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ROMANCIERS HORS DES CHEMINS DU NATURALISME - Hugo : l'Histoire et la Légende






À son retour d'exil, Victor Hugo n'a pu jouer dans la vie politique française un rôle à la mesure de sa popularité. S'il ne se range pas du côté des Communards, il plaide bientôt pour leur amnistie. Eveillant la méfiance aussi bien à l'extrême gauche que chez les modérés, il préfère retrouver en août 1872, pour quelque temps, sa maison de Guemesey. De 1870 à 1878 paraissent Actes et paroles (« Avant l'exil », « Pendant l'exil », « Après l'exil ») qui donnent la mesure de son rôle de témoin et d'acteur au cours de la période qui va de 1841 aux débuts de la IIIe République. Choses vues, qui complète ce témoignage, ne paraîtra qu'en 1913.



C'est à Guemesey qu'il compose en dix mois son dernier roman. Quatre-vingt-treize (1874). La Commune lui a sans doute inspiré ce retour sur une période sanglante et grandiose de l'histoire de France, mais la guerre des Bleus et des Blancs ranime aussi en lui le souvenir de son père, officier républicain, et de sa mère, de famille royaliste; quant au bocage breton, qui sert de décor à l'action, il l'a visité jadis avec Juliette Drouet, dont c'est le pays. Quatre-vingt-treize, comme le suggère l'omission des deux premiers chiffres, est une année mythique, où les événements historiques sont contaminés par la légende. Qu'importe, la légende est, aux yeux de Hugo, aussi vraie que l'Histoire. La grandeur d'un combat suppose celle des combattants, et bien que les Bleus représentent les forces du progrès et les Blancs celles de l'obscurité et de la réaction, républicains et Vendéens sortent magnifiés du roman. Les personnages de fiction (Gauvain, Cimourdain, LantenaC) coexistent au sein du récit avec des personnages historiques (Robespierre, Danton, MaraT), mais alors que le roman historique selon Walter Scott mêlait, jusque dans les dialogues, les deux types de figures, la première partie (« En Mer ») et la troisième partie (« En Vendée ») de Quatre-vingt-treize sont dominées par les personnages de fiction, tandis que la deuxième (« À Paris ») ressemble davantage à une chronique, grandie par le style épique, de l'action de la Convention.

«Le romancier doit faire l'histoire des mours de son époque», lisait-on dès 1856 dans l'éphémère revue Réalisme. Les naturalistes excluent à plus forte raison de leur programme l'histoire du passé. Si Zola se réfère, dans les Rougon-Macquart, à un régime disparu, c'est que les événements l'ont pris au dépourvu, et quand La Débâcle met à sa fresque un point final obligé, il soumet le traitement de cette page d'histoire récente aux mêmes enquêtes que pour l'évocation d'un chemin de fer ou d'un grand magasin. On comprend que le récit légendaire de Quatre-vingt-treize lui apparaisse anachronique : « Le magnifique élan poétique, le lyrisme de Victor Hugo n'est plus lui-même qu'une musique superbe à côté des conquêtes viriles de Claude Bernard sur les mystères de la vie », écrit-il en 1879 dans une « Lettre à la jeunesse ».



Le «lyrisme» de Hugo se manifeste autrement. En 1877 a paru la seconde série de La Légende des siècles. Les poèmes qui la composent datent de l'exil, mais d'une écriture plus récente sont ceux de L'Art d'être grand-père (1872-1877) où, autant que les figures de l'enfant, célébré dans les pièces les plus connues du recueil, comptent les figures du pauvre et du faible. Lyrique, à sa manière, est aussi Histoire d'un crime. Le crime est celui que commit jadis Louis-Napoléon Bonaparte en supprimant la IIe République; publiée en 1877, cette ouvre est un acte de combat contre les menaces que le président Mac-Manon fait planer sur une IIIe République encore fragile. Hugo interrompt presque totalement son activité littéraire l'année suivante. Élu sénateur de la Seine en 1876, il ne joue qu'un rôle secondaire dans les affaires publiques, mais jusqu'à sa mort, le 22 mai 1885, et bien au-delà, il sera un symbole pour les défenseurs de la liberté et du progrès.



Flaubert à la poursuite de la bêtise humaine



« Je vois les mêmes gens, le reçois les mêmes visites. Mes fidèles du dimanche sont d'abord le grand Tourgueniev qui est plus gentil que jamais, Zola, Alphonse Daudet et Goncourt». écrit Flaubert à George Sand le 16 décembre 1875. Ce «groupe des cinq», comme on l'appelle, ou encore groupe des « auteurs siffles » (en raison de leurs échecs au théâtrE), se retrouve régulièrement depuis le début des années 1870. Les fréquentations de Flaubert, sa sympathie pour Zola (il sera enthousiasmé par NanA), ses relations (parfois difficiles, il est vraI) avec Charpentier (qui éditera Trois ConteS), l'ont situé aux yeux de certains dans la mouvance des écrivains naturalistes, d'autant que ceux-ci vouent un culte à L'Education sentimentale. Mais L'Éducation sentimentale n'est pas plus un roman «naturaliste» que Madame Bovary n'était un roman « réaliste ». Flaubert se moque bien des écoles : « Après les réalistes, nous avons les naturalistes et les impressionnistes - quel progrès! Tas de farceurs, qui veulent se faire accroire et nous faire accroire qu'ils ont découvert la Méditerranée ! » (à Tourgueniev, 8 décembre 1877). S'il vise, comme les naturalistes, à une écriture impersonnelle, ce n'est pas pour servir l'objectivité requise par la science, mais parce qu'en s'effaçant derrière ce qu'il écrit, l'écrivain approche au mieux l'idéal purement esthétique du style.

L'agitation du monde et les grands événements de la politique ont toujours eu pour effet de pousser Flaubert vers le travail et la solitude. La guerre de 1870 le ramène à La Tentation de saint Antoine, « l'ouvre de toute ma vie », écrit-il en 1872. La version qu'il en publie en 1874 a perdu de la spontanéité et du bouillonnement de celle de 1849. La première, montrant l'homme face aux abîmes de la nature et de son moi, était, suivant l'expression d'A. Thibaudet, une « colossale "fleur du mal" »; la version définitive est à la fois plus abstraite et plus dramatique. L'accueil de la critique sera plus réservé encore que pour L'Education sentimentale.



Pour se divertir de l'interminable Bouvard et Pécuchet, projeté dans les années 1860, commencé enfin en 1872, Flaubert écrit Trois Contes (1877). Dès 1856, il avait envisagé une «trilogie» qui comprendrait «du Moderne, du Moyen Age et de l'Antiquité ». Le Moderne est représenté par le premier conte, Un cour simple. « Le dessous humain de cette petite ouvre vous sera agréable », écrit-il dans sa dernière lettre à George Sand, comme s'il avait voulu échapper, en composant l'histoire de cette servante qui finira par s'attacher jusqu'à la passion à un perroquet, au reproche d'insensibilité qu'on lui avait si souvent adressé. La « simplicité » de la pauvre Félicité suscite moins de raillerie que la niaiserie évaporée d'Emma Bovary, y compris au moment de la vision finale où, à la faveur d'une focalisation du point de vue, nous communions avec l'élan mystique grâce auquel la servante devenue aveugle peut «voir» son perroquet empaillé transfiguré en Saint-Esprit. Le deuxième «conte», La Légende de saint Julien iHospitalier, transposition d'un vitrail de la cathédrale de Rouen, illustre le Moyen Age. Hérodias enfin, récit biblique dont la Salomé de Gustave Moreau signale la résonance à cette époque, illustre l'Antiquité. L'apparition du cerf à Julien, acceptée par la tradition de l'Église, valorise rétrospectivement la vision de Félicité; sa parole prophétique annonce celle de Iaokanann (saint Jean-BaptistE) dans le troisième conte. Au-delà de leur apparente diversité, les trois contes offrent trois images d'une même religion à trois époques différentes, mais surtout, composés en « trilogie », trois variations d'un style qui, sautant de la grisaille de Madame Bovary au «pourpre» de Salammbô, avait déjà signifié, de façon paradoxale, son unité profonde.

Aussitôt les Trois contes achevés, Flaubert retourne à Bouvard et Pécuchet. « Bouvard et Pécuchet m'emplissent à un tel point que je suis devenu eux ! Leur bêtise est mienne et j'en crève! » On n'en finit pas avec la bêtise : le roman restera inachevé. Il paraîtra quelques mois après la mort de Flaubert, en 1880. dans l'état où celui-ci l'avait laissé. L'ironie envers la religion catholique se voilait, dans les Trois contes, de l'ambiguïté du style. Pour s'en prendre à la religion de l'avenir, c'est-à-dire à la Science, appuyée sur la crédulité et la manie de l'érudition, Flaubert recourt au comique. Les deux copistes, héros de l'Histoire, prêtent à rire par leur gémellité autant que Don Quichotte et Sancho Pança par leur différence. Ainsi, après avoir exploré sans complaisance grâce aux figures d'Emma Bovary et de Frédéric Moreau sa propension au sentimentalisme, Flaubert a-t-il eu le courage d'explorer ce travers qu'il partageait peu ou prou avec ses contemporains : le goût de la compilation et l'illusion d'une science qui permettrait de tout comprendre.



Spiritualité et idéal : Barbey d'Aurevilly, Gobineau, Villiers de l'Isle-Adam



On peut bien hausser les épaules quand des bourgeois s'effarouchent à la lecture des Rougon-Macquart : les protestations de vrais artistes troublent davantage. Barbey d'Aurevilly est persuadé, en 1873, que le talent et les ouvres de Zola auront dans peu d'années «coulé» comme les fromages décrits dans Le Ventre de Paris. Deux ans plus tard, La Faute de l'abbé Mouret l'indigne davantage encore, car Zola, en « déshonorant » un prêtre, a voulu montrer « à quel degré de rachitisme intellectuel l'idée religieuse fait descendre la nature humaine»; L'Assommoir enfin, en 1877, n'« assomme » pas parce qu'il « éclabousse » : « Où pourrait-il bien aller encore et quelle marche d'infamies et de saletés resterait à descendre? La boue, ce n'est pas infini», conclut Barbey d'Aurevilly. On sait qu'avec La Terre, dix ans plus tard, Zola choquera même ses jeunes disciples.

. Barbey d'Aurevilly ne remue pas la boue : il explore le mal qui gît au fond de l'âme humaine. Les Diaboliques (1874), recueil de six nouvelles, donne la pleine mesure de son génie. Deux d'entre elles sont déjà connues du public : Le Dessous de cartes d'une partie de whist (d'abord intitulé Ricochets de conversatioN), publiée dans La Mode en 1850, et Le Plus bel amour de Don Juan. publiée dans La Situation en 1867. Cinq, au total, présentent des « ricochets de conversation », expression à laquelle Barbey d'Aurevilly songea même comme titre général du recueil : comme dans L'Ensorcelée et Le Chevalier Des Touches, un récit y est enchâssé à l'intérieur du premier récit; seule La Vengeance d'une femme, probablement composée la dernière, ne répond pas à ce principe. On devine que les « diaboliques » sont les six femmes qui, dans chaque nouvelle, incarnent le Mal, tout autant que Jeanne, héroïne de L'Ensorcelée; mais dans Le Bonheur dans le crime, par exemple, Hauteclaire trouve un partenaire à la hauteur de son caractère. Le début de La Vengeance d'une femme est une charge contre la littérature moderne, pâle reflet des noirceurs de notre société : « L'extrêrhe civilisation enlève au crime son effroyable poésie et ne permet pas à l'écrivain de la lui restituer. » La société «civilisée » va se venger en intentant à Barbey d'Aurevilly un procès. Quoiqu'il bénéficie d'un non-lieu, Barbey d'Aurevilly voit les exemplaires des Diaboliques détruits après saisie et le recueil ne sera réédité qu'en 1882.

Cette même année. Une histoire sans nom reçoit un accueil favorable auprès du public. Avec ce court roman, Barbey d'Aurevilly avait pourtant de quoi choquer les catholiques bien-pensants, plus encore que Zola ne l'avait fait avec La Faute de l'abbé Mouret : la jeune héroïne Lasthénie, violée par un prêtre en état de somnambulisme, se heurte à l'incompréhension de sa mère, « farouche janséniste », qui la pousse au suicide. La publication de Ce qui ne meurt pas, en 1883. met un terme à la carrière de romancier de Barbey d'Aurevilly; mais ce dernier roman avait été écrit pour l'essentiel vers 1835, époque où Barbey d'Aurevilly envisageait de le présenter comme une ouvre « spiritualisie », où les faits extérieurs seraient subordonnés au «développement des passions et des caractères».



Dans sa « Lettre à la jeunesse » de 1879, Zola veut donner à ses lecteurs « la méfiance des culbutes dans le bleu ». Cela vaut toujours mieux que de les faire « dans la boue », lui répliquera Gobineau.



. De ses missions diplomatiques en Grèce et à Terre-Neuve, Gobineau a rapporté un recueil de trois nouvelles, Souvenirs de voyage (1872). La seconde d'entre elles, Akrivie Phrangopoulo, transpose sur le mode romanesque la vive affection que lui inspira une jeune Athénienne et réinvente assez exactement les phases de ce phénomène que Stendhal avait nommé la « cristallisation » ; la troisième, La Chasse au caribou, raconte avec humour les mésaventures d'un dandy parisien égaré au milieu de la société simple et parfois brutale des Terre-Neuvains. Les Nouvelles asiatiques (1876) donneront une image amusante et désenchantée des mours et des mentalités que Gobineau avait observées en Perse; on le trouve, dans La Guerre des Turcomans ou VHistoire de Gambèr-Aly, presque l'égal du Voltaire de Candide. Une autre nouvelle, Adélaïde, peut-être primitivement destinée aux Souvenirs de voyage, ne paraîtra qu'après sa mort; elle sera souvent réunie par les éditeurs avec Mademoiselle Irnois, que Gobineau avait publiée en revue en 1847. Ces deux courts récits décrivent ce qu'on pourrait nommer la «passion infirme». Emmelina Irnois, disgraciée de corps et d'esprit, n'est qu'amour; elle en mourra. Adélaïde n'a d'autre passion que la fureur des combats, mais il lui manque les vertus du cour; elle sera, passés les élans de la jeunesse, condamnée à vivoter.



Le pouvoir de l'amour est mieux encore illustré dans Les Pléiades (1874), roman que Gobineau entreprit comme un pamphlet contre les «brutes», les «drôles » et les « imbéciles » sous l'influence de la Commune, et dont il laissa dériver l'inspiration sous l'influence de la passion toute platonique qu'il éprouva pour la comtesse de La Tour, épouse du ministre d'Italie à Stockholm, où lui-même avait été nommé. Du pamphlet initial étaient exceptés quelques individus d'élite, baptisés «Pléiades». À l'exception du Parisien Laudon, que son incurable méfiance envers les sentiments voue à la science, chaque « Pléiade » atteindra la vérité en trouvant, après bien des errances, le chemin de son cour. Leur détachement par rapport aux réalités de l'époque et la vertu tout idéale de leurs sentiments font des héros de Gobineau l'antithèse des personnages du « roman expérimental ». Leur goût pour les dissertations amoureuses transforme le roman, selon Barbey d'Aurevilly, en une « bergerie » à la manière de L'Astrée, d'Honoré d'Urfé. Mais les jeux de cache-cache du narrateur avec ses personnages, l'art avec lequel il croise et décroise les intrigues, donnent aussi aux Pléiades une singulière modernité.



. Auguste de Villiers de l'Isle-Adam (1838-1889) compte parmi les auteurs favoris de des Esseintes. le héros d'A rebours; autant dire que son ouvre n'est pas faite pour le grand public. Breton de naissance, Villiers de ITsle-Adam s'est installé à Paris en 1859, y a rencontré Baudelaire (pour qui il gardera une immense admiratioN) et fréquenté les milieux littéraires, en particulier les poètes qu'on appellera plus tard les Parnassiens. De 1864 date sa rencontre décisive avec Mallarmé. Il ébauche dans Isis, dès 1862, la plupart des thèmes majeurs de son ouvre. Les Contes cruels (1883) lui donnent sa première notoriété. Avec des effets de langue insolites, aux limites parfois de l'afféterie, une écriture en apparence impassible qui trahit des fantasmes, Villiers pratique ce qu'on a nommé un «réalisme fantastique». Parmi les vingt-huit contes, le réalisme s'aperçoit au premier degré dans le conte d'ouverture du recueil, Les Demoiselles de Bienfilâtre; mais comme chez Baudelaire, l'écriture démasque l'insolite des scènes de la vie quotidienne. Véra illustre le «mystérieux pouvoir» de l'Amour, «plus fort que la Mort», avec des accents proches de ceux d'Edgar Poe. L'Annonciateur clôt le recueil dans un style parnassien un peu appliqué, qui vaudra pourtant à Villiers de l'Isle-Adam ce compliment de Mallarmé : « Et cet Annonciateur qui me fait tant rêver pour savoir si ce n'est pas le plus beau morceau littéraire dont je garde la mémoire... »



L'Eve future, roman ébauché dès 1877, paraîtra après mille difficultés en 1886. Dans un des «contes cruels», l'allusion à «L'Eve nouvelle, machine électro-humaine (presque une bête!...), offrant le clichage du premier amour. - par l'étonnant Thomas Alva Edison, l'ingénieur américain, le Pape du Phonographe » préfigure le roman. Mais, conçue au départ comme une fantaisie satirique sur les ambitions de la science moderne, L'Eve future changera de signification en cours de genèse jusqu'à illustrer avec la figure d'Hadaly (qui fait songer à l'Olympia des Contes de HoffmanN) un être idéal, qui concrétise mieux que l'Eve de l'Ancien Testament le rêve de l'homme. Quant aux sottises de la science qui avaient déjà fait les délices de Henri Monnier avec son personnage de Joseph Prudhomme et de Flaubert avec Homais, ou Bouvard et Pécuchet, Villiers les raille dans Tribulat Bonhomet (1887). Bonhomet, dont le nom rappelle celui du pharmacien de Madame Bovary, figure pour Villiers le « tueur de cygnes », qui n'entend rien à la poésie ni à la musique de Wagner. L'exergue du livre le suggère : son nom est « Légion ». Ses pareils composent cette foule que vitupéraient les « pléiades » au début du roman de Gobineau et qui conduit à faire retraite des esprits comme des Esseintes.



Le roman psychologique



À l'occasion d'une réimpression du Rouge et le Noir en 1884, Paul Bourget rappelle que «l'école dite assez improprement réaliste ou naturaliste, laquelle devrait s'appeler plus justement l'école de l'observation», a revendiqué Stendhal comme un père. Encore faudrait-il distinguer dans cette école les romanciers de mours, comme Flaubert, et les romanciers de caractères, comme Stendhal. Décrivant un milieu social, les premiers cherchent « l'effacement et la moyenne», les seconds «la saillie et l'exception». Le «désir de donner à l'ouvre un appareil scientifique» explique que le roman de mours se soit imposé durant la deuxième moitié du XIXe siècle. L'évolution de la langue française, « enrichie de termes pittoresques, souple et compliquée », a encouragé, en outre, les romanciers à mieux rendre les choses visibles. Mais en tenant compte de l'enseignement de Taine, qui a montré que « l'imagination diffère d'homme à homme, non point seulement par l'intensité, mais par le genre», les romanciers d'aujourd'hui devraient pouvoir renouer avec ce roman de caractères dont Stendhal a donné un magistral exemple.



. Recueillie dans le premier tome d'Etudes et portraits, cette étude de Paul Bourget jette les hases de ce qu'on nommera le «roman psychologique», illustré en premier lieu par Paul Bourget lui-même dans Cruelle énigme (1885), Crimes d'amour (1886), André Cornélis (1887) et surtout Le Disciple (1889), roman qui eut un grand retentissement. Adrien Sixte y professe le positivisme et le déterminisme le plus étroit; son disciple Robert Greslou choisit, afin de vérifier ses théories, une jeune fille qu'il pousse à l'aimer, avant de s'en éprendre lui-même; ce jeu conduira la malheureuse victime au suicide. Posant le problème de la responsabilité du maître, Paul Bourget amorce avec Le Disciple le tournant qu'il accomplira à la fin du siècle en s'engageant dans le roman à thèse, qu'il préfère lui-même appeler le « roman à idées ». En l'occurrence, ces idées sont celles d'un monarchiste antidreyfusard et, après sa conversion, d'un catholique intransigeant.

À en croire le Journal d'Edmond de Goncourt. Alphonse Daudet déplorait vers 1887 la «ponte de romans psychologiques dont les auteurs, à l'instar de Stendhal, voulaient écrire non ce que faisaient les héros de romans, mais ce qu'ils pensaient », ajoutant que ces psychologues « étaient plus faits pour les descriptions de l'extériorité que des phénomènes intérieurs, que, par leur éducation littéraire de l'heure présente, ils étaient capables de décrire très bien un geste et assez mal un mouvement de l'âme». Mais les héros de Stendhal agissent, plus que ceux de Flaubert par exemple. En outre, ils sont issus de toutes les classes de la société, tandis que Paul Bourget borne sa curiosité à l'analyse des privilégiés de la naissance et de la fortune (les représentants de la high life, comme le fait observer déjà à son époque Gustave LansoN). Enfin, la critique du XXe siècle reprochera surtout au roman psychologique de reposer sur une conception préétablie de l'individu, qu'on pourrait disséquer afin d'en déduire presque mécaniquement sa conduite, et qui nuit à la profondeur, à l'ambiguïté, donc à l'effet de réel des personnages. On sait combien, à l'inverse, les réactions de Julien Sorel ou de Fabrice del Dongo demeurent imprévisibles jusqu'aux dernières pages du Rouge et le Noir ou de La Chartreuse... Encore que Paul Bourget n'ait pas, loin s'en faut, méconnu le rôle de l'inconscient dans l'analyse psychologique, les conquêtes de la psychanalyse achèveront de discréditer toute interprétation trop directe des pensées et des gestes. L'influence du behaviorisme (psychologie du comportemenT), puis du cinéma sur les romanciers contribuera également à donner une coloration péjorative à la notion de « roman psychologique ».



. Aussi accorde-t-on une plus grande modernité à un roman aussi modeste que Les Lauriers sont coupés (1887), d'Edouard Dujardin (1861-1949), envers qui James Joyce, au moment d'écrire Ulysse, reconnaîtra sa dette. Réduit à un monologue intérieur, le récit évacue chez Dujardin toute intervention du narrateur; le flux de conscience (à vrai dire maigreleT) du héros des Lauriers, donne l'illusion que la durée de l'histoire coïncide avec celle du lecteur; plus étoffé et moins asservi aux données d'une intrigue, ce procédé s'épanouira dans la conscience narrative ambiguë qui caractérise souvent les productions de l'école du « nouveau roman ».



Situation du roman à la fin du siècle



Au lendemain du naturalisme, le roman français est en crise (voir Michel Raimond, La Crise du roman. Des lendemains du naturalisme aux années vingT). «Crise» ne signifie pas forcément appauvrissement. Au contraire, le déclin ou la remise en cause de théories triomphantes ouvrent souvent des voies nouvelles. Mais le mouvement de la décadence et le symbolisme, qui s'affirment entre 1884 et 1886 en réaction contre le naturalisme, témoignent d'un intérêt pour le mystère du moi intime qui ne trouve dans le roman qu'un champ restreint d'application. A rebours, de Huysmans, reflète assez fidèlement l'esprit décadent; mais des Esseintes est, par sa bizarrerie de caractère, si bien isolé du monde que l'ouvre se situe aux franges du genre romanesque. Remy de Gour-mont publie en 1890 avec Sixtine, «roman de la vie cérébrale», ce qu'il est convenu d'appeler un roman symboliste: Entragues («un des Esseintes amoureux », écrit alors un critiquE) y ressemble plus encore à son auteur que le héros de Huysmans. Amateur d'art, il tombe amoureux d'une belle veuve, Sixtine, mais leurs réticences mutuelles devant un sentiment pourtant authentique les conduiront à la rupture et rendront à jamais Entragues à sa «vie cérébrale » et à la solitude. En décelant chez Remy de Gourmont « quelque chose d'un moine ardent et claustré», Paul Léautaud suggère ses affinités avec Huysmans; mais sans doute faut-il, pour être pleinement romancier, témoigner d'un goût un peu complaisant pour la comédie du monde.



On soupçonnera aussi Maurice Barrés (1862-1923) d'être trop solipsiste pour pouvoir créer une ouvre puissamment romanesque. Sous l'oil des Barbares (1887), Un homme libre (1889) et Le Jardin de Bérénice (1891) composent la trilogie du Culte du moi. Préfaçant en 1904 une réédition d'Un homme libre. Barrés expliquera qu'un pareil « petit livre d'analyse » ait été incompréhensible à une génération qui « prenait la grossièreté pour de la force, l'obscénité pour de la passion». Aussi incompris et méprisant que des Esseintes au fond de sa retraite, Barrés trouve bientôt, à l'époque où il s'engage contre Dreyfus, un aliment nouveau à son inspiration. Il compose alors la trilogie du Roman de l'énergie nationale : Les Déracinés (1897), L'Appel au soldat (1900), Leurs figures (1902), romans à thèse frappés du défaut qui grève ce type d'ouvrages : la présence centrale d'un « personnage » qui n'est plus, comme chez Huysmans ou Remy de Gourmont, le double de l'artiste, mais le porte-parole d'idées qu'un manifeste soutiendrait aussi bien. Verra-t-on en Octave Mirbeau (1848-1917), qui débute par la critique d'art, un disciple lointain des naturalistes? Sans doute ce moraliste anarchisant devenu dreyfusard dénonce-t-il, en particulier dans Journal d'une femme de chambre (1900), les turpitudes de la société, mais son ouvre majeure, Le Jardin des supplices (1899), au-delà du pamphlet social contre les fonctionnaires de l'ordre de toute espèce, s'apprécie comme de « monotones fleurs d'angoisse et de mortelle volupté » (selon un chroniqueur de l'époquE), issues de l'imagination d'un admirateur de Baudelaire. Les naturalistes ont exploré les recoins d'une société proche de celle des lecteurs auxquels ils s'adressaient. Parce qu'il apparaît - de façon réductrice sans doute - comme un écrivain «exotique», Pierre Loti (1850-1923) s'éloigne plus franchement encore que Mirbeau des chemins du « roman expérimental ». Il se fait connaître par Aziyadé (1879) qu'on qualifiera à peine de roman puisque le narrateur s'y nomme Loti, mais la ravissante esclave circassienne dont il tombe amoureux est bien le fruit d'une transposition. Pêcheur d'Islande (1886), Madame Chrysanthème (1887), qui bénéficient de la vogue que connaît l'Extrême-Orient et singulièrement le Japon, sont salués par un vaste public pour leurs vertus de dépaysement.



Jules Verne (1828-1905) offre des voyages encore plus merveilleux à ses lecteurs. Le Magasin d'éducation et de récréation continue d'accueillir de lui, au cours de ces années, des récits où on verrait facilement un prolongement d'une idéologie scientiste (le désir de tout expliquer des mystères du mondE), mais qui font surtout leur part au rêve : Le Tour du monde en quatre-vingts jours (1872), L'île mystérieuse (1874), Les Cinq Cents Millions de la Bégum (1879), L'École des Robinsons (1882), César Cascabel (1890), Le Sphynx des glaces (1897), Le Superbe Orénoque (1898)... C'est à Edgar Poe, auquel il a consacré un article en 1864, plus qu'aux esprits scientifiques de son époque que s'apparente l'univers romanesque de Jules Verne, et à une tradition littéraire des voyages extraordinaires, dans la lune en particulier, plus qu'à la science-fiction qui deviendra florissante au siècle suivant.



Anatole France, critique littéraire qui connaît son premier succès romanesque avec Le Crime de Sylvestre Bonnard ( 1881 ) donne en cette période de « crise » la meilleure idée de la permanence d'une certaine tradition. Le Livre de mon ami (1885), Thaïs (1890), roman historique, La Rôtisserie de la reine Pédauque (1893), Le Lys rouge (1894), L'Orme du mail (1897) jalonnent le début d'une carrière prolifique. Ce disciple de Voltaire, défenseur de la raison et des vertus de tolérance, a trouvé, grâce à son respect du classicisme de la langue, des partisans jusque chez ses adversaires politiques. « On ne sait plus écrire depuis la fin du xvme siècle » : ainsi Proust résume-t-il sa pensée, en se demandant si le contraire ne serait pas aussi vrai. Lui-même, après avoir fait ses gammes avec le recueil Les Plaisirs et les Jours ( 1896), préfacé par Anatole France, va se lancer dans un ambitieux roman, une autobiographie fictive, qu'il abandonnera vers 1900 (et qui ne sera publiée qu'après sa mort sous le nom de son personnage principal : Jean SanteuiL). Il reprendra ce roman sous une forme un peu différente huit ans plus tard et l'appellera À la recherche du temps perdu. Dans la Recherche, Anatole France sera le premier modèle de Bergotte, personnage de l'écrivain unanimement reconnu et qu'admire le narrateur jusqu'à l'adolescence, avant de s'apercevoir que son art appartient au passé.








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