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SONY LABOU TANSÏ - La vie et demie






«Le premier fusillé avait été l'évêquc kha Dominique Roshimanito, qui n'écoutait jamais la radio nationale et qui avait dit le mot «enfer» dans son sermon du jeudi matin.



On exécuta quatre cent soixante-douze prêtres et pasteurs et on tira sur la foule aux obsèques de l'évêque Dominique Roshimanito où les gens avaient chanté: Seigneur reviendras-tu, où le mot «enfer» revenait dans tous les couplets. La colère du guide Jean-Oscar-Coeur-dc-Père ravagea le pays au moment où les gens de Martial jetèrent dans son lit quatorze kilos de tracts où était écrit un seul mot: ENFER. Il ordonna que fussent jetés au feu, allumé pour la circonstance place des Bâtards, tout livre, tout document, tout bout de papier où serait écrit, en quelque langue que ce fût, le mot «enfer». C'est à cette époque que naquit le ministère de la Censure dont les véhicules formèrent des convois qui, à travers toute la Katamalanasic, convergeaient vers Yourma pour aller brûler l'enfer place des Bâtards. Le feu qu'on y construisit éclaira une bonne partie de la ville pauvre. Après le délai de deux mois accordé aux citoyens pour remettre les documents aux agents du ministère de la Censure, on apportait des sacs au feu de la place des Bâtards, des sacs qui gémissaient, criaient, insultaient, juraient, appelaient au secours. On avait brûlé des tonnes et des tonnes de livres, des millions de tonnes - des livres nationaux, étrangers, religieux, artistiques, scientifiques. On brûla monuments et ouvres d'art. Au fond, les censeurs n'ayant pas le temps de tout lire (certains fonctionnaires du ministère de la Censure ne savaient pas lirE), ils brûlaient tout ce qui leur tombait sous les yeux. C'était la première grande guerre de la Katamalanasie, avant celle où Jean Calcium, fils de Jean-sans-Cour de la série C, apporta ces mouches dont la piqûre était mortelle pour les hommes, pour les bêtes, pour les plantes.



La guerre contre le livre dura neuf ans, neuf mois et onze jours.»



(Paris, Seuil, 1979, p. 133-134)



Né le 5 juillet 1945 à Kinshasa (ou KimwanzA), Zaïre, Marcel Sony (qui choisit le pseudonyme Sony Labou Tansi en hommage à Tchicaya U Tam'si, lors de la publication de son premier roman en 1979) est un écrivain «congolo-congolais, c'est-à-dire d'un père zaïrois (République Démocratique du Congo - ZaïrE) et d'une mère congolaise (République populaire du CongO). Il apprend le français à l'école et, à partir de 1971, enseigne le français et l'anglais à Kindamba, puis à Pointe-Noire (Congo-BrazzavillE).

Nourrissant une véritable passion pour la scène, il fonde sa propre troupe, le Rocado Zulu Théâtre, Brazzaville, pour laquelle il écrit des pièces jouées non seulement dans son pays, mais aussi en Allemagne, en Italie, aux Etats-Unis. Ses pièces mettent en scène rêves et cauchemars; l'auteur invente un «théâtre de la peur» qui puisse faire sortir de la léthargie, de l'esclavage, de la peur, son peuple, et un langage qui emprunte au français populaire africain. Il obtient le Prix Ibsen en 1988 pour son activité de dramaturge.

Il a vécu au Congo-Brazzaville, il a été élu député de Makélékélé (1992), mais a été radié de la fonction publique en 1994.

Il meurt (de sidA) le 14 juin 1995 (deux semaines après sa femme PierrettE).

Depuis 2003, on décerne le Prix Sony Labou Tansi à des pièces de théâtre francophones.



Ouvre



Romans



- La vie et demie (1979)

- La Parenthèse de sang (1981) -L'État honteux (1981)

- L'anté-peuple (1983) (Grand Prix Littéraire de l'Afrique NoirE)

- Les Sept solitudes de Lorsa Lopez (1985) (Palme de la FrancophoniE)



- Les yeux du volcan ( 1988)

- Le coup de vieux (1988)

- Le commencement des douleurs (1995)

- L'Autre Monde, Revue noire (1997)



Théâtre



- Conscience du tracteur ( 1979)

- Je soussigné cardiaque (1981 )

- Moi, veuve de l'empire (1987)

- Qui a mangé madame d'Avoine Bergotha ? (1989)

- La Résurrection rouge et blanche de Roméo et

Juliette (1990)

- Une chouette petite vie bien osée (1992)

- Théâtre complet (2 vol.) (1995)

- Antoine m'a vendu son destin ( 1997)



Poésie



- Poèmes et vents lisses (1995)



Dans ses romans, il orchestre les mythes, joue sur les mots, en criant son désarroi devant le sort de l'Afrique. La vie et demie dresse un portrait sombre, hallucinant du «malaise de la société contemporaine» (J. ChevrieR), ce monde violent et qui perd ses valeurs traditionnelles et sur lequel règne un «guide providentiel» aux mains couvertes de sang matant une population terrorisée. La disparition ou l'élimination d'un tyran n'est pas une libération, puisqu'il lui succède d'autres guides providentiels «dont la chronologie égrenée selon un calendrier des plus fantaisistes aboutit au sentiment d'a-historicité.» (J. ChevrieR) En outre, le tyran du pays (imaginairE) de Katalamanasic devient omniprésent parce que reproduit en de nombreux exemplaires, scène orgiaque «radio-diffuséc et télévisée malgré l'intervention du pape, de l'O.N.U. et d'un bon nombre de pays amis de Kawangotara» (Une vie et demiE), répété pendant les quarante ans que dura le règne de Jean-Cour-de-Pierrc, le bien-nommé.



La prolifération et la dissémination font naître un sentiment mêlé d'absurde, de dérision et d'irréalité, renforcé par des cauchemars récurrents et des séquences délirantes. À noter que l'auteur même dit, dans l'Avertissement du roman, qu'il a voulu écrire une «fable» qui «voit demain avec des yeux d'aujourd'hui»: «La vie et Demie, ça s'appelle écrire par étourderie. Oui. Moi qui vous parle de l'absurdité de l'absurde, moi qui inaugure l'absurdité du désespoir - d'où voulez-vous que je parle sinon du dehors ? À une époque où l'homme est plus que jamais résolu à tuer la vie, comment voulez-vous que je parle sinon en chair-mots-de-passe ?». «J'écris pour qu'il fasse peur en moi.» «Ce livre se passe entièrement en moi.» (p. 9-10).

Sony Labou Tansi définit jusqu'à son style (lors d'une table ronde à Lomé, en juillet 1982): «Je fais éclater les mots pour exprimer ma tropicalité: écrire mon livre me demandait d'inventer un lexique des noms capables par leur sonorité de rendre la situation tropicale».



Commentaire suivi



Le fragment s'ouvre sur un aspect tragique de la tyrannie qui se voit menacer par la parole, par le livre écrit et qui réagit par la répression sanglante, insensée et absurde. Et ce n'est que le prélude annonciateur des malheurs à venir (Le premier fusillé): on fusille l'évêquc (homme vertueux sinon sainT), d'ethnie kha, Dominique Roshimanito. Crime commis ? 11 avait osé prononcer un mot interdit par les autorités: «enfer», dans son sermon du jeudi matin ! Faible excuse que de n'avoir jamais écouté la radio nationale (autre crime, d'ailleurS) qui le faisait savoir à tous. Les conséquences vont toucher quatre cent soixante-douze autres prêtres et pasteurs (toutes religions confondueS), arbitrairement et absurdement exécutés. La marée montante du sang est augmentée par celui des masses qui, aux obsèques de l'évêque, avaient chante l'hymne Seigneur reviendras-tu qui contenait le mot «enfer» dans tous les couplets, et sur lesquelles on ouvre le feu.



Mais le peuple ne se laisse pas intimider pour autant, ce qui suscite la colère du guide Jean-Oscar-Cour-de-Père, lorsque les gens de Martial remplissent son lit de quatorze kilos de tracts, (manifesteS) où il n'y avait d'écrit qu'un mot: «ENFER». Martial, père de Chaïdana, subit un véritable martyre, d'une cruauté inimaginable, sous les yeux de sa famille («les quatre loques-filles, les trois loques-fils et la loque-mère»), tandis que, entre les coups de couteau, les coups de revolver, le guide continue à manger tranquillement. Martial s'est transformé en martyr et en symbole et il a fait des adeptes parmi les résistants.

Le tyran fait jeter au feu les manifestes sur la place publique (sardoniquement nommée place des BâtardS). Mais non seulement les tracts, il fallait faire disparaître tout document, tout livre, tout bout de papier où serait écrit, indifféremment de la langue, le mot «enfer».



Les «événements» appellent les moyens. C'est à cette époque que l'on invente le ministère de la Censure qui a pour but, avec ses convois de véhicules à travers tout le pays (toute la KatamalanasiE) de converger vers Yourma (la capitalE) pour aller brûler l'enfer place des Bâtards. Certes, ce serait comique si ce n'était si absurde, si insensé. Le jeu de mots de l'auteur (brider l'enfer, quand on brûle aux enferS) est particulièrement réussi et adéquat. Le feu allumé est immense: une bonne partie de la ville pauvre est éclairée (qui ne l'était pas autrement - sous entendu subtiL).

Un délai généreux (!) de deux mois est accordé aux citoyens pour remettre les documents aux agents du ministère de la Censure. Les sacs sont sacrifiés tout en prenant vie et en se conduisant comme les êtres humains en détresse: certains gémissaient, d'autres criaient, insultaient, juraient ou d'autres encore appelaient au secours, en manifestant qui leur détresse, qui leur révolte, qui l'appel à l'aide. On a brûlé une quantité inimaginable de livres (des tonnes et des tonnes, des millions de tonneS) de provenances confondues (livres nationaux, étrangerS), de tous les domaines (livres religieux, artistiques, scientifiqueS). Le feu s'étend aux objets d'art aussi (monuments et ouvres d'arT). Pourquoi tout cela ? Explication simple: les censeurs n'ont pas le temps de tout lire ou bien ils sont analphabètes (certains fonctionnaires du ministère de la Censure ne savaient pas lirE) car cela ne leur servait aucunement à obéir et à suivre les ordres du guide. Us agissent donc sans discrimination et sans discernement (/7s brûlaient tout ce qui leur tombait sous les yeuX).

Le phénomène prend l'ampleur d'une guerre, la première grande guerre du pays (n'est-ce pas magnifique «de s'élever au rang des grands pays, ne fût-ce que par cet aspect ?»). Elle sera suivie par une autre, comme l'annonce l'auteur en envisageant une décimation effrayante sous Jean Calcium, fils de Jean-sans-Cour de la série C, qui va apporter, au pays, des mouches à la piqûre mortelle pour tout ce qui, dans la conception animiste, est vivant: hommes, bêtes, plantes. Mais cette guerre présente, la guerre contre le livre dura, dans une optique rabelaisienne, neuf ans, neuf mois et onze jours.

On ne peut, non plus, ne pas faire le rapprochement avec le célèbre roman Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, car cette scène (comme le roman cité), illustre le pouvoir de la parole et les extrêmes auxquels on se livre pour l'étouffer.



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