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Vies des troubadours






Statut social et aire géographique



Qui étaient les troubadours ? Certains étaient de grands seigneurs, comme Guillaume LX, comme le comte Dauphin d'Auvergne, comme Raimbaud d'Orange ou même comme Jau-fré Rudel, le petit prince de Blaye. D'autres étaient des hobereaux, comme Bertrand de Born, Guillaume de Saint-Didier, les quatre châtelains d'Usscl - trois frères et leur cousin qui passèrent leur vie dans leur château commun à cultiver l'amour et la poésie. D'autres, de pauvres hères, comme Ccrcamon, le plus ancien après Guillaume LX, dont le sobriquet signifie « celui qui court le monde », ou son disciple supposé Marcabru, un enfant trouvé surnommé d'abord « Pain perdu », ou encore les enfants de la domesticité du château, comme Bernard de Ventadour, fils du boulanger du château de Ventadour, devenu le protégé et le disciple du vicomte Eble III. D'autres, des clercs, certains à demi défroqués, comme Peire Cardenal, qui parvenu à l'âge d'homme quitta pour se faire troubadour la « chanoinic » du Puy où on l'avait fait entrer petit enfant, mais d'autres pas, comme le moine de Montaudon, qui faisait vivre son couvent des cadeaux qu'il recevait pour prix de ses chansons. D'autres étaient des marchands, comme Foulquet de Marseille, qui, par repentir d'avoir chanté l'amour, se fit moine, devint abbé du Thoronet, puis eveque de Toulouse. D'autres, comme Gaucelm Faidit, étaient d'anciens jongleurs, tandis qu'inversement des nobles déclassés se faisaient jongleurs, comme, paraît-il, Arnaud Daniel. De château en château, à telle cour, auprès de telle dame ou de tel mécène, tout ce monde se rencontrait, échangeait des chansons, se citait et se répondait de l'une à l'autre, disputait des questions d'amour ou de poétique dans les poèmes dialogues que sont les jeux-partis ou s'invectivait dans les siwentès polémiques.



Quant à l'espace géographique qui voit apparaître les troubadours, il s'étend à tout le domaine d'oc, du Limousin à l'Aquitaine, de l'Auvergne à la Provence, et même au-delà : en Catalogne, en Italie du Nord, où ont été copiés de nombreux manuscrits, on choisit la langue d'oc pour chanter l'amour. Le catalan et l'italien ne deviennent des langues littéraires que dans le courant du XIIIe siècle, et l'on sait que Dante, à qui l'on doit les expressions de « langue d'oc », « langue d'oil » et « langue de si », selon la façon de dire « oui » dans chacune d'elles, était un grand admirateur et un grand connaisseur des troubadours.



« Vidas » et « razos »



Comment connaissons-nous la personnalité, le rang social, le lieu d'origine, la vie des troubadours ? En partie par les manuscrits qui nous ont conservé leurs chansons - les chansonniers. Ce sont des anthologies dans lesquelles les ouvres de chaque troubadour sont souvent précédées d'un récit de sa vie (vidA), en quelques lignes ou en une page, tandis que certaines chansons sont accompagnées d'un commentaire parfois abondant (razfL) qui prétend en éclairer les allusions en relatant les circonstances de leur composition. Dans certains manuscrits, une lettre initiale peinte représente le troubadour. Effigie symbolique, et non pas portrait : les troubadours nobles sont souvent peints armés, le visage masqué par le heaume, et seule leur connaissance, leur blason, signifie leur identité.

Certaines vidas sont à peu près veridiques. D'autres sont presque inventées de toutes pièces à partir des chansons elles-mêmes. Ce ne sont pas les moins intéressantes. D'une part, elles cristallisent en une biographie imaginaire l'impression générale qui se dégage d'une ouvre ou certains de ses aspects particuliers. Quand la très brève vida de Guillaume IX nous dit que « le comte de Poitiers était un des hommes les plus courtois du monde et un des plus grands trompeurs de dames », elle désigne ainsi la double inspiration de ses chansons. Quand la célèbre vida de Jaufré Rudcl nous dit qu'il est tombé amoureux de la comtesse de Tripoli sans l'avoir jamais vue et qu'il est parti pour la croisade à seule fin de la voir, elle tire parti de quelques éléments de ses chansons : le souhait de partir en pèlerinage pour voir la femme aimée dans son pays lointain, la récurrence des expressions « amour de loin, amour de terre lointaine », une tonalité nostalgique. Mais, en outre, ces vidas imaginaires, ces razos qui rattachent la composition d'un poème à telle anecdote dramatique ou parfois burlesque, nous montrent dans quel esprit on Usait les troubadours à l'époque où elles ont été rédigées et où les manuscrits qui les contiennent ont été copiés, c'est-à-dire du milieu du XIIIe au milieu du XIVe siècle. Cet esprit, celui de l'anecdote autobiographique dissimulée et révélée dans la chanson, paraît bien éloigné de l'idéalisation généralisatrice à laquelle aspire la poésie des troubadours.

C'est que les temps avaient changé. La conception de la poésie était en train de subir une mutation dont on mesurera plus loin la nature et les conséquences. La courtoisie elle-même avait changé dès son passage en France du Nord et, au début du XIIIe siècle, lors de la croisade albigeoise, la France du Nord devait imposer rudement le changement aux cours méridionales.



Les trouvères



Le lyrisme courtois s'acclimate en France du Nord vers le milieu du XIIe siècle. Le symbole, sinon la cause, de cette expansion est le mariage en 1137 d'Aliénor d'Aquitaine, la petitefille du premier troubadour, avec le roi de France Louis Vil le Jeune, puis, après sa répudiation en 1152, avec le roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt. L'une des deux filles nées de son premier mariage, Marie, devenue comtesse de Champagne, sera la protectrice d'André le Chapelain et surtout de Chrétien de Troyes, qui nous a d'ailleurs laissé, à côté de ses romans, deux chansons d'amour.



Apparition et extension



C'est ainsi que la mode de la chanson courtoise, qui atteint bientôt toutes les grandes cours francophones, apparaît d'abord en Champagne. Les premiers trouvères, vers 1170, Huon d'Oisy, vicomte de Meaux, Chrétien de Troyes, Guiot de Provins, et quelques années plus tard Gacc Brûlé et Gilles de Vieux-Maisons, sont champenois. Mais ils font vite des émules dans d'autres régions, et d'abord, dès les années 1180, en Artois et en Picardie, d'où sont originaires Conon de Béthune, Blondel de Ncslcs, le châtelain de Coucy, Gontier de Soignics. Dans la première moitié du XJir siècle, la Champagne donne encore le plus illustre des trouvères en la personne de son prince, Thibaut IV, comte de Champagne de 1214 à 1253 et roi de Navarre, tandis que les provinces du Nord voient l'inspiration courtoise se poursuivre et se modifier dans le cadre de la vie littéraire urbaine, en particulier arrageoise, dont on aura l'occasion de parler plus loin, avec des poètes comme Pierre de Corbie, Andrieu Contredit, Jean de Neuville, Gilles et Guillaume Le Vinier, Jean Erart, Moniot d'Arras, Audefroi le Bâtard. Mais dès le début du XIII siècle, les autres régions fournissent leur contingent de poètes : la Bourgogne (Hugues de Bcrzé et son fils Gautier, Jocelin et Guiot de Dijon, Jacques d'AutuN), la Lorraine (Colin Muset, Gautier d'EpinaL), les provinces de l'Ouest (Roger d'Andeli, Thibaud de BlaisoN) et surtout l'Ile-de-France avec Philippe de Nanteuil, Thibaud de Nan-gis, Moniot de Paris, Richard de Semilly.



Traits particuliers à la poésie des trouvères



Emules des troubadours, les trouvères se distinguent cependant par plusieurs traits de leurs modèles. Dans le cadre du grand chant courtois, ils se montrent généralement plus réservés, plus pudibonds même. Usant avec une habileté très délibérée de toutes les ressources de la versification et de la rhétorique1, ils gomment plus leurs effets que les troubadours et ne recourent guère au style âpre, flamboyant, paradoxal et tendu cher aux méridionaux. Le trobar dus, qui même dans le Sud n'a été en fait qu'une mode passagère, leur est inconnu. Que Thibaud de Champagne (chanson VI) cherche à exprimer sous une forme légèrement énigmatique les tensions contradictoires du sentiment amoureux :

En amor a paor et hardement : Dans l'amour il y a de la peur et de la hardiesse : Li dui sont troi et du lier/, sont li tous deux sont trois et tous deux relè- dui... vent du troisième terme... (c'est-à- dire le mélange de la peur et du courage ne se trouve que dans l'amour, de sorte que la réunion de ces deux notions ne se conçoit pas hors de la troisième qu'est l'amouR). l'un des manuscrits omet cette strophe tandis qu'un autre l'affadit en la moralisant : « Sans et valor sont a un acordant » (L'intelligence et la valeur vont ensemblE). D'où l'impression que nous donnent parfois les chansons des trouvères d'être abstraites et conventionnelles. Pourtant, en leur prêtant une oreille attentive, on perçoit les traits propres à chacune derrière une apparente uniformité : la fraîcheur de la confession amoureuse chez le châtelain de Coucy :

I.i nouviauz tanz et mais et violete Le renouveau, le mois de mai, la vio- lette, Et lousseignolz me semont de chan- le rossignol m'invitent à chanter. ter. Et mes fins cuers me fait d'une Et mon cour fidèle me fait d'un ten-amourcte dre amour

Si douz présent que ne l'os refuser. le présent si doux que je n'ose le refuser. ou à la subtilité tendue des comparaisons de Thibaud de Champagne :



Aussi bien, les voix personnelles, un peu discordantes au regard de la norme guindée du grand chant courtois, sont moins rares qu'on ne l'a dit. Que l'on songe au ton vindicatif ou sarcas-tique de Conon de Béthune se plaignant que le roi et sa mère se soient moqués de son accent picard (« Je n'y peux rien si je n'ai pas été élevé à Pontoisc ! ») ou contant l'histoire d'une dame qui, après avoir laissé languir son soupirant pendant des années, finit par s'offrir à lui quand ses charmes sont fanés, ce que l'intéressé, qui ne l'est plus, lui révèle sans ménagement. Que l'on songe au pauvre et gai jongleur Colin Muset, qui se présente comme toujours affamé et doté d'une femme acariâtre, et dont toute l'ambition est de mener « bonne vie », c'est-à-dire de faire un pique-nique plantureux en compagnie d'une créature de rêve. Que l'on songe à la belle, étrange et unique chanson de Jacques d'Autun, contraint par des circonstances obscures de se séparer de sa femme à qui il voue une passion humble, fervente et désespérée.

Autre trait notable, les mélodies des trouvères nous sont plus souvent parvenues que celles des troubadours, et les derniers d'entre eux, comme Adam de la Halle dans les années 1280, feront faire des progrès décisifs à la polyphonie, entraînant d'ailleurs du même coup l'éclatement inéluctable de la synthèse du texte et de la musique sur laquelle reposait le lyrisme courtois.



Trouvères des châteaux et des villes



Il faut ajouter que les conditions mêmes de la vie littéraire sont différentes. Certes, on trouve parmi les trouvères le même éventail social que chez les troubadours. D y a parmi eux des princes, comme Thibaud de Champagne, poète fécond et délicat, et d'assez grands seigneurs, ou au moins des personnages de premier plan, comme l'âpre Conon de Béthune ou l'élégant Gace Brûlé. Il y a de petits nobles, comme le châtelain de Coucy, dont on fera à la fin du Xlir siècle, peut-être à cause de la douceur élé-giaque de ses chansons, le héros d'un roman au dénouement tragique. Il y a des clercs comme Guillaume et Gilles Le Vinier, comme le subtil et surprenant chanoine d'Amiens Richard de Fournival, des marchands comme le patricien arrageois Jean Bre-tel, des jongleurs comme Colin Muset. Mais la proportion des nobles dilettantes, auteurs chacun de quelques chansons parce que cela fait partie du jeu social, est plus faible que dans le Sud. Un signe en est que, pour une production globale à peu près égale, nous ne connaissons les noms que de deux cents trouvères environ contre quatre cent cinquante troubadours. Surtout, quelle que soit l'importance des grandes cours lettrées comme celle de Champagne, beaucoup de trouvères, à partir du début du XIIIe siècle, et surtout à partir des années 1220, appartiennent au milieu littéraire des riches villes commerçantes du nord de la France, en particulier d'Arras.



Dans plusieurs de ces villes apparaissent au XIIIe siècle des sociétés littéraires qui organisent des concours de poésie. La plus illustre est le Puy d'Arras, lié à une confrérie nommée de façon significative Confrérie des jongleurs et bourgeois d'Arras et dominé par les grandes familles commerçantes de la ville. Ces poètes urbains, qui peuvent être aussi bien des bourgeois que des clercs, des jongleurs ou des nobles, continuent bien entendu à pratiquer le grand chant courtois et aussi, avec prédilection, sa variante socialisée qu'est le jeu-parti. Mais, sans retomber dans l'erreur ancienne qui serait de vouloir définir une littérature « bourgeoise » au XIIIe siècle, il faut bien reconnaître qu'ils ont un goût marqué, et presque inconnu des troubadours, pour des genres lyriques qui constituent une sorte de contrepoint parfois comique et grivois de la courtoisie ou qui paraissent hériter d'une tradition antérieure à elle.

C'est pourquoi nous avons attendu d'en venir aux trouvères pour aborder les genres lyriques non courtois, bien que certains paraissent descendre des formes primitives de la poésie romane.



Les chansons de femme et le lyrisme non courtois



Les genres non courtois sont en effet de deux sortes. Les uns posent directement l'énigme d'une poésie populaire, dont ils conservent ou dont ils créent artificiellement l'écho : ce sont les aubes et les chansons de toile. Les autres, qui peuvent à l'occasion, ou même fondamentalement, charrier des éléments d'origine populaire, forment, on l'a dit, l'envers de la courtoisie et, dans l'état où nous les saisissons, n'existent que par rapport à elle : ce sont les reverdies, les chansons de malmariée, les pastourelles. En outre, les chansons à danser, définies par leur forme - parfois ancienne - empruntent thématiquement à tous les autres genres et leur fournissent des refrains et parfois des mélodies.

On a dit plus haut que la forme primitive du lyrisme amoureux était généralement celle de la chanson de femme. Bien que cette situation soit masquée dans la littérature romane par le brusque surgissement du lyrisme courtois, un faisceau d'indices témoigne de son existence : la condamnation par l'Eglise, à date très ancienne, de chansons féminines lascives ; les quelques épisodes amoureux des premières chansons de geste, comme la mort de la belle Aude dans la Chanson de Roland, ou la passion de Bélis-sant pour Amile dans Ami et Amik, qui paraissent réserver aux femmes l'expression élégiaque ou sensuelle de l'amour, voire l'initiative amoureuse. Plus encore, le fait que toutes les khardjas empruntées à la poésie mozarabe soient des extraits de chanson de femme, où l'amour s'exprime généralement avec une gravité passionnée (« Dis-moi, que ferai-je ? Comment pourrai-je vivre ? J'attends cet ami, pour lui je mourrai » ; « O toi qui es brun, ô délices des yeux ! qui pourra supporter l'absence, mon ami ? ») et parfois impudique («Je t'aimerai tant, mais à la condition que tu joignes mes anneaux de jambe à mes boucles d'oreille »). Cette tonalité se retrouve par instants dans la poésie des quelques femmes troubadours, les trobairitz, qui habituellement se bornent à mettre au féminin les stéréotypes du grand chant courtois : « Ben volria mon cavallier / l'ener un ser en mos bratz nut » (« Comme je voudrais tenir un soir mon chevalier nu entre mes bras »), soupire la comtesse de Die.



Les chansons de toile



Mais surtout il existe en langue d'oïl un genre très particulier, celui de la chanson de toile, qui paraît se rattacher à cette tradition, bien que les quelque vingt chansons qui nous sont parvenues soient largement postérieures au développement de la poésie courtoise et en portent la marque. La forme des chansons de toile les rend analogues à de petites chansons de geste. Presque toutes sont en décasyllabes. Leurs strophes, parfois rimées, mais souvent assonancées, ne se distinguent alors des laisses épiques que par leur brièveté relative, leur régularité et la présence d'un refrain. Ce sont des chansons narratives à la troisième personne. Leur style, comme celui des chansons de geste, est raide, leur syntaxe répugne à la subordination et chaque phrase dépasse rarement la longueur du vers. Elles mettent en scène des jeunes filles sensuellement et douloureusement éprises de séducteurs indolents ou d'amants lointains, qu'elles attendent, assises à la fenêtre, occupées à des travaux d'aiguille ; d'où leur nom :



Bêle Yolanz en ses chambres seoit. Belle Yolande était assise dans sa chambre. D'un boen samiz une robe cosoit : Elle cousait un vêtement d'un beau tissu de soie : A son ami tramctlre la voloit. à son ami elle voulait l'envoyer.

En sospirant ceste chançon chan- En soupirant elle chantait cette toit : chanson :

« Dex ! tant est douz li nons « Dieu ! le nom d'amour est si d'amors : doux : ja n'en cuidai sentir dolors. » jamais je ne pensais en ressentir de la peine. »

Certaines de ces chansons sont insérées dans un roman du début du XIIIe siècle, le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole de Jean Renaît. Cet auteur subtil et malicieux, qui se vante d'être le premier à avoir eu l'idée de citer des pièces lyriques dans un roman, fait dire à une vieille châtelaine que « c'était autrefois que les dames et les reines faisaient de la tapisserie en chantant des chansons d'histoire ».

Sur la foi de ce témoignage, et sur l'apparence des chansons de toile, on a longtemps admis sans discussion qu'elles étaient très anciennes. Mais certains traits s'accordent mal avec cet archaïsme apparent, dans lequel il faudrait plutôt voir soit une survivance au sein de pièces qui se seraient sur d'autres points modifiées, soit l'effet d'une recherche délibérée. Ce qui est certain, c'est que ces chansons ont été composées par des hommes : l'une d'elles le reconnaît, d'autres sont l'ouvre d'un trouvère connu, Audefroi le Bâtard. Il semble qu'elles aient bénéficié d'une sorte de mode, dans le premier tiers du XIIIe siècle, au sein de milieux littéraires raffinés de Picardie, de Wallonie, de Lorraine, qui, habitués à la sophistication du grand chant courtois, trouvaient du charme à leur simplicité. Il y aurait donc eu une part d'artifice dans leur succès, voire dans leur manière, mais on imagine mal qu'elles aient pu être inventées de toutes pièces dans ces circonstances et qu'elles puissent ne pas reposer sur une tradition ancienne.



Les chansons d'aube



D'autres types lyriques se sont plies plus aisément aux conventions de la courtoisie. Ainsi, la chanson d'aube, connue par presque toutes les poésies du monde de la Chine à l'Egypte ancienne et à la Grèce. Dans l'Occident médiéval, ce n'est pas toujours une chanson de femme, mais elle l'est souvent, en particulier dans ses plus anciens spécimens. Son sujet est la douloureuse séparation des amants au matin, après une nuit d'amour. Il pouvait aisément s'intégrer à l'univers courtois, puisqu'il suppose des amours clandestines. De fait, c'est le seul des genres lyriques non courtois en eux-mêmes à avoir connu un succès aussi grand, et peut-être plus grand, auprès des troubadours qu'auprès des trouvères. On le voit apparaître très tôt dans le lyrisme roman, puisque sa tonalité semble colorer le refrain de la mystérieuse « aube bilingue de Fleury ». Il inspire, au-delà du Moyen Age, la scène du balcon de Roméo et Juliette. Entre les deux, les chansons d'aube, qu'elles soient en langue d'oc ou en langue d'oïl, se partagent entre des pièces un peu raides, parfois de forme lyrico-narrative, où la voix féminine fait entendre sa plainte mélancolique, et d'autres, plus marquées par l'esprit courtois, plus complexes, placées souvent au carrefour d'autres genres lyriques, et faisant parfois une place au gaite, au veilleur qui signale aux amants l'approche du jour ou la menace du jaloux. Ce personnage, qui était dans la réalité à la fois un guetteur et un musicien, est prétexte à l'introduction dans la chanson de mélismes et de fantaisies musicales.

Bien que l'adaptation aux thèmes à la mode soit encore plus nette dans les genres que l'on va décrire maintenant, ces genres ont parfois été considérés comme révélateurs de sources folkloriques du lyrisme roman.



La reverdie



La reverdic, comme son nom le suggère, est l'extension à toute une chanson de la strophe printanière initiale des troubadours et des trouvères. Il n'est donc pas surprenant qu'elle revête dans les quelques exemplaires que nous en connaissons la forme d'un sous-genre courtois. Mais on a pu soutenir que la reverdie, qui survivrait à l'état de résidu dans la strophe printanière, pourrait être l'écho des célébrations du renouveau printanier qui, remontant au paganisme, ont survécu sous des formes atténuées presque jusqu'à nos jours. Au cours de ces fêtes, marquées par une certaine licence, les femmes pouvaient avoir, semble-t-il, l'initiative amoureuse. Un charmant poème connu sous le nom de Ballade de la reine d'avril pourrait en être un témoignage explicite. Mais il ne paraît pas être aussi ancien qu'il le paraît et il est curieusement composé dans une langue artificielle (langue d'oïl maquillée en langue d'oC), dont il n'offre d'ailleurs pas le seul exemple.



Les chansons de rencontre amoureuse : pastourelles et malmariées



Mais le genre de prédilection des trouvères, en dehors de la chanson courtoise et du jeu-parti, est la chanson de rencontre amoureuse, narrative et dialoguée. On en a conservé plusieurs centaines. Le poète y raconte comment, et avec quel succès, il a tenté de séduire une jeune personne, le plus souvent une dame mal satisfaite de son mari (chanson de malmariéE) ou une bergère (pastourellE). L'élégance apparente de la requête amoureuse offre un contraste piquant aussi bien avec la brutalité du désir qu'avec la rusticité de la bergère ; le mari est un vilain dont l'incapacité à remplir le devoir conjugal justifie l'infortune : tout est ainsi prétexte à un détournement burlesque et souvent obscène des règles de la courtoisie. A cela s'ajoute, dans les pastourelles, l'attrait qu'exerce la bergère, rencontrée au coin d'un bois ou sur la lande et chargée de tout l'érotisme diffus de la nature printanière au cour de laquelle elle vit et dont elle est comme l'émanation :



I.'autrier mi chevachoie L'autre jour je chevauchais

Pencis com sui sovent pensif, comme je le suis souvent,

Leiz un boix qui verdoie ; le long d'un bois verdoyant ;

Prés d'un preit Ions de gent au bord d'un pré solitaire

Trovai pastoure qui gardoit sa je trouvai une bergère qui gardait proie : son troupeau :

Kant je la vix, vers li tomai ma voie. à sa vue, je me dirigeai vers elle.



Les fantasmes de ces chansons s'organisent ainsi autour des motifs agrestes et printaniers dans une sorte d'esprit de revanche sexuelle : revanche de la malmariée sur son mari, de la jeune fille sur sa mère qui l'empêche d'aimer, du chevalier trousseur de bergères sur la dame courtoise qui le fait languir.



Les rondeaux à danser



La force de ces fantasmes apparaît de façon particulièrement saisissante dans les brefs rondeaux à danser, dérivant peut-être d'une forme strophique très ancienne (le « distique de carole » de schéma aaB). qui évoquent pêle-mêle tous les thèmes lyriques sous une forme allusive, fragmentaire, disloquée entre le couplet et le refrain qui, inachevé d'abord lui-même, vient l'interrompre avant de le conclure (aAabAB). C'est qu'ils savent bien quel lien secret unit leur apparente disparate : le pré et ses fleurs nouvelles, la jeune fille à la fontaine, la bergère et son troupeau, la malmariée et son jaloux, le mal d'amour et les gestes de la danse. Chacun d'eux condense en ses quelques vers le parfum ténu et troublant de cette poésie :



Main se leva la bien faite Acliz. Au matin s'est levée la bien faite

Aelis. - Par ci passe li bruns, li biaus Robins. - Par ici passe le brun, le beau Robin. Biau se para et plus biau se vesti. Elle s'est bien parée, s'est vêtue mieux encore. Marchiez la foille et ge qieudrai la Piétinez la feuille, moi je cueillerai la

. flor. Heur.

Par ci passe Robins li amorous, - Par ici passe Robin l'amoureux,

Encor en est li herbages plus douz- et voici que l'herbage en est plus doux.






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