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Proudhon écrit à son « cher Monsieur Marx »






S'il est un penseur socialiste français que Karl Marx désire voir à son arrivée à Paris, c'est bien Pierre-Joseph Prouhon. Ses ouvrages {Qu'est-ce que la propriété ?, en 1840, suivi de son Avertissement aux propriétaires, qui lui vaut deux ans plus tard quelques ennuis avec la justice, et enfin De la création de l'ordre de l'humanité, paru l'année où Marx se fixe en FrancE) en ont fait un penseur original, sorti du peuple, épargné par la religiosité ambiante chez les socialistes français, ce qui est évidemment au goût de Marx.

Celui-ci, en 1865, à la mort de Proudhon, devenu entre-temps son adversaire, écrira : « Pendant mon séjour à Paris, en 1844, j'entrai en rapports personnels avec Proudhon. Je rappelle cette circonstance parce que, jusqu'à un certain point, je suis responsable de sa sophistication, mot qu'emploient les Anglais pour désigner la falsification d'une marchandise. Dans de longues discussions, souvent prolongées toute la nuit, je l'infestais (je l'injectaiS) de mon hégelianisme - à son grand préjudice, puisque, ne sachant pas l'allemand, il ne pouvait pas étudier la chose à fond. »





Ce rapprochement finalement raté est un des épisodes les plus marquants des efforts accomplis par la jeune gauche hégélienne au début des années 1840 auprès des Français pour former cette alliance intellectuelle franco-germanique, dont les Annales franco-allemandes sont une autre illustration, sans lendemain, comme on l'a vu. Proudhon est alors, pour Marx, « le penseur le plus hardi du socialisme français ». Dans l'article nécrologique évoqué, Marx rappelle le grand mérite de Proudhon, son athéisme : « A une époque où les socialistes français se targuaient de leurs sentiments religieux comme d'une supériorité sur le voltairianisme du XVIIIe siècle, et sur l'athéisme allemand au xixc siècle, [Proudhon] multipliait ses attaques contre la religion et l'Église. » Hélas ! tout, aux yeux de Marx, devait se gâter.



Proudhon, de neuf ans plus âgé que Marx, est né en 1809 à Besançon, comme Fourier : « Je suis de pur calcaire jurassien. » Fils d'un vigneron-tonnelier, jusqu'à son entrée au collège à douze ans, il garde les vaches ; racines paysannes donc, de cette paysannerie libérée des seigneurs par la Révolution, fière et indépendante, qu'il revendiquera toujours. Ses études sont vite abrégées, après l'échec d'une entreprise paternelle trop aventureuse et la ruine de sa famille. Au lieu de passer le baccalauréat, il entre dans l'imprimerie, devient compositeur, puis correcteur. Dix heures de travail quotidiennes ne limitent pas sa boulimie de lectures. En 1829, il lui est donné de composer et de corriger Le Nouveau Monde industriel et sociétaire de son compatriote Fourier : une révélation ! Pendant un temps - assez court -, il se passionne pour les théories fouriéristes. Au vrai, les idées de Fourier sur l'amour et la famille, Proudhon, homme austère, attaché aux principes traditionnels, les rejette. Dans ses travaux d'autodidacte, il est aidé jusqu'à son adolescence par un aîné, un jeune protestant de ses amis, Gustave Fallot, qui croit en lui, en sa vocation, en son génie - ce qui l'amène à lui écrire, dans une lettre datée de décembre 1831 : « Vous serez, Proudhon, malgré vous, inévitablement, par le fait de votre destinée, un écrivain, un auteur ; vous serez un philosophe ; vous serez une des lumières du siècle, et votre nom tiendra sa place dans les fastes du XIXe siècle3. » Fallot le presse de s'installer auprès de lui à Paris ; nulle part ailleurs, il ne pourra parvenir à cette gloire à laquelle il est promis. Ému par ces appels, par cette confiance, Proudhon arrive avec son maigre bagage à Paris, en mars 1832. Mais, débarqué en pleine épidémie de choléra, Fallot tombe malade, et lui ne trouve pas de travail : dès le mois de mai, il quitte Paris et, muni de son livret ouvrier obligatoire, s'aventure dans un tour de France, errant d'une imprimerie à l'autre, Lyon, Valence, Avignon, Marseille, Toulon, Draguignan...



Après un dernier emploi plus durable chez un imprimeur d'Arbois, il regagne en 1833 Besançon, où il devient prote à la maison Gauthier pendant environ trois ans. Au début de 1836, il réussit, en s'associant, à reprendre une petite imprimerie qui périclitait, accédant à l'indépendance, réalisant ainsi l'un de ses projets, devenir «maître-imprimeur4». Il se lance alors dans l'étude de la philologie, pour « continuer Fallot » (l'ami cher dont il apprend la morT), ce qui le conduit à publier son premier écrit, un Essai de grammaire générale, sorti sans signature de son imprimerie en 1837. Désireux de poursuivre ses études, il postule à une bourse de l'Académie de Besançon, destinée, grâce à un legs particulier - celui de Mme Suard, veuve d'un académicien -, à doter pendant trois ans un jeune méritant du département d'une pension annuelle de 1 500 francs, pour encourager sa carrière intellectuelle. Fallot a montré la voie, puisqu'il a été le premier boursier Suard, de 1832 à 1835. Afin de se porter candidat, il lui faut être bachelier. Qu'à cela ne tienne : il prépare le baccalauréat dare-dare et réussit en mai 1838. Puis Proudhon envoie sa lettre de candidature à l'Académie de Besançon, sans masquer ses idées : « Né et élevé dans la classe ouvrière, lui appartenant encore, aujourd'hui et à toujours par le cour, le génie, les habitudes, et surtout par la communauté des intérêts et des voux, la plus grande joie du candidat, s'il réunissait vos suffrages, serait, n'en doutez pas, Messieurs, d'avoir attiré dans sa personne votre juste sollicitude sur cette intéressante portion de la société, si bien décorée du nom d'ouvrière, d'avoir été jugé digne d'en être le premier représentant auprès de vous ; et de pouvoir désormais travailler sans relâche, par la philosophie et la science, avec toute l'énergie de sa volonté et toutes les puissances de son esprit, à l'affranchissement complet de ses frères et compagnons . »



Le professeur Perennès, dont il a suivi les cours à la faculté des lettres, et qui le soutient dans sa candidature, juge le passage un peu raide. Proudhon le reprend, biffe le mot « affranchissement », remplacé par : « amélioration morale et intellectuelle », mais continue à se proclamer frère et compagnon des ouvriers. Le 24 août 1838, après une lutte serrée, il est proclamé boursier de la pension Suard, ce qui lui permet de venir s'installer à Paris en novembre 1838. Là, sous la surveillance cordiale du « tuteur académique » imposé, Joseph Droz, membre de l'Académie française, «juste-milieu », brave homme sans génie, il renonce aux soirées comme aux cours publics et devient un rat de bibliothèque - particulièrement de la bibliothèque de l'Institut, où il engouffre sans plan d'immenses lectures désordonnées, ce qui lui vaut de se faire taxer de sauvage par son tuteur. La vie parisienne l'ennuie ; il se tiendra toujours « dans le monde » comme un paysan mal dégrossi, même quand il s'applique à porter canne, manteau et chapeau. Anonyme ou célèbre, timide il est, timide il restera. Il mène de front avec une énergie farouche l'étude des langues anciennes (bon latiniste, helléniste, il apprend le sanscrit, l'hébreU), s'attelle à l'exégèse biblique, lit toute la philosophie qui lui tombe sous la main, suit quelques cours publics sans y prendre goût (sauf ceux de Michelet au Collège de FrancE), continue à diriger son imprimerie à distance, et s'emploie à divers travaux pour arrondir ses revenus, et honorer ses éternelles dettes. Il n'est manifestement habile ni dans le commerce ni dans l'industrie.



En 1839, à l'insu de son tuteur académique, Proudhon concourt à un prix de l'Académie de Besançon, sur « l'utilité'du dimanche, considéré sous les rapports de l'hygiène, de la morale, des relations de famille et de cité ». En août, son mémoire de 47 pages d'écriture serrée est lu en séance publique, mais classé à part, hors ligne, bon pour une médaille de bronze. C'est que Proudhon, dans sa Célébration du dimanche, ne perd pas de vue sa visée d'affranchissement, désireux, écrit-il, de « trouver un état d'égalité sociale qui ne soit ni communauté ni despotisme, ni morcellement, ni anarchie, mais liberté dans l'ordre et indépendance dans l'unité - découvrir et constater les lois économiques, restrictives de la propriété, distributives du travail... Le droit de vivre appartient à tous : l'existence en est la prise de possession ; le travail en est la condition et le moyen. C'est un crime d'accaparer des subsistances ; c'est un crime d'accaparer le travail. » Tout cela fait frémir les académiciens francs-comtois. Conscient du scandale qu'il provoque, désireux d'imprimer son discours sur les presses qu'il a gardées à Besançon, il écrit à son ami Huguenet, chargé de l'imprimerie en son absence : « Je puis dire que je viens de passer le Rubicon. » La brochure imprimée à l'automne 1839, le clergé local sonne l'alarme, les républicains croient reconnaître un des leurs. Toutes les idées forces du proudhonisme sont en germe dans cet essai.



Rationaliste, optimiste, scientiste à la recherche d'une « science de la société » comme Saint-Simon, Fourier, Comte, il entend découvrir des « lois immuables » des rapports sociaux et politiques. Sans doute est-il démocrate, républicain, mais il refuse la loi du nombre, la dictature de la majorité. Sa conception de la société est an-archique (selon sa propre orthographE) : ennemi de l'autorité centrale, des « êtres providentiels », il professe l'autonomie des groupes (on sent poindre déjà son idée de fédéralismE), sur la base des principes fondamentaux de liberté et d'égalité qui, réunis, forment la Justice. Si le clergé condamne son ouvrage, ce n'est pas que Proudhon fasse profession d'athéisme, c'est qu'il remet en cause le principe d'autorité qui gouverne l'Église : si elle ne sait pas échapper au dogmatisme et à l'intolérance, prophétise-t-il, elle sera condamnée.



De retour à Paris en novembre 1839, il s'installe dans une modeste chambre au 16 de la rue Jacob, reprend ses innombrables lectures, et prépare un nouvel ouvrage, la bombe qui le fera connaître à tout jamais, un ouvrage dont le premier titre imaginé est : Qu 'est-ce que la propriété ? C'est le vol ou Théorie de l'égalité politique, civile et industrielle - et qui deviendra, pour ne pas trop effaroucher les pouvoirs publics, son Ier Mémoire sur la Propriété*. Il y travaille dans des conditions de précarité extrême, sa pension étant largement dévorée par le remboursement de ses dettes. Plus que jamais, il en appelle à l'égalité ; plus que jamais, il se sent solidaire du prolétariat démuni, exploité, rejeté, comme ces tailleurs de pierre en chômage, à propos desquels il écrit à Perennès, le 16 décembre 1839 : « Leur exaltation révolutionnaire me semble aujourd'hui voisine du désespoir [...] J'en ai vu qui, après la lecture du dernier ouvrage de Lamennais, demandaient des fusils et voulaient marcher à l'instant. La promesse qu'on leur fait de les employer bientôt seule les retient. Du reste, ils n'aiment ni Laffitte, ni Arago, ni tous les réformateurs de journaux et de tribune : ils parlent de massacrer le premier qui, n'ayant pas combattu, leur parlera de modération, d'ordre ou de respect des propriétés7. » La propriété ! voilà le sujet. Dans ce mémoire de 196 pages, paru le 1er juillet 1840, et tiré à 500 exemplaires, Proudhon s'emploie à en décrire les ravages sociaux dans une démonstration serrée, nourrie, éclatante. Attaque contre la propriété complétée de passages hostiles à l'Église, et écrite dans un style souvent savoureux fleurant l'anarchie. On imagine la tête du respectable Joseph Droz en découvrant les pages incendiaires de son protégé, et les réactions de l'Académie de Besançon responsable de l'attribution d'une pension dont le fruit est un ouvrage « antisocial » ! En quinze jours, 200 exemplaires sont vendus ; une seconde édition, imprimée sur les presses de Proudhon à Besançon, atteindra 3 000 exemplaires. Par ricochet, sa brochure sur la Célébration du dimanche connaît un nouveau tirage. Mais cette jeune gloire excite les fureurs de l'Académie de Besançon qui, après délibération datée du 24 août, convoque son pensionnaire à venir s'expliquer. Proudhon ne connaîtra l'arrêt académique que plus tard. De Besançon, où il passe l'été, il regagne Paris à pied (plus de 400 kilomètreS), n'ayant pas de quoi se payer le trajet en voiture, et y entame sa troisième et dernière année Suard.



A Paris, il apprend que l'Académie des sciences morales et politiques, à laquelle il avait adressé son Mémoire, a repoussé son hommage dans

Isa séance du 29 août 1840, et qu'Adolphe Blanqui, l'économiste, a été chargé du rapport, finalement publié par Le Moniteur du 27 septembre. Or, tout en récusant la thèse de Proudhon, l'académicien laisse apparaître son « vif intérêt » et son admiration. Compte rendu utile à double titre : par la sympathie et les éloges exprimés, c'est une excellente publicité ; par le ton mesuré des critiques, c'est un encouragement indirect donné au garde des Sceaux de ne pas entamer les poursuites que le conseil ministériel a d'abord envisagées contre Proudhon.

A trente et un an, Proudhon sort de l'ombre. La Revue du progrès de Louis Blanc parle du « remarquable talent » de l'auteur, d'un « livre destiné à produire la plus grande sensation ». Dans une large mesure, la célébrité de Proudhon, que peu ont lu, tient à une formule qui ramasse la pensée forte de l'ouvrage : « Qu'est-ce que la propriété ? C'est le vol. » Il incarne du jour au lendemain le « destructeur de la propriété », le spectre de l'anarchie. Parmi les rares lecteurs attentifs de Proudhon. quelques noms étrangers sont notables : l'Allemand Karl Griin, enthousiaste, qui baptisera Proudhon « le Feuerbach français », le Russe Alexandre Herzen, qui admire la force et la flamme de la démonstration, et, bien sûr, on l'a dit Karl Marx, pour lequel Proudhon aura écrit le « manifeste scientifique du prolétariat français ».



Pour expliquer sa pensée, souvent mal interprétée, Proudhon s'attelle à un second Mémoire, après avoir complété ses lectures, suivi les cours d'Adolphe Bianqui, successeur de Jean-Baptiste Say, au Conservatoire des arts et métiers, et s'être nourri du grand livre De l'Humanité de Pierre Leroux - qu'il juge « mauvais raisonneur », mais qu'il cite abondamment. Au fond, il partage avec lui ses idées d'« anti-propriétaire » repoussant la solution communautaire ou communiste ; il le préfère à Bûchez, qui a quelques points communs avec lui, et à Lamennais, qui l'agace de plus en plus, peut-être par jalousie : sorti de l'ombre, Proudhon n'est pas encore en pleine lumière comme l'ancien abbé, très populaire dans les rangs républicains.



En janvier 1841, Proudhon est enfin averti de l'appel à comparaître devant l'Académie de Besançon. Ce sont les derniers mois de sa pension qui sont en jeu. A défaut de reprendre le chemin, si long, de sa ville natale, il rédige un mémoire explicatif et justificatif, où l'on peut lire :

« Tous les griefs que l'on accumule contre moi se réduisent à un seul. J'ai fait un livre, ou pour mieux dire une déclaration de guerre à la propriété ; j'ai attaqué l'ordre social dans sa base actuelle ; j'ai nié, avec une rare préméditation et un acharnement sans exemple, la légitimité de tous les pouvoirs ; j'ai ébranlé toutes les existences ; je suis en un mot un révolutionnaire. Tout cela est vrai ; mais en même temps, et pour la première fois peut-être, tout cela est parfaitement moral et plus digne d'éloge que de blâme. »



On voit l'arrogance de l'accusé, intraitable, infrangible ; Proudhon n'est pas du genre repentant. La défense prend toujours chez lui la forme de l'attaque. Orgueilleux, opiniâtre, provocant, il donne aux académiciens toutes les verges pour se faire battre. En même temps, il les menace entre les lignes du ridicule, car demain ses idées seront admises et reconnues : de quoi auront-ils l'air ? Et Proudhon de démontrer que la négation de la propriété est de tous les projets, sous toutes les plumes, et jusque dans les cours de l'honorable Adolphe Bianqui, « au demeurant zélé défenseur du droit de propriété ». Les atteintes à la propriété sont de tous les jours, mais sans qu'on le dise : « Peu à peu, le gouvernement se fera manufacturier, commissionnaire, débitant ; lui seul aura la propriété... »



Finalement, le désaveu du mois d'août suffit aux académiciens de Besançon, et Proudhon peut jouir jusqu'au bout de sa troisième année de la pension Suard. Pour compléter ses ressources, il accepte néanmoins une place de secrétaire chez un juge du tribunal qui l'accueille chez lui, rue Saint-Benoît, pendant un semestre, et auquel il sert de nègre pour un ouvrage qui ne verra jamais le jour. En même temps, il achève son IIe Mémoire sur la Propriété, intitulé aussi Lettre à Bianqui, où il réitère son idée que « la Propriété est la grande matrice de nos misères et de nos crimes ». Encore une fois, Adolphe Bianqui (son « ange de salut »), introduit chez tous les ministres, sauve Proudhon de poursuites judiciaires.

Au moment de regagner Besançon, il lit une brochure de Lamennais où il est pris à partie. Accusé pour son ouvrage Le Pays et le Gouvernement, Lamennais dans sa défense a cru bon de préciser qu'il n'est pas, comme Proudhon, un négateur de la propriété. Proudhon veut aussitôt contre-attaquer, mais, fatigué, abandonne. 11 se promet d'inclure le cas Lamennais dans une plus vaste réflexion sur « les lois économiques et universelles de toute organisation sociale », dans son nouveau livre, De la création de l'ordre dans l'humanité. Toutefois, il se croit tenu auparavant de rédiger un IIIe Mémoire sur la Propriété, quelques mois après son retour à Besançon, à la suite d'une attaque anonyme publiée contre les deux précédents Mémoires.



Il s'agit d'une grosse brochure d'une centaine de pages, intitulée Défense du fouriérisme, où Proudhon est critiqué comme adversaire de Fourier. S'efforçant de réfuter les arguments de Proudhon contre la propriété et en faveur de l'« égalité absolue », l'anonyme ne manque pas de s'interroger sur l'affirmation du Ier Mémoire selon laquelle « la différence des sexes élève entre l'homme et la femme une séparation de même nature que celle de la différence des races met entre les animaux », pour remarquer qu'«en face de cette monstruosité philosophique et sociale, qui ne permet aucun commentaire », il suffit de placer la réflexion de Fourier : « On peut juger de la civilisation d'un peuple par le degré d'influence dont jouissent les femmes. » Piqué au vif, Proudhon, toujours teigneux, s'attelle séance tenante à répliquer, et, plutôt que de le faire en direction d'un anonyme, c'est à Victor Considérant, rédacteur de La Phalange, lequel n'y peut mais, n'ayant même pas lu le premier Mémoire de Proudhon, qu'il prodigue ses flèches. Le 10 janvier 1842, jour où paraît ce troisième Mémoire, intitulé Avertissement aux Propriétaires, ou Lettre à M. Victor Considérant, rédacteur de La Phalange, sur une Défense de la Propriété, l'auteur envoie son factum à Considérant en l'engageant à une discussion dans son journal, mais en vain.



Encore une fois, Proudhon se laisse aller sans retenue à son tempérament polémique, non seulement contre les « enfantillages » de Fourier, mais contre tout le monde, y compris le gouvernement, « le plus hypocrite, le plus pervers, le plus dévorant, le plus antinational qui fut jamais », lequel doit craindre « la colère du peuple ». Proudhon reconnaîtra plus tard qu'« un certain fanatisme, particulier aux logiciens, [lui] était monté au cerveau ». Mais, cette fois, Adolphe Bianqui n'est pas là pour le protéger des poursuites judiciaires. Son mémoire est saisi, quatre chefs d'accusation sont retenus contre lui : atteinte à la propriété ; trouble à la paix publique en excitant le mépris ou la haine des citoyens contre une ou plusieurs classes de personnes ; excitation à la haine et au mépris du Gouvernement du Roi ; outrage à la religion catholique, culte légalement reconnu en France.

Le 3 février 1842, Proudhon comparaît devant la cour d'assises de Besançon. Dépourvu des grâces de l'éloquence, il procède à la lecture fastidieuse d'une défense où il mêle les euphémismes à un interminable exposé sur la « valeur d'échange et la valeur utile » qui a le mérite, en endormant tout le monde, de le faire passer pour un homme de science plutôt que pour un agitateur révolutionnaire. Me Tripard, son avocat, s'efforce de titiller le chauvinisme local : la Franche-Comté, terre des esprits novateurs, patrie des Cuvier, des Hugo, des Fourier, s'honore de compter aujourd'hui Proudhon comme l'un des siens. Il ne faut pas, plaide-t-il en substance, se laisser abuser par des formules : Proudhon ne s'est pas tant attaqué à la propriété qu'à la somme des abus dont elle est l'origine. Finalement, le jury déclare l'auteur du pamphlet « non coupable ».



Acquitté, Proudhon se remet à sa Création de l'ordre, non sans avoir définitivement liquidé son affaire d'imprimerie dont il se débarrasse à vil prix. Le passif lui interdisant de revenir à Paris pour finir son livre, il accepte l'offre d'un poste dans l'établissement de transport fluvial d'Antoine Gauthier, neveu des Gauthier de Besançon chez lesquels il a été prote : « Je suis commis batelier à Lyon ; je passe mes journées avec des mariniers, des crocheteurs, des charretiers, des négociants, des commissionnaires, des chauffeurs, etc., tantôt dans mon bureau, tantôt à bord de notre remorqueur [...] Là, je multiplie mes observations et j'achève ab experto mon cours d'économie politique, commencé avec A. Smith et Say. » Cet emploi qu'il occupera jusqu'en 1847 lui laisse le loisir de passer la moitié de son temps ailleurs, et notamment à Paris, où il fait des séjours réguliers.



En juin 1843, sortent les 1 500 exemplaires de sa Création de l'ordre dans l'humanité des presses de Bintôt, son successeur. C'est un gros livre de près de 600 pages, passablement ambitieux et ardu. Proudhon, familier de la Bible, entend percer le mystère de la Création et de l'ordre qui en a découlé : « Créer, c'est produire de l'ordre. » Depuis que la Révolution française a fait table rase de l'ordre ancien, il faut reconstruire la société sur des bases solides. Et Proudhon de passer en revue les diverses tentatives qui en ont été faites sur le plan intellectuel : celles des théocrates, Maistre et Bonald ; de Saint-Simon, énonçant la loi de l'« association universelle » ; de Fourier, avec son « attraction passionnelle » ; de Cabet, avec son Nouveau Christianisme ; des économistes libéraux, avec leur « laissez faire, laissez passer » ; de Leroux, avec sa « vraie définition de la religion » ; et, plus récemment encore, de la Science, avec Comte. Tour à tour, Proudhon s'attache à démontrer que la religion (« la religion est mauvaise et doit être au plus tôt abolie ») et la philosophie (et « ses extravagantes spéculations ») sont impuissantes à découvrir l'ordre du monde. Nous sommes, en effet, arrivés au troisième moment du développement humain : le moment scientifique. Et Proudhon d'exposer que l'économie politique est la « clé de l'Histoire ».

Cet ouvrage, difficile et souvent confus, n'éveille guère d'écho à Paris, mais suscite l'intérêt des étrangers : le Russe Herzen, auquel l'ouvrage parvient à la fin de 1844, parle de la «prodigieuse quantité d'idées lumineuses » dans ce livre ; les Allemands Griin, Marx, Ewerbeck, Eiser-mann, Hess, applaudissent.



Nulle surprise donc si les Jeunes Hégéliens considèrent Proudhon comme le futur pivot, souhaitable du côté français, de la « Sainte-Alliance intellectuelle » franco-germanique. Aussi Marx demande à le voir dès son retour. Il a l'occasion de s'entretenir avec lui, dans la chambre que le Français loue désormais rue Mazarine, de discuter pendant « des nuits entières », durant l'automne et l'hiver 1844-1845.

Nous ignorons tout de ces entretiens. Selon ses propres dires, Marx aurait surtout donné des leçons sur Hegel à Proudhon (le maître a alors vingt-six ans et l'élève, trente-cinQ). II est certain que ces entretiens ont eu une influence sur Proudhon, même si celui-ci connaît déjà Hegel, et ne se prive pas de le citer. Mais il ne sait pas l'allemand. En sorte que Marx lui fait redécouvrir Hegel8. Eu égard au caractère de Proudhon, qui ne connaissait pas Marx avant d'avoir été sollicité par le jeune homme, on se demande s'il se contente d'absorber sans mot dire la dose d'hégélianisme que Marx lui enfourne. D'aucuns subodorent que l'admiration de Marx se dissipe un rien en découvrant que son interlocuteur croit en la force des idées, invoque la Justice, parle de lois morales : Proudhon n'est pas mûr pour rallier le matérialisme historique de Marx. Néanmoins, quand Marx est expulsé de France au début de 1845, la rupture entre les deux hommes n'a pas encore eu lieu.



En fait, bien plus influente est l'action de Karl Griin, autre hégélien de gauche, qui n'a qu'un an de moins que Proudhon. Griin a dû fuir Mannheim où il avait fondé la Mannheimer Abendzeitung, feuille radicale dont l'interdiction a provoqué son exil. Il vient en France à l'automne 1844, à la fois pour étudier les socialistes français et diffuser la doctrine de l'humanisme athée de son maître Feuerbach. Lui aussi rêve d'une fusion intellectuelle franco-allemande ; lui aussi admire Proudhon9. A Paris, il rencontre Bazard, Enfantin, Leroux, « Papa Cabet », tous gens qui l'agacent, jusqu'au moment où, sans doute en décembre, il rencontre Proudhon. Il écrit dans une lettre du 4 janvier 1845 : « Un soir, vers cinq heures, étant précisément à cet endroit, je demande la rue Mazarine. - La rue à gauche, me dit-on. - C'est là que se séparent les deux chemins d'Hercule : à droite, la large route vertueuse des pacifiques fouriéristes [la rue de Seine où habite Victor Considérant] ; et à gauche ?... Dans la rue Mazarine, n° 36, habite Proudhon. » La description que fait le visiteur ne manque pas d'intérêt : « Lorsque j'entrai dans la chambre de Proudhon, je vis un homme assez grand, nerveux, d'une trentaine d'années environ, le corps vêtu d'un gilet de laine et les pieds dans des sabots. Une chambre d'étudiant avec un lit ; un petit nombre de livres sur des rayons, sur une table plusieurs numéros du National et d'une revue d'économie politique, tel était son entourage. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées que nous étions engagés dans le plus cordial entretien, et le dialogue allait si rondement, que j'eus à peine le temps de songer à part moi combien je m'étais trompé en m'imaginant trouver ici la méfiance de Rousseau... »

De Proudhon, il admire les traits, le langage, l'énergie, la gaieté, « en un mot un homme beau et vaillant contre tout un monde ». Il va jusqu'à aimer le léger strabisme de Proudhon. Enthousiasme, coup de foudre ! Il se découvre merveilleusement d'accord avec les idées de Proudhon, « premier Français absolument sans préjugés », très au fait de la philosophie allemande. Et de rêver d'une « fusion complète de la critique sociale en deçà et au-delà du Rhin ». Les Français en général lui ont paru aimables, mais incapables de « pénétrer l'essence des choses ». Proudhon fait exception. Griin fait seulement un reproche à Proudhon : son athéisme reste encore trop religieux, « il n'a pas osé, comme Feuerbach, diviniser l'homme ». Et il entend bien le lui apprendre. Ce qu'il vient de faire pour la Propriété, Proudhon doit le faire maintenant pour Dieu. Proudhon se fait aussi tancer sur sa misogynie, ce qui entraîne Griin à plaisanter dans une lettre à sa femme : « Ne désapprends pas la cuisine, entends-tu ! Si Proudhon un jour vient me rendre visite, il faudra d'abord lui servir une bonne cuisine de ta façon... »



Les amours de Proudhon avec les Jeunes Hégéliens ne sont pas terminées. Dans La Sainte Famille, que Marx publie alors avec Engels, Marx fait encore l'apologie de Proudhon, mal compris par le traducteur allemand de son Ier Mémoire, Edgar Bauer. Mais celui que les hégéliens de gauche tiennent pour le premier penseur socialiste français devient un enjeu dans une querelle qui oppose bientôt deux courants dans le groupe : celui de l'humanisme athée, de Griin, et celui du communisme, de Marx. Pour Griin comme pour son maître Feuerbach, l'aliénation religieuse est la source originelle de l'aliénation de l'homme. Or pour Marx, qui a d'abord partagé cette conviction, l'aliénation religieuse a désormais sa source non dans une prétendue essence de l'homme, mais « dans l'état du monde matériel » ; la lutte économique et politique doit précéder la lutte religieuse. Dès lors, la gauche hégélienne se scinde en deux courants. Marx, autoritaire, dominateur, entend capter l'influence de Proudhon, trop influencé à ses yeux par son rival Griin. Marx n'aime pas le Proudhon moraliste et idéaliste, mais il apprécie le « vrai Proudhon », le plébéien, le prolétaire, le penseur concret, « l'homme de la Masse », le rationaliste, le socialiste qui a accompli en France, sur la propriété, le travail que Feuerbach a fait en Allemagne sur la « conscience religieuse ».

Le 5 mai 1846, après d'affables préliminaires, il écrit à Proudhon : « Conjointement avec deux de mes amis, Frédéric Engels et Philippe Gigot (tous deux à BruxelleS), j'ai organisé avec les communistes et les socialistes allemands une correspondance suivie, qui devra s'occuper et de la discussion de questions scientifiques et de la surveillance à exercer sur les écrits populaires, et la propagande socialiste, qu'on peut faire en Allemagne par ce moyen. Le but principal de notre correspondance sera pourtant celui de mettre les socialistes allemands en rapport avec les socialistes français et anglais, de tenir les étrangers au courant des mouvements socialistes qui seront opérés en Allemagne et d'informer les Allemands en Allemagne des progrès du socialisme en France et en Angleterre. De cette manière, des différences d'opinion pourront se faire jour ; on arrivera à un échange d'idées et à une critique impartiale. C'est là un pas que le mouvement social aura fait dans son expression "littéraire" afin de se débarrasser des limites de la "nationalité". Et au moment de l'action, il est certainement d'un grand intérêt pour chacun d'être instruit de l'état des affaires à l'étranger aussi bien que chez lui. »



Après être entré dans certains détails, Marx signe : « Votre tout dévoué ». Mais il ajoute un post-scriptum d'une tout autre teneur : «Je vous dénonce ici M. Griin à Paris. Cet homme n'est qu'un chevalier d'industrie littéraire, une espèce de charlatan, qui voudrait faire le commerce d'idées modernes. Il tâche de cacher son ignorance sous des phrases pompeuses et arrogantes, mais il n'est parvenu qu'à se rendre ridicule par son galimathias [sic]. De plus cet homme est dangereux. Il abuse de la connaissance qu'il a établie avec des auteurs de renom grâce à son impertinence, pour s'en faire un piédestal, et les compromettre ainsi vis-à-vis du public allemand. Dans son livre sur les socialistes français [Die soziale Bewegung], il ose s'appeler le professeur de Proudhon, et prétend lui avoir dévoilé les axiomes importants de la science allemande, et blague sur ses écrits. Gardez-vous donc de ce parasite. Peut-être vous parlerai-je plus tard de cet individu". » Engels y ajoute un petit mot aimable en assurant Proudhon de son « respect ».

Le post-scriptum est-il le plus important ? On voit en tout cas à quel point Marx est désireux de rallier Proudhon, sans craindre de révéler son caractère impérieux et jaloux : il ne peut supporter la rivalité de Griin, qu'il doit écraser. C'est en chef d'école qu'il écrit son post-scriptum, mais aussi en homme saisi par la passion, ne voyant pas la maladresse qu'il y a à charger de manière si violente le traducteur et l'ami de Proudhon. A la lettre de Marx datée du 5 mai 1846, Proudhon répond, de Lyon, douze jours plus tard :

« Mon cher Monsieur Marx

» Je consens volontiers à devenir l'un des aboutissants de votre correspondance, dont le but et l'organisation me semblent devoir être très utiles. Je ne vous promets pas pourtant de vous écrire ni beaucoup ni souvent : mes occupations de toute nature, jointes à une paresse naturelle, ne me permettent pas ces efforts épistolaires. Je prendrai aussi la liberté de faire quelques réserves qui me sont suggérées par divers passages de votre lettre.

» D'abord, quoique mes idées en fait d'organisation et de réalisation soient en ce moment tout à fait arrêtées, au moins pour ce qui regarde les principes, je crois qu'il est de mon devoir, qu'il est du devoir de tout socialiste, de conserver pour quelque temps encore la forme antique ou dubitative ; en un mot, je fais profession avec le public, d'un anti-dogmatisme économique, presque absolu.



» Cherchons ensemble, si vous voulez, les lois de la société, les modes dont ces lois se réalisent, le progrès suivant lequel nous parvenons à les découvrir ; mais, pour Dieu ! après avoir démoli tous les dogmatismes a priori, ne songeons point à notre tour, à endoctriner le peuple ; ne tombons pas dans la contradiction de votre compatriote Martin Luther, qui après avoir renversé la théologie catholique, se mit aussitôt, à grand renfort d'excommunications et d'anathèmes, à fonder une théologie protestante. [...] Ne nous faisons pas les chefs d'une nouvelle intolérance, ne nous posons pas en apôtres d'une nouvelle religion ; cette religion fût-elle la religion de la logique, la religion de la raison. Accueillons, encourageons toutes les protestations ; flétrissons toutes les exclusions, tous les mysticismes ; ne regardons jamais une question comme épuisée, et quand nous aurons usé jusqu'à notre dernier argument, recommençons s'il faut, avec l'éloquence et l'ironie. A cette condition, j'entrerai avec plaisir dans votre association, sinon, non !

» J'ai aussi à vous faire quelque observation sur ce mot de votre lettre : Au moment de l'action. Peut-être conservez-vous encore l'opinion qu'aucune réforme n'est actuellement possible sans un coup de main, sans ce qu'on appelait jadis une révolution, et qui n'est tout bonnement qu'une secousse. Cette opinion que je conçois, que j'excuse, que je discuterais volontiers, l'ayant moi-même longtemps partagée, je vous avoue que mes dernières études m'en ont fait complètement revenir. Je crois que nous n'avons pas besoin de cela pour réussir ; et qu'en conséquence nous ne devons pas poser l'action révolutionnaire comme moyen de réforme sociale, parce que ce prétendu moyen serait tout simplement un appel à la force, à l'arbitraire, bref, une contradiction. »

Et Proudhon d'expliquer qu'il vaut mieux faire brûler la Propriété « à petit feu » plutôt que de lui donner une nouvelle force en provoquant « une Saint-Barthélémy des propriétaires ». Sur cette profession de foi « antimarxiste », Proudhon, en venant au post-scriptum de Marx, défend vigoureusement Karl Grûn, et rappelle, non sans malice, que c'est grâce à Grûn qu'il a pris connaissance de ses écrits à lui, Marx '2.

Comment réagit Marx à cette leçon de tolérance, on l'ignore. C'est la première lettre écrite par Marx à Proudhon ; c'est la dernière. En 1846, Proudhon publie sa Philosophie de la misère13, une de ses ouvres majeures, où il prend ses distances aussi bien avec l'humanisme athée de Grûn qu'avec le matérialisme historique de Marx, en faisant foi d'antithéisme - Dieu, ennemi de l'homme. Marx réplique, quelques mois plus tard, par Misère de la philosophie, à la fois ouvrage d'érudition dressé contre l'économie politique et pamphlet contre Proudhon (1''Anti-Proudhon, comme dira EngelS), où l'ancien « prolétaire » est métamorphosé en « petit-bourgeois, ballotté constamment entre le Capital et le Travail, entre l'économie politique et le communisme ». A l'idéalisme du Français qui décrit la marche de l'histoire par « la succession des idées », Marx, non sans caricaturer son adversaire, oppose son premier grand essai de sociologie politique. Alors que Proudhon impute la cause du mal (la misèrE) « à une perversion primitive, à une sorte de malice congénitale de la volonté de l'homme», pour Marx, « les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives », ce sont des « produits historiques et transitoires », et non des catégories éternelles. Proudhon est un idéaliste, attaché au primat de la conscience et des valeurs morales ; Marx s'enorgueillit d'être matérialiste, adepte du « réalisme dialectique ». Proudhon ne répond pas à Marx, se contentant d'annoter rageusement l'exemplaire de la Misère (« Absurde ! », « Faux », « Calomnie effrontée », « Bavardage »...) : le divorce est consommé.



En même temps, l'un et l'autre donnent alors l'impulsion à deux types de socialisme appelés à rivaliser jusqu'à la Première Guerre mondiale -et peut-être au-delà -, le socialisme politique de Marx (le parti, la lutte de classe, la révolutioN) et le socialisme libertaire ou « antiautoritaire » de Proudhon (le mutuellisme, la fédération, l'antiétatismE). Deux personnalités exceptionnelles, deux tempéraments excessifs, deux ouvres en formation, appelées à devenir l'une et l'autre les deux sources du socialisme.



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