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Liberté, Égalité, Fraternité






Au désordre des rues de la période révolutionnaire succéda celui des esprits. Et Chateaubriand pouvait ainsi dresser, en 1797, le tableau d'une France divisée :



Chaque âge est un fleuve qui nous entraîne selon le penchant des destinées quand nous nous y abandonnons. Mais il me semble que nous sommes tous hors de son cours. Les uns (les républicainS) l'ont traversé avec impétuosité et se sont élancés sur le bord opposé. Les autres sont demeurés de ce côté-ci sans vouloir s'embarquer. Les deux partis crient et s'insultent, selon qu'ils sont sur l'une ou l'autre rive. Ainsi les premiers nous transportent loin de nous, dans des perfections imaginaires, en nous faisant devancer notre âge ; les seconds nous retiennent en arrière, refusent de s'éclairer et veulent rester les hommes du quatorzième siècle dans l'année 1796.



Essai sur les révolutions, 1,1, Introduction.



Et, divisée, la France devait le rester. Mais à l'opposition du passé et du présent, liquidée au profit de ce dernier par la chute de Charles X et l'avènement de la monarchie parlementaire, allait succéder celle du présent gestionnaire et du futur utopique. Ainsi, une fois éliminée l'idéologie contre-révolutionnaire, la devise républicaine pouvait parrainer, de façon éclatée, les grands courants de pensée qui traversent le demi-siècle : aux libéraux, la liberté ; aux socialistes - utopiques ou non -, l'égalité ; aux artistes, la fraternité.



Le romantisme des émigrés



Dès les premières secousses révolutionnaires, certains avaient pris la route d'un exil volontaire : nobles, d'abord, qui furent rejoints, au gré des turbulences, par des bourgeois monarchiens ou girondins. Au total, on estime à près de cent cinquante mille le nombre de ceux qui émigrèrent entre 1789 et 1797 (la clôture de la liste n'eut lieu que le 3 mars 1800), créant des foyers français en divers pays d'accueil : Coblence où se rassemble l'armée des Princes, Hambourg où s'édite le Spectateur du Nord, principal organe de l'émigration, Genève, Londres, et, plus loin, Philadelphie. Une « France extérieure » - comme l'appelle Chateaubriand dans ses Mémoires d'outre-tombe (X,8) - « variant son industrie et ses peines de la diversité des climats et de la différence des mours des peuples ». Et de cette diaspora allait naître une véritable révolution intellectuelle : car, « persuadés de la suprématie française dans le domaine de la littérature, des arts, de la vie de société, [... les émigrés] eurent à déchiffrer une géographie pittoresque et sentimentale de l'Europe. Tandis que la philosophie française avait étudié un homme abstrait, logiquement reconstruit depuis une sorte de table rase et étendu cette reconstitution logique de l'individu à la société, ces peuples de l'Europe avaient pris conscience de ce qui les particularisait comme du lieu le plus précieux de leur culture » (André Jardin, Histoire du libéralisme politiquE). Les mémoires - nombreux - des émigrés sont pleins de ces découvertes, naïves ou goguenardes, qui traduisent sans doute une volonté de « préserver la vieille France [...] avec ses préjugés » (Chateaubriand, op. cit.) ; mais d'autres esprits plus éclairés surent tirer profit de ce choc des cultures : ainsi, Charles de Villers constate-t-il depuis Hambourg que « la littérature française, autrefois si florissante, semble frappée aujourd'hui d'une sorte de stérilité ». Et de souhaiter qu'au lieu de s'enfermer dans sa suprématie hautaine la France s'ouvre aux littératures étrangères dont la « connaissance peut faire renaître l'émulation, et par là une salutaire activité [qui] ramènera bientôt les beaux jours de cette même littérature » (Philosophie de Kant, 1801). Le De l'Allemagne (1810-1814) de Mme de Staël sera, pour une large part, l'amplification du point de vue de Villers.



Ferment de cosmopolitisme, l'émigration concourt d'une autre manière à l'établissement d'une nouvelle sensibilité : en traçant à travers sa littérature le drame d'une génération perdue, vouée à l'exil et à la nostalgie, elle contribue à la constitution d'un type promis à une grande fortune, le « paria ». Qu'on relise l'Émigré de Sénac de Meilhan (publié à Brunswick en 1797), qu'on relise surtout VEssai sur les révolutions (publié à Londres la même annéE), on y verra se mettre en place toute une thématique dont se nourrira, une trentaine d'années plus tard, la littérature du « mal du siècle » :



Lorsque les chances de la destinée nous jettent hors de la société, la surabondance de notre âme, faute d'objet réel, se répand jusque sur l'ordre muet de la création, et nous y trouvons une sorte de plaisir que nous n'aurions jamais soupçonnée. La vie est douce avec la nature. Pour moi, je me suis sauvé dans la solitude, et j'ai résolu d'y mourir, sans me rembarquer sur la mer du monde. [...] Le malheur nous est utile, sans lui les facultés aimantes de notre âme resteraient inactives...

II, 13, « Aux infortunés ».

René ne fera qu'appliquer le programme de l'émigré Chateaubriand !



La restauration religieuse



Plus naturellement, l'émigration fut aussi le lieu de contestation de l'idéologie révolutionnaire - et, par-delà, de la pensée des Lumières (même si nombre de ceux qui choisirent l'exil furent élevés à l'ombre des Philosophes...). Courant à rebours de l'histoire que cette pensée contre-révolutionnaire, ruminée par beaucoup, théorisée par quelques-uns et qui fournira aux « ultras » les fondements de leur doctrine politique ; mais, plus que celle-ci, importe pour la compréhension du romantisme le ressourcement spirituel qui l'accompagne : car, ainsi que le note un des historiens du légitimisme, « la contre-révolution apparaît comme une conception globale du monde, saturée de théologie et d'ontologie » (Stéphane RiaiS). Un titre comme celui de l'essai de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile (1797), est, en lui-même, révélateur : le rejet de la Révolution se fait avant tout au nom de Dieu et de la Providence. « La religion est la constitution fondamentale de toute société », affirme ce même Bonald (la Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules lumières de la raison, 1802) tandis que Joseph de Maistre précise : « L'homme est intelligent, il est libre, il est sublime, sans doute ; mais il n'en est pas moins un outil de Dieu. [Ce principe ne trouve] nulle part d'application plus juste que dans la formation des constitutions politiques où l'on peut dire avec une égale vérité que l'homme fait tout et ne fait rien » (Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, 1804). Ainsi le religieux faisait-il un retour en force dans* la théorie. En allait-il de même dans la réalité, et le christianisme pouvait-il combler cette « surabondance de l'âme » dont parlait le narrateur de VEssai sur les révolutions ?

Une première réponse allait être fournie par le triomphe réservé à la sortie du Génie du christianisme (1802) : dans ce volumineux ouvrage, sous-titré « Beautés de la religion chrétienne », Chateaubriand abordait, en dehors des problèmes de « Dogme et Doctrine » (Première partiE) et de « Culte » (Quatrième partiE), des aspects proprement esthétiques - « Poétique du christianisme » (Deuxième partiE), « Beaux-arts et Littérature » (Troisième partiE) - qui allaient ouvrir la voie au renouvellement littéraire. Toute « la littérature se teignit des couleurs du Génie », notait-il avec fierté dans la Préface à la réédition de ses Ouvres complètes en 1826 ; si bien que cette apologie dressée « en portant le regard sur le passé » contribua à « préparer les voies de l'avenir » (ibidj.

Ainsi donc, le Génie arrivait-il « à point » pour canaliser une spiritualité latente, refoulée par les interdits multiples dont la Révolution avait frappé la religion. Mais cette « restauration » de la religion se faisait sur des bases politiques nouvelles puisque Chateaubriand trouvait dans le christianisme le fondement... du système représentatif :



Et qu'il soit encore dit à la gloire de notre religion, que le système représentatif découle en partie des institutions ecclésiastiques [...] parce que les prêtres chrétiens, ne s'étant pas séparés de l'État, ont donné naissance à un nouvel ordre de citoyens, qui, par sa réunion aux deux autres, a entraîné la représentation du corps politique.

IV, vi, 11.



Poussant plus loin la superposition à l'idéologie républicaine, il voyait aussi dans le christianisme la source de la liberté et de l'égalité (principes honnis des penseurs contre-révolutionnaireS) :

En général, le christianisme est surtout admirable pour avoir converti l'homme physique en l'homme moral. Tous les grands principes [...] la liberté, l'égalité, se trouvent dans notre religion, mais appliqués à l'âme et au génie, et considérés sous des rapports sublimes.

IV, vi, 11. Glissement sémantique des principes qui permettait à l'auteur, quelques pages plus loin, de découvrir, à rebours de tout le xviii* siècle, « l'exercice de la raison » dans le principe même de la religion :

Les vérités du christianisme, loin de demander les soumissions de la raison, en réclament au contraire l'exercice le plus sublime.

IV, vi, 13.

C'était procéder, sinon à un retournement complet, du moins à une relecture totale du dogme - voie dans laquelle Ballanche l'avait précédé (Du sentiment, 1801) et allait l'accompagner (Palingénésie sociale. Prolégomènes, 1827) - qui, sans conduire au reniement de la foi royaliste, devait ouvrir la religion aux valeurs - laïques - de la société révolutionnée.



Tel fut, au terme d'une trajectoire complexe mais logique, le cas de Félicité de Lamennais. Profondément contre-révolutionnaire à l'origine, il défend la restauration du trône parce que c'est à ses yeux le seul moyen de lutter contre le rationalisme ; il va même jusqu'à retourner la formule voltairienne : « Écrasez l'infâme ! Écrasez cette philosophie destructive » (Réflexions sur l'état de l'Église en France pendant le xviw siècle et sur sa situation actuelle, 1809). Et, en disciple de Bonald et Maistre, il proclame que « jamais on ne constituera de société seulement avec des hommes. Il faut que l'homme soit d'abord en société avec Dieu pour pouvoir entrer en relation avec ses semblables » (Essai sur l'indifférence en matière de religion, 1817). Mais, une fois la monarchie restaurée, une fois les ultras au pouvoir, Lamennais constate que le passé n'est qu'un leurre - « Le Roi est un souvenir vénérable du passé, l'inscription d'un temple ancien qu'on a placée sur le fronton d'un autre édifice tout moderne » (De la religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, 1825) - et que les droits du pouvoir spirituel ne sont pas rétablis puisque « la loi divine a cessé d'être la règle des actions publiques et le fondement du droit de commander » (ibid.). Déception commune à toute une génération de royalistes-nés qui, pour des raisons différentes, loin de radicaliser leurs propres positions, gagneront progressivement l'espace libéral. « On tremble devant le libéralisme ! Eh bien ! catholicisez-le et la société renaîtra », conseille Lamennais à la comtesse de Senfft en 1829. Un an plus tard il lance le premier numéro de l'Avenir (16 octobre 1830) dont la devise - « Dieu et la liberté » - indiquait clairement l'orientation.



L'Avenir, qui prenait la succession du mensuel Mémorial catholique (publié depuis 1824), devint le point de ralliement d'un mouvement néocatholique qui, selon l'analyse de Paul Bénichou, fut tout à la fois « une idéologie - à savoir une doctrine modernisée de l'exil terrestre et des signaux divins- et, plus particulièrement, en accord avec le mouvement général de l'esprit moderne, une esthétique plus ou moins explicite » (le Temps des prophèteS). Idéologie qui déboucha sur un militantisme très actif (une Agence générale coordonnait l'action d'associations provinciales, le territoire national étant divisé en trois grandes zones d'intervention confiées à Lacordaire, Montalembert et de CouX) dont les chevaux de bataille furent la reconnaissance des libertés de conscience et de religion - bien sûr -, d'enseignement - afin de battre en brèche le monopole de l'Université héritée de l'Empire (Montalembert, Du devoir des catholiques dans la question de la liberté d'enseignement, 1843) -, de la presse, d'association, combats auxquels il faut ajouter ceux en faveur du suffrage universel et de la décentralisation, corollaire logique de la critique du pouvoir politique qui, depuis le Concordat de 1801-1802, avait la mainmise sur l'Église. Le conflit avec Rome ne pouvait dès lors être évité et l'encyclique Mirari vos (1832) de Grégoire XVI vint condamner une action qui mettait en danger, aux yeux de toute la hiérarchie, l'unité du catholicisme. Lamennais en tira les conséquences, sabordant l'Avenir, lançant le lyrique pamphlet des Paroles d'un croyant (1834), dans lequel il attaquait l'Église « divorcée d'avec le Christ [...] pour forniquer avec ses bourreaux », avant de défroquer pour se retrouver dans l'Assemblée quarante-huitarde sur les bancs... démocrates et directeur d'un nouveau journal : le Peuple constituant.

En fait, l'échec de la réforme menaisienne laissait la place libre pour l'exercice d'un magistère de spiritualité laïque : « la religion de l'avenir projette ses premières lueurs sur le genre humain en attente et sur ses futures destinées : l'artiste doit en être le prophète » (l'Esquisse d'une philosophie, 1840). C'était là confirmer la place que les poètes s'étaient arrogée progressivement [voir p. 73-78].



Libéralisme et républicanisme



La rencontre des néocatholiques et de la liberté ne fait qu'intégrer ceux-là dans le courant du siècle. Car la liberté apparaît comme le fondement de toute doctrine politique en accord avec le temps, et c'est au nom de ce même accord des arts et du temps que le romantisme fondera son existence [voir p. 39]. Mais la notion de liberté ne va pas de soi, ni en nature (quelle est-elle ?), ni en extension (où s'arrête-t-elle dans l'organisation sociale ?) : et les projets politiques devront tous tenter de définir les rapports complexes dans lesquels la liberté de l'individu vient buter contre celle de la société.

Première attitude, celle des libéraux pour qui la liberté ne peut se concevoir qu'individuellement parce qu'elle est inscrite au fond de chacun comme une passion nécessaire (Mme de Staël, De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, 1796). Conséquence logique :



Jamais les habitudes de la liberté ne peuvent avoir pour origine un commandement quelconque. [...] L'élément de i'opinion publique, ce sont les sentiments volontaires. Le gouvernement républicain qui, par un raffinement singulier, voudrait établir une sorte d'obéissance nouvelle, le volontaire forcé, serait infiniment plus tyrannique que le simple despotisme.

Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République française, écrit en 1798.



Plus directement, Benjamin Constant dira dans ses Mélanges de littérature et de politique (1829) : « Par liberté j'entends le triomphe de l'individualisme ». Mais il ajoute aussitôt, pour prévenir toute dérive anarchisante : « Le despotisme n'a aucun droit. La majorité a celui de contraindre la minorité à respecter l'ordre ». Et c'est encore au sentiment que recourt Constant pour éliminer le spectre des tentations despotiques ; témoin son analyse du comportement de la « masse nationale » sous la Terreur :



Sous les Jacobins, on eût dit qu'il n'y avait de salut que dans la République et qu'il fallait tout immoler à la République et à la patrie ; mais la masse nationale a très bien démêlé que ce qu'on nommait la République n'était pas la liberté et que la patrie se composait, précisément, de toutes les affections, de toutes les jouissances dont on exigeait le sacrifice au nom de l'abstraction qu'on désignait ainsi.



Conception optimiste de l'homme (cf. Constant, De la perfectibilité de l'espèce humaine, 1829), toujours capable de puiser dans son cour ou sa raison de quoi surmonter les aberrations d'un système. Conception optimiste que les romantiques mettront en ouvre à travers des héros volontaristes, laissant libre cours à leurs pulsions et que symbolise le mythe napoléonien constitué - après une période au cours de laquelle les libéraux ne virent dans l'Empereur que « l'ogre » mangeur de libertés - et véhiculé par les chansons du très populaire Béranger (le Cinq Mai, 1821 ; Parlez-nous de lui, Grand-Mère, 1828).

Le refus de toute limitation de la liberté individuelle n'avait d'égal chez les libéraux que celui de l'établissement de la démocratie (et le régime censitaire, qui fut leur ouvre, en fait foi [voir p. 12]) : ainsi Constant blâmait-il Rousseau d'avoir fait de son « contrat social » « le plus terrible auxiliaire de tous les despotismes » (Principes de politique applicables à tous les régimes représentatifs, 1825). Or, ce « contrat », les républicains n'auront de cesse de le faire entrer dans les faits (mais il leur faudra d'abord convaincre que république n'est pas synonyme de terreuR). Pour eux, donc, la liberté n'est qu'un vain mot dès lors qu'elle n'est pas associée étroitement à l'égalité : « Le but de la société, c'est le bien-être moral et matériel de tous par l'ordre, par la liberté, par l'égalité » (Garnier-Pagès, Préface au Dictionnaire politique de Pagnerre, 1842). L'égalité devient même le maître mot de leur combat : « L'égalité, voilà le dogme fondamental de notre politique » (Elias Regnault, article « Égalité » in Dictionnaire politiquE). Mais ces termes ne sont que des entités, propres à cet « âge métaphysique » dont Auguste Comte attend le dépassement par « l'âge positif » fondé sur l'association de l'ordre et du progrès (Cours de philosophie positive, « Physique sociale », 1853). Un ordre qui ne pouvait qu'être issu du suffrage universel et un progrès qui ne pouvait que passer par une nouvelle organisation du travail :



Tant que l'ouvrier ne sera pas propriétaire de tout ou partie de son instrument de travail, la liberté, l'égalité seront des rêves pour lui ; et la démocratie serait un leurre si elle ne concluait un jour [...] à faire que, dans la plupart des ateliers, sinon dans tous ceux où il y avait un maître et des salariés, il y ait désormais un gérant et des associés. La démocratie dans l'ordre politique et la monarchie à peu près absolue dans l'atelier sont deux choses qui ne peuvent coexister longtemps.

Corbon, le Secret du peuple de Paris.



À la confiance en l'homme d'exception se substitue ainsi un optimisme dans le peuple, objet d'un véritable culte de la part des artistes, culte qui culminera avec le Peuple de Michelet (1846) et les Misérables de Hugo (1862, mais on sait qu'il a existé un premier état du texte entre 1842 et 1845 sous le titre de les MisèreS). Vision incontestablement idyllique, non dénuée parfois d'une certaine condescendance et qui conduit chez les romantiques à opposer ce « vrai peuple », inculte et donc éducable, laborieux et donc productif, à cetteTlieWécupérable qui forme les bas-fonds ; vision mystique coupée de toute réalité sociologique ou économique, et qui crée son objet pour les besoins de sa cause : d'ailleurs, nous dit Michelet, le peuple, en sa plus haute idée, se trouve difficilement dans le peuple. Que je l'observe, ici ou là, ce n'est pas lui, c'est telle classe, telle forme partielle du peuple, altérée et éphémère. Il n'est dans sa vérité, à sa plus haute puissance, que dans l'homme de génie. En lui réside la grande âme.



On ne saurait mieux dire que le peuple n'existe qu'à l'état mythique ; on voit surtout combien le romantisme, s'il est fils de son temps, fait aussi de son époque la fille de ses rêves.



Un carrefour d'utopies



Et des rêves il y en eut. En tous genres. D'ailleurs, la révolution de 1848 aurait-elle donné lieu aux mêmes débats sans l'intense fermentation des idées à laquelle se livraient depuis une vingtaine d'années - et parfois plus - ceux que l'on nomme les utopistes ?

Théoriciens sociaux que ces penseurs pour qui, quelles que soient leurs divergences, l'époque présente n'était que la transition vers un Éden terrestre qu'il s'agissait désormais de construire et d'organiser. Organiser, tel semble bien être le maître mot de ces prophètes de la société future : Saint-Simon n'écrit-il pas un Essai sur l'organisation sociale (1804) ? Le fouriériste Considérant n'estime-t-il pas « qu'arrivée à son apogée et dotée de ses conquêtes, [la société] doit organiser une période supérieure, compatible avec la justice, la loyauté, la vérité des mours » (Destinée sociale, 1835) ? Et Leroux ne perçoit-il pas que « la philosophie qui nous revient d'Allemagne aujourd'hui [est] organisatrice et religieuse au lieu d'être principalement désorganisatrice et irréligieuse » (De la tendance nouvelle des idées, 1832) ? Organisatrice de systèmes souvent complexes, à prétentions scientifiques et visées religieuses, la pensée utopiste entend d'abord assurer le bonheur (au sens le plus « physique » pour Fourier et ses discipleS) de tous, singulièrement des plus défavorisés. Prosélyte, elle développe une presse multiple - et souvent éphémère - à défaut d'être hégémonique : l'Organisateur (1819-1831), le Globe (1830-1832), le Gymnase (1828) parmi nombre d'autres pour les saint-simoniens ; le Phalanstère (1832-1834), la Phalange (1836-1843) ou la Démocratie pacifique (1843-1851) pour les fouriéristes ; Cabet anima le Populaire, Leroux et ses amis eurent une Revue encyclopédique... Inventive, elle met en branle des imaginaires cohérents - mais délirants comme chez Fourier, « alliage intime des mathématiques et de la poésie » (R. QueneaU) -, et invente de nouveaux concepts appelés à jouer un grand rôle dans la pensée politique (Leroux lance le mot « socialisme » en 1833, Cabet, « communisme » en 1842 et Pecqueur, « collectivisme » la même annéE). Pédagogique, elle recourt pour exposer ses théories aux structures éprouvées de la parabole - « les abeilles et les frelons » de Saint-Simon dans l'Organisateur (1819-1820) - ou du roman - ainsi Cabet explique-t-il que « pour faire lire [sa] description à toutes les classes de la société et surtout aux femmes, [il eut] la hardiesse de lui donner la forme d'un roman ou d'un voyage » (Mon credo communiste, 1845 à propos du Voyage en Icarie, 1842). Spiritualiste, elle entend substituer à l'Église traditionnelle « une religion sans surnaturel ni rites » (Paul BénichoU) : c'est le Nouveau Christianisme (1825) de Saint-Simon qui souhaite faire des artistes les nouveaux prophètes qui « proclameront l'avenir de l'espèce humaine, [...] montreront au grand nombre la voie de bonheur et d'immortalité ». Et comme ces utopistes étaient convaincus du bien-fondé de leurs rêves, ils les ont inscrits dans le réel : une Église saint-simonienne s'installe dès 1829, un phalanstère fouriériste s'organise à Condé-sur-Vesgre, une communauté inspirée de Leroux trouve place à Boussac (1844-1850), une colonie icarienne est fondée à Nauvoo (TexaS) en 1848, un familistère de Godin à Guise, etc.



Leroux s'est occupé du symbole, Fourier de l'analogie : hasard ? Certes non, dès lors que le monde leur apparaissait comme un objet à déchiffer. Leur démarche n'est pas fondamentalement différente de celle des poètes [voir p. 73-78], même si elle fonctionne différemment. C'est que les uns et les autres ont conçu leur pensée comme civilisatrice et ont engagé leur parole dans ce défi. L'art - et singulièrement la littérature - apparaît donc étroitement lié(E) aux combats qui traversent le demi-siècle. Mais plus que d'une influence directe - et ponctuelle, comme dans le cas de George Sand et de Pierre Leroux -, il s'agit surtout d'une diffusion dans le tissu quotidien, d'un « air du temps » qui, peu à peu, investit l'écrivain de fonctions que celui-ci théorisera rétrospectivement.







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