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MONTESQUIEU (1689-1755)






Il connut la célébrité en 1721, et la gloire en 1748. Entre ces deux maîtres livres (Lettrespersanes. De l'esprit des loiS) il a beaucoup travaillé, attentivement voyagé (Allemagne, Autriche, Italie, Angleterre, de 1728 à 1731), parfois publié, et toujours scrupuleusement observé la vie publique. Mais, superbe figure de génie rationnel et raisonnable, il n'a pas oublié de cultiver le bonheur, par l'exercice surtout de la modération, dont il fit la vertu politique cardinale, ou plutôt le critère de la légitimité politique. Qu'on ne s'y trompe pas pourtant : rien de mou ni de tiède chez ce penseur et ce styliste fulgurant, qui ne se proposa rien moins que de découvrir les lois de gravitation des sociétés humaines. Et moi aussi je suis Newton...





Ce philosophe de très grande envergure, qui brassa comme personne le droit, l'économie, la politique, les mours, l'Histoire, est aussi et d'abord un écrivain (il donna à l'Encyclopédie l'article « Goût »), et plus précisément un romancier. Quatre romans, dont deux publiés (Lettres persanes, 1721 ; le Temple de Gnide, 1725. Histoire véritable, et Arsace et Isménie, composés entre 1730 et 1740, ne parurent qu'après sa morT). Un seul fait date à jamais, tant - par son style, ses préoccupations, son succès - il semble l'emblème et le baptême des Lumières dans leur version Régence, ou rococo.

« Rien n'a plus d'avantage, dans les Lettres persanes, que d'y trouver sans y penser, une espèce de roman. On en voit le commencement, le progrès, la fin. » Sans y penser, parce que l'auteur s'est « donné l'avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale, à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue » (Montesquieu, Quelques réflexions sur les Lettres persanes, 1754).

Propos mesurés. On a sans' doute eu tort, pendant longtemps, de négliger la forme romanesque au profit de la satire et de la réflexion. Mais il est tout aussi déraisonnable de transformer les Lettres persanes en un « magnifique roman », dont on s'acharne à découvrir la chaîne secrète.

La forme épistolaire permet de lier, sur une durée fictive de dix ans (1711-1720), un roman de sérail (45 lettres sur 161), l'observation satirique des mours françaises (un modèle presque insurpassablE), des discussions philosophiques fort sérieuses et fort diverses, qui marquent bien la pente d'esprit du futur auteur de VEsprit des lois, et même trois histoires insérées (celles des Troglodytes, lettres 11-14 ; d'Aphéridon et Astarté, 67 ; d'Ibrahim et Anaïs, 141 : distribution apparemment concertéE).



L'originalité de Montesquieu est bien là : non pas dans la fragmentation épistolaire du propos, ni dans l'utilisation d'un regard étranger, procédés déjà largement pratiqués. Mais dans la greffe d'une intrigue romanesque dont il tire des bénéfices nombreux et inédits. Et soigneusement calculés. L'interminable séjour d'Usbek en Occident installe inévitablement le trouble et le « désordre » dans son sérail : les eunuques intriguent, le désir féminin s'exacerbe, la contradiction s'accroît entre l'ouverture aux idées occidentaies du philosophe persan et le despotisme inhérent à l'institution du sérail. Que signifient les discours sur la Nature, la Liberté, la Vertu - thèmes centraux du roman, habilement tressés - à l'aune du sérail qui les étouffe ? À la fin du livre, où il a ramassé pour un final dramatique l'épilogue de son intrigue (en arguant du retard des lettreS), Montesquieu nous laisse devant un personnage désemparé, déchiré entre la fureur et le désespoir, et que le suicide héroïque de sa favorite Roxane condamne et dégrade. Le statut de la femme (sans doute le thème le plus obsédant du livrE), émancipée jusqu'à l'impudeur la plus effrontée dans la société française, tyrannisée dans le sérail au profit de la « vertu », focalise la différence effarante des systèmes sociaux, et les contradictions d'un personnage à cheval sur deux cultures. Autre correspondance féconde, où s'articulent l'idéologie et la fiction : le sérail, source de rêveries troubles pour le lecteur des Lumières, est aussi une figure, une condensation du régime despotique oriental. Mais le système du texte a des effets plus caustiques et plus inquiétants : tout ce qui est dit de l'Orient peut ricocher sur l'Occident : ainsi des dervis, du despote, des vizirs, des eunuques, etc., dont on ne sait plus s'ils sont figures de Paltérité ou de l'analogie.



C'est que toute société doit régler au mieux (mais le pire s'inscrit durement à l'horizoN) les problèmes de la femme, du pouvoir, de la religion, des mours, des richesses, de la natalité, etc., qui enveloppent la question cruciale de la liberté, tiraillée entre despotisme et anarchie. La fable n'est pas alors de trop, qui prête le secours de ses Troglodytes : de l'état de nature (violence généraliséE) à une république pacifique et prospère, puis au choix d'un monarque (évidemment vieux et vertueux, mais ses héritiers ?) qui les soulagerait des responsabilités de la liberté, ce peuple mythique parcourt-il le cycle obligé des formes politiques ? La France, quant à elle, le refait en sens inverse : n'oublions pas les dates de la fiction (1711-1720) qui rejoint l'actualité la plus brûlante. Cette décade passe d'un règne trop long et trop despotique (Louis XIV meurt enfin en 1715, après 54 ans de règne personnel - Montesquieu a alors 26 anS) à la licence fiévreuse de la Régence, qui dissout les valeurs et bouleverse les rangs (système de LaW).



Échec et désordre du sérail. Échec et désordre de la Régence. Gardons-nous cependant du ridicule de confesser Montesquieu à travers Usbek : ni l'échec ni le désarroi du grand seigneur persan n'affectent sérieusement le brillant Président bordelais. À tout le moins - et cela seul importe - son roman philosophique ne parvient pas (ni ne cherchE) à nous le faire croire. Incapable de naïveté par excès d'esprit, et trop intelligent pour être vraiment pessimiste, l'auteur des Lettres persanes joue en virtuose avec les idées, les personnages, les types, les styles. Les styles : on a trop tendance (mais la tentation s'expliquE) à ne retenir des Lettres persanes que sa veine satirique, ce régal de l'esprit français. Mais il y a aussi le style sérieux des analyses philosophiques, le pastiche du style oriental, et le style pathétique des passions. Il est assez clair que les Lettres persanes sont tentées par l'éparpillement et le papillotement : trop d'intelligence, trop de curiosités ! Enquête sur l'homme, plus que quête de la destinée humaine. On a beau vouloir se déprendre de l'effet rétroactif, rien n'y fait : à l'horizon de ce livre étincelant et sérieux, il n'y a pas un roman, il y a l'Esprit des lois, où, sans masques, un homme prétend, pour la première fois, plier l'Histoire à des lois déchiffrables dans l'Histoire seule.

Le continent Histoire, interdit par Descartes à la Raison, terrain de chasse favori des sceptiques (avez-vous vu le nez de Cléopâtre sur la face du monde ?), Montesquieu tente de le soumettre à la légalité « newtonienne » : une logique immanente organise les sociétés, oriente leurs devenirs, rend compte de leurs lois, de leurs institutions, de leurs conduites. Leur monstrueuse et épuisante diversité peut, sur le modèle des sciences de la nature, se résoudre en lois, c'est-à-dire en rapports constants dérivés de la nature des choses, vérifiés par l'observation, noués entre les phénomènes (le modèle newtonien est patenT). Il faut donc commencer par ramener toutes les sociétés historiques à trois types fondamentaux : la république (qui englobe sans les confondre aristocratie et démocratiE), la monarchie, le ' despotisme. Chacun de ces régimes est animé par un principe spécifique qui colore les lois, les institutions, les comportements : vertu républicaine, honneur monarchique, crainte despotique. Principes plus politiques qu'éthiques : la vertu signifie l'identification à la patrie, l'honneur, l'attachement aux prérogatives du rang, du nom, de la réputation. La méthode consiste donc à rapporter toutes les composantes du type à la logique interne de son dynamisme spécifique, à la structure fondamentale qui le fait être ce qu'il est : il y a une logique républicaine, monarchique, despotique, qui seule permet de comprendre, c'est-à-dire de rendre leurs raisons aux lois, aux mours, aux évolutions des sociétés. Il ne s'agit en aucune manière de faire une histoire du droit, une histoire des sociétés, mais de proposer une « nouvelle méthode de philosopher » (d'Alembert, à propos de NewtoN) dans l'étude de l'homme : Montesquieu peut légitimement apparaître comme un précurseur de la démarche sociologique.



On doit en conséquence éviter un contresens désastreux : Montesquieu ne prétend nullement que toute société réelle répond intrinsèquement et exclusivement à la pureté du type (pas plus que Marx ne s'imagine rencontrer une société conforme aux analyses théoriques du Capital !). Car les hommes, s'ils sont pris et formés dans la logique contraignante et spécifique du déterminisme propre à chaque type fondamental, ont droit à l'erreur, privilège de leur liberté naturelle, et ne s'en privent pas : ils promulguent des lois, impulsent des pratiques et des évolutions qui réalisent ou corrompent l'essence idéale de leur régime. Évolution et corruption inévitables, parce que les sociétés sont des organismes vivants forcément soumis au temps ; parce que les hommes sont un composé de raison et de passions. Toute société concrète (Rome, la France, l'Angleterre...) obéit à une histoire particulière, et sa configuration change selon les moments de cette histoire. Elle se rapproche ou s'éloigne davantage de l'équilibre idéal conforme à la logique du type : par exemple, la monarchie française n'atteint son équilibre presque parfait que vers la fin du Moyen Âge, dans l'espace qui sépare l'asservissement trop brutal du tiers état et les prérogatives excessives des féodaux, du renforcement insupportable de l'autorité royale en marche vers le despotisme. La fameuse liberté anglaise ne trouve son accomplissement fragile qu'à la fin du XVIIe siècle, après la glorieuse révolution de 1688. Rome nous offre le modèle grandiose d'un cycle politique où la liberté républicaine impulse la conquête du monde, et ces conquêtes engendrent le despotisme, et donc la décadence (cf. Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, 1734).



Un seul régime politique échappe au temps : le despotisme, installé de toute éternité en Asie, immobile, parce qu'il constitue le terme ultime, et presque inévitable, où tendent les autres systèmes : à la fois Tailleurs, et l'envers du politique, sa négation et son terme. Le despotisme ou la fin de l'Histoire, l'océan où tous les fleuves se jettent.

En revanche, l'histoire des peuples européens met à jour une coupure essentielle. L'Antiquité n'a connu en effet que le despotisme et la république (démocratique ou aristocratiquE). Il revient aux peuples issus des invasions barbares, des libres forêts germaniques, d'avoir conçu, ou plutôt construit, la véritable monarchie, seul régime adapté aux conditions de la politique moderne. La trilogie des types n'a donc pas un sens univoque : la république, dont il ne reste que des vestiges (Venise, les Cantons suisses...), renvoie pour l'essentiel au passé gréco-romain. Elle requiert au demeurant des citoyens d'une trempe inconnue des modernes : l'État moderne, indestructible (cf. Réflexions sur la monarchie universelle en Europe, non publiées avant 1891), ne peut pas fonctionner sur l'admirable abnégation des citoyens antiques. Le despotisme, quant à lui, possède un double statut : régime adapté aux vastes espaces asiatiques (c'est le fameux déterminisme du climaT), sur lesquels il règne depuis toujours, et terme fatal de tous les pouvoirs. Tentation, perversion et négation du politique, qui cerne, comme un horizon implacable, le fragile, le miraculeux espace de la liberté européenne (on aura reconnu des considérations étrangement actuelles !). Reste la monarchie, invention moderne, seule à même de concilier la liberté, la puissance attachée à l'espace (les républiques antiques étaient des citéS), et l'absence de vertu. Ce qui définit, selon Montesquieu, ce régime étonnant, c'est la coexistence d'un roi (évidemmenT) et de corps intermédiaires (noblesse, clergé). Le monarque possède le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, mais abandonne le pouvoir judiciaire à d'autres corps Gustice seigneuriale et surtout parlementS), sans quoi on serait dans le pur despotisme. Mais son autorité est aussi (et peut-être surtouT) freinée par l'existence d'une noblesse (de robe et d'épéE) animée par le principe de l'honneur, et qui ne tient pas ses prérogatives, ses propriétés, ses titres, du caprice royal, mais de la naissance. La supériorité considérable de ce régime sur les républiques antiques tient au fait qu'il n'exige aucunement le sacrifice des intérêts personnels sur l'autel de la patrie : bien au contraire, plus chacun défend ses droits, ses privilèges, son statut, etc., et plus il renforce, sans le vouloir ni le savoir, le principe qui fait vivre la monarchie.

La machine monarchique peut ainsi diriger de grands États : elle marche à l'intérêt personnel, elle ne consomme pratiquement pas d'énergie morale, elle se passe d'héroïsme civique, mais pas de l'aristocratie, rempart qui protège le peuple (et le régimE) contre l'inévitable tentation despotique du roi et des ministres.



C'est ici que nous rencontrons le célèbre principe de la séparation, ou plutôt distribution, des trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciairE), règle d'or du libéralisme politique. Mais on ne saurait trop insister sur un point décisif : en politique sérieux, Montesquieu ne propose pas une règle juridique, une clause constitutionnelle transportable partout à l'identique : par pouvoirs, il entend toujours des forces politico-sociales dont l'équilibre (inégal, conflictuel, variablE) oblige à la modération, c'est-à-dire à la liberté politique (inégale, variablE). C'est pourquoi il s'agit d'une méthode d'analyse des formes politiques, d'un critère de liberté qui implique la prise en compte de toute la structure sociale d'une société donnée. La France, par exemple (qui sert à l'évidence de référence pour définir la monarchiE), n'évite de tomber dans le despotisme qui la menace que grâce aux parlements, aux privilèges nobiliaires, et surtout aux mours modelées par le passé féodal. L'Angleterre, modèle de régime mixte (comme RomE), mêle esprits républicain et monarchique. Ici, le pouvoir judiciaire est tenu pour nul, car constitué de jurys populaires temporaires. La modération y dépend donc de la distribution des pouvoirs exécutif et législatif entre le roi et le Parlement élu. Contrairement à la France, le problème en Angleterre est de renforcer le pôle royal contre le pôle républicain des Communes, pour éviter le despotisme populaire. Un facteur décisif de la liberté (inconnu en FrancE) tient à la rivalité de deux partis politiques liés chacun à un de ces deux pôles. La France tend vers le despotisme royal, l'Angleterre vers le despotisme populaire typique des régimes républicains. L'Angleterre n'est donc pas un modèle transportable, puisqu'il faudrait exporter une structure indissolublement politique, sociale et mentale, façonnée par l'Histoire ! Mais elle propose un exemple de « constitution » qu'on ne saurait trop méditer, car son objet spécifique est la liberté : l'Angleterre ou l'extrême de la liberté dans un état monarchique moderne.

La liberté apparaît bien comme le critère suprême, l'invariant normatif des formes politiques. La trilogie révèle une opposition binaire entre les gouvernements modérés et le despotisme. Contradiction du savant et du moraliste ? Mais n'est-elle pas inévitable ? Et Montesquieu énonce clairement le double rattachement de son projet à un déterminisme global, et à des normes transcendantes qui justifient la condamnation du despotisme, ce fantasme totalitaire des Lumières, d'une actualité troublante.

Cette pensée si nouvelle, si subtile, si profonde, Montesquieu a voulu la rendre séduisante. Autant qu'aux spécialistes, il tente de s'adresser au public éclairé : chapitres courts (parfois réduits à quelques phrases !), formules brillantes, aphorismes, anecdotes, pointes, transitions inattendues, contrastes, échos, raccourcis... Pour apprécier ce prodigieux travail stylistique, on ne conseillera pas de comparer avec un traité de droit naturel classique, il suffira d'un manuel de droit politique actuel ! « De l'esprit sur les lois », dit méchamment (et superficiellemenT) Mme du Deffand.



Mais il est sans doute dangereux de trop parier sur la subtilité du lecteur ! L'esprit rococo appliqué à la philosophie politique ne facilite pas toujours la compréhension. Le lecteur de l'Esprit des lois est obligé de beaucoup penser par lui-même, de nouer les rapports que Montesquieu esquisse ou suggère, de chercher les logiques sous-jacentes... Quitte à soupçonner parfois qu'on le lance sur les traces fuyantes d'un guide dont on ne sait s'il a perdu sa boussole, ou s'il nous égare à plaisir.

Ce qu'on peut garantir, c'est qu'on ne perd jamais son temps dans les pas d'un génie : deux siècles de commentaires souvent laborieux n'ont pas épuisé ce texte savamment déséquilibré et troué, à relire d'urgence pour savoir ce que libéralisme veut dire !






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