vainqueurs. Parce que la France est humiliée, il se sent, lui, fils d'Italien, plus français que jamais.



Le gouvernement de la Défense nationale ayant résigné ses pouvoirs, Glais-Bizoin a quitté Bordeaux. Zola, pour vivre, ne peut plus compter que sur ses appointements de journaliste. Mais il ne fléchit pas : il lui semble même, étrangement, que de cette horrible saignée sortira, pour les hommes de sa génération, un avenir radieux. « Je sens une renaissance, avait-il déjà écrit à Paul Alexis. Nous sommes les hommes de demain, notre jour arrive1. » Et il charge son jeune ami de remettre en état la maison des Batignolles, qui vient d'être évacuée. Il compte y retourner dès que les événements le permettront : « Je vous envoie un bon de cinq francs pour que vous puissiez faire tailler mes rosiers, mes arbres et ma vigne. Je vous recommande tout particulièrement mes rosiers, ceux qui sont dans la première corbeille. Qu'on ne touche pas à la terre; elle renferme des navets de pivoines et de dahlias qui seraient massacrés. » Pour terminer, toujours la même formule : « Dites-vous que notre règne arrive. La paix est faite. Nous sommes les écrivains de demain2. »

En attendant, il envoie à La Cloche des articles débordants de fureur et de verve sur la vie politique à Bordeaux. L'Assemblée qu'il découvre est farouchement réactionnaire, composée d'une majorité de notables ignares et infatués, qui ont été élus dans les campagnes. Les réunions se tiennent au théâtre municipal. Assistant chaque jour aux séances, Zola note les trois lustres éclairant les banquettes rouges, la scène avec son décor de salon, l'estrade drapée de velours pourpre et il conclut : « C'est là que la France va être exécutée. » Il dénonce l'ingratitude des représentants de la province, lesquels osent insulter Garibaldi, ce héros qui a mis son épée au service de la France et dont le seul tort est de vouloir rester italien. Il entend avec stupeur les bordées d'injures qui accueillent Victor Hugo quand ce dernier essaie de soutenir la cause garibaldienne. Il voit le petit Thiers monter à la tribune et trouve qu'avec son air chafouin et son éloquence fluide il incarne à la perfection les qualités moyennes du pays. Il déplore les chamailleries de tous ces apprentis députés qui se renvoient la balle pour désigner les responsables de la défaite. « Vous n'avez certes pas la moindre idée de l'aspect de l'Assemblée, écrit-il dans un de ses articles. Je ne voudrais pas lui manquer de respect et les temps ne sont pas aux rires, mais vraiment les campagnes nous ont envoyé de braves gens qui feraient la joie de nos caricaturistes. Imaginez les hobereaux du temps de Charles X et de Louis-Philippe soigneusement conservés, bien qu'un peu couverts de poussière. Ce sont surtout les chapeaux qui sont incroyables. Il y en a de toutes les formes. Braves gens qui ont vécu dans leurs terres depuis la chute de la monarchie et qui viennent de quitter leurs fermiers pour assister à la curée de la République. Il y en a d'enfantins. La plupart ne savent pas même lever la main pour donner leur vote. »



Mais déjà l'Assemblée se propose de quitter Bordeaux pour Versailles. Zola boucle ses valises avec anxiété, car il vient d'apprendre que l'imprimerie du Siècle a perdu l'unique manuscrit de La Fortune des Rougon, dont la publication avait été arrêtée au début de la guerre. Aura-t-il le courage de récrire ce roman qui lui a donné tant de mal? pourquoi faut-il que des événements extérieurs contrecarrent toujours ses élans de romancier ? C'est le cour lourd que la famille Zola et le chien Bertrand prennent le train pour la capitale.

Le 14 mars 1871, ils sont chez eux et constatent avec soulagement que la maison, vidée de ses réfugiés, est intacte. Les Prussiens se sont retirés de Paris, mais leur présence à l'entour est perceptible comme si l'air s'était brusquement épaissi. On ne respire plus tout à fait ici comme dans le reste de la France. Zola se précipite à l'imprimerie du Siècle et, par miracle, retrouve son manuscrit sur la table du correcteur. Un poids lui tombe de la poitrine.



Le 18 mars, Le Siècle reprend la publication de La Fortune des Rougon. La satisfaction qu'en retire Zola est gâchée par les mauvaises nouvelles de la rue. Thiers veut récupérer les canons de la garde nationale, dont la possession par les milices populaires lui semble dangereuse. Mais la troupe se heurte à une cohue où voisinent ouvriers, femmes, enfants et gardes nationaux. Les généraux Lecomte et Clément Thomas sont capturés et massacrés. Devant l'ampleur de l'insurrection, Thiers se réfugie, avec tout le gouvernement, à Versailles où se trouve déjà l'Assemblée nationale. Entre la représentation légale de la nation et la Commune de Paris, c'est la rupture. « On ne traite pas avec des assassins ! » déclare Jules Favre. L'Assemblée ayant repris ses séances le 20 mars, Zola, en journaliste consciencieux, décide de rendre compte des débats dans La Cloche sous le titre : Lettres de Versailles. Mais, deux jours après le soulèvement, alors qu'il se prépare à monter dans le train pour Versailles, il est retenu par des rebelles en armes. Le lendemain, la même mésaventure lui arrive, cette fois à Versailles. Il y est arrêté par un commissaire de police et amené à l'Orangerie du château où l'on entasse les insurgés. Charles Simon, qu'il a connu à la rédaction de La Cloche, parvient à le faire relâcher après interrogatoire. « Inquiété hier par le Comité central, soupçonné aujourd'hui par le pouvoir exécutif, écrit-il dans La Cloche du 23 mars, je me tâte, je fais mon examen de conscience et je me demande si je n'agirais pas sagement en faisant mes malles. » Il n'en continue pas moins d'envoyer ses chroniques à La Cloche et au Sémaphore de Marseille. Dans la partie de bras de fer qui se joue entre Versailles et Paris, il oscille entre le mépris que lui inspire le « Parlement-croupion » et son dégoût devant les crimes de la populace. Toutefois, il espère que le gouvernement saura se montrer conciliant et que les communards assagis déposeront les armes pour que Paris redevienne « la grande ville du bon sens et du patriotisme ».



Le 31 mars, par suite des opérations militaires que vient de décider Versailles, Zola est empêché de prendre le train à la gare Saint-Lazare. Mais un garde national lui suggère de se rendre à la gare Montparnasse, car des convois circulent encore sur la rive gauche. Deux jours plus tard, l'armée versail-laise engage la lutte pour l'anéantissement de la Commune. Zola est effrayé par la violence de la répression. L'exaltation féroce des royalistes de l'Assemblée le révolte. Il souligne, dans ses comptes rendus, la satisfaction « bourgeoise et égoïste » dont Thiers rayonne en annonçant à l'Assemblée le succès de ses troupes. On dirait que le gouvernement, vaincu par les Prussiens, se venge sur les Français. Mais les communards ne valent pas mieux, avec leurs « dictateurs de l'Hôtel de Ville » qui suppriment les journaux hostiles à leurs idées, ordonnent des perquisitions, instaurent la « carte civique » et poussent les masses à l'assassinat et au pillage. « Je vous avoue que ma tête commence à tourner, au milieu d'une situation qui, chaque jour, devient plus complexe et plus inexplicable », écrit Zola le 23 avril. Le 10 mai, menacé d'être pris comme otage par les communards, il quitte Paris pour Saint-Denis. Peu après, les versaillais entrent dans la capitale par la porte mal gardée du Point-du-Jour, et c'est le début de la Semaine sanglante. Formés en bandes incohérentes et mal armées, les communards reculent en se battant pied à pied. Les hommes de la sécurité publique démolissent les barricades. Tout fédéré pris les armes à la main est exécuté sur place. Le 28 mai, les insurgés sont acculés au cimetière du Père-Lachaise et fusillés, notamment au mur des Fédérés.



Quand Zola et les siens regagnent Paris, il y règne un ordre funèbre. Les habitants terrorisés n'osent plus se regarder en face. À l'humiliation d'avoir été battus par les Prussiens s'ajoute la honte de s'être égorgés entre frères. Une seule consolation : les Parisiens se pressent pour souscrire à l'emprunt national qui doit permettre la libération du territoire. Ouvert le 27 juin au matin, il est clos le soir même, après avoir rapporté près de cinq milliards de francs. En mettant la main à leur poche, les bourgeois ont l'impression d'acheter tout ensemble l'oubli de la guerre étrangère et celui de la guerre civile. Au patriotisme du sang succède le patriotisme du portefeuille. Exécutions et déportations se multiplient. Les cadavres n'ont pas eu le temps de pourrir que déjà ils n'encombrent plus les mémoires. Une formidable envie de vivre pour le plaisir s'empare des populations encore tout endolories. « Pendant deux mois, j'ai vécu dans la fournaise, écrit Zola à Paul Cézanne. Nuit et jour, le canon, et vers la fin les obus sifflaient au-dessus de ma tête dans mon jardin... Aujourd'hui, je me retrouve tranquillement aux Batignolles, comme au sortir d'un mauvais rêve. Mon pavillon est le même, mon jardin n'a pas bougé, pas un meuble, pas une plante n'a souffert, et je puis croire que ces deux sièges sont de vilaines farces inventées pour effrayer les enfants... Jamais je n'ai eu plus d'espérance ni plus d'envie de travailler. Paris renaît. C'est, comme je te l'ai souvent répété, notre règne qui arrive. On imprime mon roman, La Fortune des Rougon. Tu ne saurais croire le plaisir que je ressens à en corriger les épreuves. C'est comme mon premier livre qui va paraître. Après toutes ces secousses, j'éprouve cette sensation de jeunesse qui me faisait attendre avec fièvre les feuillets des Contes à Ninon1. » Une autre satisfaction de taille lui est donnée par le conseil municipal d'Aix, qui a décidé d'accorder officiellement le nom de « canal Zola » à l'ouvrage d'art entrepris jadis par son père. Enfin justice est rendue à l'ingénieur italien qu'Emile a tant admiré dans son enfance !



Lorsque La Fortune des Rougon sort en librairie, Zola envoie le volume à Flaubert et reçoit, en réponse, ces quelques lignes : « Je viens de finir votre atroce et beau livre... J'en suis encore étourdi ! C'est fort, très fort... Vous avez un fier talent et vous êtes un brave homme. »


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François Zola
(1796 - 1847)
 
  François Zola - Portrait  
 
Portrait de François Zola
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