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Les Destinées - Vigny






La Perle de la pensée.



UN an après la mort de Vigny, Louis Ratisbonne, son exécuteur testamentaire, publie ses onze poèmes groupant environ deux mille alexandrins sous le titre les Destinées. Le plus ancien de ces poèmes est de 1839, le dernier de 1863. S'étalant sur un quart de siècle, le recueil contient toutes les variations d'une pensée cohérente empreinte d'un pessimisme fondamental. Ce sont les chants stoïques du désespoir courageux, de la détresse maîtrisée. Certains poèmes sont immenses et comptent parmi les plus beaux de notre langue, aucun n'est de qualité inférieure.

Si le poème en tercets qui a donné son titre à l'ensemble, les Destinées, est d'une composition laborieuse, du moins donne-t-il avec bonheur le coup de diapason de l'ensemble; on regrette simplement que le philosophe y étouffe le poète, ce qui ne sera jamais le cas ailleurs. Quel envol nous apporte la Maison du berger, cette tour d'ivoire roulante! Ici un espoir : l'amour, la tendresse, la compassion sont des remèdes possibles aux maux humains, ainsi qu'en témoigne ce début connu de tous :





Si ton cour, gémissant du poids de notre vie,

Se traîne et se débat comme un aigle blessé,

Portant comme le sien, sur son aile asservie,

Tout un monde fatal, écrasant et glacé;

S'il ne bat qu'en saignant par sa plaie immortelle,

S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle.

Éclairer pour lui seul l'horizon effacé;

Si ton âme enchaînée, ainsi que l'est mon âme,

Lasse de son boulet et de son pain amer,

Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame,

Penche sa tête pâle et pleure sur la mer,



Et, cherchant dans les flots une route inconnue,

Y voit, en frissonnant, sur son épaule nue

La lettre sociale écrite avec le fer;

Si ton corps, frémissant des passions secrètes,

S'indigne des regards, timide et palpitant;

S'il cherche à sa beauté de profondes retraites

Pour la mieux dérober au profane insultant;

Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges,

Si ton beau front rougit de passer dans les songes

D'un impur inconnu qui te voit et t'entend.



L'homme d'aujourd'hui peut entendre et trouver des réponses dans ce qui suit :



Pars courageusement, laisse toutes les villes;

Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin;

Du haut de nos pensers vois les cités serviles

Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.

Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,

Libres comme la mer autour des sombres îles.

Marche à travers les champs une fleur à la main.



La strophe prophétique partant de ce lointain « taureau de fer qui fume, souffle et beugle » pourrait aussi bien partir de nos modernes machines :



La distance et le temps sont vaincus.

La science Trace autour de la terre un chemin triste et droit.

Le Monde est rétréci par notre expérience

Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit.

Plus de hasard.

Chacun glissera sur sa ligne Immobile au seul rang que le départ assigne,

Plongé dans un calcul silencieux et froid.



La malédiction du poète chère à Baudelaire est contenue tout entière dans cette strophe :



Poésie! ô trésor! perle de la pensée!

Les tumultes du cour, comme ceux de la mer,

Ne sauraient empêcher ta robe nuancée

D'amasser les couleurs qui doivent te former.

Mais sitôt qu'il te voit briller sur un front mâle,

Troublé de ta lueur mystérieuse et pâle.

Le vulgaire effrayé commence à blasphémer.



Après tant de passages nobles et majestueux en même temps que pleins du sentiment de l'homme s'élevant, se dépassant lui-même, multipliant sa hauteur, voici le final :



Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre

Sur cette terre ingrate où les morts ont passé ;

Nous nous parlerons d'eux à l'heure où tout est sombre,



Où tu te plais à suivre un chemin effacé,

A rêver, appuyée aux branches incertaines,

Pleurant, comme Diane au bord de ces fontaines,

Ton amour taciturne et toujours menacé.



L'Eva de ce poème, si douce, est loin de la Dalila mise en scène dans la Colère de Samson où l'on voit « la Femme, enfant malade et douze fois impur ». Là, Vigny est à l'aise dans l'invective à laquelle il donne une dimension lyrique. Que pensera le lecteur d'aujourd'hui des quatre vers qui suivent?



Bientôt, se retirant dans un hideux royaume,

La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome,

Et, se jetant de loin un regard irrité,

Les deux sexes mourront chacun de son côté.



Autre poème célèbre, la Mort du loup est une leçon de stoïcisme prise aux sources de la nature. En couples d'alexandrins à rimes plates, le lecteur trouve la fable du mourir serein avec cette conclusion philosophique :



Gémir, pleurer, prier est également lâche.

Fais énergiquement ta longue et lourde tâche

Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler.

Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler.



Comme la Maison du berger, comme l'Esprit pur, la Bouteille à la mer est en strophes de sept vers. Ici encore, ce qui empêche le désespoir de sombrer dans le néant nihiliste est la pitié, le sentiment de la fraternité humaine partageant le sort atroce fait à chacun. Face à la misère d'un homme sans Dieu, le désespoir doit être actif, la solitude doit devenir l'union de toutes les solitudes. Et pourquoi ne pas préparer le sort d'une humanité future sans se soucier du résultat immédiat? S'il réside là quelque grandeur, on le saura bien un jour et cela appartiendra à l'histoire. Le bateau qui coule, c'est encore une expérience, une étape de la marche des hommes. L'étudier et glisser le témoignage dans le goulot d'une bouteille soumise au hasard des flots à défaut de providence divine, c'est dans la tempête, la certitude d'une mort apaisée :



Il sourit en songeant que ce fragile verre

Portera sa pensée et son nom jusqu'au port,

Que d'une île inconnue il agrandit la terre,

Qu'il marque un nouvel astre et le confie au sort,

Que Dieu peut bien permettre à des eaux insensées

De perdre des vaisseaux, mais non pas des pensées,

Et qu'avec un flacon il a vaincu la mort.



Et c'est l'Idée qui triomphe :



Le vrai Dieu, le Dieu fort est le Dieu des idées !

Sur nos fronts où le germe est jeté par le sort,

Répandons le savoir en fécondes ondées;

Puis, recueillant le fruit tel que de l'âme il sort,

Tout empreint du parfum des saintes solitudes.

Jetons l'ouvre à la mer, la mer des multitudes :

- Dieu la prendra du doigt pour la conduire au port.



Si la Flûte ou les Oracles ne sont point dans les Destinées ouvres majeures, le Mont des Oliviers touche par l'angoisse dont il est chargé. Jésus confie au Père sa solitude et sa détresse, mais aucune réponse ne vient et le fils de Dieu voit « rôder la torche de Judas ». Vigny répond au silence divin par un autre silence :



S'il est vrai qu'au Jardin sacré des Écritures,

Le Fils de l'homme ait dit ce qu'on voit rapporté;

Muet, aveugle et sourd au cri des créatures,

Si le Ciel nous laissa comme un monde avorté.

Le juste opposera le dédain à l'absence

Et ne répondra plus que par un froid silence

Au silence éternel de la Divinité.



Sur la trace de Chateaubriand, un autre poème, la Sauvage, montre une Indienne dont la parenté a été détruite par les Hurons frappant, accompagnée de ses enfants, à la porte d'une maison anglaise, riche et puritaine, qui célèbre Noël. C'est un tableau imagé, un poème d'accueil, une anecdote touchante, quelque peu pompeuse, qui n'ajoute qu'un peu d'exotisme et d'espoir à l'ensemble. Il en est de même pour l'histoire d'une grande dame russe, Wanda que suivent deux poèmes, Billets de Wanda : là, Vigny use d'un pathétisme déclamatoire. Wanda, jeune, belle, fortunée, suit son époux condamné jusqu'en Sibérie. Un tsar esclavagiste répond par une indifférence cruelle qui peut être comparée à celle de Dieu selon Vigny :



Mais il n'a point parlé, mais cette année encore

Heure par heure en vain lentement tombera.

Et la neige sans bruit sur la terre incolore

Aux pieds des exilés nuit et jour gèlera.

Silencieux devant son armée en silence

Le Czar, en mesurant la cuirasse et la lance,

Passera sa revue et toujours se taira.



L'Esprit pur peut passer pour un testament poétique. Vigny compte ses aïeux, évoque le souvenir de seigneurs opulents, de grands chasseurs « forçant les sangliers et détruisant les loups », de « galants guerriers sur terre et sur mer ». Hélas! eux qui ont tant connu n'ont laissé aucun témoignage écrit :



Mais aucun, au sortir d'une rude campagne, Ne sut se recueillir, quitter le destrier, Dételer pour un jour ses palefrois d'Espagne, Ni des coursiers de chasse enlever l'étrier. Pour graver quelque page et dire en quelque livre Comment son temps vivait et comment il sut vivre, Dés qu'ils n'agissaient plus, se hâtant d'oublier.



Pour Vigny l'action n'est rien sans l'acte d'écrire : c'est lui qui sublimise et qui consacre.

On peut trouver là une sorte de plaidoyer pro domo et d'exaltation du rôle de l'écrivain, avec de fort beaux vers :



J'ai mis sur le cimier doré du gentilhomme

Une plume de fer qui n'est pas sans beauté.



Dans les Destinées, le poète donne une forme concrète à la pensée philosophique. La maîtrisant, il use des symboles, joue de l'analogie, sait, par exemple, choisir Jésus-Christ pour traduire avec plus de puissance les misères humaines. Aussi bon peintre que Lamartine, il brosse des tableaux puissants, contrastés. Parce que le cadre est discret, les scènes dramatiques gagnent en ampleur. Vigny sait jouer sur des sonorités voilées, les ombres lourdes et les légères lumières comme sut les faire alterner Racine, avec la même grâce troublante.

Certes, des défauts d'époque subsistent : ceux qu'on trouve chez les poètes de transition et dont le romantisme hérite en partie. Le censeur glanera quelques préciosités mal venues : le piano est un « harmonieux ivoire », le Champagne devient « la mousse d'Aï »; quelques incohérences, des périodes mal organisées font de légères taches dans cet ensemble. On les oublie facilement. L'intériorité du poète, la richesse de sa pensée dépassent de minces regrets.

Poète de tour d'ivoire? Il faut regarder de près l'architecture de cette dernière. Il n'y faut pas chercher la pose ou l'esthétisme du retrait. Vigny n'est pas un homme de lettres au sens péjoratif du terme. Son retrait est avant tout celui des cénacles, des coteries d'admiration mutuelle, des sociétés d'arrivisme. Cet aristocrate ne fuit pas l'humanité; il fuit la vulgarité. Sa hauteur, son apparent mépris sont plus estimables que la flagornerie ou l'exploitation d'une renommée. Des générations en ont pris conscience et ont respecté Alfred de Vigny. Trop orgueilleux pour être vaniteux, trop fier pour ne pas mépriser ceux qui manquent de fierté, il a pour lui d'être le prêtre sans concession d'une religion de l'esprit, de l'art et de la pensée, a Vigny ou la passion de l'honneur » : il est significatif que Maurice Toesca ait ainsi intitulé une biographie consacrée au poète dans laquelle sont montrés la double nature, le double caractère de l'homme : « époux déférent, amant de feu; aristocrate et républicain, candidat aux élections de 1848; guerrier d'esprit et pacifiste d'âme; chrétien contestataire et croyant; idéaliste et marchand de cognac; mondain et solitaire; puis, à l'avènement de Napoléon III, fidèle bonapartiste; enfin, jusqu'au bout de sa vie, en proie au démon de la sexualité ».

Cet homme double est tout de pudeur : au contraire des autres romantiques, il fait sentir sa détresse sans la crier et chez lui les chants les plus assourdis sont les chants les plus beaux; il n'entend pas Dieu et l'on pourrait paraphraser à son propos Musset (Dieu ne parle pas; on ne peut lui répondrE); la nature n'est pas la panacée; Vigny reste le plus souvent impersonnel et le miracle c'est qu'il ne soit pas de glace; il semble tenir le lecteur à distance, or ce dernier ne l'entend que mieux. Leconte de Lisle qui lui doit beaucoup reconnaît : « La nature de ce rare talent le circonscrit dans une sphère chastement lumineuse et hantée par une élite spirituelle très restreinte, non de disciples, mais d'admirateurs persuadés. » Et Anatole France : « Cet homme calme n'était pas insensible; il eut ses souffrances; mais il garda toujours la sublime pudeur de la cacher. » Pour ceux qui ont suivi sa pensée philosophique à travers toutes ses ouvres en vers comme en prose, la voix de Brune-tière est une voix de justice : « Le seul romantique qui ait eu des idées générales et surtout une conception de la vie raisonnée, personnelle, philosophique. »



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