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PROPHÉTIE D'HANNA LANG SELON LA VERTU DE LA PAROLE - Hendrik Cramer






L'enfant tâtait la nuit; ses mains ressemblaient aux germes passionnés d'une semence. La nuit bougeait-elle? Était-elle brûlante et digestible comme le corps d'une mère ? Il rétracta ses doigts ; ils avaient trouvé la masse inerte. Dans un silence douloureusement étiré - comme celui d'un objet planant aperçu en rêve - il choisit entre la vie et la mort. Puis il se fraya un chemin avec un cri. Et aussitôt la nuit l'accueillit en elle. Mais le cri qui avait ouvert la nuit avait séparé esprit et création.

Le petit aveugle suivait sa voix. Elle le précédait, descendant le ravin. À mi-pente elle s'arrêta, fatiguée ; elle sentait qu'elle allait abandonner l'enfant. Un petit sapin jaillit de la roche et s'offrit à la remplacer. Désormais, l'enfant tint dans sa main la voix même de la montagne et toutes les créatures qui l'habitent, reconnaissant en cette voix leur propre voix, appartinrent à l'enfant. Car une pierre bondit et quitte sa place en entendant sa voix.



L'heure vint où l'enfant rencontra le cerf et s'entendit rappeler son nom. Il suivait un sentier à travers les forêts. Soudain il s'arrêta. Quelqu'un poussait-il un soupir? Qui? L'arbrisseau lui glissa des mains. Il risqua un pas, et trébucha. Lorsqu'il toucha la terre du bout des doigts, il comprit que c'était lui-même, et personne d'autre, qui avait soupiré. Sa crainte l'abandonna ; il poursuivit son chemin. Mais un fardeau intolérable pesait sur ses épaules. Ses pieds abîmés doutaient du chemin. Il sentait la vie se retirer goutte à goutte du petit arbre qu'il tenait à la main. Il n'en pouvait plus.

Alors le cerf surgit près de lui et demanda: «Feu, que portes-tu?»



«Je porte un soupir du monde. »

Et là-dessus, le cerf demanda : « Azur, que portes-tu ? »

«Je porte un soupir du monde. »

Et le cerf: «Nuit, que portes-tu?»

«Je porte un soupir du monde.»

Et le cerf: «Éternité, que portes-tu?»

«Je porte un soupir du monde. »

Et le cerf: «Neige, que portes-tu?»

«Je porte un soupir du monde. »



Mais à la dernière question, une lumière se fit derrière ses yeux morts et, au-dedans de lui-même, il vit un chemin inondé de clarté.

L'enfant se cachait derrière ses yeux fermés. Son être habitait le grondement des eaux. Il habitait en Elle, la mère. Il se mêlait à Elle, la mère de la vie. Il reposait en un horizon introuvable pour la mort. En Elle innombrable, en Elle intemporel, il se perdait comme une goutte dans la masse des eaux. La lumière possédait son ombre aveugle, mais Elle avait la charge du Nom qui détermine le moi. D'Elle venait l'orbite que décrivait son étoile. Par Elle, son corps et son sang étaient portés. Elle les portait sur sa nudité, tel un voile, tantôt au-dessus de la taille, tantôt en dessous, tantôt encore en ce centre même qui unit le haut et le bas. Aussi secret qu'un coquillage, il reposait au plus profond de Son cour. Et c'est du fond de Son abîme que la protestation de l'enfant s'éleva à Sa puissance. Car à Elle, la première Vierge, le Feu ne peut résister.

Dans le creux de deux vagues, son nom fut chuchoté. L'enfant se leva. Sa langue d'Eau se changea en langue de Feu. Mot par mot, il détailla la création et sourit. Dans sa main, il prit un ouf du Feu. Le vide se rompit en sept voix : la première, au-dessus de lui, parlait à la raison; la deuxième, en dessous de lui, parlait au sexe ; la troisième, à côté de lui, parlait à ce qui est pesé dans la balance ; la quatrième, à côté de lui, parlait au poids de la balance; la cinquième, devant lui, parlait au chemin ; la sixième, derrière lui, parlait à l'esprit.

Il nomma les six voix de l'espace «les six jours du corps»; mais la septième voix, celle du milieu, il la nomma «le jour du cour».

De la paume de sa main gauche, il fit s'élever une flamme du Feu, telle une boucle de laine d'agneau. Aussitôt nuage et oiseau, cascade, vallée et voile du sommet, insectes ailés, tous écoutèrent ; tout ce qui porte peau velue ou fourrure écouta; la chauve-souris, le loup et le gibier des bois; toute chair créée dans les mers et sur terre. Il dit leurs noms. Leur réponse fut un entrelacs de voix sur l'Est et l'Ouest.

Il tenait dans sa main gauche un charbon du Feu, comme une pierre blanche. C'était au tour de la fleur, de la feuille et de la roche erratique d'écouter; tout sang créé ; toute couleur bleue ou noire. Il les nomma l'un après l'autre. Leur réponse fut une tempête soufflant du nord et du sud.

Ainsi appela-t-il successivement par leur nom les formidables multiples de la force, et ils obéirent à l'image du Feu qui les dessinait.

Le jour du cour, l'enfant se reposa. Sa main s'abaissa sur l'ombre qui l'entourait.

Un épervier s'envola au-dessus de la vallée et s'écria : «Je ne suis plus un exclu dans l'univers; mon grand cristal est le point indivisible du présent, du passé, de l'avenir.»



Lorsque le soleil se coucha et que monta la lune, lorsque les deux astres se croisèrent et poursuivirent leur course dans le ciel, l'aveugle prononça le mot suprême: «Je».

A l'automne, les arbres courbent leur cime et jettent dans le cercle de l'année la prédiction de leur sève, la vision de leur fleur, le fruit de leur corps. Ils ne se déplacent pas, car ils sont au milieu ; leur forme est ronde comme leur horizon, leur cime voûtée comme leur ciel. Ce qui en eux se déplace et qui, émis par la porte intérieure de la création, lavé par l'Eau, éclairé par le Feu, se lève comme leur esprit, écoute celui qui évoque cet esprit sous la forme d'un mot, et sourit, La sonorité de ce mot jaillit de notre oreille (le silencE), son rythme de notre souffle (l'âmE), son image de Feu froid de la paume de notre main (la destinéE). La forme éternelle de ce mot-le même qui était au commencement-est sculptée et scellée dans l'Alpha et l'Oméga des astres. Aucun fruit ne se détache et ne tombe, qu'il n'obéisse à cette providence.

Puis les arbres se déploient en couleurs, penchés sur le mystérieux abîme d'où leur jour s'est levé. Bientôt après ils reviennent à leur nudité nocturne. Soleil et pluie leur sont étrangers. Leur sève patiente suit les phases de la lune. La neige redouble leur silence d'un silence blanc. La chouette clame la paix de leur âme. Parvenu à la douzième année de sa vie, l'enfant attendit que le voile de l'hiver se dépose à ses pieds. Alors, il bondit du front de la montagne et descendit. Son visage était impénétrable et aveugle comme un éclat de roche. Dans sa main droite il tenait un bâton de sapin, dans la gauche le scintillement d'une planète. Il était invisible dans le paysage, tel un chevreuil. L'ombre qu'il traînait derrière lui était celle d'un squelette.

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