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Prévost-Paradol se rallie à l'Empire libéral






Quand Anatole Prévost-Paradol, l'éminent éditorialiste du Journal des débats, publie La France nouvelle, en 1868, le régime impérial a considérablement évolué depuis ses origines ; de plus en plus libéral, il deviendra parlementaire après les élections législatives de 1869, qui témoignent de la vitalité des mouvements d'opposition.



Les historiens ont coutume de distinguer en effet deux phases principales dans l'histoire politique du Second Empire : à la période « autoritaire » des débuts succède la décennie « libérale », qui voit la Constitution de 1852 s'ouvrir progressivement à ce que Thiers appelle en 1864, au nom de l'opposition, « les libertés nécessaires » : liberté individuelle, liberté de la presse, liberté des élections, liberté parlementaire. Par volonté personnelle, mais aussi sous la contrainte d'une situation intérieure, dans laquelle l'empereur se heurtait à la fois aux catholiques en raison de sa politique italienne (on se souvient des attaques de Veuillot et de l'interdiction de L'UniverS) et aux industriels à cause du traité de libre-échange avec l'Angleterre, Napoléon III cherche à compenser ces soutiens défaillants, d'où s'ensuit une série de concessions libérales dès 1860, élargies en 1867 et dans les années suivantes : droit d'interpellation, nouvelle loi sur la presse, loi sur les réunions... La transformation du régime est consommée par le sénatus-consulte du 8 septembre 1869, complété par celui du 20 avril 1870 - ce dernier préparé par Emile Ollivier, ancien député républicain, rallié à l'Empire libéral, et nouveau président du Conseil depuis le 2 janvier 1870. Face à cette amorce de régime parlementaire, bien des opposants à l'Empire tempèrent leur intransigeance. D'autant que la libéralisation du régime et les succès électoraux de l'opposition dynamisent et renforcent le parti républicain. D'autant que des militants ouvriers s'organisent dans l'Internationale ; loin de pratiquer la consigne proudhonienne d'abstention, ils constituent une base de plus en plus large de l'opposition républicaine. Parallèlement, les esprits moins soucieux de la nature du régime (monarchie, empire, républiquE), que des libertés accordées, sont séduits par l'évolution d'un système politique qui s'affranchit de ses origines autoritaires. Ce sera le cas de Prévost-Paradol, porte-parole de l'opposition libérale dans un des plus grands journaux de l'époque.





Anatole Prévost-Paradol ne porte pas le nom de son père naturel, Léon Halévy, mais ceux de sa mère, Lucinde Paradol, une actrice de la Comédie-Française, et du mari de celle-ci, Vincent-François Prévost, un officier en retraite. Il appartient donc à la descendance des Halévy, d'origine allemande, établis en France avant la Révolution, modèle de juifs assimilés. Anatole est grand ami de son demi-frère, Ludovic Halévy ; la mort de Lucinde, en 1843, les rapproche encore ; l'éducation d'Anatole est assurée par Mme Léon Halévy. Nous connaissons beaucoup de choses sur Paradol grâce aux Carnets de Ludovic, qui deviendra homme de théâtre, librettiste d'Offenbach, et bientôt membre de l'Académie française.



Paradol fait ses études au collège Bourbon où il a eu pour condisciples Jules Vallès (un peu plus jeunE) et Hippolyte Taine (plus âgé). Devenu journaliste, Vallès les décrit : « La comparaison n'était au désavantage de personne. M. Prévost-Paradol avait déjà le nez long, le sourire fin, et son geste délicat sentait le railleur habile et l'allusionniste un peu précieux. Mais je me rappelais le regard indulgent et profond sous les lunettes bleues de M. Taine, et j'appelais tout de suite l'un un sceptique et l'autre un convaincu. M. Prévost-Paradol était bien entendu le sceptique, et M. Taine le convaincu '. » Le mot « sceptique » n'est sans doute pas le bon, mais il est vrai que Paradol, avec son élégance d'anglophile, « ses grâces de pendule Empire » selon l'expression des Goncourt, son goût pour les petits théâtres et les comédiennes, son dilettantisme mondain, peut passer pour un homme qui prend de la vie ce qu'elle peut lui donner de mieux sans se soucier des grands problèmes. Il n'en est rien ; Paradol a des convictions, et Vallès, qui écrit sur lui en 1864, devrait se souvenir que quatre ans plus tôt son ancien condisciple avait écopé d'une condamnation à un mois de prison pour sa brochure sur Les Anciens Partis, où il esquissait un programme pour l'opposition.



Vallès pourrait rappeler aussi que, plus jeune, Paradol ne s'était pas contenté d'être un bon élève, couronné par plusieurs prix au concours général et admis à l'École normale supérieure en 1849 ; il était aussi républicain, anticatholique, quasi socialiste. Au moment du coup d'Etat, il avait enjoint au directeur de l'Ecole normale de se ranger du côté de l'Assemblée ; l'Ecole étant bientôt investie par la troupe, il avait exhorté des ouvriers à manifester, mais en vain. Il est vrai que cet échec, le triomphe de Louis Bonaparte, puis le raz-de-marée du référendum avaient à tout jamais calmé son enthousiasme quant à la souveraineté populaire et au suffrage universel. Il écrit à l'un de ses amis le 3 janvier 1852 : « Je suis quant à moi guéri du suffrage universel et j'emploie mes loisirs à en guérir les autres. Quand on prétend me priver de mes droits les plus simples et les plus nécessaires, quand une foule éprise de bien-être veut me priver des biens de l'esprit, 7 millions d'hommes ou 7 millions de chevaux pour légitimer cette oppression, c'est tout un ; et je leur déclare la guerre, et je passerai ma vie à leur ôter le pouvoir de recommencer et à mettre la force du côté où est la lumière. Si tu es de mon avis, nous ferons campagne ensemble pour arracher Sparte aux Ilotes2. »

Libéralisme et démocratie ne font pas encore bon ménage. Le premier reste l'idéal d'une élite, avant tout soucieuse de sa liberté de penser, d'agir, de circuler, sans être soumise à la surveillance et au pouvoir discrétionnaire d'un gouvernement abusif. L'allusion aux « ilotes » indique l'origine de classe de ce libéralisme : la multitude - paysans et ouvriers -, qui ne pense qu'à son « bien-être », est toujours prête à se soumettre. Au milieu du xixc siècle, la démocratie n'est pas libérale et le libéralisme n'est pas démocratique.



Faute de pouvoir se présenter à l'une des grandes agrégations - de philosophie ou d'histoire, qui ont été supprimées -, Prévost-Paradol démissionne de l'École normale. Pour gagner sa vie, il donne des répétitions, sert un moment de secrétaire à Marie d'Agoult, trouve une place de rédacteur chez Hachette, où il compose une Revue de l'Histoire universelle, rééditée jusqu'en 1890. Parallèlement à ses travaux « alimentaires » - il se marie en 1852, il a bientôt trois enfants -, il se fait la main à la Revue de l'instruction publique, où il conteste, à un sou la ligne, les ouvres de Fortoul, le ministre. Ces travaux trop précaires le laissant insatisfait, il se décide à entreprendre une carrière universitaire, prépare et soutient sa thèse sur « Elisabeth et Henri IV (1595-1598) », et sa thèse complémentaire, en latin comme l'exigent les canons de l'époque, sur Swift, grâce à quoi il obtient une chaire de littérature à la faculté des lettres d'Aix-en-Provence, ouverte en 1846. Cet exil provençal, qui aura finalement compté comme un des épisodes heureux de sa vie, ne le comble pas vraiment. Il s'en explique à son ami Taine, dans une lettre du 19 février 1856 : « Je réussis comme on réussit en province, par mes défauts. L'auditoire, dont tu me demandes des nouvelles, varie de 120 à 80 personnes ; pas d'étudiants ; ils n'y viennent que contraints par leurs inscriptions et j'hérite de mon prédécesseur qui n'en avait pas ; mais les magistrats et les avocats foisonnent, les dames au premier rang. On arrive, on salue, on regarde un instant ce monde, puis on parle et comme on oublie devant qui et pourquoi, on finit par parler à son aise et avec quelque feu. Le jeudi suivant, on recommence. » Il fait un cours sur les moralistes français ; le recteur en personne est assidu à ses leçons, le maire d'Aix, Rigaud, qui l'entend, se dit ravi ; c'est un succès ; Fortoul lui augmente son salaire, peu de temps avant de mourir. Mais Prévost-Paradol s'ennuie de Paris, et quand Rigault, du Journal des débats, lui offre de prendre la place d'un rédacteur démissionnaire, il saisit l'occasion, à défaut de la chaire à la Sorbonne dont il rêvait. « Vous êtes, comme les Débats, lui écrit Rigault, libéral en politique et en religion ; vous êtes, comme eux, ami de l'ordre. Vous aimez en un mot ce que nous aimons, vous n'aimez pas ce que nous n'aimons pas... » Bertin, le directeur, lui propose 6 000 francs par an, complétés par des piges. Ce ne sont pas des appointements mirobolants3, mais Paris ! la politique ! Sa demande de mise en disponibilité accordée par le ministère, Paradol revient dare-dare dans la capitale, où il commence à écrire au Journal des débats le 1er janvier 1857.



Là, il est chargé du « Premier Paris », c'est-à-dire de l'éditorial de la une, en alternance chaque mois avec Alloury. L'art en est difficile, d'autant que le journal, de tradition orléaniste, est dans l'opposition, surveillé, sous la menace quotidienne de la censure. Il apprend à écrire « de biais », à remplacer les assertions par les allusions, à manier l'ironie prudente, à user de laconismes bien entendus, à tirer « à ricochet ». Paradol s'y entend si bien qu'aux dires de Ludovic Halévy il a sa réputation dès le premier mois : « Il était le premier journaliste politique et un des premiers écrivains de son temps4. » Sollicité par Buloz, il collabore aussi à La Revue des deux mondes, et répond aux offres du Journal de Genève et du Times, ayant acquis très vite une renommée à l'étranger, et jusqu'aux États-Unis, où l'Evening Post lui demande - en vain - une chronique.



Se choisissant pour cible un adversaire privilégié, en l'occurrence Louis Veuillot et L'Univers, il donne libre cours à sa veine polémique contre les intolérances de l'Église, l'ultramontanisme, les apparitions de Lourdes, au diapason de ce Journal des débats favorable au protestantisme. Mais son anticatholicisme évolue, sous l'influence de l'amitié d'un certain nombre de catholiques libéraux comme Montalcmbert. Le voilà même, en 1860, signant un article sur saint Vincent de Paul, qui lui vaut les moqueries de son entourage : chez les Halévy, son rond de serviette est gravé au nom de « M. le curé ». C'est que Paradol n'est pas favorable à la politique italienne de Napoléon III, contrairement au journal qui l'emploie. Le principe des nationalités l'inquiète, il le juge dangereux pour la France. De sorte qu'il doit chercher, pour en parler, une autre tribune, qu'il trouve au Courrier du dimanche. Pour la politique intérieure, il écrit du même élan dans les deux journaux, appelant à l'union des anciens partis contre le despotisme, contribuant de sa plume à la mise en place de l'Union libérale, passée entre royalistes et républicains, pour les élections de 1863.



C'est alors que Prévost-Paradol, se lançant dans la politique active, se présente aux élections dans les circonscriptions de Périgueux et de Paris.En Dordogne, où il est peu connu, il n'apparaît pas comme un candidat sérieux. Et, dans la 6e circonscription de la capitale, il a pour adversaires n0n seulement le candidat du gouvernement, mais le démocrate Guéroult et, à son grand dam, un autre libéral, le catholique Augustin Cochin. Pans les deux cas, il est battu à plate couture, n'obtenant à Périgueux que 10 % des voix et à Paris moins de 1 %. Pas de quoi le réconcilier avec le suffrage universel !

Paradol obtient néanmoins une belle compensation à ses déboires électoraux, puisqu'il est élu à l'Académie, où catholiques et orléanistes dominent, en 1865, contre son confrère Jules Janin, lui aussi journaliste aux Débats. Les Quarante, ce n'est pas si courant, sont alors dans l'opposition, l'influent Mgr Dupanloup en tête. L'élection de Paradol, à trente-six ans, paraît une provocation. Il a su préparer le terrain, distribuer les éloges, faire des visites opportunes, fréquenter les salons ad hoc, suivre les séances, écrire des articles flatteurs, ménager les académiciens d'un autre bord que lui. Les académiciens, quant à eux, ne sont pas mécontents d'élire au siège d'Ampère, autre libérai, un adversaire de talent au régime, parrainé par Victor de Broglie et Auguste Mignet. Paradol a pu compter, entre autres, sur les appuis de Thiers, Guizot, Montalcmbert, Rémusat, Barante, Dupanloup, le duc et le prince de Broglie, Berryer... Sainte-Beuve, lui, a donné sa voix à Janin, battu seulement au troisième tour.

Très attendue, la réception de Paradol a lieu le 5 mars 1866, provoquant un afflux de curieux aux abords de la Coupole. Dans son éloge d'Ampère, le nouvel immortel se hasarde à quelques prudentes allusions politiques (qui déclencheront le lendemain les critiques de la presse bonapartistE). François Guizot, très digne, grand cordon de la Légion d'honneur, prononce un discours de réception empreint d'une sympathie partagée par l'auditoire qui souligne ses propos par des applaudissements. Présenté par Guizot à Napoléon III aux Tuileries, le dimanche 18 mars, le nouvel académicien rapporte à Ludovic Halévy cet entretien singulier : « Grand air de bienveillance, sourire et regards caressants, mais beaucoup d'embarras. Dialogue. L'Empereur : Je regrette qu'un écrivain si distingué ne soit pas de nos amis. Le sujet rebelle : Je le regrette aussi. L'Empereur : Vous n'êtes pas de mon avis sur César [Napoléon III a écrit une Vie de César] dans votre discours, mais nos opinions se rapprochent davantage dans votre Histoire universelle - Surprise du sujet rebelle qui n'a pas eu le temps de rien ajouter, l'Empereur ayant demandé des nouvelles de sa santé à M. Guizot sans laisser aucun intervalle entre une phrase et l'autre. Salut et sortie. »



Prévost-Paradol est alors au sommet de sa réussite. Introduit par Thiers dans les milieux politiques, et par Ludovic Halévy dans les salons et les théâtres, il est sollicité, admiré, envié, sans cesser d'être craint ou haï par les fidèles du régime. Il contemple toujours les jolies femmes, collectionne les succès auprès des comédiennes et des danseuses : en 1867, il suit une ballerine à Berlin ; devenu veuf en 1869, il séduira Aimée-Olympe Dcsclée, créatrice de Frou-Fwu. Mais cette légèreté, qui amuse ses contemporains, ne l'empêche pas d'être un observateur attentif et inquiet de la vie politique. Il s'alarme notamment de la politique extérieure de la France impériale, conduite par le principe des nationalités, et dont il perçoit clairement les dangers pour sa patrie.



En 1866, au lendemain de la victoire foudroyante de la Prusse contre l'Autriche à Sadowa, Paris pavoise. Paradol se ressaisit vite : la construction de l'unité allemande et celle de l'unité italienne sont une menace pour la France, il veut en avertir le pays : « Jeunes, enflées de leur force nouvelle, arrogantes par tempérament, gâtées par le succès inouï de leur audace, [ces nations] regardent déjà avec un certain dédain cette vieille France, bientôt assez mûre à leurs yeux, sans doute, pour aller rejoindre la vieille Autriche et feu l'Espagne dans les souvenirs de l'histoire. » C'est le 15 juillet 1866 qu'il prophétise ainsi dans le Courrier du dimanche. Allant plus loin, Paradol montre la France impuissante et se moque du Constitutionnel sous forme d'apologue : « Dans un des voyages de Gulliver, celui de Laputa, l'île volante, on raconte l'histoire d'une dame de la cour très belle, aimée par les plus galants hommes, qui s'enfuit pour aller vivre avec un palefrenier. Elle est dépouillée, battue, abêtie, un peu plus tous les jours ; mais c'en est fait ; elle y a pris goût et ne peut plus être arrachée à cet indigne amant. Cette histoire me revient à l'esprit quand je vois la France, l'oreille attentive à la voix du Constitutionnel et cherchant à lire sa destinée dans un tel oracle. » Tous les lecteurs de l'article comprennent que ledit palefrenier est Napoléon III. Le ministre de l'Intérieur La Valette ne l'interprète pas autrement. Du reste, le Courrier a déjà eu 8 avertissements, 2 suspensions, une condamnation judiciaire pour excitation à la haine et au mépris du gouvernement : son compte est bon. Ce tableau d'une France impuissante et humiliée n'est pas admissible : « Un audacieux outrage à la vérité, une injure calomnieuse envers le pays, une attaque à l'honneur, une excitation chon-tée à la révolte, à la sédition, au renversement des institutions et du gouvernement... » A la lecture de ce rapport, l'empereur, alors à Vichy, décrète la suppression du Courrier - on n'en avait pas vu d'autre depuis la suspension de L'Univers en 1862. Paradol reçoit quelques témoignages de condoléances, mais s'émeut du silence général : « Le peu d'émotion que cette mesure a produite, en dehors de la classe éclairée, peut servir à nous rappeler une fois de plus que les progrès de la démocratie n'ont rien à faire avec les progrès de la liberté, et qu'une société peut devenir de plus en plus démocratique sans avoir même l'idée de ce que c'est qu'un être libre. »



Prévost-Paradol reste et restera hanté par le danger prussien7. Lors de s0n escapade amoureuse de 1867 en Allemagne, il décrit à Ludovic Halévy le nombre « effrayant » d'uniformes qu'il voit dans les rues de la capitale ; il devine une nation qui « respire l'ambition et la guerre ». La passion de nationalité l'inquiète aussi à propos du sort des juifs d'Europe centrale et orientale. Depuis la Révolution, l'émancipation des juifs s'est peu à peu étendue en Europe, et d'abord dans les pas des armées impériales. En France, leur statut social ne cesse de s'améliorer, et le Second Empire n'hésite pas à leur offrir places et carrières. Lors de l'affaire Mortara, en 1857, on l'a vu, à l'exception de L'Univers, l'ensemble de la presse française, y compris Le Constitutionnel, s'enflamme en faveur de la famille Mortara et vitupère le Saint-Office. Mais cette tolérance risque de ne pas être le fait des jeunes nations qui, pour affirmer leur identité, ont tendance à infliger aux juifs des mesures d'exclusion. C'est notamment le cas en Roumanie, où une circulaire gouvernementale datant d'avril 1867 rappelle aux préfets de Moldavie que les juifs ne peuvent avoir accès à la propriété terrienne, qu'ils ne peuvent gérer des hôtels et des cabarets. Le 1er juin, Paradol, prenant la défense des juifs, élève la question au principe si dangereux des nationalités : « Pour beaucoup d'esprits faux, écrit-il, le principe des nationalités est un certain droit (ils diraient plus volontiers un certain devoiR) qu'auraient les races d'origine différente de ne pas vivre les unes à côté des autres. C'est ainsi que certains journaux allemands prétendent faire rougir l'Alsace de sa résolution à rester française. Le principe des nationalités, entendu de cette manière, nous ramène simplement à cet étal antique du monde, où le nom d'étrangers, hostis, se confondait avec celui d'ennemis. »



Question capitale, qui devait enflammer l'Europe jusqu'à nos jours, que celle de la nation. Paradol, avant Renan en 1882, réaffirme la conception française : la nation ne se définit ni par la race, ni par la langue, ni par la religion, elle existe par la volonté de ses membres à vouloir vivre ensemble, à former une communauté politique. Paradol revendique cet héritage de la Révolution : la guerre des races serait fatale à l'Europe.

Revenant au danger prussien, il va montrer sa liberté d'esprit, en défendant, seul dans l'opposition contre tous, le projet de réforme militaire du général Niel en 1867. La guerre d'Italie ayant révélé bien des faiblesses dans l'organisation militaire, Niel est appelé à présenter un projet de loi. Celui-ci, tout en diminuant la durée du service militaire (5 ans au lieu de 7), institue une garde mobile pour ceux qui ne sont pas incorporés et qui sont tenus à 15 séances d'exercice d'un jour par an. Le système du remplacement serait aboli, et les effectifs s'en trouveraient renforcés : « L'influence d'une nation, disait l'empereur à l'ouverture de la session législative de février 1867, dépend du nombre d'hommes qu'elle peut mettre sous les armes. N'oubliez pas que les États voisins s'imposent de bien plus lourds sacrifices pour la bonne constitution de leurs armées ; ils ont les yeux fixés sur vous pour juger, par vos résolutions, si l'influence de la France doit s'accroître ou diminuer dans le monde. »

Or ce projet de loi est combattu de gauche et de droite. La gauche politique se méfie de la puissance militaire : n'est-ce pas sur elle que le coup d'État a été fait, que l'Empire s'est établi ? Le courant humaniste contrarie le vieux nationalisme jacobin. Sans doute, à l'extrême gauche, des hommes comme Blanqui et Barbes restent fidèles au culte de la Nation armée. Mais, outre que la Nation armée est autre chose quand elle est sous l'autorité d'un régime impérial, l'esprit démocratique, comme l'a prédit Tocqueville, rejette l'idée de guerre. Les couches populaires urbaines elles-mêmes, si longtemps chauvines, ne veulent pas entendre parler d'impératif militaire. La déconfiture du Mexique a encore aggravé la tendance. Dans les rangs de la majorité, les députés craignent une telle réforme, impopulaire, à quelque temps des élections. C'est face à ces rejets divers que Prévost-Paradol, n'écoutant que son patriotisme, s'élève et argumente. Il écrit à Falloux :



« Je ne vous cache pas que je suis aujourd'hui encore plus préoccupé et inquiet de l'état moral du public qu'irrité des fautes du gouvernement. Je suis humilié et effrayé du sentiment de répulsion universelle que cause le projet de loi sur l'armée. Non pas qu'on ne puisse trouver le projet mauvais ; mais ce n'est pas comme mauvais que la France entière le repousse, c'est que l'idée de faire un sacrifice quelconque à la grandeur et à la sûreté même de la patrie ne peut plus entrer dans les esprits ou, pour mieux dire, est au-dessus de tous les cours. Le corps de la France est malade, mais j'ai bien peur que son âme ne soit morte, et alors à quoi bon nos efforts? »



La réforme Niel est finalement amendée, affaiblie, dénaturée par le Corps législatif. La loi du 5 février 1868 ne prévoit qu'un contingent de 100 000 hommes par an, en maintenant le tirage au sort et la possibilité du remplacement. Niel fait passer son projet de garde mobile pour la défense du territoire ; elle concerne ceux qui ont échappé au service actif, bons numéros, remplacés et exemptés. Mais, à la mort de Niel en 1869, cette garde mobile n'est toujours pas organisée. La France entrera en guerre contre la Prusse en état d'infériorité militaire notable - ce que Prévost-Paradol a redouté par-dessus tout.

Cette menace d'une Prusse rajeunie, prenant la tête des États allemands, Paradol l'avait martelée dans La France nouvelle, sortie en 1868, et qui deviendra une des références classiques du courant libéral. « La France approche de i'épreuve la plus redoutable qu'elle ait encore traversée10. » La première erreur de la France a été de laisser Bismarck démembrer le Danemark, sans consulter les populations intéressées du duché de Posen et du Schleswig, puis de faire comme si tous les membres de la Confédération germanique souhaitaient être subordonnés à l'hégémonie prussienne. Faisant l'hypothèse d'une guerre avec la Prusse, il montre qu'une victoire militaire de la France est rien moins qu'assurée : « La seule question qui pût être débattue naguère lorsqu'on parlait de la puissance militaire des États du continent, était de savoir si la France pouvait tenir tête à l'Europe coalisée : aujourd'hui, la question est de savoir si la France l'emporterait sur la Prusse, et il n'est personne qui ne considère cette lutte comme une épreuve des plus sérieuses pour notre pays. » En cas de défaite, la France descendrait dans l'abîme. Or < les choses vont à la guerre », parce qu'« il est presque impossible que la Prusse, malgré sa prudence, ne fasse point un pas de plus vers l'absorption de l'Allemagne, et il est impossible que le gouvernement français, malgré sa patience, assiste à ce nouveau mouvement sans tirer l'épée ».

Choc frontal, inévitable, l'hégémonie sur le continent européen en est l'enjeu. « Oui, la France payera de toute manière, du sang de ses enfants, si elle réussit, de sa grandeur et, peut-être, de son existence même, si elle échoue, la série de fautes commises depuis le jour où le démembrement du Danemark a commencé sous nos yeux, depuis le jour où nous avons favorisé ce grand désordre avec la vaine espérance d'en tirer profit. » Du reste, la France aurait beau rester inactive, laisser faire l'unification de l'Allemagne sans broncher, d'une façon ou d'une autre ce sera « l'irrévocable déchéance de la grandeur française ». Il n'est besoin que d'imaginer le regroupement de 51 millions d'Allemands sous le même drapeau aux portes de la France, alors qu'adviendrait-il de son indépendance ? Certes, on peut imaginer que cette Allemagne unifiée serait pacifique, occupée de paix et de commerce, prêchant la fraternité universelle. Rêve auquel Paradol réplique : « Pourquoi verrait-on, pour la première fois dans le monde, une grande puissance en voie d'accroissement s'arrêter d'elle-même par le simple sentiment de la justice, respecter le faible à demi détruit par sa propre main, s'interdire de son propre mouvement une acquisition avantageuse, abjurer sans y être contrainte tout désir de commandement, et, après avoir montré une ambition qui semblait au-dessus de ses forces, rester tout à coup en deçà de ses forces, de peur de trop céder à l'ambition ? » Réaliste, Paradol ne croit pas en un tel miracle. Mais, lui objecte-t-on, une unité allemande, une superpuissance germanique, pourquoi pas, du moment que la France, elle, n'est pas envahie ? L'auteur de La France nouvelle fait d'abord valoir que les provinces françaises de langue allemande - la future « Alsace-Lorraine » - ne pourraient échapper aux appétits de l'Allemagne. Et quand bien même la paix serait maintenue, la France serait soumise aux volontés de la puissance voisine : « Il n'y a point de milieu pour une nation qui a connu la grandeur et la gloire entre le maintien de son ancier prestige et la complète impuissance. »

Prophète de la décadence française, Prévost-Paradol, en même temps qu'il annonce la montée en puissance de l'Allemagne, montre à quel point l'avenir est promis aux peuples anglo-saxons. Les Etats-Unis, sortis de la guerre de Sécession depuis 1865, en plein essor, et l'Angleterre, dont la flotte sillonne toutes les mers, imposent de plus en plus leurs normes et leur langue à la planète. La France n'a pas su saisir sa chance historique. S'appuyant sur le Canada et la Louisiane, elle aurait pu dominer et franciser l'Amérique du Nord : « Sans des fautes que la liberté politique aurait épargnées à nos pères, la langue et le sang de la France occuperaient probablement aujourd'hui sur notre globe la place qu'ont irrévocablement conquise la langue et le sang de l'Angleterre : car le destin a prononcé et deux parties du monde au moins, l'Amérique et POcéanie, appartiennent sans retour à la race anglo-saxonne. » Prescience remarquable de Paradol, qui lui fait voir à moyenne échéance la prépondérance des États-Unis sur le monde. La démographie en est une autre cause.



Notre auteur voit à la décadence française une cause profonde, souterraine, méconnue de presque tout le monde : le déclin démographique. Le diagnostic est d'une précocité étonnante : « Si notre population, obstinément attachée au sol natal, continue tantôt à s'y accroître avec une extrême lenteur, tantôt même (comme il nous est arrivé pendant dix annéeS) à rester stationnaire ou à décroître, nous pèserons, toutes proportions gardées, dans le monde anglo-saxon, autant qu'Athènes pesait jadis dans le monde romain. Nous serons toujours la plus attrayante et la plus recherchée des sociétés de l'Europe, et nous brillerons encore de la plus vive lumière dans cet assemblage d'États vieillis, comme jadis Athènes parmi les cités de la Grèce déchue... » Et Prévost-Paradol d'énoncer cette loi : « Le nombre des Français doit s'augmenter assez rapidement pour maintenir un certain équilibre entre notre puissance et celle des autres grandes nations de la terre. »



Paradol a-t-il une solution ? La seule qu'il envisage est la colonisation, et particulièrement la mise en valeur de l'Algérie, appelée à devenir colonie de peuplement : « C'est une terre française qui doit être le plus tôt possible peuplée, possédée et cultivée par des Français, si nous voulons qu'elle puisse un jour peser de notre côté dans l'arrangement des affaires humaines. » Ce n'est sans doute pas, à nos yeux, la partie la plus lucide de son livre, mais Paradol voit comment les colonies de peuplement britannique - Amérique, Australie, Nouvelle-Zélande - assurent le rayonnement anglo-saxon. La survie de la France repose, à ses yeux, sur l'établissement de 80 à 100 millions de Français, « fortement établis sur les deux rives de la Méditerranée ».



Dans cet ouvrage crépusculaire, qui traite d'une décadence annoncée sinon programmée, Paradol expose par ailleurs sa profession de foi libérale. Peu d'idées en matière économique, pas de programme au registre social - il se prononce contre le socialisme, nécessairement allié à la tyrannie. L'important est d'assurer le règne de la liberté, et cela quel que soit le régime établi : il ne tient ni pour la monarchie, ni pour l'Empire, ni pour la République, il s'accommode de chacun de ces modes de gouvernement à condition qu'il respecte les principes. « Combien de fois faudra-t-il le redire, nous ne lèverons jamais la main contre un empire libre, contre une monarchie libre, contre une république libre ; et nous nous défendrons de notre mieux contre un empire despotique, contre une monarchie absolue, contre une république dictatoriale. Est-il donc si impossible d'aimer la liberté pour elle-même, indépendamment de la main qui la donne et du drapeau qui la recouvre, de faire passer la régénération de la France avant le triomphe d'un parti [...] sans même se demander si son premier magistrat doit porter le nom de roi, de président ou d'empereur ? » Cette affirmation qu'il a déjà faite, il la reprend pour imaginer une Constitution qui puisse convenir aussi bien à une république modérée qu'à une monarchie (ou empirE) libérale.



Ce régime doit être fondé sur la séparation des pouvoirs, comme l'a montré Montesquieu, mais en particulier sur la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, c'est-à-dire la séparation de l'Eglise et de l'État. Libéral d'une nouvelle génération, il ne remet pas en question le suffrage universel, malgré qu'il en ait : sa victoire est irréversible ; il doit avoir pour conditions la liberté de la presse et la liberté de réunion. Cependant, le respect des minorités doit être assuré, et il préconise le système du « vote accumulé » (une technique de récupération des voix perdues sur des candidats battuS) pour leur assurer une représentation. La séparation du législatif et de l'exécutif, plus anciennement reconnue, doit se faire en faveur du premier, dont la prépondérance assurera l'annulation du régime personnel. Le suffrage universel désignera aussi une partie des membres de la Chambre haute - il est fidèle au modèle du bicamérisme à l'anglaise -, une partie de cette Chambre étant composée de notabilités nationales, en raison de leurs fonctions. Des commentateurs ne manquent pas de remarquer qu'il réserve 10 sièges à l'Institut, une façon pour lui d'avoir sa chance. Dans cette construction, le chef de PÈtat exerce un rôle d'arbitre, étant doté notamment du droit de dissolution de la Chambre normalement élue pour 5 ans.



Les réflexions de Prévost-Paradol dans cette théorie constitutionnelle portent sur la décentralisation administrative et sur la justice. La décentralisation est alors le vou de toutes les oppositions, Paradol fait écho au Programme de Nancy signé en 1865 aussi bien par des légitimistes comme Berryer et Falloux que par des républicains comme Ferry et Garnier-Pagès. Prévost-Paradol lui-même est un des signataires de ce manifeste visant à émanciper les collectivités locales de la tutelle parisienne.



Ses idées sur la justice sont sans doute plus fortes. Il dénonce la subordination des magistrats au pouvoir politique, dont ils dépendent pour leur carrière, et conçoit un système complexe pour retirer à l'exécutif son pouvoir exorbitant sur la magistrature. Entrant dans le détail de la procédure pénale, il proteste contre ce qu'il appelle la superstition de l'aveu. Certaines affaires récentes montrent à quel point l'aveu n'est pas preuve : « De deux choses l'une : ou bien les faits recueillis et les témoins entendus mettent suffisamment sa culpabilité en lumière, et alors où est le besoin de lui arracher par ruse ou par contrainte l'aveu superflu de son crime ? Ou bien les faits et les témoignages ne peuvent établir sa culpabilité, et l'aveu qu'on poursuit a pour but de suppléer au défaut de preuves ; mais alors on s'engage aussitôt sur le même chemin qui conduisait notre ancienne justice à l'emploi de la question et des tortures. »

La France nouvelle, qui inspirera les fondateurs de la IIIe République - ceux qui votent les lois constitutionnelles de 1875 -, a été bien accueillie par le public, son éditeur Michel Lévy en est content. L'auteur reçoit des compliments d'horizons très divers : Rochefort, Sainte-Beuve, Guizot, Veuillot même, chacun y va de ses félicitations, sans approuver forcément tout le contenu du livre. Montalembert lui adresse les louanges les plus marquées. Mais les attaques ne manquent pas non plus, venant soit des fidèles du régime, soit des milieux démocrates. Barbey d'Aurevilly lui décoche ses flèches empoisonnées : « La France nouvelle veut être un pamphlet. Elle a pour cela la meilleure volonté d'un esprit lâche... Mais qu'est-ce qu'un pamphlet sous forme métaphysique ? Qu'est-ce qu'un pamphlet de généralité hypocrite quand il faudrait de la personnalité courageuse ? C'est un pamphlet abstrait, un pamphlet qui n'est pas un pamphlet. » Les journaux démocratiques, Le Réveil et Le Siècle, réduisent cet ouvrage à une tentative de rajeunissement de l'orléanisme, à l'écho « des vieux doctrinaires et des burgraves ». En dehors des principes libéraux exposés, c'est le pessimisme de Paradol qui déplaît : on n'a jamais aimé les Cassandre.



Affecté par les attaques dont il est l'objet, Prévost-Paradol n'en tente pas moins sa chance aux élections législatives de 1869, dans la circonscription de Nantes cette fois, dont le député Lanjuinais, élu de l'Union libérale, vient de mourir. Il se présente face à des candidats aux étiquettes claires : un défenseur officiel du régime, un légitimiste, un républicain. Libéral sans drapeau, Parisien sans autre soutien qu'un comité de bourgeois, Paradol se lance en campagne sur le thème des libertés - liberté religieuse, libertés locales, liberté de l'enseignement, liberté de la presse -, se révélant bon orateur public au cours de deux grandes réunions, les 10 et 15 mai 1869, à la Bourse et au théâtre de la Renaissance. Il croit désormais en ses chances. Las ! au premier tour, il n'arrive finalement qu'en quatrième position, avec à peine plus de 2 000 voix sur 31 000 votants. Une déroute. Il n'est pas le seul à être vaincu : dans toute la France, l'Union libérale recule nettement, car les opinions sont désormais plus tranchées. Paradol y a ajouté ses allures de Parisien, en laissant deviner son mépris de la province, en révélant son manque d'aptitude aux campagnes électorales, au cours desquelles il faut savoir taper sur l'épaule des uns, boire des verres sans être gris, se montrer jovial et familier. Lui, dans ses tournées, n'hésite pas à parcourir les villages à cheval, un cigare à la bouche, et une fleur à la boutonnière : « On eût dit, note un témoin, un grand seigneur visitant ses terres". » Comment ne pas sortir de cette mésaventure découragé ?



Opposant impénitent au régime impérial, il est attentif au changement qui suit les élections. Le ministère du 2 janvier 1870, présidé par Emile Ollivier, annonce un grand pas de plus vers la libéralisation du régime. Cette fois, le contrôle parlementaire est assuré, les candidatures officielles sont supprimées. Paradol, qui n'a pas la religion d'un mode de régime, mais celle des « libertés nécessaires », est conséquent avec lui-même, avec ce qu'il a écrit dans son maître livre, en faisant acte de ralliement à l'Empire nouvelle manière. Sous les attaques qui l'assaillent, les quolibets et les caricatures des petits journaux, il offre ses services, et, parlant et écrivant parfaitement l'anglais, accepte de représenter la France à Washington, dans le mouvement diplomatique daté du 12 juin 1870.

H s'embarque donc sur le Lafayette, en compagnie de sa fille Lucy et de son fils Hjalmar, laissant sa fille Thérèse à Paris. Le même navire ramènera, le 3 août, à Brest, sa dépouille mortelle : Prévost-Paradol s'est suicidé d'un coup de pistolet, devant la glace de sa chambre, dans la nuit du mardi 20 juillet. La presse se perd en conjectures sur les raisons du drame : les difficultés de son nouveau poste, pour lequel il se sent peu compétent, la chaleur accablante de New York, un chagrin d'amour12... Plus vraisemblablement, on met le suicide au compte de l'accablement qu'il a ressenti en apprenant la nouvelle de la déclaration de guerre entre la France et la Prusse. Lui qui avait voulu l'éviter, qui en craignait l'issue quelle qu'elle soit, comment avait-il pu se commettre en ralliant Napoléon III, dont la responsabilité dans ce conflit est évidente ? Il se sent déshonoré. Toutes les raisons invoquées sont sans doute secondaires : Prévost-Paradol se suicide parce qu'il ne croit plus en lui depuis la bourrasque des élections de Nantes, suivie par l'avalanche de critiques qu'il a subies après son ralliement à l'Empire. Le dégoût, la solitude, la lassitude, le sentiment de l'échec, l'obscurité de l'avenir, la rupture avec son environnement familier, peut-être aussi un attrait morbide déjà ancien pour le suicide, la meilleure des façons de dire au revoir... Une fin assez digne, somme toute, d'un vaincu vainqueur. Car, enfin, la IIIe République, issue d'une guerre dont il avait décrit l'imminent danger, sera largement fondée sur les principes d'Anatole Prévost-Paradol.








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