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FAUSSES ET VRAIES AMITIÉS LITTÉRAIRES


Poésie / Poémes d'François Zola





Travailleur solitaire, Zola a néanmoins toujours éprouvé le besoin de retrouver des amis aux heures de loisir. Dès son enfance, il a été animé par l'esprit d'équipe. Mais ses compagnons d'autrefois se sont éloignés. Il ne voit plus guère ni Baille ni Cézanne. Ce dernier vit à l'écart et peint en secret. « Il se renferme beaucoup, il est dans une période de tâtonnements et, selon moi, il a raison de ne vouloir laisser pénétrer personne dans son atelier, écrit Zola au critique d'art Théodore Duret. Attendez qu'il se soit trouvé lui-même » Chez Cézanne, le peintre le déçoit autant que l'homme. Il n'a plus rien à lui dire. Jamais il ne comprendra cet éternel mécontent, avec ses sautes d'humeur, ses rages dans le vide et ses éclairs de génie. Il préfère la compagnie des deux jeunes Aixois, Paul Alexis et Antony Valabrègue, venus à Paris et qui l'enveloppent d'une affectueuse déférence. Il fréquente aussi, bien sûr, Edmond de Goncourt. Mais il devine, de la part de son confrère, une ironie sournoise, une mesquine jalousie. Par moments, il lui semble que cet esthète entouré de bibelots précieux, et écrivant avec des manchettes, se moque de lui à cause de sa rudesse et de sa naïveté. Zola ne lui en confie pas moins ses tourments d'auteur à la poursuite du succès. « Ne croyez pas que j'aie de la volonté, lui dit-il. Je suis, de ma nature, l'être le plus faible et le moins capable d'entraînement. La volonté est remplacée chez moi par l'idée fixe, l'idée fixe qui me rendrait malade si je n'obéissais pas à son obsession. » Et, élevant un verre de bordeaux à deux mains, il ajoute : « Voyez le tremblement que j'ai dans les doigts. » « Il me parle d'une maladie de cour en germe, note Edmond de Goncourt, d'une menace de maladie de la vessie, d'une menace d'un rhumatisme articulaire... Une partie de la journée, je cause avec cet aimable malade, dont la conversation se promène, d'une manière presque enfantine, de l'espérance à la désespérance1. »





À quelque temps de là, au cours d'un repas chez Flaubert, Goncourt observe Zola qui mange comme quatre et lui dit : « Zola, seriez-vous gourmand ? » « Oui, répond Zola, c'est mon seul vice ; et chez moi, quand il n'y a pas quelque chose de bon à dîner, je suis malheureux, tout à fait malheureux. Il n'y a que cela; les autres choses, ça n'existe pas pour moi... Vous ne savez pas quelle est ma vie ? » « Et le voilà, écrit Goncourt, qui, avec un visage assombri, entame le chapitre de ses misères. C'est curieux combien ce gras et bedonnant garçon est geignard et comme ses expansions versent de suite en des paroles mélancoliques. » Zola se plaint notamment de « l'espèce de quarantaine » faite autour de ses romans. Comme les autres convives protestent, il s'écrie : « Eh bien, voulez-vous que je vous parle, là, du fond du cour?... Vous me regarderez comme un enfant, mais tant pis ! Je ne serai jamais décoré, je ne serai jamais de l'Académie, je n'aurai jamais une de ces distinctions qui affirment mon talent (siC). Près du public, je serai toujours un paria, oui, un paria ! » Et Goncourt se délivre de l'agacement qu'il a éprouvé pendant le dîner en notant, le soir même : « Ce gros garçon, plein de naïveté enfantine, d'exigences de putain gâtée, d'envie légèrement socialiste, continue à nous parler de son travail, de la ponte quotidienne des cent lignes qu'il s'arrache tous les jours ; de son cénobitisme, de sa vie d'intérieur, qui n'a de distraction, le soir, que quelques parties de dominos avec sa femme... Au milieu de cela, il s'échappe à nous avouer qu'au fond sa grande satisfaction, sa grande jouissance est de sentir l'action, la domination qu'il exerce, de son humble trou, sur Paris, de par sa prose ; il le dit avec un accent mauvais, l'accent de revanche d'un pauvre diable qui a longtemps mariné dans la misère1. »



Si Goncourt, malgré son amabilité de façade, ne paraît pas à Zola un confrère franc du collier, tout autre est son opinion sur Flaubert. Dire que, lors de sa première visite à l'auteur de Madame Bovary, il l'a trouvé ridicule avec ses graves discours sur la beauté dans l'art excluant toute considération philosophique ou sociale ! Mais, dès sa deuxième rencontre avec lui, rue Murillo, il est tombé sous le charme de ce géant à la voix tonitruante, au regard puéril et au cour tendre. Les fureurs de Flaubert, qui se déchaînent à propos de vétilles, l'étonnent comme la brusque éruption d'un volcan. Dans son emportement, il arrive que « l'ermite de Croisset », comme l'appellent certains, arrache sa cravate et son faux col, se lève de table et aille à la fenêtre pour respirer l'air du dehors. Certes, Zola l'admire d'être, lui aussi, un infatigable chercheur de détails véridiques, courbé chaque jour, plusieurs heures d'affilée, sur son manuscrit. Pourtant, il ne comprend pas que le choix des adjectifs, le fignolage des périodes, la chasse aux répétitions soient les principales préoccupations de cet écrivain dont la profession de foi se résume ainsi : « Une seule phrase bien faite suffit à l'immortalité d'un homme ! » Il songe parfois que son hôte ne se rend pas compte de la portée de son ouvre. Il voit en lui le créateur du réalisme moderne. Il le dit bien haut, et Flaubert, en l'écoutant, rit à gorge déployée. Avec cet hurluberlu génial, Zola a l'impression d'avoir trouvé quelqu'un de solide et de droit comme un roc, sur qui il peut s'appuyer aux moments de doute. Une sorte de père spirituel affectueux et bougon.



Fier de son amitié, il se rend chez lui chaque dimanche après-midi, pendant les séjours de Flaubert à Paris. Dans le clair appartement, dont les fenêtres donnent sur le parc Monceau, il rencontre Edmond de Goncourt, Guy de Maupassant, Alphonse Daudet et Ivan Tourgueniev, qui forment avec lui le « groupe des cinq ». De dix ans plus jeune que Zola, Maupassant n'est encore à ses yeux qu'un garçon avantageux, vaguement poète, qui gratte du papier dans une administration, s'envoie en l'air avec des filles, fait du canotage et sert de factotum à Flaubert auquel le lie une tendresse quasi filiale. Daudet, lui, pâle et souffreteux, chantre de la lumineuse Provence, est un personnage plus complexe. Sa prose est délicate, mais ses goûts en matière de peinture sont détestables. Il met n'importe quel barbouilleur au-dessus de Manet. Goncourt, bien que plus raffiné et plus disert, dégage, sous ses allures de parfait gentilhomme des lettres, une bizarre impression de fausseté. Dès qu'il ouvre la bouche, il faut se tenir sur ses gardes. Zola préfère la conversation du doux colosse Tourgueniev, qui a une barbe d'argent, une longue crinière soyeuse et une voix de fillette. Tourgueniev parle à merveille de sa Russie natale. Tout, dans son caractère, est rond, lisse et enfantin. Il a l'air perpétuellement amoureux d'un nuage.



Il semble à Zola qu'il ne pourra jamais se passer de l'approbation de ses proches confrères. Bien qu'ils soient ses rivaux, il n'est à l'aise qu'en leur compagnie. C'est que leurs préoccupations répondent, point par point, aux siennes. Ils sont animés de la même fièvre créatrice, connaissent les mêmes doutes en relisant leurs manuscrits, parlent le même langage de boutique et se plaignent de la même incompréhension chez les journalistes et les éditeurs. Dévorés par l'écriture, ils se retrouvent pour comparer leurs soucis et leurs espoirs comme les pensionnaires d'un hôpital échangent, dans la salle d'attente, le récit de leurs malaises. Pour divers qu'ils soient, ils obéissent à une seule consigne : tourner le dos au romantisme et peindre la vie sous ses vraies couleurs. Afin de parvenir à ce résultat, ils entendent sonder les êtres avec une impartialité et une insensibilité scientifiques. Leur style se veut rudimentaire et leur description des milieux aussi exacte que possible, sans crainte de noirceur ou de trivialité. Ils ont l'ambition de tout dire, de tout dévoiler d'une société qui se drape dans l'hypocrisie. Pour eux, plus de sujets tabous, plus de mots interdits par la bienséance. On leur reproche la puanteur de leur déballage et ils rétorquent qu'ils ouvrent une fenêtre pour faire pénétrer l'air pur et la lumière dans les taudis des ouvriers et les alcôves des demi-mondaines. On les accuse de démoraliser leurs concitoyens par l'évocation systématique de la laideur et du vice, et ils répliquent qu'ils s'efforcent de les guérir par l'étalage de la vérité.



Autour des pontifes du genre, se groupent les petits auteurs en quête de notoriété. Ils ont choisi leurs parrains parce que le filon réaliste ou naturaliste leur semble riche de promesses. Mais la plupart de ces débutants, mal payés, mal considérés, tirent la langue. Si un Zola peut prétendre recevoir trente mille francs du Gil Blas pour la publication d'un roman en feuilleton, un Paul Alexis s'estimerait heureux s'il touchait le dixième de cette somme pour sa copie. Tous, des plus grands aux plus humbles, portent une attention sourcilleuse à la gestion financière de leurs ouvres, surveillent de près les comptes de droits d'auteur, se démènent comme de beaux diables pour le lancement de leurs ouvrages. Émancipés par l'argent, ils sont devenus des professionnels qui, dans leurs réunions, parlent aussi bien de réussite artistique que de gros sous. Contrairement aux romantiques écervelés de la génération précédente, ils sont des fonctionnaires de la plume. Le comportement excentrique est proscrit parmi cette nouvelle race de gens de lettres. On épate le public par ses livres, non par sa conduite ou son accoutrement. Certains même ne répugnent pas à s'habiller en bourgeois. Le gilet écarlate de Théophile Gautier est jeté aux orties. « Il est grand temps que la foule comprenne qu'à de rares exceptions près un homme de talent mène une vie honorable, affirmera Huys-mans. Les véritables maîtres dans l'art de penser et d'écrire vivent chez eux, ne travaillent pas dans les cafés et, s'ils vont dans le monde, la plupart n'ont pas besoin de décrocher chez le frelampier du coin un habit noir et des gants passés à la gomme. Si la tourbe des bohèmes de la plume est nombreuse en France, les naturalistes n'ont rien à démêler avec elle »



En somme, à la suite de Zola, les écrivains revendiquent un statut d'honorabilité comparable à celui du médecin, du notaire, de l'avocat, du magistrat, du professeur d'université. Et cela parce qu'ils s'enorgueillissent à présent de faire ouvre utile. Fini le temps du dilettantisme, du divertissement, de la rêverie éveillée. Le naturalisme ouvre l'ère de la littérature éducative. Les auteurs ne sont plus des amuseurs, mais des enseignants. Malheureusement, trop de jeunes esprits se saisissent de ce prétexte pour pondre n'importe quoi. La production est si abondante que le public, sollicité de toutes parts, ne sait plus quel livre acheter. « Lorsqu'on voit les pauvretés, le déluge d'ouvres médiocres qui encombrent les vitrines, écrit Zola, on se demande quels ouvrages les éditeurs peuvent bien refuser1. » Et Paul Bonnetain s'exclame devant Jules Huret : « Tout le monde écrit des romans, les grues en retraite, les ligues des patriotes, les rastaquouères, les notaires, les cabots2!» C'est la protestation des hommes de métier contre les amateurs. Et Zola, le prolifique, personnifie, aux yeux de ses confrères, l'homme de métier. Il vit de sa plume et s'en glorifie. En outre, il est jeune et il parle fort. Autour de lui, on se serre les coudes. On appartient à la chapelle naturaliste moins parce qu'on croit aux dogmes qu'elle dispense que pour bénéficier de l'appui des aînés dans la course aux gros tirages.



La petite équipe entre en transe lorsque, le 11 mars 1874, Flaubert fait jouer sa pièce Le Candidat, au Vaudeville. Maupassant s'est chargé de « composer la salle ». Le soir de la première, Zola parcourt le foyer à l'entracte, en essayant de persuader les spectateurs déçus qu'ils assistent à la représentation d'un chef-d'ouvre. Personne ne l'écoute. À la fin, quand le rideau tombe, les sifflets couvrent les applaudissements de la claque. Le four est incontestable. Tous les amis se précipitent dans les coulisses pour réconforter l'auteur. Flaubert a un rire méprisant, ouvre les bras et grogne : « Eh bien, voilà ! Je m'en fous ! » Mais Zola le devine profondément blessé. Le lendemain, les journaux se montrent indulgents envers ce faux pas du grand homme. Le très malveillant Goncourt s'indigne de ce traitement de faveur : « Si c'était moi qui avais fait cette pièce, si c'était moi qui avais eu la soirée d'hier, je pensais quels trépignements, quelle bordée d'injures, quels engueulements m'aurait adressés la presse. Et pourquoi? C'est la même vie d'efforts, de travail, de dévouement à l'art1. »



Goncourt avec son Henriette Maréchal, Daudet avec sa Lise Tavernier et son Artésienne, Zola avec ses vaines tentatives scéniques ont tous à se plaindre des planches. Prenant le parti de railler leurs échecs, ils instituent un « dîner des auteurs siffles », qui les réunit pour la première fois le 14 avril 1874, au café Riche. À table, on discute joyeusement sur « les aptitudes spéciales des constipés et des diarrhéiques en littérature2 ».



En dépit de ces expériences théâtrales malheureuses, Zola donne au Cluny une farce, Les Héritiers Rabourdin, inspirée du Volpone de Ben Jonson. « Une lettre de Zola me force à aller voir la répétition de sa pièce, note Goncourt. C'est à Cluny : une salle de spectacle qui, en plein Paris, trouve le moyen de ressembler à une salle de province, comme peut-être, par exemple, la salle de Sarreguemines. Sur les planches, des acteurs comiques, qui ont la gaieté refroidie des pauvres acteurs qui ne dînent pas tous les jours. C'est navrant pour un homme de valeur d'être interprété dans une telle salle par de tels comédiens3. »

Sentant la bataille mal engagée, Zola écrit à Flaubert : « Tous les jours, d'une heure à quatre, je me mange les poings. On rêve la création d'une chose originale, et l'on aboutit à un vaudeville . » Il a essuyé un premier échec au théâtre, l'année précédente, avec une adaptation de Thérèse Raquin qui n'a eu que neuf représentations. Est-il possible que, cette fois encore, les dieux de la s :ène lui soient hostiles? Jusqu'à la dernière minute, il espère un miracle. Mais, le 3 novembre 1874, c'est la chute. Les spectateurs sont déchaînés. Parmi les huées et les sifflets, Flaubert, cramoisi, bat des mains et hurle : « Bravo, je trouve ça superbe ! » Le lendemain, la presse est féroce. Seul Daudet se montre indulgent, accusant les comédiens d'avoir trahi l'auteur par leur insuffisance. « Merci, mon cher ami, lui écrit Zola. Au milieu de l'abominable massacre que la critique a fait de ma pièce, votre article reste certainement le meilleur... Ne vous y trompez pas, ma cause est la vôtre. C'est l'artiste qu'on extermine en moi. Il faut nous serrer les uns contre les autres. Le bataillon est petit, mais il sera fort2. » Trois jours plus tard, il renseigne Flaubert sur la marche du spectacle : « Dimanche, le théâtre Cluny était plein ; la pièce a porté énormément ; la soirée n'a été qu'un éclat de rire. Mais, les jours suivants, la salle s'est vidée de nouveau. En somme, nous ne faisons pas un sou. Je l'avais prédit, je sentais l'insuccès d'argent dès la seconde... Ce qui m'exaspère, c'est que la pièce a dans le ventre cent représentations... Et je ne serai pas joué vingt fois. J'aurai un four. La critique triomphera. Je le répète, c'est là ma seule tristesse. Avez-vous lu toutes les injures sous lesquelles on a cherché à m'enterrer? J'ai été exterminé... Et que votre mot était juste, le soir de la première : " Demain, vous serez un grand romancier. " Ils ont tous parlé de Balzac et ils m'ont comblé d'éloges à propos de livres qu'ils avaient éreintés jusqu'ici. C'est odieux, le dégoût me monte à la gorge... À bientôt, mon cher ami, et soyez plus fort que moi. Je me suis laissé rouler, voilà mon sentiment »



La pièce est retirée de l'affiche après dix-sept représentations. Et Zola ne peut même pas se consoler de son fiasco au théâtre par un franc succès dans le roman. Son dernier livre, La Conquête de Plassans, dont à peine dix-sept cents exemplaires ont été vendus en six mois, n'a pas obtenu un seul article. Pourtant, cette évocation de l'ascendant maléfique pris par un prêtre, l'abbé Faujas, sur une famille, sur une maison, sur une femme qu'il conduit à la folie, sur une ville enfin, où il veut installer un nouvel ordre moral, ne manque ni de grandeur ni de courage. Violemment anticlérical, le récit, où se conjuguent les thèmes de l'hypocrisie provinciale et de la défaillance des êtres faibles devant un esprit fanatique, ne fait, une fois de plus, aucune concession au goût du public. Et le public se venge en dédaignant un ouvrage qui est censé le braver. Même pas un petit scandale. Le silence. Cette condamnation par l'indifférence désespère Zola. Il songe qu'il n'est pire supplice pour un écrivain que de prêcher dans le désert. Ne sera-t-il, toute sa vie durant, qu'un auteur confidentiel, un gagne-petit ? Il a déjà trente-quatre ans et vient de publier, avec La Conquête de Plassans, le quatrième volume des Rougon-Macquart. À son âge, ou peu s'en faut, Flaubert était célèbre pour sa Madame Bovary. Où est la justice? Certes, Maupassant crie au génie et Flaubert confie à Tourgueniev : « Je viens de lire d'un trait, aujourd'hui même, La Conquête de Plas-sans et j'en suis encore tout ahuri. C'est roide. Ça vaut mieux que Le Ventre de Parisl. » Mais ce sont là de minces consolations. Tant pis : Zola ne veut pas dévier de la ligne qu'il s'est tracée. Et, pour bien définir sa position en littérature, il écrit au peintre Edouard Béliard : « J'appartiens à une école ou plutôt à un groupe littéraire, qui tient d'ailleurs en ce moment le haut du pavé. Nous peignons, nous ne jugeons pas ; nous analysons, nous ne concluons pas ; nous ramassons simplement des documents humains et nous nous contentons de dresser le procès-verbal des faits auxquels nous assistons... Je fais table rase, autour de moi, de tout ce qui ne me sert pas immédiatement et pleinement. Mon métier, rien de plus. La littérature seule en avant, le reste au loin et à l'état de pur accessoire. Pas d'autre idée que de créer mes bonshommes puissamment. Et une seule joie, être intense, porter mes qualités et mes défauts à l'extrême, faire sentir mon poing dans chacune de mes phrases... Une hypertrophie d'individualité, si vous voulez. »



Ce qui réconforte Zola, c'est qu'il a un autre livre en chantier, La Faute de l'abbé Mouret. Il y évoque le tragique combat de la religion avec la nature. Serge Mouret, petit prêtre malingre et asexué, qui voue à la Vierge Marie une dévotion ambiguë, tombe malade et son oncle, le docteur Pascal, le transporte au Paradou pour qu'il y passe sa convalescence. Là, il découvre l'amour au contact de la jeune Albine, un amour exalté et comme justifié par la luxuriante végétation du parc à l'abandon. Ce qui n'est au début qu'un pur élan de l'âme se transforme vite en une passion charnelle, que dénonce un autre ecclésiastique, le frère Archangias, des Ecoles chrétiennes, détracteur de la Femme et véritable gendarme de Dieu. Saisi de remords, Serge Mouret revient à son église, laissant mourir au loin Albine et l'enfant qu'elle attend de lui. De même que, dans Le Ventre de Paris, le principal personnage était le quartier des Halles, de même, ici, le héros du récit est le soleil, éblouissant, qui chauffe la terre et les corps, qui fait monter la sève des plantes et la sève humaine, qui condamne de tout son éclat les sombres préceptes de la religion.



Afin de se documenter sur la psychologie de l'abbé Mouret, Zola s'est entouré de nombreux ouvrages de piété. La lecture des jésuites espagnols et de L'Imitation de Jésus-Christ a nourri toute la partie mystique de son roman. Il s'est également renseigné auprès d'un prêtre défroqué sur les années de grand séminaire. Enfin, plusieurs matins de suite, il est allé entendre la messe dans la petite église Sainte-Marie-des-Batignolles. Assis à l'écart, son paroissien à la main, il a suivi d'un regard aigu le déroulement de la liturgie et, de temps à autre, a jeté des notes au crayon dans les marges du livre. Pour la description des plantes du Paradou, il a pioché dans des dictionnaires, a visité des expositions horticoles, a interrogé ses propres souvenirs sur les paysages des environs d'Aix...

Entre-temps, il a déménagé. Il habite, toujours aux Batignolles, un pavillon coquet au 21, rue Saint-Georges1. C'est une « maison bourgeoise » à deux étages : huit pièces, cuisine, débarras, cave et jardin d'agrément. L'été est torride. Zola regarde son carré de gazon et le voit croître et s'enfler aux dimensions d'une jungle. C'est le Paradou aux Batignolles. Suant et soufflant, la tête en feu, il évoque, au milieu des arbres et des fleurs, ces deux jeunes gens tout neufs qui découvrent l'amour avec l'innocence d'Adam et Eve. A travers eux, il affirme sa foi en la nature, sa négation du péché, sa tendresse admirative et charitable pour tout ce qui est humain. Il revient sur cette conception païenne de la vie dans la préface qu'il écrit pour un recueil de récits anciens, intitulé Nouveaux Contes à Ninon. « Ah ! Ninon, je n'ai rien fait encore. Je pleure sur cette montagne de papier noirci ; je me désole que je n'ai pu étancher ma soif du vrai, que la grande nature échappe à mes bras trop courts. C'est l'âpre désir, prendre la terre, la posséder dans une étreinte, tout voir, tout savoir, tout dire. Je voudrais coucher l'humanité sur une page blanche, tous les êtres, toutes les choses ; une ouvre qui serait l'arche immense. » Il confie aussi, dans le même texte : « J'aurais glissé à l'hébétement du métier si, dans mon amour de la force, je n'avais eu une consolation, celle de la production incessante, qui me rompait à toutes les fatigues. » Et il est vrai que la « production incessante » est devenue sa seule raison de vivre. Sa femme, sa mère, ses amis s'agitent comme des ombres à l'arrière-plan de son cabinet de travail. Il ne jouit de l'existence qu'à travers ses personnages. Sa plume lui tient lieu de sexe.



Il a mis beaucoup d'espoir dans La Faute de l'abbé Mouret. À la publication en volume, il semble que l'attention du public soit agréablement chatouillée. Mais la critique est sévère. Barbey d'Aurevilly, qui n'a même pas parlé de La Conquête de Plassans, explose : « C'est le naturalisme de la bête, mis sans honte et sans vergogne au-dessus du noble spiritualisme chrétien... Je ne crois pas que, dans ce temps de choses basses, on ait rien écrit de plus bas. » Même son de cloche dans La Revue de France : « Le roman le plus immoral et le plus irréligieux de toute la série en est aussi le plus médiocre. La description du nouvel Éden, théâtre de la faute, est plus technique que poétique, et d'une longueur fastidieuse; c'est de l'idylle faite à coups de dictionnaire. » Et, dans La Revue bleue : « Non, il n'y a là, en réalité, ni un descendant des Rougon, ni un abbé. Il y a un animal mâle lâché au milieu des bois avec un animal femelle. » Même Flaubert est réticent. Il écrit à Mme Roger des Genettes : « N'est-ce pas que L'Abbé Mouret est curieux ? Mais le Paradou est tout simplement raté ! Il aurait fallu pour l'écrire un autre écrivain que mon ami Zola. N'importe, il y a dans ce livre des parties de génie, d'abord tout le caractère d'Archangias, et la fin, le retour au Paradou. » Mallarmé confie à Zola qu'il a été séduit par « les magnificences » du récit. Huysmans, tout en critiquant les invraisemblances et les excès de ce « poème d'amour », y trouve « des pages véritablement sublimes ». Et Maupassant, subjugué par La Faute de l'abbé Mouret, adresse à Zola une lettre étince-lante : « Peu de lectures m'ont causé une aussi forte impression... J'ai éprouvé, d'un bout à l'autre de ce livre, une singulière sensation ; en même temps que je voyais ce que vous écriviez, je le respirais; il se dégage de chaque page comme une odeur forte et continue ; vous nous faites tellement sentir la terre, les arbres, les fermentations et les germes, vous nous plongez dans un tel débordement de reproduction que cela finit par monter à la tête, et j'avoue qu'en terminant, après avoir aspiré coup sur coup et " les arômes puissants de dormeuse en sueur... de cette campagne de passion séchée, pâmée au soleil dans un vautrement de femme ardente et stérile ", et l'Eve du Paradou, qui était " comme un grand bouquet d'une odeur forte ", et les senteurs du parc, " solitude nuptiale toute peuplée d'êtres embrassés ", et jusqu'au magnifique Archangias " puant lui-même l'odeur du bouc qui ne serait jamais satisfait ", je me suis aperçu que votre livre m'avait absolument grisé, et, de plus, fortement excité. »

Si Zola a si « fortement excité » Maupassant, c'est que lui-même, en rédigeant La Faute de l'abbé Mouret, a connu une jouissance qu'Alexandrine ne lui procure plus que rarement. Mais Maupassant, quand il est « excité », va à la femme, alors que Zola, dans le même cas, retourne à son bureau. Ecrire, écrire..., le bonheur est là !



Quelques jours plus tard, lors d'une réunion dominicale chez Flaubert, les amis discutent de « la sève fornicante et coïtante » répandue dans La Faute de l'abbé Mouret. Du roman on remonte au romancier. Interrogé sur ses habitudes amoureuses, Zola se confesse avec complaisance. Rentré chez lui, Gon-court, jubilant, note dans son Journal : « Zola nous raconte que, pendant qu'il était étudiant, il lui était arrivé plusieurs fois de rester huit jours couché avec une femme, ou du moins vivant en chemise avec elle. La chambre sentait le sperme : c'est son expression. Il nous avoue qu'à la suite de ces huitaines, il s'en allait dans la rue avec des pieds qui lui semblaient de coton et s'aidant, le long des murs, de l'appui que ses mains prenaient en s'accrochant aux tourniquets des volets. Il est devenu, dit-il, très sage maintenant et n'a plus de commerce maintenant avec sa femme que tous les dix jours. Il confesse quelques curieuses dispositions nerveuses de son individu relativement au coït. Il y a deux ou trois ans, quand il a commencé la série des Rougon, le lendemain d'un épanchement conjugal, il ne s'asseyait pas à sa table, sachant d'avance l'impossibilité de construire une phrase, d'écrire une ligne. Maintenant, chez lui, c'est le contraire : quand il a eu huit ou dix jours d'un travail médiocre, le coït lui donne, le lendemain, une petite fièvre très favorable à la rédaction. Il nous parle enfin d'un singulier phénomène se passant en lui au commencement de sa carrière. Dans le temps où il avait les plus grandes difficultés à écrire, il lui arrivait, après une demi-heure de bûchage sur une phrase, d'avoir une éjaculation sans érection1. »

En se déculottant ainsi devant ses confrères, Zola obéit au sentiment que rien n'est condamnable dans les manifestations de la nature. Il tient à honneur de déballer ses misères et ses victoires, en homme pour qui littérature et science ne font qu'un. Sa théorie du réalisme lui impose, pense-t-il, la franchise et la simplicité. Tant pis si les invités de Flaubert s'en tapent les cuisses.



Une autre fois, les mêmes compagnons égrillards s'étant réunis dans une taverne pour se régaler d'une bouillabaisse, la conversation revient sur les particularités de chacun dans les ébats amoureux, et Zola, le sang aux joues, s'écrie sur un ton de gloriole : « J'ai fait minette à la femme avec laquelle j'ai perdu mon pucelage avant de la baiser ! Non, non, je vous le dis, je n'ai aucun sens moral. J'ai couché avec les femmes de mes meilleurs amis. Positivement en amour, je n'ai aucun sens moral' ! »

Sans doute y a-t-il une part d'exagération dans cette prétendue confidence. Zola ne veut pas paraître plus chaste que ses confrères. Puisqu'il parle crûment de l'amour dans ses livres, il doit affirmer qu'il a une certaine connaissance de la chose. Son imagination est telle que, même s'il n'a fait que désirer en secret la femme d'un ami (lequel, grand Dieu ?), il a l'impression de l'avoir vraiment possédée. Et, cette idée ne s'accompagnant d'aucun remords, il se dit cyniquement amoral.

Mais, alors qu'il prétend à des instincts de faune, il est d'une complexion si fragile que ses troubles nerveux s'aggravent. Il croit entendre son cour qui bat dans sa tête, dans ses bras, dans son ventre. Inquiet, il cesse de fumer. Son état ne s'améliorant pas, le médecin ordonne la mer. Comme Alexan-drine est elle-même souffrante, toute la famille s'installe à Saint-Aubin, entre l'embouchure de l'Orne et Courseulles.



Au début, Zola, le Méridional, grogne contre cet exil dans un pays aux longues plages désertes et aux flots écumants. Pourtant, très vite, il en subit le charme sauvage. « Il souffle ici un vent de tempête qui pousse les vagues à quelques mètres de notre porte, écrit-il à Marius Roux. Rien de plus grandiose, la nuit surtout. C'est autre chose que la Méditerranée, c'est à la fois très laid et très grand...l. » Quand il fait beau, il se trempe dans l'eau avec Alexandrine, se promène à petits pas, ramasse des goémons et les respire pour sa santé, pousse un havenet sur le sable et se réjouit d'attraper quelques crevettes. Mais, tout en goûtant le calme des lieux, il peste contre la perturbation que ces vacances apportent dans sa vie. Il ne peut s'habituer à sa nouvelle table de travail, au bruit lancinant des vagues, au passage des voiliers à l'horizon. Tout cela le dérange dans son rêve. Car il s'est remis à un roman : Son Excellence Eugène Rougon. Ce personnage, dont le lecteur a fait la connaissance dans La Conquête de Plassans, est devenu ministre de l'Empire. Aimant le pouvoir pour le pouvoir, il se heurte aux exigences sentimentales de Clorinde, une belle aventurière, qui voudrait être épousée par lui. Or, ce qui attire Eugène Rougon, ce ne sont pas les plaisirs de la chair, ce sont ceux de la domination intellectuelle. Zola a mis en son héros sa propre chasteté et son désir d'arriver coûte que coûte. Repoussée par Eugène Rougon, Clorinde se venge en devenant la maîtresse de l'empereur, puis en brisant la carrière de l'homme qui l'a dédaignée. Mais, ce qui importe dans le hvre, c'est moins la trame amoureuse que la peinture du monde politique du Second Empire, avec ses> ministres, ses députés, ses bals à la cour, ses fêtes à Compiègne, ses intrigues de couloir, ses trafics d'influence, toute la foire aux vanités d'un régime scintillant au-dehors et pourri au-dedans. Pour évoquer cet univers officiel qu'il n'a guère connu, Zola s'est servi, une fois de plus, des notes qu'il a prises en fouillant dans la bibliothèque du Palais-Bourbon ou en interrogeant ceux qui ont fréquenté la haute société de l'époque.

Tourgueniev ayant recommandé Zola à Stassiou-liévitch, directeur de la revue russe Le Messager de l'Europe, toute la Russie s'est brusquement passionnée pour cet écrivain, si original dans sa brutalité et si mal apprécié par le public timoré de France. Les traductions des ouvres de Zola connaissent en Russie un retentissement qui le ravit et lui rapportent plus de cent francs par feuille imprimée. Il écrit à l'intention du même périodique des articles sur Flaubert, sur Goncourt, sur Chateaubriand... À peine a-t-il achevé la correction de Son Excellence Eugène Rougon qu'il propose à Stassiouliévitch de le publier en feuilleton. « Je viens de terminer un roman, Son Excellence Eugène Rougon, le sixième de ma série des Rougon-Macquart... Je crois que ce livre est un des plus curieux que j'aie encore écrits, par le côté essentiellement moderne et naturaliste des peintures... Je m'attends à un grand bruit autour de sa publication . »



Ce « grand bruit » se borne, dans la presse parisienne, à un faible murmure. Zola publie trop et trop vite au gré de la critique. Il aurait intérêt à se restreindre. Fécondité et qualité ne peuvent, c'est bien connu, aller de pair. Un véritable écrivain ne doit pas comme le pommier donner des pommes à profusion, mais, comme l'huître, sécréter lentement, patiemment sa perle unique.

À Saint-Aubin cependant, le froid et l'humidité de l'automne pénètrent la petite maison au bord de l'eau. « Depuis hier, nous avons les grandes marées d'équinoxe, une houle formidable du plus tragique effet, écrit Zola à Paul Alexis. Nous avons failli, l'autre soir, être trempés jusqu'aux genoux... Il a fallu opérer le sauvetage de Ratonl qui se noyait... À part ces événements mémorables, la paix est immense. Il y a beaucoup de monde parti, la plage est presque vide. Le matin, je vais voir vendre le poisson, à la pierre2, puis je fais ma lettre pour Le Sémaphore; puis je travaille à la correspondance russe ; et, le soir, je vais, en compagnie de ces dames, m'asseoir sur le sable et regarder la mer monter. C'est stupide et charmant. Je ne vois pas pourquoi cela ne durerait pas toujours... Quant à mon prochain roman, il dort et dormira sans doute jusqu'à Paris. J'ai les grandes lignes, j'ai besoin de Paris pour fouiller les détails. D'ailleurs, je suis décidé pour un tableau très large et très simple ; je veux une banalité de faits extraordinaire, la vie au jour le jour. Reste le style qui sera dur à trouver. Mais j'ai besoin de ne plus entendre le tonnerre de cette diablesse de mer qui m'empêche de penser. »



À présent, face à l'horizon marin, il rêve avec délices de rues étroites, de maisons fouettées par la pluie, de réverbères éclairant des recoins sordides. Il se hâte de rentrer à Paris, comme s'il y avait rendez-vous avec une maîtresse. Elle s'appelle Gervaise. Et elle est l'humble et pitoyable héroïne de son futur roman : L'Assommoir.






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François Zola
(1796 - 1847)
 
  François Zola - Portrait  
 
Portrait de François Zola


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