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RAISON ARDENTE ET MYSTÈRE EN FLEUR






On a souvent dit que le XIXe siècle n'avait pris fin qu'en 1914, tant Û est vrai que, jusqu'à la première guerre mondiale, les façons de penser et d'agir étaient restées sensiblement les mêmes. Bien avant 1900, pourtant, la poésie commence d'élaborer dans un creuset aux contours assez flous une « nouveauté » qui attendra l'après-guerre pour se radicaliser.



Alfred Jarry (1873-1907), qui donnait fortement dans le Symbolisme avec Les Minutes de sable mémorial (1894), y introduisait une surenchère burlesque à laquelle, dès 1896, avec son Ubu-Roi qui déclencha une bagarre plus violente encore que celle d'Hernani, il allait exclusivement sacrifier, jusqu'à faire de sa vie une permanente dérision. Que ce soit dans les Gestes et opinions du D1 Faus-troll, pataphysicien (1898) ou dans ses romans extravagants, notamment Le Surmâle (1902), Jarry va aussi loin que les futurs dadaïstes et surréalistes dans la remise en cause des structures du langage et de la société.





Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz (1877-1939), symboliste à ses débuts - Le Poème des décadences (1899) - allait, dès 1906, dans Les Sept Solitudes, puis dans Les Eléments (1911), se révéler comme un très haut poète hanté par des visions venues à lui du fond de l'histoire ou de la légende et s'engager dans une sorte de spéculation poético-métaphysique qui lui permettrait, dans L'Epître à Storge (1914), d'enfermer « par une coïncidence assez troublante, toutes les conclusions d'ordre général tirées de la théorie einsteinienne » et, dans le Cantique de la connaissance (1922) de :



Parler, selon la mesure imposée par le compagnon de

[service.

De la connaissance perdue de l'or et du sang.



S'il y a « symbobsme » chez Milosz, c'est d'un symbolisme au plein sens du mot qu'il s'agit. Nourri de kabbale et de toutes traditions occultes, Milosz, revenu au catholicisme par les voies sombres du donjuanisme, se sépare de Mallarmé, de qui la méthode « symphoniste » ne lui a pas été étrangère, en ceci que, relevant le « vieux plumage terrassé, Dieu » auquel Mallarmé entendait substituer un « livre », il s'agenouille devant lui, pour reconstituer « le langage pur des temps de la fidélité et de la connaissance ».

Pareillement imprégné de symbolisme à ses débuts, Francis Jammes (1868-1938) volera moins haut que Milosz. Apparu, comme dit Samain, « en pleine surchauffe intellectuelle », l'auteur d'Un jour (1895) et du Deuil des primevères (1901) rafraîchit la poésie dans les eaux vives de son terroir pyrénéen, l'assouplit et la rend accessible en désarticulant le vers et en prenant un ton pédestre, enfin lui donne un parfum à la fois exotique et suranné en peignant des héroïnes, d'aujourd'hui ou d'autrefois, dont les noms - Clara d'Ellébeuse, Guadalupe de Alcaraz - sont déjà un enchantement :



Toute la journée, elle mange du chocolat

Ou bien elle se dispute avec sa perruche.



Rafraîchissement, assouplissement, élargissement seront aussi le fait de Paul Fort (1872-1960), beaucoup trop naturel et verveux pour s'entêter longtemps de fumées symbolistes. Dès 1894, il entreprend, dans une prose en vérité constituée de vers rimes ou assonances qui épousent la prononciation courante, une ouvre de ton populaire, Les Ballades françaises, qui ne comptera pas moins de trente volumes, où il chante, en se débraillant malheureusement de plus en plus, les provinces, les métiers, la nature, l'amour et la patrie. Une de ces ballades, au moins, restera célèbre :



Si tout's les fill's du inonde voulaient s'donner la main... et l'on ne peut douter que ce lyrisme sans emphase, renouvelé de la geste anonyme du peuple, ait influencé Apollinaire, puis Robert Desnos, Maurice Fombeure, Pierre Béarn, René Guy Cadou.



Rien de neuf, dans le même temps, chez la pétulante Anna de Noailles (1876-1933) qui, aux antipodes des heureuses vulgarisations poétiques de Paul Fort, joue les ménades inspirées dans Le Cour innombrable et Les Eblouissements ; chez Edmond Rostand (1868-1918) que rend célèbre son cocardier théâtre en vers ; encore moins chez Fernand Gregh (1873-1960), qui accumule les prosopopées humanitaires dans le sillage de Hugo, on chez Wilfrid Lucas (1882), auteur d'un interminable cycle « épique, mariai et visionnaire ». Si talentueuses et sincères qu'elles soient, on ne peut dire non plus bien neuves les ouvres de Catherine Pozzi (1882-1934) - une Louise Labé quelque peu rilkéenne ; de Vincent Muselli (1879-1956) dont les meilleurs Sonnets moraux pourraient être de Baudelaire ; enfin de Marie Noël (1883-1967) qui, dans Les Chansons et Us heures., égale Verlaine, et même Villon, dans l'expression de sa ferveur religieuse.



Un apport considérable et décisif est à chercher en revanche chez des poètes aussi dissemblables que Paul Claudel (1868-1955) et Paul Valéry (1871-1945). Le premier, recevant en plein cour, à dix-huit ans, l'illumination rimbaldienne et celle de la foi chrétienne, s'engage dans la quête d'un surnaturel qu'il discerne dans la nature même. Le vers régulier et le style didactique, auxquels il se conforme tout d'abord, paralysent son tempérament terrien, sa respiration profonde, et il les rejette pour créer à son usage une langue « pleine de sang, de souplesse et de poids » (Claude RoY), calquée sur la syntaxe de la nature, qui fait, en juin, « la verdure d'un érable combler l'accord proposé par un pin ». Cette langue, c'est un verset, ample et ramifié, à la fois pédestre et cérémoniel, dont Claudel explique la nécessité pour lui dans son Art poétique, en 1907, mais qu'il a utilisé, bien avant 1900, dans Tête à'Or et dans La Ville. Manuel de Diéguez a fort bien défini l'ouvre que Claudel va poursuivre avec Cinq Grandes Odes (1911), Corona benignatatis anni Dei (1915), Feuilles de saints (1925) et ses grands drames, éminemment poétiques, dont L'Annonce faite à Marie et Le Soulier de Satin seront les plus célèbres :



« Ici, un verbe immense assemble toutes choses dans le cirque du temps et entreprend un règne sans mesure sur la mort... Bossuet avait écrit un Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même. Claudel écrit un Traité de la connaissance du monde et de soi-même. »



La référence spirituelle et stylistique à Bossuet est heureuse mais n'explique pas le mouvement panique d'un poète de Dieu qui ne peut mieux s'exprimer que lorsque « ses entrailles se dilatent » et qu'il se grise de mots sensuels, ardents, lourds de provocantes propositions à ajouter à « l'immense octave de la création ». Claudel s'explique heureusement lui-même sur ce caractère démiurgique de sa poésie :



Ainsi quand tu parles, ô poète, dans une énumération

[délectable, proférant de chaque chose le nom.

Comme un père tu l'appelles mystérieusement dans son

[principe et selon que jadis Tu participas à sa création...



Le poète est donc à la fois la main-d'ouvre, le révélateur et le scribe de Dieu. On n'est pas tellement éloigné de la conception mystique et magique que Hugo se faisait du poète. Non plus de la définition que Paul Eluard donnera de la poésie : « l'appel des choses par leur nom ». Ces choses, Claudel les embrasse un peu partout sur la terre, au hasard de ses péri-grinations diplomatiques, et son imagination cosmique fait le reste : avec lui, succède, au poète de l'asphalte et de la bibliothèque, le poète des continents et des races, capable de se hausser jusqu'à une vision planétaire.

Paul Valéry, qui commença d'écrire à peu près en même temps que Claudel, faillit y renoncer tout à fait par excès d'exigence :



« II me semblait alors qu'il existât une sorte de contraste entre l'exercice de la littérature et la poursuite d'une certaine rigueur et d'une entière sincérité de la pensée. »



Ce blocage, Mallarmé en était responsable sans l'avoir voulu, simplement pour avoir appliqué dans son ouvre une « méthode » que son jeune admirateur eût voulu inventer. On le verra dans l'Album de vers anciens que Valéry se décidera à publier en 1920, l'émule avait souvent réussi à égaler le maître. Mais « égaler » ne pouvait lui suffire ; plutôt orienter sa quête en de tout autres directions que poétiques. Intelligent, lucide jusqu'au scepticisme, Valéry, longtemps, se refusa à la création pour s'engager dans des spéculations philosophiques, artistiques et mathématiques et ne revint à la poésie, avec La Jeune Parque, qu'en 1917, sur l'insistance d'André Gide, de Jacques Rivière et de Pierre Louys. Encore entendit-il ne la pratiquer que comme un « exercice », avec autant de science que de sang-froid. La « muse », heureusement, allait le faire aller plus loin qu'il ne voulait, gorgeant de sucs enivrants et de chaleur rayonnante des vers auxquels il n'imposait tant de rigueur que par méfiance des zones obscures de lui-même :



L'âme exposée aux torches du solstice.

Je te soutiens, admirable justice

De la lumière aux armes sans pitié.



Cette lumière est bien évidemment méditerranéenne, gréco-latine, ce Sétois d'origine génoise n'en concevant point d'autre (1). Or, c'est précisément en s'éloignant de la religion du « vrai classicisme », prônée par Moréas et ses amis - par exemple en codant mystérieusement les premiers vers du Cimetière marin :



Ce toit tranquille où marchent des colombes.

Entre les pins palpite, entre les tombes que Valéry retrouve à la fois la véritable clarté antique, qui soumet formes et couleurs aux lois mentales et physiques de l'imagination, et le courant poétique moderne, qui s'intéresse à la signification plastique et sonore des mots plus qu'à la définition stricte des choses. Tant et si bien que Valéry, qui ne voulait être qu'un littérateur en vers, rejoint l'incandescent André Breton dans une exploration des plus profonds mystères de l'activité poétique et qu'on les verra figurer côte à côte, en 1920, au sommaire de la revue surréaliste Littérature, ainsi nommée par dérision.



Le foisonnement et, parfois, l'interpénétration, à la jonction des XIXe et XXe siècles puis dans les années qui suivent, de nouvelles tendances et vocations dont bon nombre agissent encore aujourd'hui, sont tels que l'on peut seulement s'attacher aux principales émergences de leur panorama.

Raymond Roussel (1877-1933) n'est pas la moindre de ces émergences. Dandy fort riche et grand joueur d'échecs, il s'applique dans ses longs poèmes de forme classique - La Doublure (1897), La Vue (1904) - à faire surgir, par l'analogie, l'asso-ciation d'idées, le calembour, des « équations de faits » qu'il s'agit « de résoudre logiquement ». Il procède de même, en prose, dans Impressions d'Afrique (1910), Locus Solus (1914) et aboutit à une sorte de fabulation absurde et merveilleuse qui influencera les Surréalistes.



Ils ne seront en revanche marqués d'aucune façon par Charles Péguy (1873-1914), autre « émergence » considérable. Dès sa Jeanne d'Arc (1897), écrite en collaboration avec Marcel Beaudouin, drame dédié à tous ceux et à toutes celles qui sont morts pour tâcher de porter remède au mal « universel », ce poète profondément chrétien affirme sa volonté essentielle, qui est de servir sa foi en Dieu et de magnifier les destinées spirituelles de la France. Dans son Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc (1910), sa Tapisserie de Notre-Dame et son Eve (sans doute le plus accompli de ses grands poèmeS), il ne se réfère d'aucune façon aux conquêtes, tant foncières que formelles, de Rimbaud, de Mallarmé et des Symbolistes, mais trouve sa propre marche et en fait la preuve en marchant. Les délicats peuvent bien dire qu'il abuse des prosaïsmes et de la litanie, que tels de ses vers - et précisément ceux qui deviendront les plus célèbres :



Heureux, ceux qui font morts dans une juste guerre.

Heureux, les épis mûrs et les blés moissonnés... renchérissent en emphase sur trop de vers de Hugo, il n'en est pas moins difficile de résister à l'espèce de contagion émotionnelle engendrée, d'alexandrins en alexandrins, de strophe en strophe, par le pas soutenu, à la fois militaire et paysan, de ce poète de grande haleine et de sang chaud. Les répétitions, non seulement voulues mais savamment disposées sur le fil sonore, l'usage fréquent de la conjonction « et », qui force le discours à de nouvelles arborescences, l'emploi de comparaisons commodes, mais développées aveo autant d'art vocal que de largeur panoramique :



Ainsi nons naviguons vers votre cathédrale.

De loin en loin surnage un chapelet de meules.

Rondes comme des tours, opulentes et seules

Comme un rang de châteaux sur la barqae amirale... concourent à créer un envoûtement - indiscutablement poétique - dont le Verlaine de Sagesse avait suggéré la recette.

Le nom de Péguy reste attaché à certaine conception chrétienne du socialisme et, au-delà, au grand brassage d'idées qui s'effectue, en France et dans le monde, dans les années qui précèdent la guerre. L'Affaire Dreyfus, la croisade laïque, les luttes ouvrières et l'essor du syndicalisme, le développement dn machinisme et l'urbanisation grandissante, autant d'événements et de bouleversements structurels que la conscience des poètes ne peut ignorer.



Le groupe de l'Abbaye, constitué en 1906 à Créteil, dont les figures essentielles sont, au départ, René Arcos (1881), Georges Duhamel (1884-1966), Charles Vildrac (1883-1973) et Luc Durtain (1881-1959), rejoints par Georges Chennevière (1884-1927), Pierre-Jean Jouve (1887) et Jules Romains (1885-1973), fait sien l'unanimisme de Whitman et de Verhaeren, rejette violemment les dernières nuées symbolistes, prône le retour au concret, la participation des poètes à la vie des hommes. Installée dans une ancienne abbaye - d'où, son nom - l'équipe y vit en phalanstère et tente de tirer ses ressources d'un travail collectif d'impression et d'édition ; en publiant La Vie unanime, de Jules Romains, elle accueille à la fois un chef-d'ouvre, un chef et un véritable programme. Elle se disperse peu après mais l'Unanimisme demeure et ne périra point. Aussi bien en trouvera-t-on des traces, tout au long du siècle, dans des ouvres fort diverses. Si Pierre-Jean Jouve a renié ses débuts unani-mistes pour faire commencer son ouvre véritable en 1925 avec Les Mystérieuses Noces, les autres membres du groupe sont restés fidèles aux leurs. L'humanité un peu éloquente et anecdotique de Georges Duhamel nourrira plusieurs recueils dont le meilleur est sans doute Elégies (1920). Luc Dur-tain, dans Pégase, Kong Karald, Perspectives (1924) élargira le cadre de l'Abbaye aux dimensions de la terre. Georges Chennevière sera le plus « social » des Unanimistes ; peut-être aussi le plus tendre ; avec Jules Romains, il rédigera en 1923 un Petit Traité de versification qui complétera et modifiera quelque peu celui que Charles Vildrac et Georges Duhamel avaient inclus, en 1909, dans leurs Notes sur la technique poétique. Cette nouvelle versification, qui donne la priorité au rythme et réduit la rime - quand elle ne la supprime pas - à des assonances ou consonances, c'est Jules Romains qui, dans ses nombreux recueils - entre autres : Odes et prières, L'Homme blanc. Ode génoise, Pierres Levées -, l'applique le plus strictement et avec le plus de bonheur :



Je suis à moi seul

Le rythme et la foule ;

Je suis les danseurs

Et les hommes saouls.



Lui-même a dit à André Cuscnier comment, dès 1903, à dix-huit ans, perdu dans la foule à la sortie du lycée, il avait eu pour la première fois l'intuition d'un être vaste et élémentaire dont la rue, les voitures et les passants formaient le corps ». Cet Un animisme, dont Jules Romains fut donc l'inventeur et qui irriguera toute son ouvre romanesque, Charles Vildrac, le fera plus rêveur, plus musical, plus intime et, pourtant, plus politique parfois, dans son Livre d'amour et dans ses Chants du désespéré (1920) :



La bonté des hommes... le était aussi pénétrante et chaude

Qu'une eau-de-vie qu'on boit en fraude

Dans les prisons.



Comme Vildrac, comme Romains, comme Arcos dans Le Sang des autres, la plupart des poètes unanimistes stigmatiseront la guerre, appelleront à la réconciliation, vanteront les travaux et les jours de la paix. Assez proche d'eux, André Spire (1868-1966) chantera la Loire, écrira d'ardents Poèmes juifs (1919) et préconisera un vers « accentué » sans parvenir à faire école.



Les « Fantaisistes », dont le maître incontesté fut Paul-Jean Toulet (1867-1920), réagirent eux aussi, mais d'une façon tout autre, contre les ultimes décadences symbolistes. L' « esprit nouveau », dont Apollinaire devait être le catalyseur, ne leur était pas étranger, mais ils entendaient l'exprimer dans la forme traditionnelle. Dire les grands sentiments en ayant l'air de s'en jouer leur semblait en outre plus efficace que d'en faire doctrine. Toulet, dans ses Contrerimes suprêmement ciselées, atteint à la poésie la plus haute sans apparent effort :



Mourir non plus n'est ombre vaine.

La nuit, quand tu as peur.

N'écoute pas battre ton cour :

C'est une étrange peine et Jean-Marc Bernard (1881-1915) - en rompant il est vrai avec la « fantaisie » - écrit, avant de tomber sous les balles, un admirable poème de guerre :



Du plus profond de la tranchée.

Noua élevons les mains vers vous,

Seigneur : Ayez pitié de nous

Et de notre âme desséchée !



Au premier rang de ces Fantaisistes qui se souviennent de Virgile, de Villon, de Saint-Amant et du Nerval des Odelettes, mais regardent aussi du côté d'Apollinaire et de Max Jacob, Francis Carco (1886-1958), dans La Bohême et mon cour (1922), chantonne en demi-teinte, aigrement parfois ; Tristan Derême (1889-1941) pratique, dans La Verdure dorée, un intimisme ironique et très savant ; Jean Pellerin (1885-1920) imprime un ton narquois, désabusé, à La Romance du retour ; Vincent Muselli - déjà nommé - apporte sa nostalgie de l'Antique ; dans Les Travaux et les jeux et les Strophes de contre-fortune il s'avance d'un pied audacieux sur



Le fil ténu des abîmes.



Les contours de l'Ecole fantaisiste sont par ailleurs assez flous pour que s'y puissent intégrer ou voir rattachés des poètes aussi dissemblables que Philippe Chabaneix (1898), chantre à mi-voix des Tendres Amies ; Guy Lavaud (1883-1958), prospecteur des profondeurs célestes ; Odilon Jean-Périer (1904-1928), ce Muselli belge ; Georges Gabory (1899) dont les heptasyllabes ont des pointes de diamant ; Roger Allard (1885) dont les Elégies martiales (1918) ont une acidité baudelairienne et très moderne :



Clara, l'amertume de vivre

Cruel et splendide équateur

Cercle ta poitrine de cuivre

Et la pénétre avec lenteur. voire Jean Lebrau (1891), qui « intimise » sur un ton doux-amer et va sans cesse vers plus de densité, voire même le malicieux et tendre Pierre Mac Orlan (1883-1970) de L'Inflation sentimentale et des Chansons pour accordéon, et le Jean Cocteau (1889-1963) qui se plaît à perfectionner l'arabesque du vers français en multipliant grâces et clins d'oeil.



La poésie résolument nouvelle est pourtant enracinée dans de tout autres ouvres. Nourrie de cosmopolitisme, soucieuse de se donner un vocabulaire et une diction appropriés à l'époque violente, mécanisée et angoissée où elle s'insère, la poésie d'un Valéry Larbaud (1881-1957) et surtout d'un Biaise Cendrars (1887-1961) rompt, radicalement, avec un art du vers, un art de vivre et un art de penser qui lui paraissent tout à fait périmés. Le premier s'exprime clairement là-dessus dans Les Poésies de A. 0. Barnabooth (1913) :



Prêtez-moi, ô Orient-Express, Sud-Brenner Bahn, prêtez-

[moi Vos miraculeux bruits sourds et Vos vibrantes voix de chanterelle... Ah ! Il faut que ces bruits et que ce mouvement Entrent dans mes poèmes. et le second, dans La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France (1913), puis Le Panama ou les Aventures de mes sept oncles (1918), écrit une véritable épopée moderne dont les scansions brutales s'identifient à celles des boggies :



La « Moelle chemin de fer » des psychiatres américains

Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les

[rails congelés Le ferlin d'or de mon avenir



Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes

[dans le compartiment d'à côté... et dont le caractère ininterrompu justifie la suppression de toute ponctuation. Tandis que Cendrars, voulant à tout prix ramener la poésie dans la vie et l'y confondre, multiplie les instantanés photographiques {Kodak, 1924) ou s'amuse à des « sonnets dénaturés » qui ne valent pas ses quasiment « classiques » Pâques à New York (1912), et tandis que Paul Morand (1888) remplace le feu sacré par l'incandescence des Lampes à arc (1919), un Victor Ségalen (1877-1919) va chercher des leçons de civilisation et d'écriture dans la Chine ancienne (Stèles, 1912) et un Saint-John Perse (1887-1975) commence dans Eloges (1907) une étrange et haute cérémonie de langage où Pindare, Bossuet et Claudel semblent avoir collaboré avec les conteurs des Antilles et les célébrants de tous les cultes de l'histoire et de la planète.



André Billy a justement reconnu en Guillaume Apollinaire (1880-1918) le « Prince de l'esprit moderne » et, si l'on fait abstraction de la nuance péjorative que Duhamel a voulu mettre dans son portrait de l'auteur d'Alcools (1913) et des Calligrammes (1918), on y peut trouver de la justesse : « marchand brocanteur qui tient à la fois du juif levantin, de l'Américain du Sud, du gentilhomme polonais et du facchino ». « Tzigane », ajoute Jean Cassou, et cela aussi est vrai, si grand est l'art d'Apollinaire en matière de variations sur tous les styles, si erratique - dans l'espace et le temps - le flot de son lyrisme. Il faut ajouter à cela une vocation de conciliateur - dont le revers est l'hétérogénéité de son ouvre - qui permet aussi bien aux tenants de « l'ordre » qu'aux partisans de « l'aventure » de se réclamer d'Apollinaire. Dès ses Rhénanes (1902) et son Enchanteur pourrissant (1909), celui-ci, dont les origines relèvent elles-mêmes de la légende (n'affirmait-il pas descendre de Rurik, roi des VarègueS), prouve sa familiarité avec tous les personnages légendaires du monde, des Niebelungen à la fée Viviane en passant par Hélène de Troie, et son goût pour une poésie, à la fois merveilleuse et simple, que la lyre anonyme des peuples invente sans même y penser. Dans Alcools, la part faite à ce lyrisme populaire est grande, et non moins grande l'influence des poètes - Villon, notamment, et le Verlaine le moins madré - qui s'en sont rapprochés avec le plus de bonheur. « L'Antiquité gréco-romaine » et toutes espèces de mythologies y sont au surplus intégrées au même titre qu'une réalité tout à fait contemporaine que le poète traite à la fois en anecdotier et en metteur en scène, ou en peintre, d'un tout nouveau style (le Cubisme devra à Apollinaire tout autant que le théâtre d'avant-gardE), c'est-à-dire en substituant à la représentation logique des faits et des choses un arrangement sans rapport avec la perspective euclidienne. La versification à peu près classique qui enveloppe un poème aussi peu traditionnel que la Chanson du mal aimé fait passer, si l'on peut dire, l'extrême nouveauté de son esprit et de sa composition, aux yeux ou plutôt aux oreilles des plus fermes adversaires de toute innovation :



Que tombent ces vagues de briques

Si tu ne fus pas bien aimée

Je suis le souverain d'Egypte

Sa sour-épouse son armée

Si tu n'es pas l'amour unique



Apollinaire a situé très exactement l'heure où il a délibérément versé dans la modernité :



Au moment où l'on affichait la mobilisation

Nous comprimes mon ami et moi

Que la petite auto nous avait conduits dans une époque

[nouvelle

Et bien qu'étant déjà tous deux des hommes mûrs

Nous venions cependant de naître



« Né » avec la guerre, qu'il fait avec courage et panache, il ne cesse, dans Calligrammes, de « donner de la réalité » aux « phantasmes impondérables » et d'ouvrir à la poésie « de vastes et d'étranges domaines » en utilisant aussi bien la libre germination du langage et les provocations du songe que les plus réalistes faits divers. C'est lui qui, de « poèmes-conversation » en associations graphico-textuelles, de flashes oniriques en cursifs hymnes à l'amour, donne à la poésie du XXe siècle cette « raison ardente » dont Rimbaud avait été le héraut. C'est lui, enfin, qui use pour la première fois, dans la préface à sa pièce burlesque Les Mamelles de Tirêsias (1917), du qualificatif « surréaliste ». Encore faut-il dire que le mérite de l'avoir forgé en revient peut-être à Pierre Albert-Birot (1876-1967), fondateur de la revue Sic (Sons, Images, CouleurS), qu'Apollinaire nommait « le Pyrogène ». Parler d'Albert-Birot, c'est à la fois rendre justice à un grand poète - son Grabinoulor est une des rares épopées modernes dignes de ce nom - et, du Cubisme au Surréalisme en passant par le Futurisme (importé d'Italie par Marinetti, mais également très vivant en Russie, avec Klebnikov et MaïakowskY), évoquer la multiplicité de nouveautés flamboyantes qui marque le premier tiers de notre siècle.



Il faut dire enfin que, dès 1916, Max Jacob (1876-1944) dans son Cornet à dés, paru en 1917, avait par avance donné de la « chose » nommée Surréalisme des illustrations qui lui vaudraient, à la fin de sa vie, la reconnaissance des survivants du mouvement. Mais à cet homme sans pesanteur, narquois et fervent (Juif, sa conversion au catholicisme ne lui évitera pas de mourir en martyr dans un camp nazI), nulle étiquette ne saurait convenir. Breton bretonnant dans ses poèmes de La Côte (1911) et dans ceux qu'il signe Morven le Gaélique, mystique à mi-chemin du burlesque et de l'illuminisme dans Saint-Matorel ou Visions infernales, lyrique ému dans ses Ballades (1938), il égale La Bruyère dans Cinématoma, feuilletonnise avec génie dans Filibuth et, entre deux coq-à-1'âne, rédige des Méditations religieuses parfois dignes de Pascal.

Léon-Paul Fargue (1876-1947), lui aussi, fut surréaliste avant la lettre ( Tancrède, 1895 ; Poèmes, 1912) par la « succulence intérieure » de sa langue anti-cartésienne, ses « clichages instantanés des érections du subconscient », et il revient à Pierre Reverdy (1889-1960) de donner, dès 1918, dans sa revue Nord-Sud, une définition de l'image poétique (qui doit naître du rapprochement fortuit de deux réalités aussi éloignées et différentes que possiblE) dont le Surréalisme - auquel il n'adhérera point - fera bientôt l'un des articles essentiels de sa charte. Tout comme Max Jacob et Fargue, Reverdy refuse de s'enfermer dans un système. Si les Poèmes en prose, La Lucarne ovale, Les Jockeys camouflés permettent de voir en lui un poète à la fois cubiste et surréalisant, son ouvre postérieure aux années 1920 - Epaves du ciel, Ferraille, Le Chant des morts (1951) - porte maintes empreintes romantiques et, tout ensemble spontanée et fortement structurée, éminemment visuelle, s'alimente sans cesse du réel le plus immédiat (« le poète est un four à brûler le réel ») non sans lui imposer des torsions pathétiques ou des stases absurdes, génératrices d'une angoisse qui est celle, déjà, dont l'Etranger d'Albert Camus subira le poids insupportable :



Goutte à goutte le temps creuse ta pierre nue

Poitrine ravinée par l'acier des minutes

Et la main dans le dos qui pousse à l'inconnu



Les générations qui, tant avant qu'après l'étalement de la vague surréaliste, feront référence à Fargue, Cendrars et Reverdy, n'auront qu'une estime affectueuse pour André Salmon (1881-1969) qui oscilla entre l'épopée moderne (PrikaX) et les jeux de langage (VocaliseS). Elles seront encore moins tendres pour Jean Cocteau, sans comprendre à quel point la virtuosité et la ductilité de cet homme extrêmement doué avaient eu - de La Lampe, d'Aladin (1909) à Plain-Chant (1923) en passant par Le Cap de Bonne-Espérance (1923) - de déterminant dans la conciliation du Classicisme et de la modernité. Les mêmes générations négligeront de même un Jean de Boschère avec quelque injustice, l'auteur de Beale-Gryne (1909), de Job le Pauvre (1922) et de Satan l'Obscur (1933) ayant introduit et entretenu dans la poésie française une sorte de feu sulfureux où s'entend le « grésillement de l'absolu ». En revanche, elles n'auront qu'admiration fidèle, à des titres divers il est vrai, pour de hantes figures comme Francis Ponge (1899), Pierre-Jean Jouve, Jules Supervielle (1884-1960), Antonin Artaud (1896-1948) et Henri Michaux (1899).



Ponge, opposant, dès 1926, ses Douze Petits Ecrits minutieux à la dictée surréaliste, appelle à une reprise en main des mots et des choses, s'interdit le chant et pratique une sorte de didactisme qui s'arrange, on ne sait comment, pour rendre insolite la réalité la plus objectivée.

Jouve, reniant, nous l'avons dit, son oeuvre una-nimiste de jeunesse, s'est « trouvé » en découvrant la psychanalyse et, dans l'inconscient, le moteur à la fois de l'érotisme, de la grâce et de la poésie. Son chef-d'ouvre, Sueur de sang (1933) s'ouvre sur une préface, Inconscient, spiritualité et catastrophe, qui est l'un des « manifestes » poétiques les plus importants du siècle, immédiatement suivi d'un bref poème démonstratif :



Les crachats sur l'asphalte m'ont toujours fait penser

A la face imprimée au voile des saintes femmes mais, dès Les Mystérieuses Noces (1925), il s'était avancé fort loin, une Bible, un Freud et un Baudelaire en poche, dans le domaine même dont le Surréalisme commençait la visite somnambulique. A la diction hautaine et savamment nouée de Jouve, Supervielle oppose une diction ingénue, familière qui, cependant, ne se prive pas de longs et amples ramages (Débarcadères, GravitationS), mais ce compatriote de Lautréamont et de Laforgue (tous trois, Pyrénéens d'origine, sont nés en UruguaY) a, comme Jouve, très tôt trouvé le chemin des « grandes profondeurs » et, comme Apollinaire, le secret de transmuer en légende le plus prosaïque discours de la vie. Le rôle suprême qu'il accorde à la création poétique (La Fable du mondE) et la fraternité humble et passionnée qu'il éprouve pour toutes choses vives ou inanimées (Les Amis inconnuS) :



Mon Dieu comme il est difficile

D'être un petit bois disparu... le désignaient à l'admiration des « poètes de Roche-fort » (René Guy Cadou, Jean Bouhier, Michel Manoll, Jean Rousselot, Luc Bérimont, etc.) et de ceux qui prendraient leur relève comme ils avaient eux-mêmes pris la relève du Surréalisme en l'humanisant et végétalisant.

Avec Artaud, frère pathétique de Lautréamont, de Rimbaud et de Van Gogh, c'est au Surréalisme même qu'on prend part, mais aussi à une variété paroxysmique de mysticisme (rien à voir avec ses Sonnets mystiques de 1913) qui, bien au-delà des préoccupations esthétiques, intéresse la définition même de l'Etre. Purement surréaliste, Artaud ne l'est point dans L'Ombilic des limbes (1924) ou Le Pèse-nerfs (1927), dont l'étrangeté provocante et splendide reste dirigée, mais c'est sans doute lui, pourtant, qui donne - expérimentalement - à la convulsion surréaliste son profil spirituel le plus ambitieux.



Purement surréaliste, Henri Michaux ne l'est pas davantage bien qu'il aille, dès Qui je fus (1927) et Mes Propriétés (1932), aussi loin et plus encore que les Surréalistes - en prospecteur à la fois lucide et rageur - dans les tréfonds de l'inconscient et les labyrinthes de la vision onirique.

Après les précurseurs et les voisins, voici les acteurs mêmes de ce que G.-E. Clancier nomme justement « la révolte dadaïste et la conquête surréaliste ». « Cette guerre, écrira Tristan Tzara (1896-1963), ne fut pas la nôtre ; nous l'avons subie à travers la fausseté des sentiments et la médiocrité des excuses... Il s'agissait de fournir la preuve que la poésie était une force vivante sous tous les aspects, même antipoétiques. » Et Pégase devient « Dada »... « qui ne signifie rien ».



Pour être précis, le Dadaïsme prit naissance le 8 février 1916, à Zurich, et si Tzara en trouva le nom et en devint le porte-drapeau, Hugo Bail, Georges Ianco, Richard Huelsenbeck eurent quelque part à sa proclamation, laquelle rallia, dans les mois suivants, Marcel Duchamp (1887), Francis Picabia (1879-1953), Jean Arp (1887-1966), Philippe Soupault (1897), Benjamin Péret (1899-1959) et quelques moindres éminences.



Tzara, qui avait écrit dans sa Roumanie d'origine des poèmes modernistes dont on n'aura que beaucoup plus tard une traduction française, publie en 1916 son premier texte dadaïste : La Première Aventure céleste de M. Antipyrine. Suivront, en 1919, Vingt-cinq Poèmes pareillement faits d'associations verbales systématiquement illogiques et de phonèmes imitatifs. Longtemps, Tzara poursuivra, avec une espèce de fureur épique, une ouvre de sape dont fait les frais le langage rationnel, tenu pour l'expression même d'une civilisation humaniste accusée de n'avoir engendré que violence, injustice et misère. Par la suite - à partir de L'Homme approximatif (1931) et de plus en plus délibérément jusqu'à La Face intérieure (1951) -, Tzara s'efforcera à concilier sa révolte initiale et sa foi fraternelle dans la révolution. En 1918, quand il publie le premier Manifeste Dada, et en 1919, quand il vient s'installer à Paris, cette initiale révolte est à son comble en lui. Tout de suite, sur un terrain qu'il a fécondé à distance, il devient le principal organisateur d'une grande aventure qui, pour reprendre une expression de C.-E. Clancier, a quelque chose d'une « guerre sainte contre l'ordre établi ». Ses compagnons d'aventure ont nom André Breton (1896-1966) Paul Eluard (1985-1952), Louis Aragon (1897), Philippe Soupault (1897), Robert Desnos (1900-1945), pour ne citer que les principaux. René Lacôte ie soulignera : « il n'y a pas de solution de continuité, pour la plupart des surréalistes, entre Dada et le Surréalisme ». On peut noter en tout cas que le premier texte surréaliste proprement dit, obtenu par le procédé de l'écriture automatique - Les Champs magnétiques, d'André Breton et Philippe Soupault -, parait en 1919 dans Littérature, l'année même ou Tzara importe le Dadaïsme en France, et que la définition du Surréalisme ne sera donnée par André Breton, dans le Premier Manifeste, qu'en 1924 : « Surréalisme, nom masculin : Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'examiner, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. »



André Breton a commencé par des poèmes mal-larméens ; ami d'Apollinaire et de Valéry, il a découvert les travaux de Freud en 1915 et reçu la révélation de « l'humour noir », en 1916, d'un de ses amis, Jacques Vaché (1896-1919), surréaliste à l'état sauvage mais fortement influencé par Jarry.



Dès son premier recueil, Mont de Piété (1919) - suivront Clair de terre (1923), la grande prose de Poisson soluble (1924), le roman poétique de Nadja (1928) et l'espèce de cantique d'amour de l'Union libre --, Breton donne la mesure de ses ambitions et de sa capacité de les accomplir. Grand poète, c'est certain, mais qui ne se départit jamais d'un sens critique exigeant, voire d'un impétueux didactisme. Si perturbantes que soient telles de ses images :



Ma femme à la chevelure de feu de bois...

Au sexe de glaïeul... on a peine à croire qu'elles n'ont pas été imperturbablement conçues.

Curieusement, c'est dans ea prose (Les Vases communicants, Nadja, les ManifesteS) qui a la majesté hautaine et veloutée de celle de Chateaubriand, que Breton s'approche au plus près de sa conception « convulsive » de la beauté. Cet hyper-romantique passionnément épris de merveilleux compte en vérité par trop sur la technique surréaliste (le rêve provoqué, l'écriture automatiquE) pour déclencher les « court-circuits » inspirateurs.



Paul Eluard eut bien plus de naïveté, au sens pur du terme, et ses poèmes les plus aventurés - Capitale de la douleur (1926), La Vie immédiate (1932) - durent à cela leur pouvoir de conviction. A cette naïveté, il joignait une bonté, une séduction naturelle et une sereine vocation du bonheur, enfin une tendresse et une sensualité toujours en éveil, qui ne pouvaient que rendre concrète et transmis-sible sa « surréalité ». Au surplus, à travers l'Una-nimisme informel auquel il avait sacrifié dans ses généreux poèmes de guerre - Le Devoir et l'inquiétude (1917), Poèmes pour la Paix (1918) -, Eluard n'avait pas oublié les leçons classiques de ses débuts ; il y revient souvent, même dans les phases les plus automatiques de sa création, et donne ainsi à ses trouvailles inconscientes un support harmonieux qui garde les traditionalistes de s'en effaroucher :



Inconnue elle était ma forme préférée

Celle qui m'enlevait le souci d'être un homme

Et je la vois et je la perds et je subis

Ma douleur comme un peu de soleil dans l'eau froide



Aragon, qui pratiquera toutes les poétiques avec un égal bonheur donne, dès 1920, dans Feu de joie, l'exemple d'un automatisme « perpétué par la cadence ». Après avoir dit, dans Le Paysan de Paris (1926), dont la prose nerveuse et étincelante a quelque chose du XVIIIe, que « le vice appelé Surréalisme est l'emploi déréglé et passionné du stupéfiant-image », il a beau se laisser aller à pratiquer ce vice et se complaire, dira Breton, à une « fabulation magico-romanesque » qui lui permet de détecter « l'insolite sous toutes ses formes », il ne cesse d'ouvrir l'oeil pour savoir où le mènent





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