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NODIER






Je me demandais vaguement : « Où suis-je ? » Cette réflexion d'un personnage de Nodier se retrouve un peu partout dans l'ouvre de celui-ci. Elle n'implique pas seulement une hésitation passagère quant à l'endroit où l'on se trouve, mais aussi, ce qui est plus grave, une ignorance qui s'étend au monde dans lequel on vit, à l'être qu'on est, et même d'une façon plus générale encore, à la réalité tout entière, celle du dedans comme celle du dehors. Même la propre existence de celui qui pense pourrait être par lui mise en doute. Ainsi l'imprécision singulière avec laquelle, ici, l'auteur s'interroge, ne saurait se réduire à un simple embarras de l'esprit. Rien de plus différent, par exemple, de ces moments où, sortant du sommeil, l'on a quelque difficulté à se localiser dans l'univers restreint où l'on ouvre les yeux. Dans ce dernier cas, le vague de la pensée n'a rien d'alarmant. Dès le moment où l'on jette un regard autour de soi, on reconnaît un ensemble de détails familiers qui suffisent pour empêcher le vague de déborder et de faire tache d'huile. L'on est tout de suite rassuré par la conscience d'occuper un espace personnel bien défini qui n'a jamais manqué de servir de base.





Mais qu'arrive-t-il alors si le vague qu'on éprouve persiste dans son imprécision et semble même s'aggraver ? Lisons ces autres phrases de Nodier : « Souvent je croyais distinguer dans les ombres des formes vagues et confuses qui erraient autour de moi, et j'interrogeais ces fantômes... » Ou bien encore : « C'était un songe vague, mais délicieux, qui me dérobait jusqu'à un sentiment de mon être. » Dans ces deux exemples, comme dans bien d'autres, la réalité ambiante et la pensée se trouvent confondues de telle sorte qu'elles forment comme une brume s'étendant à la fois dans la distance externe et dans les profondeurs mal connues de la vie mentale. Alors la question « Où suis-je ? » prend un autre sens qui concerne à la fois le moi de l'être qui la profère, et le Heu où se situe son expérience. Le vague n'apparaît plus comme une simple diminution passagère du pouvoir visuel ou de la faculté de perception. Il suggère qu'une certaine loi est enfreinte, ou, à tout le moins, menacée. Une altération générale a heu, qui affecte à la fois le dehors et le dedans. Nous ne sommes plus assurés d'exister au sein d'un monde toujours semblable. Le vague des formes environnantes est peut-être le premier signe, le signe avant-coureur, d'une double désagrégation. On se met à douter, sans savoir de quoi l'on doute. Il semble qu'on parvienne, ou qu'on soit même déjà, à l'intérieur d'un univers autre, où l'on se trouverait sur le point de devenir autre.



Ce phénomène, simultanément externe et interne, se reproduit avec une étrange fréquence dans les récits de Nodier. Il ne se contente pas de modifier les régions périphériques de l'être. S'il s'étend de toutes parts dans les espaces du dehors, il opère avec une efficacité égale dans le centre de la vie intérieure. Partout l'univers au cour duquel l'on se trouve se révèle comme rongé par l'indéfinissable. Tout en n'ayant pas changé nécessairement leurs contours, les réalités objectives, jusqu'alors plus ou moins solidement en place, perdent de leur netteté, de leur fermeté, de leur sédentarité. L'immense et délicat ensemble qu'elles offraient au regard se trouve, presque en sous-main, miné, attaqué, détruit par un doute. Et cela sans remède, sans possibilité de réparation. La réalité jusqu'alors solidement fixée dans des lignes permanentes, apparaît maintenant comme vulnérable. Le vague a un pouvoir de détérioration infini. Envahi par le brouillard ou quelque autre substance dissolvante, le monde extérieur n'est plus ce qu'il était, il change de forme et de nature.

L'être, qui est à la fois le témoin et le sujet de cette transformation, ne peut que la constater, et constater en même temps son impuissance. Il se trouve incapable de remettre les choses dans leur stabilité originelle. Il se sent non moins incapable d'affermir ou de rétablir sa propre stabilité. Au vague du monde externe correspond le vague de l'esprit qui en prend à demi conscience. Le changement de l'un fait le changement de l'autre. C'est comme si le monde et le moi, évoluant de façon parallèle, se trouvaient entraînés par le même courant. Mais ce courant, où va-t-il ? A-t-il un sens, une direction ? Est-il même supporté par une véritable substance ? L'être qui se trouve plongé dans cette espèce de brouillard voit non seulement les objets perdre de leur netteté, mais lui-même aussi perdre la clarté d'esprit dont il croyait précédemment jouir. L'univers de Nodier - et par là, il faut entendre, non pas seulement celui qui s'étend au-dehors, matis celui qui s'étend, en s'approfon-dissant, à l'intérieur de l'être, devient tel, peu à peu, qu'o» ne peut plus le définir. Rien n'est plus grave dans le changement qui se trouve opéré ici, à la fois dans le monde externe et dans le monde interne, que ce passage du défini à l'indéfinissable. On dirait qu'un voile, ni tout à fait opaque, ni tout à fait transparent, est tiré sur le champ entier de la pensée. Il n'interdit pas la perception des contours ni l'identification des formes, mais il donne à celles-ci un caractère indécis et flottant, qui en change moins l'aspect externe que l'interprétation affective qu'on peut en tirer. Par l'indéfinissable changement de ton qu'elles nous offrent, les formes perçues se découvrent à nos yeux sous un aspect qu'elles n'avaient pas précédemment. Elles renoncent à la faculté qu'elles avaient de se distinguer les unes des autres avec une précision plus ou moins grande. Elles tendent à se fondre, à effacer leurs particularités propres.



Phénomène comparable à celui qui s'accomplit en nous, quand, en nous abandonnant insensiblement au sommeil, nous franchissons, sans clairement nous en apercevoir, une barrière et entrons par la petite porte dans le domaine des songes. Nous traversons, comme par mégarde, ce que Nodier appelle « la ligne de démarcation ». Or, cette ligne, le plus souvent, et très intentionnellement de la part de l'auteur, n'est jamais d'un tracé parfaitement net. Nodier en fait un entre-deux mal définissable. Nous ne sommes jamais sûrs d'être en présence d'événements réels. Peut-être sont-ils imaginés par ceux mêmes qui s'en trouvent les acteurs. Ces événements, pensons-nous, sont-ils vrais, sont-ils faux, sont-ils même, d'une façon incompréhensible, à la fois l'un et l'autre ? Constituent-ils un mélange habile de réalité et de songe ? Ou bien encore, passons-nous par degrés à peine perceptibles du certain à l'incertain et de l'incertain au fabuleux ? Tel ou tel événement, considéré d'abord comme indubitable, laisse apparaître ensuite, de la façon la plus déconcertante, un caractère mythique. En revanche, d'autres auxquels on n'accordait d'abord qu'une croyance douteuse, révèlent une authenticité incontestable. Où est la frontière entre le dehors et le dedans, entre le réel et l'irréel, entre le perçu et le rêvé ? On est dans le vague. Non dans le vide absolu, non dans l'indétermination pure, qui est peut-être synonyme du néant, mais dans une semi-indétermination coexistant à une détermination partielle. Tel est le terrain suspect où Nodier aime de nous entraîner avec lui. On dirait un jardin dont les fleurs atténuent quelque peu leur éclat particulier pour fondre leurs couleurs dans une teinte commune. Les nuances s'y marient. Les actions s'y enchevêtrent. Les formes y tendent à se laisser absorber dans une niasse continue. Tout cela se fait dans un mouvement général qui ne laisse pas d'être troublant. Malgré les réveils, les reprises, les apaisements de l'esprit, la conversion finale des événements et des péripéties, réelles ou rêvées, en un vaste paysage, mystérieux sans doute, mais probablement assez inoffensif, le monde de Nodier n'en reste pas moins un univers inquiétant, où l'on peut, sinon physiquement, au moins mentalement, se perdre. C'est une nouvelle sorte de labyrinthe. Et comme tous les labyrinthes, il a quelque chose d'angoissant.



Angoissant, pourquoi, puisqu'il s'agit, après tout, d'un rêve, et que tout rêve, comme tout brouillard, est prêt à se dissiper? Il n'y a, semble-t-il, qu'à attendre. On a souvent, en effet, en lisant les contes de Nodier, l'impression que l'auteur n'a jamais voulu pousser jusqu'à l'extrême le trouble où l'on est jeté par leur lecture. Mais pourrait-il jamais renoncer au désir de le faire naître ? Peut-être se contenterait-il d'un trouble inoflënsif. Or, en est-il d'inoffensif ? Les meilleurs contes de Nodier inspirent une inquiétude insidieuse, plus suspecte qu'elle ne semble à première vue. Bien entendu, le sentiment dont il est question n'est jamais, dans toute sa brutalité, celui de la peur. Rien qui ressemble moins à ce qu'on éprouve en lisant certains textes de Maupassant, le Horla, par exemple. Chez Nodier, le glissement vers l'angoisse n'est jamais violent. Il est soigneusement amorti par différents procédés qui adoucissent les pentes et évitent les transitions brusques. En fait, le moyen le plus fréquent, employé par Nodier, n'est-il pas celui qui, avec des précautions infinies, fait passer le lecteur du certain à l'incertain, du net au vague, du plausible à l'imaginaire pur? Nous sommes conduits à pas feutrés vers des lieux à l'authenticité desquels nous sommes de moins en moins obligés de croire. Apparemment donc, il n'y a pas grand danger. A n'importe quel moment il nous semble que sans trop de peine nous pourrons faire comme l'auteur, et reprendre pied dans le réel.



Mais est-ce bien vrai ? Cela se passe-t-il exactement comme nous voudrions bien le croire ? Oui, sans doute, du moins, le plus souvent. Les contes de Nodier sont un peu comme les contes de Perrault qui dissimulent volontiers sous un aspect familier ce qu'ils peuvent avoir, tout au fond, de grave et d'alarmant. On est si vite rassuré qu'on serait presque tenté de regretter le caractère apparemment inoffensif qu'ils semblent prendre. Mais il se fait, en ce qui regarde le plus souvent Nodier - et même parfois aussi Perrault -, que leurs contes sont susceptibles imperceptiblement de prendre un tour équivoque. Ils nous engagent sur une pente. Celle-ci commence par être douce. Mais elle est glissante et de plus en plus rapide. On y est entraîné par un cortège de formes fuyantes, flottantes, en lesquelles il serait vain d'espérer trouver un support. L'issue de cette course au hasard est toujours funeste : « Toutes mes idées, écrit un jour Nodier, s'évanouissent dans je ne sais quel sentiment confus d'existence qui ne diffère en rien de la mort. » Phrase d'une justesse admirable, dans la description pourtant d'un monde où plus aucune justesse d'observation ni d'expression n'est possible. Le monde où nous sommes ainsi introduits n'est ni le réel pur, puisqu'il est le fruit d'une imagination abandonnée à elle-même, et il n'est pas non plus le néant pur, puisque, jusqu'au bout, des formes, si vagues qu'elles soient, y subsistent. C'est un monde intermédiaire entre ce qui garde faiblement une forme déterminée, et ce qui retourne à la pure indétermination.



NODIER : TEXTES



Le matin du lendemain, le temps se brouilla, et l'horizon devint si confus qu'il nous était impossible de déterminer la hauteur du soleil.

Je croyais sentir que la faculté de rêver s'était transformée en moi. Il me semblait qu'elle avait passé des impressions du sommeil dans celles de la vie réelle.



Je me demandais vaguement : « Où suis-je ? », et ma mémoire était un abîme où je ne pouvais me retrouver.



Tous les objets disparurent ensemble, toutes mes idées s'évanouirent dans je ne sais quel sentiment confus d'existence qui ne diffère presque en rien de la mort.



C'était mon rêve chéri, et dans le vague immense où il m'était apparu, il me donnait une idée plus distincte du bonheur que toutes les réalités de la vie. Cependant, je ne faisais que l'entrevoir à travers mille formes douteuses.



A peine mes yeux sont fermés, à peine cesse la mélodie qui ravissait mes esprits, et le créateur des prestiges de la nuit creuse devant moi quelque abîme profond, gouffre inconnu où expirent toutes les formes...



Tout se confondait dans une nuance indéfinissable et sans nom.

Elle disparaissait alors dans les ténèbres lointaines de la salle immense, et le bruit des castagnettes s'affaiblissait en raison de l'éloignement.



Quand mes yeux inquiets cherchèrent Octavie autour de moi, je ne distinguai plus que la trace de sa fuite, un sillon pâle et tremblant qui s'étendait jusqu'à cet astre et qui s'effaçait peu à peu.



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