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François Zola

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DÉLIRE POÉTIQUE


Poésie / Poémes d'François Zola





Au premier abord, Paris, qu'Emile a si peu connu dans son enfance, le rebute par ses rues froides et grises, son ciel de pluie et son va-et-vient de passants grincheux. Saura-t-il s'accommoder de cet enfer monotone après avoir grandi dans le radieux paradis provençal ? Assis dans l'omnibus, entre sa mère tout heureuse qui est venue l'accueillir à la gare et son grand-père inquiet qui surveille leur maigre bagage, il suppute l'avenir et s'assombrit à chaque tour de roue. Enfin les voici tous les trois dans le petit appartement du 63, rue Monsieur-le-Prince. D'emblée, Emilie lui annonce la grande nouvelle : M. La-bot, avocat au Conseil d'État et ami de la famille, a pu obtenir de M. Nisard, directeur de l'École normale, que celui-ci fasse entrer Emile comme demi-pensionnaire boursier au très vénérable lycée Saint-Louis, en classe de seconde, section des sciences, et cela bien que l'élève soit arrivé en cours d'année. Devant l'exaltation de sa mère, Emile, par charité, tente de sourire. En vérité, il n'augure rien de bon de cette transplantation. Tout enfant, il l'aurait acceptée. Mais, à dix-huit ans, il a déjà enfoncé ses racines dans une autre terre. On l'en extirpe. Et il en souffre comme d'une amputation.



Le premier contact avec ses condisciples parisiens est rude. À Aix, il évoluait parmi des gaillards violents, mal dégrossis et fanfarons; ici, il est entouré de jeunes bourgeois policés, élégants et moqueurs, qui lisent les journaux, s'entretiennent des derniers potins de la politique, commentent les charmes des actrices en vogue et se prétendent blasés avant d'avoir vécu. Il est plus âgé que la plupart d'entre eux et cette circonstance le gêne, comme une preuve d'infériorité intellectuelle. Il se sent déplacé, dépassé, condamné à la timidité et à l'exclusion. Fait curieux, à Aix ses camarades de classe se moquaient de son accent parisien et l'appelaient « le Franciot » ; à Paris, les lycéens affirment qu'il a l'accent du Midi et l'appellent « le Marseillais ». Certains, raillant ses origines italiennes, lui ont même donné le sobriquet de « Gorgonzola ». Pour lui, maintenant, une chose est certaine : ce n'est pas au lycée Saint-Louis qu'il se fera des amis comparables à Cézanne, à Baille, à Marguery...



Son désespoir est tel qu'il ne trouve plus de réconfort que dans le ressassement des souvenirs aixois. Là-bas aussi, les copains se désolent. Les lettres qu'ils échangent sont des cris de détresse, des appels au secours. Emile raconte interminablement à Cézanne et à Baille ses lectures, ses projets littéraires, ses tristesses nocturnes, ses élans vers la nature et vers les femmes. En laissant courir sa plume, il a l'impression de poursuivre une de leurs conversations à cour ouvert, dans la campagne. Malgré la légèreté du papier pelure qu'il emploie, il lui faut coller deux ou trois timbres pour affranchir le pli. Absorbé par sa correspondance, il ne travaille plus guère en classe : devoirs bâclés, leçons non apprises. Lui qui était si souvent le premier au collège d'Aix traîne maintenant en queue de peloton. Une seule matière le séduit encore : la narration française. Un jour, il doit traiter le sujet suivant : Milton aveugle dictant à sa fille aînée, tandis que la seconde joue de la harpe. Inspiré par ce tableau d'harmonie familiale, Emile rédige un texte émouvant que son professeur, M. Levasseur, juge digne d'être lu en classe. Il prédit même à l'auteur un avenir d'écrivain. Emile se rengorge : à quoi bon apprendre l'algèbre, la géométrie, la géographie, la physique puisque sa vocation, c'est la littérature? Fort de cette conviction, il se claquemure dans son état de cancre.

S'il étudie peu, il ht énormément : Hugo certes, et Musset, mais aussi Rabelais et Montaigne. Sa préférence va aux auteurs romantiques, aux écrivains libres et débridés. Les classiques l'ennuient. À la fin de l'année scolaire, il n'obtient qu'un second accessit en français.



Afin de l'encourager à plus d'assiduité dans les études, sa mère décide de retourner avec lui à Aix pour les grandes vacances. À peine arrivé dans sa ville de prédilection, Emile est repris par le tourbillon de l'amitié. Baille s'est laissé pousser la barbe; Cézanne travaille à un drame sur Henri VIII d'Angleterre, ce qui ne l'empêche pas de peindre comme un forcené. Ils entraînent « le Parisien » dans leurs promenades habituelles. On se baigne dans l'Arc, on escalade la montagne Sainte-Victoire, on retourne au « barrage » de Roquefavour, on chasse, on pêche, on lit à haute voix les grands précurseurs, on récite ses propres vers pondus en classe, on évoque la rouerie des femmes et le charme de leurs abandons. Emile a en tête des plans de poèmes aux dimensions gigantesques. Il en fait part à ses compagnons qui l'approuvent et l'encouragent. Mais les semaines passent vite. À peine a-t-il eu le temps de gonfler ses poumons de bon air et son cour d'affection fraternelle qu'il doit repartir pour Paris.

La rentrée scolaire d'octobre se dresse devant lui comme une menace. Il a des vertiges, il délire, et le voici couché, peu après son retour dans la capitale, avec une fièvre typhoïde qui, dira-t-il, « galope dans [ses] veines comme une bêtel ». Il en sort épuisé. Ses dents se déchaussent. Sa vue a tellement baissé qu'il ne peut plus lire les affiches collées sur le mur d'en face. Ce n'est qu'au mois de janvier 1859 qu'il retourne au lycée.

Cette reprise des études coïncide avec un incident humiliant pour la famille. Les Zola, qui ont, une fois encore, changé d'appartement, sont expulsés du 241, rue Saint-Jacques, pour n'avoir pas payé leur loyer. De plus en plus, Emile songe qu'il n'y aura pas d'accalmie pour lui et les siens tant qu'il n'aura pas décroché une situation honorable et bien rémunérée. Pour cela, il doit d'abord passer son baccalauréat. « Sans diplômes, point de salut », affirme-t-il à Baille le 23 janvier 1859. Mais, dans la même lettre, il se refuse énergiquement à gagner sa vie comme un quelconque bureaucrate. « Je t'annonçais, dans ma dernière lettre, mon intention d'entrer au plus tôt comme employé dans une administration; c'était une résolution désespérée, absurde. Mon avenir était brisé, j'étais destiné à pourrir sur la paille d'une chaise, à m'abrutir, à rester dans l'ornière... Heureusement que l'on m'a retenu sur le bord de l'abîme ; mes yeux se sont ouverts et j'ai reculé d'épouvante en sondant la profondeur du gouffre, en voyant la fange et les roches qui m'attendaient au fond. Arrière cette vie de bureau ! Arrière cet égout ! me suis-je écrié ; puis, j'ai regardé de tous côtés, demandant un conseil à grands cris. L'écho m'a seul répondu, cet écho railleur qui répète vos paroles, qui vous renvoie vos questions sans les satisfaire comme pour vous faire entendre que l'homme ne doit compter que sur lui. » Après cette constatation pathétique, Emile décide de faire son droit pour devenir avocat. « Il n'est qu'un moyen d'arriver, conclut-il, c'est le travail... Je dis adieu pour quelque temps à mes beaux rêves dorés, certain de les voir accourir en foule lorsque ma voix les rappellera dans une époque meilleure. »



En fait, les « beaux rêves dorés » ne l'abandonnent pas. Il se sent même de plus en plus attiré par la littérature et révulsé par la science. « Je ne suis plus ce Zola qui travaillait, qui aimait la science, qui roulait sa bosse tant bien que mal dans l'ornière de l'enseignement universitaire, écrit-il à Marguery quelques mois plus tard. Tu es un ami, et je puis te confier bien des choses : or, apprends que je suis devenu un paresseux fieffé, que l'algèbre me donne la migraine et que la géométrie m'inspire une telle horreur que je frissonne rien qu'à voir un innocent triangle... Tout ceci est une transition pour te dire que, ne faisant rien, je ne serai pas reçu au bachot1. »

Accablé par ce pressentiment, il se rend à la Sorbonne où il doit passer les épreuves écrites. De son avis même, sa version latine est médiocre et il n'a pas trouvé la solution du problème de mathématiques. Persuadé qu'il sera recalé, il va consulter, à tout hasard, la liste des admissibles et constate avec stupéfaction qu'il y figure au deuxième rang. Ce résultat inattendu lui redonne confiance pour l'oral. Son tour arrive. Il répond correctement aux interrogations de sciences naturelles, de physique et chimie, de mathématiques... Le succès final lui semble déjà à sa portée. Mais un examinateur sourcilleux, chargé de la section lettres, s'avise de lui demander la date de la mort de Charlemagne. Troublé, Emile hésite, calcule et finit par se tromper de quelques siècles, faisant mourir l'empereur à la barbe fleurie sous le règne de François Ier. Le visage du professeur se crispe et, changeant de matière, il questionne le candidat sur l'ouvre de La Fontaine. Sans doute Emile ne manifeste-t-il pas un enthousiasme suffisant pour l'auteur des Fables, car son vis-à-vis se gourme davantage et annonce d'une voix sèche : « Passons à l'allemand. » Or, Emile a toujours été imperméable aux langues vivantes. Incapable de lire correctement une phrase en allemand, il entend avec effroi la sentence : « Cela suffit, monsieur ! » L'examen oral terminé, les membres du jury délibèrent en hochant la tête et, sur l'insistance de leur collègue des lettres, décident de recaler le candidat Zola, jugé « nul » en littérature.

Désolée de ce fiasco, Mme Zola n'a pourtant pas le cour de refuser à son fils de nouvelles vacances provençales. Huit jours plus tard, vêtu d'une blouse de gros drap et chaussé de souliers de marche, il se retrouve, avec Cézanne et Baille, courant dans les broussailles odorantes, rôties par le soleil et fouettées par le vent. Inspiré par ce paysage, il se dit que, dans le Midi, pays de douceur, de liberté et de farniente, il aura plus de chances de passer son baccalauréat qu'à Paris. Ayant convaincu sa mère, il se présente à Marseille, en novembre 1859, d'abord aux épreuves écrites. Mais, alors qu'il espérait trouver ici des examinateurs moins sévères que dans la capitale, dès ce premier obstacle, il est désarçonné. Sa chute le laisse tout étourdi.



Recalé pour la seconde fois, il explique à Emilie qu'il serait vain et même néfaste pour lui de persévérer dans la voie des études. D'ailleurs, après ce double échec, sa bourse ne lui serait pas renouvelée. Une seule issue : la vie de bureau, cet « égout » où il craignait naguère de s'engager. Mais ne peut-on, même dans un « égout », cultiver des fleurs rares ? Il sera gratte-papier et poète. La musique des vers le consolera de l'esclavage administratif. Du reste, dès ses premiers succès, il s'arrangera, pense-t-il, pour vivre de sa plume.

Rentré à Paris avec sa mère, plus inquiète que jamais pour leur avenir, il renonce au lycée, met au rancart les manuels scolaires et divague dans des rêveries poétiques et sentimentales. Sa correspondance avec ses amis s'étire sur des dizaines de pages, sous la forme d'un monologue intérieur. La pensée de la femme le hante au point qu'il voue un véritable culte à Michelet, le chantre du beau sexe, et tombe en extase devant une gravure représentant une paysanne peinte par Greuze : « On ne sait trop ce que l'on doit le plus admirer ou de sa figure mutine ou de ses bras magnifiques, écrit-il à Cézanne. Quand on les regarde, on se sent pris d'un sentiment de tendresse et d'admiration... Je suis resté longtemps devant cette eau-forte, me promettant d'aimer l'original1. »

Les nymphes de Jean Goujon, qui décorent la fontaine des Innocents, le séduisent également. Leur demi-nudité l'enfièvre. Il regarde la pierre et voit une chair qui s'anime : « Je t'assure que ce sont de charmantes déesses, gracieuses, souriantes, tout comme j'en désirerais pour m'égayer dans mes moments d'ennui2. »

Au milieu de ses mirages amoureux, un remords le ronge : « Il me peine de me voir, moi, grand garçon de vingt ans, à la charge de ma famille », avoue-t-il encore à Cézanne3. Et, un mois plus tard : « Je suis abattu, incapable d'écrire deux mots, incapable même de marcher. Je pense à l'avenir et je le vois si noir, si noir que je recule épouvanté. Pas de fortune, pas de métier, rien que du découragement. Personne sur qui m'appuyer, pas de femme, pas d'ami près de moi. Partout l'indifférence ou le mépris... Je n'ai pas achevé mes études, je ne sais même pas parler en bon français; j'ignore tout... Depuis que je suis à Paris, je n'ai pas eu une minute de bonheur; je n'y vois personne et je reste au coin de mon feu avec mes tristes pensées et quelquefois avec mes beaux rêves1. » À l'en croire, il est vaguement amoureux d'une jeune fleuriste qui passe sous ses fenêtres deux fois par jour. Mais il n'ose la suivre, lui parler. De même, il n'a pas eu le courage de déclarer son admiration à une jeune Aixoise que, dans ses lettres, il appelle « l'Aérienne ». Il songe à lui dédier un poème dans lequel il exprimera franchement ce qu'il n'a su lui dire de vive voix. Puis, du haut de son inexpérience, il donne son avis sur les diverses catégories de femmes qu'un honnête homme est appelé à fréquenter au long de sa vie. De toute évidence, il y a trois sortes de séductrices : la « fille à parties », la veuve, la vierge. « Je puis te parler savamment sur la fille à parties, écrit-il à Baille. Parfois, il nous vient, à nous autres, cette folle idée de ramener au bien une malheureuse, en l'aimant, en la relevant du ruisseau. Nous croyons remarquer en elle un bon cour, une dernière lueur d'amour, et, sous un souffle de tendresse, nous tâchons d'activer l'étincelle et de la changer en un brasier ardent... Hélas ! la fille à parties, créature de Dieu, a pu avoir en naissant tous les bons instincts, seulement l'habitude lui a fait une seconde nature... Elle passe d'un amant à un autre, sans regretter l'un, sans presque désirer l'autre... Las de frapper sur chaque fibre sans rien en tirer, las de prodiguer des trésors d'amour et de n'éveiller aucun écho, il [le jeune homme] laissera faiblir sa tendresse et ne demandera plus à cette femme qu'une belle peau et de beaux yeux. C'est ainsi que finissent tous les rêves que nous faisons sur les filles perdues. » Et le mentor continue en analysant les avantages et les inconvénients d'une liaison avec une veuve. « Je contaste le fait : la veuve n'est pas l'idéal de nos rêves : cette femme libre, plus âgée que nous, nous effraye. Je ne sais quel pressentiment nous avertit que, honnête, elle nous amènera prosaïquement et sans amour au mariage, et que, légère, elle fera de nous un jouet qu'elle jettera ensuite pour un autre... Je suis d'ailleurs peu au courant de ces dames... Reste la vierge, cette fleur d'amour, cet idéal de nos seize ans, vision qui sourit à nos chevets, amante pure du poète qui le console dans ses rêves dorés. La vierge, cette Eve avant le péché... Hélas ! où est-elle cette créature divine, si innocente que la fange des hommes ne saurait la souiller ?... Je vois çà et là de petites pensionnaires, des jeunes filles fraîches de couvent... On me les vend au poids de l'or; on fait sonner haut à mes oreilles les yeux baissés, l'air enfantin et niais de la jeune poupée; puis, lorsqu'on m'a bien détaillé ses mérites, sans seulement qu'il soit question de mon amour et du sien, on me crie, au nom des mours : " Monsieur, cela coûte tant; mariez-vous d'abord, vous vous armerez ensuite, si faire se peut... " La vierge pour nous n'existe pas ; elle est comme un parfum sous triple enveloppe que nous ne pouvons posséder qu'en jurant de le porter toujours sur nous. La noceuse est à jamais perdue, la veuve m'effraye, la vierge n'existe pas. »



Pour tromper sa faim de chair fraîche, Emile guette, par la fenêtre, les passantes qui, les jours de pluie, relèvent le bas de leurs jupes pour franchir les flaques. Il lui faudra beaucoup de courage pour amener chez lui une prostituée du nom de Berthe qui, au dire d'un de ses amis, Georges Pajot, porte « une robe en lambeaux », n'a que « des qualités négatives » et « semble attendre pour se mouvoir qu'une force étrangère vienne rompre son inertie1 ». Cette intrusion d'une femme de mauvaise vie n'a été rendue possible qu'à la suite d'un nouveau déménagement. Désormais, Emile et sa mère ont des logements séparés dans la rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont. Lui au 24, elle au 21. « J'habite là un petit belvédère, occupé autrefois par Bernardin de Saint-Pierre et où il a, dit-on, écrit presque toutes ses ouvres. Une mansarde de bon augure pour un poète 2 ! »

Le voici seul, libre et enfin déniaisé. En vérité, sa maîtresse, vulgaire et mollassonne, ne correspond guère à son idéal féminin de ferveur, de charme et d'innocence. En outre, il la soupçonne de le tromper. Il s'en contente néanmoins, par raison, par commodité. « Ma maîtresse m'embrasse et me jure tendresse éternelle ; je me demande si elle ne prépare pas alors quelque infidélité, écrit-il encore à Baille. Je mets l'oreille à ses lèvres et j'écoute son haleine ; son haleine ne me dit rien, et je me désespère. Je pose ma tête sur sa poitrine, j'entends palpiter son sein, j'entends les sourds battements de son cour; parfois je crois surprendre la clef de ce langage, mais ce n'est que le limon qui s'agite, et je me désespère. Voilà la véritable cause de mon isolement3. »



Les sens assouvis, il n'en est que plus à l'aise pour chanter, dans un long poème, les amours tragiques de Rodolpho. Les rimes viennent toutes seules au bout de sa plume. Avec quelles délices il évoque les plaisirs de la chair, dont il a eu depuis peu la connaissance directe :



D'ardente volupté qu'une maîtresse est belle !

Sa bouche, de baisers toute chaude, sourit;

Son oil, demi voilé, de bonheur étincelle;

Un désir gonfle encor sa gorge de frissons,

Et l'odeur de l'amour sort de sa chevelure.



Puis ce sont douze cents vers alignés en l'honneur de « l'Aérienne » d'Aix, dont voici le ton :



Ah! blonde vision, ma sour, ma bien-aimée,

Rose de mon sentier, éclose et parfumée,

Toi que toujours je nomme, ainsi qu'au premier jour,

Ma blanche Aérienne et ma vierge d'amour!



Cette jeune fille inaltérable, pure comme un rayon de lune dans la garrigue, il l'associe au pays aixois :



Ô Provence, des pleurs s'échappent de mes yeux,

Quand vibre sur mon luth ton nom mélodieux.

Terre qu'un ciel d'azur et l'olivier d'Attique

Font sour de l'Italie et de la Grèce antique.



Et il confie à Baille, dans une lettre datée du 10 août 1860 : « Ce n'est pas S...1 que j'ai aimée, que j'aime peut-être encore : c'est l'Aérienne, un être idéal que j'ai moins vu que rêvé. Que m'importe qu'une fille d'ici-bas que j'ai courtisée une heure ait un amant ? Me crois-tu assez fou pour empêcher la rose d'aimer chaque papillon qui la caresse ? »



Il a déjà publié quelques poèmes dans un journal du Midi, La Provence, dont un à la gloire de son père, constructeur du canal Zola. Mais, malgré son ambition dévorante, il a conscience de l'impossibilité qu'il y a pour un poète de gagner sa vie en composant des vers pour des journaux de province. Et il hésite encore à se lancer dans la prose. La prose lui paraît un mode d'expression qui étouffe le merveilleux lyrisme au profit de l'atroce réalité. En tant qu'écrivain, il se croit appelé à ne célébrer que la beauté sous toutes ses formes. « Tailler ma plume et me mettre à noircir l'homme de parti pris, lui ôtant ses rares qualités et faisant ressortir ses nombreux défauts, c'est ce que je ne saurais aimer, écrit-il à Baille. Dans notre temps de matérialisme..., le poète a une mission sainte : montrer à toute heure, en tout lieu, l'âme à ceux qui ne pensent qu'au corps et Dieu à ceux dont la science a tué la foi. L'art..., c'est un flambeau splendide qui éclaire la voie de l'humanité, et non une misérable bougie dans le taudis d'un rimeur. »



Ce naïf et impérieux credo, Zola, devenu le pape du naturalisme, le relira plus tard avec une surprise amusée. Pour l'instant, il est convaincu que l'artiste est un prophète envoyé par Dieu pour initier les hommes aux perfections de la nature. Mais même un prophète a besoin de manger. Et, dans les deux logis de la rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont, c'est la pénurie. Alerté par Mme Zola, Alexandre Labot, l'obligeant ami de la famille, obtient pour Emile une place d'employé aux Docks de la Douane. Salaire : soixante francs par mois. Emile se résigne. Mais, très vite, la vie de bureau le met au supplice. Il étouffe entre les piles de dossiers. Ses compagnons de chaîne l'horripilent par leurs propos insipides. Il craint de succomber à la médiocrité de ces scribouillards, qui alignent des chiffres dans des registres, plient l'échiné au passage du chef de service et regardent dix fois leur montre en songeant à l'heure de la sortie. Son dégoût de la paperasse administrative prend des proportions telles qu'au bout de deux mois il démissionne, au grand chagrin de sa mère.

En attendant d'avoir trouvé une autre place, moins rebutante, il décide, ayant atteint sa majorité, de revendiquer la nationalité française. De fait, aux termes de la loi de 1849, étant né de père italien, il est encore considéré comme un étranger. L'absurdité de cette position, qui ne le troublait pas jadis, lui saute brusquement aux yeux. Personne, lui semble-t-il, n'est plus français que lui puisqu'il pense, parle et écrit en français, puisque sa mère et ses grands-parents maternels sont français, puisqu'il est né à Paris, puisque tous ses amis le considèrent comme un compatriote, puisque les paysages de Provence nourrissent ses rêves. Il faut, au plus vite, régulariser cette situation par quelques cachets et quelques signatures. Le 7 avril 1861, Emile Zola se rend à la mairie du cinquième arrondissement pour réclamer officiellement la qualité de Français. Un employé indifférent enregistre sa demande. Le dossier suivra la filière normale. Zola rentre chez lui, soulagé. Mais le plus dur reste à faire : trouver un emploi. « La place que je cherche est tout simplement la première venue, écrit-il à Baille. Comme je n'entre pas dans une administration pour y faire mon avenir, peu m'importe que cette administration présente ou non Un avenir. Pourvu que j'aie douze cents francs par an, c'est tout ce qu'il me faut et je ne m'inquiète pas si je peux espérer de l'avancementl. »



Bientôt, les jours se succédant sans apporter la moindre solution au problème, il rabat encore de ses prétentions et se dit prêt à accepter n'importe quelle besogne pour ne plus vivre aux crochets de sa mère. Mais, comme elle l'aime trop pour exiger de lui un tel sacrifice, il continue à traîner la savate, à se plaindre dans le vide et à tremper son pain dans le bouillon familial.



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François Zola
(1796 - 1847)
 
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