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LES CONDITIONS DE LA VIE POLITIQUE, PSYCHIQUE ET LITTÉRAIRE APRÈS LA FRONDE






La défaite des Frondeurs achève le passage des militants aux sujets, le triomphe de l'absolutisme et des financiers, c'est-à-dire de la faveur et du profit. On les recherche cyniquement ou l'on se replie frileusement sur soi-même ou l'on console son amertume dans l'augustinisme autour duquel se poursuivent les affrontements. N'étant plus rattachés à un système de valeurs, la science devient expérimentale et l'amour donjuanesque en apparence, en profondeur parfois tragique. Femmes et mondains dominent la vie culturelle, poussant la littérature au galant. Mais les meilleures ouvres procéderont d'une réaction critique.





1. Suite du conflit janséniste



La querelle religieuse continue. Du côté des traditions dominantes et d'une religion réaliste : le pouvoir et la grande majorité des évêques. En face, le Parlement, ennemi des Jésuites et de l'appel à Rome, et le rigorisme augusrinien, dominant parmi la jeunesse et les intellectuels. Pour tous ceux qui regardent le monde d'un oil critique ou idéaliste, fussent-ils peu religieux, Port-Royal est le haut lieu de l'esprit, de la vertu, de la liberté. Mlle de Scudéry célèbre les «illustres solitaires», ces «hommes admirables» (Clelie, VI, 1138). Les deux tiers des curés de Paris sont jansénisants. Inévitablement, certains opposants politiques penchent de ce côté : après son évasion, Retz anime ses curés contre Mazarin. En face, le pouvoir fait l'amalgame entre les diverses formes de résistance. A la demande d'une nette majorité d'évêques français et sous la pression du gouvernement et des Jésuites, le Pape condamne cinq propositions représentant les hérésies de VAugustinus. Les augusriniens répliquent qu'ils les condamnent aussi, mais qu'elles sont étrangères au texte et à la pensée de Jansénius.



2. De la « générosité » à la sujétion



La générosité, principe psychique d'une époque militante, qui semblait s'imposer partout en 1635, se débilite dans la décompression de la Régence. Elle sera encore l'étendard de la Fronde des Princes. Mais ce n'est déjà qu'un vain mot : « jamais tant d'entretiens de générosité sans honneur » (Saint-Évremond, 1649). Les mobiles n'ont rien d'héroïque : Condé se révolte par prétention orgueilleuse, Retz par ambition intrigante, Turenne pour les beaux yeux de Madame de Longueville, La Rochefoucauld pour le tabouret (p. 193), Mademoiselle* pour imiter les héros de romans. « Tous, en faisant semblant de chasser le ministre, traitaient avec lui et lui promettaient amitié et attachement pourvu que leur ambition se trouvât satisfaite », écrit Mme de Motteville, qui exagère à peine. Ce « chaos [...] d'intrigues » (RetZ), cette vaine parade où « jamais l'opposition n'a concentré son action et sa pensée sur un seul point essentiel » (E. KosmanN), montrent que les prétentions des féodaux ne sont plus en prise sur les vrais problèmes et que les temps héroïques sont révolus. L'opinion retiendra que les intrigues de ces faux héros ont provoqué massacres, destructions et famines : la population a diminué de près de 10 %.

La ruine de l'héroïsme est d'autant plus sensible que triomphent les financiers détestés, dont on avait voulu se débarrasser, et ce Mazarin qu'une affiche de 1651 appelait « impie, scélérat, traître, voleur, tyran, sacrilège [...], sorcier, magicien, pipeur, monopoleur, bardache et monstre épouvantable [...], porte-enseigne de l'Antéchrist » ; bref « l'horreur du genre humain » (MontglaT) que « tous les Français méprisaient » (Mme de MottevillE). Il triomphe et l'on rampe devant lui. C'est le temps de la bassesse et de l'impuissance. « Tous les grands seigneurs se plaignent et je n'en connais pas un seul qui fût capable de rien. Pour Paris, tout le peuple déteste le présent gouvernement et s'y assujettit pourtant volonrairement [...] : on veut le repos ». Condé est en exil, Turenne « est le valet des valets du Cardinal. Les autres courtisans sont pires que valets, car ce sont des esclaves » (un agent anglais, 1655). Un signe : après une recrudescence en 1650-1652, bientôt le duel « n'est plus qu'un conte du passé » (Scarron, 1655) ; le nouvel ordre socio-idéologique « a arrêté [..-] ceux qui n'étaient pas arrêtés par la crainte de la justice de Dieu » (Pascal, 1656), ni par les foudres de Richelieu.

Les partisans de Condé, une majorité de Parlementaires et de curés de Paris (jansénisants et partisans de RetZ) résistent jusqu'en 1657-1658, mais en vain. Retz, pendant sa rébellion (1654-1660) invoque « la générosité de ce saint martyr » que fut Thomas Becket. Il se pose en « généreux protecteur de notre liberté » et de l'Eglise contre la tyrannie. Était-il sincère ? En tout cas, il finit par capituler (1662). Dans ses Mémoires, généreux/rosité n'apparaîtront que quatre fois en 880 pages, contre huit pour 68 pages de pamphlets. Chez Corneille, la fréquence moyenne de généreux /-rosité, qui était de 17 du Cid à Polyeucte (1637-1642), se maintient à 13,4 de Pompée à Don Sanche (1643-1649), mais tombe à 5,5 de Nicomède à Suréna (1650-1674). Le sens moderne l'emporte progressivement, car on s'éloigne de la mentalité féodale. Le mot père (figure de la loi féodalE) apparaît 72 fois dans Le Cid, mais la moyenne tombe à 25 à'Horace à Pertha-rite (1640-1651) et à 13 à'Odipe à Suréna (1659-1674).

Notion prestigieuse, la générosité valait d'être récupérée. Dans un système dominé par le pouvoir et l'argent, elle désignera la bonté du maître et la libéralité du riche ; elle sera l'alibi altruiste d'une société d'égoïsme et d'intérêt. Aujourd'hui, « nous n'appelons ordinairement généreux ni les plus braves ni les plus constants ; et nous ne donnons guère ce superbe titre qu'aux bienfaisants qui portent la libéralité jus-ques aux dernières bornes [...] ou aux amis parfaits qui semblent s'oublier eux-mêmes et faire passer devant leurs propres intérêts ceux des personnes qui leur sont chères » (Costar, 1659). A la même époque, tandis que se déploie le zèle de Vincent de Paul et qu'on crée l'Hôpital Général de Paris pour enfermer les pauvres, les assister et les mettre au travail (1657), charité désigne de moins en moins l'amour de Dieu, de plus en plus l'assistance aux démunis.



3. Le triomphe de l'intérêt



Dans l'anarchie de la Fronde, chacun court après son profit. « On voyait régner un esprit d'intérêt universel » (Saint-ÉvremonD). Il se maintiendra. L'économie de guerre le favorise. Fournisseur et créancier de l'Etat, Mazarin donne l'exemple, spéculant jusque sur l'eau des armées. Revenu ruiné en 1653, il laissera en 1661, alors que l'État est au bord de la banqueroute, la plus grande fortune de l'Ancien Régime : 36 millions d'avoir net, deux fois plus que Richelieu. Fou-quet fait de même et tous ceux qui le peuvent. En 1657 et 1659, l'Etat ne perçoit que 31 des 81 millions prélevés sur les contribuables. La défaite des Grands et des Parlements confirme le triomphe des spéculateurs (généralement fidèles pendant la Fronde : leur intérêt les lie à l'ÉtaT). Il s'agit en partie des mêmes personnes. Derrière des hommes de paille, protégée par le « paratonnerre social » du quasi mythique financier-laquais, l'oligarchie féodale et parlementaire, « vaincue politiquement, est victorieuse financièrement » (D. DesserT). On prête avantageusement l'argent qu'on refuse de donner sous forme d'impôt ; ainsi, anciens et nouveaux riches tiennent par en dessous l'État qui les assujettit. La domination ne change pas de camp ; mais ses modalités se transforment et du coup les mentalités. Dans une société dominée par l'absolutisme, l'argent, la vie mondaine, le principe des conduites, sinon des esprits, c'est la recherche de la faveur et du profit, le souci stratégique de son intérêt et de son image. Il ne s'agit plus de s'affirmer, mais de plaire pour être reconnu et valorisé, dans un système social et sémiotique régi par la loi du marché. « La maison des rois est comme un grand marché, où il faut nécessairement aller trafiquer pour [ses] intérêts » (Mme de MottevillE) et même pour sa propre valeur. Car dans l'absolutisme « les rois font des hommes comme des pièces de monnaie : ils les font valoir ce qu'ils veulent et l'on est forcé de les recevoir selon leur cours et non pas selon leur véritable prix » (La Rochefoucauld, M.S. 67). « L'intérêt, le maître de la cour », y est aussi « le maître des cours » : « dans la cour, l'intérêt l'emporte toujours sur la haine et sur l'amitié » (Mme de MottevillE). On n'y éprouve « ni amitié ni aversion qui ne soit mesurée par l'intérêt » (Saint-ÉvremonD). Dans les salons comme à la cour, il s'agit de paraître et de plaire : ce n'est plus votre être mais l'opinion des autres qui fixe votre valeur.



Bref, au moment où, dans la Hollande et l'Angleterre commerçantes et bourgeoises, Hobbes et bientôt Spinoza posent « comme inclination générale de toute l'humanité le Désir perpétuel et incessant d'acquérir la puissance et de l'accroître » (Hobbes, 1651), la France de l'absolutisme, des nobles qui refusent le travail, et des spéculateurs, ne connaît encore de l'ère libérale que sa forme négative : une concurrence parasitaire et stérile. Et tandis que là-bas, on exalte l'avidité productive, mère de prospérité et de vertus, ici on dénonce l'amour-propre ou l'égocentrisme intéressé, père de tous les vices.



4. Pessimisme et honnêteté



Cette situation comporte deux solutions principales. Au plan intellectuel, le pessimisme augustinien propose une anthropologie fondée sur l'amour de soi et l'intérêt et une justification de la déchéance politique. Il est consolant d'imputer son malheur à la nature déchue par le péché originel, c'est-à-dire à des causes auxquelles on ne peut rien. En même temps, cette attitude autocritique évite de mettre en cause le pouvoir : c'est une idéologie adéquate pour les sujets de l'absolutisme. « N'imputons pas à la malignité du siècle ou à des causes éloignées [...] si le Parlement a beaucoup perdu de son faste et de sa dignité et reconnaissons de bonne foi que la première source du mal est intérieure en nous-mêmes » (Talon, 1657). Au plan pratique, la solution c'est l'honnêteté, qui masque l'avidité du moi sous la politesse et l'art de plaire. C'est après la Fronde que se forge cette sagesse de Méré, de Mitton, voire de La Rochefoucauld (p. 196-197), refusée par Pascal (p. 190). Pour l'agrément de la vie mondaine, elle est complétée par « l'air galant », qui « consiste'principalement à penser les choses d'une manière aisée et naturelle, à pencher plutôt vers la douceur et vers l'enjouement que vers le sérieux et le brusque » (Mlle de Scudéry, Artamène, 1653). Galanterie et honnêteté préparent la notion classique de bienséance. Alors qu'à la cour et dans le monde les motivations sont machiavéliques et les mours souvent libres, parfois vénales (p. 163-164), la littérature est idéaliste et achève d'éliminer le bas du corps : en témoignent les corrections de Corneille, rééditant en 1660 ses ouvres de jeunesse.



L'honnête permet un compromis qui sauve les apparences. La fin des violences, l'assujettissement, la réaction idéaliste donnent toute son importance à cet « art de plaire à la cour » (p. 69-7Q) et dans les salons. Pour le chevalier de Méré (1607-1684), qui s'en fait le chantre (1), c'est « la quintessence de toutes les vertus », « le comble et le couronnement de toutes les vertus : car peu s'en faut que nous ne comprenions sous ce mot les plus belles qualités du cour et de l'esprit et tout ce qu'on peut souhaiter pour être d'un aimable commerce ». Cet idéologue de la discipline mondaine des comportements met « toujours un honnête homme au-dessus d'un grand homme » et d'un homme de bien. Car son critète, c'est la bienséance. « On pourrait être fort homme de bien et fort malhonnête homme. Il ne faut qu'être juste pour être homme de bien et pour être honnête homme, il se faut connaître à toutes sortes de bienséances et les savoir pratiquer ». « Une marque infaillible pour connaître le bien et le mal », c'est « la décence et l'indécence ; car ce qui sied bien est bon et ce qui sied mal est mauvais ». L'honnête homme remplace le héros : il ne s'agit plus de vaincre, ni de s'affirmer, fût-ce par une conscience exigeante, mais de plaire, d'exceller dans la conformité. Le petsonnage social l'emporte sur la personnalité, la politesse sur la vigueur, l'apparence sur la vertu. Sujet d'une monarchie qui veut amalgamer toutes les élites, habitué de salons où elles se côtoient, « le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien » (La Rochefoucauld, M. 203) : il doit même éviter de dire « moi ». « Le plus important consiste à connaître en toutes choses les meilleurs moyens de plaire. Car c'est seulement pour être agréable qu'il faut souhaiter d'être honnête homme » (Méré). Cette honnêteté choque la conscience exigeante de Pascal (p. 190). Mais la plupart l'approuvent : au moment où se déchaînent les intétêts, elle permet le dépassement de l'égocentrisme intéressé, dans une complaisance où l'amour-propre de chacun flatte celui d'autrui afin de soigner sa propre image et d'être payé de retour. «L'honnêteté [...] n'est à le bien prendre que l'amour-propre bien ménagé » (MittoN).



5. L'amour : de l'estime héroïque au plaisir galant, à l'avidité don juanesque et à la délectation de la grâce



Des mondains aux augustiniens, on s'accorde à dire que l'homme n'est pas conduit par la raison mais par l'amour, ou plutôt le désir, qui a pour objet les diverses formes du bonheur, des plaisirs charnels à la félicité éternelle, en passant par les satisfactions de la vanité ou de la gloire. Dans une société déstructurée, une époque qui a perdu le sens des valeurs et où chacun cherche son intérêt ou son plaisir, les mours sont souvent libres :



.................................. la pauvre vertu

Constance est morte et n 'est pas regrettée. (SarasiN)



Il faut « se détromper du faux mérite d'être fidèle » (Saint-ÉvremonD). Des femmes se donnent par ambition, voire pour de l'argent. C'est le monde que décrira Bussy dans l'Histoire amoureuse des Gaules (1658-1660). Les moralistes fulminent et dénoncent l'aliénation de la volonté par la « cruelle tyrannie des passions » (ArnaulD). Le sens de ce terme est en train de changer. S'opposant aux actions, il désignait tous les phénomènes affectifs passivement subis. Il tend maintenant vers le sens moderne d'ardeur violente.

La crise de l'action et des valeurs creuse un vide au cour du sujet, hanté d'un désir qui cherche en vain son objet. « Le désir naît de deux principales causes : la première est la connaissance du bien en l'objet » désiré, « l'autre est l'absence de ce bien » chez le sujet désirant (Du Refuge, 1616). Nous sommes en train de passer de la première problématique à la seconde. Or, ce désir qui est manque, n'ayant « rien à lui que la faim et la soif [...] n'arrive jamais au bien qu'il poursuit ou s'il y arrive il s'évanouit en l'embrassant » (Le Moyne, 1643) : bientôt l'on n'aura le choix qu'entre l'impossible amour tragique et le divertissement donjuanesque annoncé par la critique mondaine de l'ennui conjugal. « Qui ôte la grâce de la nouveauté de l'amour, lui ôte tout [...]. Jugez après cela quelle doit être la passion d'un homme qui voit tous les jours la même personne ; qui ne désire rien ; qui n'espère rien ; et qui ne voit dans l'avenir autre chose sinon que sa femme sera un jour vieille et laide » {Artamène, VI). « L'amour peut aller au-delà du tombeau, mais elle ne va guère au-delà du mariage » (ib.). Pour le moment, les uns réagissent par le culte d'un amour platonique, les autres par l'avidité donjuanesque et il n'y a guère que Pascal pour voir, en dessous, le vide tragique.

Roman et tragédie refluent de l'héroïsme vers la galanterie. L'amour cesse d'être élan vigoureux vers une valeur connue pour devenir adoration soumise d'une beauté idéale mais vague (2). Même chez Corneille il est devenu un « je ne sais quoi qu'on ne peut expliquer » (Rodogune, 362). L'évolution se précise à'Artamène à Cle'lie. Mlle de Scudéry croit de moins en moins que la raison soit principe et maîtresse des passions : « le plaisir est l'âme de l'amour » {Clélie, III).



Quand l'amour dans mon cour répand son doux poison,

C'est toujours par caprice et jamais par raison.

Chacun sait que l'amour au devoir est contraire.

Lorsqu'il s'agit d'aimer, la raison n'agit plus.

(QUINAULT, La Mort de Cyrus, 1656, I, 5)



Les augustiniens dénoncent le règne de la concupiscence. Mais ils savent que l'homme ne peut être entraîné que par le plaisir. « La grâce de Jésus-Christ [...] n'est autre chose qu'une suavité et une délectation » qui « remplit la volonté d'une plus grande délectation dans le bien que la concupiscence ne lui en offre dans le mal et [...] le libre arbitre, charmé par les douceurs et par les plaisirs que le Saint-Esprit lui inspire, plus que par les attraits du péché, choisit [...] la loi de Dieu par cette seule raison qu'il y trouve plus de satisfaction » (PASCAL, Écrits sur la grâce, II).



6. L'évolution de la pensée



Les troubles de la Fronde sont un temps d'épreuve pour le libertinage érudit comme pour toute réflexion sérieuse. De plus, de 1651 à 1656, les libres penseurs meurent, partent ou se convertissent. Il ne reste guère que Gui Patin. L'ordre politique et moral s'impose : ici commence « l'âge de Tartuffe » (R. PintarD). En 1659, un inconnu, nourri de l'Antiquité et de la Renaissance, rédige un vigoureux manifeste de matérialisme athée ; le Theophrastus redivivus. Mais il ne sera pas publié. Les opposants tendent à abandonner le combat philosophique pour le confort d'un épicurisme de la vie personnelle : Sarasin, Scarron, Saint-Évremond, La Fontaine. Les idéaux humanistes sont morts : « il faut se contenter de la jouissance de soi-même » (La Mothe le VayeR) ; « il n'y a que la volupté [...] que nous puissions appeler véritablement notre bien » (Le Vayer de Boutigny, 1651).

La science, qui restait, chez Descartes, étroitement solidaire de la métaphysique, s'en sépare chez Gassendi qui voulait la libérer, comme chez les rigoristes pour qui « les hommes ne sont pas nés pour employer leur temps [...] à considérer les divers mouvements de la matière » ni pour maîtriser ce bas monde, mais pour consacrer leur vie à en « acquérir une qui ne finira jamais » (Arnauld et Nicole, 1662). Voilà « Descartes inutile et incertain » (Pensées, 887). Pascal, savant exceptionnel, n'estime pas « que toute la philosophie vaille une heure de peine » (ib. 84). Libérée ou rejetée, la science obtient son autonomie. Puisqu'elle n'a plus de garantie métaphysique, elle s'appuie sur l'expérience. Gassendi la recommande sans cesse et réalise enfin celle de la pierre qui tombe du haut d'un mât, que partisans et adversaires de la rotation de la Terre utilisaient comme argument sans jamais l'avoir tentée. Pascal, Roberval vont dans le même sens. Philosophie, psychologie, littérature même, deviennent moins dogmatiques pour se préoccuper davantage de leurs effets sur les lecteurs.



Les périodes de construction (1625-1642) ou d'ordre (1660-1680) favorisent les systèmes ou le formalisme. La crise de la Régence met en avant le désir, qui, au plan intellectuel, s'appelle l'esprit. « L'esprit se plaît à voltiger deçà delà [...]. Il se fâche qu'on lui veuille [...] prescrire un autre ordre que le sien » (d'Ablancourt, vers 1660). Chez les moralistes, à partir des années quarante, les traités systématiques reculent devant l'écriture plus vivante des portraits, réflexions, entretiens, lettres, fables ou caractères, aptes à refléter la diversité du réel et à satisfaire le goût mondain de la brièveté dans la variété. Au lieu d'imposer un système, on pique, on provoque le lecteur et on le laisse faire son menu dans une ouvre composite. < Voilà justement la philosophie qu'il faut à la Cour, qui est l'antipode du collège. Voilà les livres qui sont à l'usage des grands [...] à qui deux feuilles de papier paraissent une montagne » (Le Moyne, 1666). Pascal, La Rochefoucauld, Mme de Sévigné, La Fontaine hériteront de cette écriture.



7. La préciosité



Ce phénomène socioculturel va de 1653 (3) à 1659 environ. Il nous est surtout connu par des hommes - souvent des intellectuels un peu doctes. C'est-à-dire, doublement, par ses ennemis. La « préciosité » est un terme déprédateur, qui couvre plusieurs réalités. Il y a d'une part cette exacerbation sémiotique fréquente après les grandes crises : style Nervèze après la Ligue, « incroyables » et « merveilleuses » après la Révolution, dada de 1918, zazous « existentialistes » de 1945. L'effort de civilisation, de politesse, de raffinement commencé aux lendemains des guerres de religion, a été stoppé par la détente de 1643, la mode du burlesque, les encanaillements frondeurs, les violences guerrières. II reprend de plus belle et l'on fait assaut de distinction. D'autant plus que l'on compense la perte du sens par le culte ludique des signes. Après la défaite des héros, c'est l'heure des salons, des femmes, des stratégies subtiles et gratuites du bel esprit, de la galanterie, de la coquetterie (mots à la modE) et du snobisme. Les parvenus, nombreux à ce moment, s'efforcent à l'hypercorrection. Dans ses excès, le style précieux se distingue par l'euphémisme (pour éviter toute connotation sensuelle, vulgaire ou seulement désagréablE) et l'hyperbole affective (furieux, terrible, ravissant, du dernier..., incontestable, certainement, tendrement, véritablement, terriblement, furieusement, indiciblement, importamment ; car enfin, à tout le moins, à n'en point mentir...). La malveillance a exagéré l'importance d'excès ridicules : les précieuses sont aussi celles qui, Mlle de Scudéry en tête, cherchent une élégance subtile mais « naturelle » et des nuances nouvelles dans l'analyse psychologique.



Il y a d'autre pan une révolte des femmes contre leur condition. Le développement de la mondanité leut donne un rôle prédominant dans la vie culturelle, accentué par la ruine de l'héroïsme c'est-à-dire du modèle masculin. Certaines en profitent pour devenir galantes ou coquettes. Voyez Ninon, Célimène ou l'Histoire amoureuse des Gaules de Bussy (1658-1660). D'autres cherchent à se libérer d'un amour qui les assujettit aux mâles - et ce d'autant plus que le déclin de l'idéalisme remplace les hommages respectueux par la loi de la jungle. L'histoire, écrite par les hommes, nous présente des prudes façonnières (et hypocrites ?), des « jansénistes de l'amour » qui en font « une espèce de religion » dont elles sont les divinités (Saint-Évre-mond, 1656). Elles imposent à leurs amants des années de silence dans le labyrinthe de la Carte du Tendre. Leur capitale est « Façonnerie » ; on remarque dans leur royaume les « plaines de Coquetterie [...], les montagnes de Minauderie et [...] de Pruderie» (Maulévrier, 1658). En fait, ce mouvement était surtout une façon de rejeter les servitudes de la chair pour les libertés du cour et de l'esprit. Ce ne sont pas des évaporées qui réclament une autre éducation, le droit au célibat, au mariage à l'essai, au divorce et à l'espacement des maternités, dette témoigne de ce combat féministe (p. 173-174), important à une époque où ce sont généralement les parents qui arrangent les mariages en fonction de leurs intérêts, si bien qu'« on se marie pour haïr et pour souffrir » (4) ou désormais, dans une société plus libre, pour avoir un galant, un amant, ou plusieurs. Voyez les romans de Mme de Lafayette.



8. Conditions et fonction de la pratique littéraire



Le déclin du genre de vie traditionnel de la noblesse, l'interdiction de la politique, l'impuissance de l'action et d'une religion antihumaniste à résoudre les problèmes existentiels, conduisent en compensation au développement de la vie artistique et littéraire, encouragé par celui de la vie mondaine. Vers 1650, il y a trois fois plus d'écrivains qu'un siècle plus tôt et autant qu'un siècle plus tard. Tandis que l'augustinisme détourne beaucoup d'esprits sérieux de la littérature, l'influence des nouveaux riches, des mondains, des femmes l'emporte. La littérature tend donc à une brillante frivolité, sentimentale dans ses meilleurs moments, mais les grandes ouvres sont des satires des nouvelles tendances.

Le nouveau mécène, à partir de 1655 et surtout 1657, c'est Fou-quet, surintendant depuis 1653- A Vaux, à Saint-Mandé, où travaillent Le Vau, Le Nôtre, Le Brun, il tient une cour qui rendra jaloux Louis XIV. Guidé par son secrétaire Pellisson, il protège Boisrobert, Boursault, Thomas Corneille, Maucroix, Ménage, Perrault, Scarron, Mlle de Scudéry, Visé ; après 1658, La Fontaine et Corneille, qu'il décide à revenir au théâtre ; il commande Les Fâcheux à Molière. Le monde de Fouquet succède dans Clélie au monde de Condé que peignait Artamene. Le surintendant* est un parvenu de la finance, ambitieux, mondain, avide de briller, désireux de se réjouir. A une littérature intellectuelle ou morale, on préfère, chez lui, les jeux d'esprit brillants, subtils, badins, galants : des petits vers futiles aux finesses de La Fontaine {Adonis, 1658, Le Songe de Vaux, 1658-1661) et aux analyses de psychologie mondaine de Clélie.

Les salons (qui se multiplient de 1653 à 1665 ainsi que les académies (5) et les publications périodiqueS) sont aussi pour la plupart dominés par les financiers : ceux de Mme Tallemant, fille de Mon-tauron, de Mme de Pélissari, de Mlle de Scudéry. On les trouve même dans l'aristocratique salon de Mme du Plessis-Guénégaud, parmi les fidèles de Condé. Quant au duc de Guise, il protège Thomas Corneille et Quinault, qui donnent à plein dans le goût du jour... Ces financiers mondains n'ont pas d'ancrage socio-idéologique ni de système de valeurs à exprimer dans des ouvres sérieuses. Opportunistes et jouisseurs dans une époque déstructurée, désireux de se faire reconnaître, ils poussent au brio de la manière : élégance et finesse, mais aussi affectation et romanesque d'une littérature narcissique où triomphe la poésie frivole. Le Mascarille des Précieuses a parsemé « les belles ruelles » de « deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter énigmes et portraits ». Les traditionalistes (Gombauld, Gomberville, ChapelaiN), les opposants politiques et littéraires (Furetière, les BoileaU) se regroupent autour de Pomponne de Bellièvre, président du Parlement.



L'évolution des publics complète celle des commanditaires. Parlementaires et officiers, plus traditionalistes, plus intégrés, plus rationalistes, reculent au profit des riches, des mondains et surtout des femmes. La ruine des féodaux et de l'humanisme héroïque est celle du modèle masculin ; les salons et la galanterie assurent le règne féminin, surtout pour les belles-lettres, beaucoup d'hommes préférant la chasse, le jeu, la débauche et quelques-uns la science et la philosophie. « Les dames, qui font faire le débit des livres nouveaux, courent après les romans et les choses plaisantes [...], ne pouvant se résoudre à lire les sérieuses » (Brébeuf, 1653)- Corneille même se soumet, dans Odipe, à « la délicatesse de nos dames », qui demande la disparition du corps, de la grossièreté et de la violence. N'omettons pas l'aspect positif. Femmes et mondains poussent à la bienséance et à la finesse psychologique et stylistique. L'analyse séduit cette société préoccupée d'elle-même : le narcissisme mondain rejoint l'investigation des moralistes. Mlle de Scudéry abandonne l'affirmation de soi dans le récit héroïque pour se spécialiser dans « l'anatomie » du cour : « elle en sait décrire exactement toutes les jalousies, toutes les inquiétudes, toutes les joies, tous les dégoûts, tous les murmures, tous les désespoirs, toutes les espérances, toutes les révoltes » (CléliE). Au théâtre, l'analyse se développe au détriment de l'action. La mode est « au galant », subtil mélange « du je ne sais quoi, ou de la bonne grâce, de l'air de la cour, de l'esprit, du jugement, de la civilité, de la courtoisie et de la gaîté » (Vaugelas, 1647). « Il n'y a point d'agrément plus grand dans l'esprit que ce tour galant et naturel » (Mlle de Scudéry, 1653). Les nouvelles conditions de la vie littéraire entraînent aussi le développement de la nouvelle et d'une poésie sentimentale.

Mais ce sont des réactions critiques qui donnent les meilleures ouvres de cette décennie : Cyrano, Le Roman comique, Les Provinciales, Les Précieuses ridicules, sans oublier certaines pages de Clélie où Mlle de Scudéry défend la tolérance, les passions, Port Royal ou la libération des femmes. A partir de 1655, Mme de Sablé, souffrante, ne reçoit plus que quelques amis dont La Rochefoucauld : un cercle de sévère analyse morale remplace un salon galant.



9. Fronde et mémoires



Les divisions politiques et religieuses poussent chaque leader à se justifier en écrivant l'histoire à sa façon. On compte plus de 250 Mémoires au XVII» siècle, notamment autour de la Fronde et du jansénisme, souvent confidentiels - absolutisme oblige - et publiés seulement au XVIII» ou au XIX8 siècle : des journaux un peu secs, d'intéressantes analyses, quelques ouvres littéraires. Il y a ceux des dirigeants rédigés par leurs secrétaires : Richelieu, Louis XIV. Ceux de grands acteurs (Mole, Talon, Lefebvre d'Ormesson, Turenne, VillarS), de flatteurs (Bussy-RabutiN) ou de simples témoins : Tallemant des Réaux (1619-1692) rédige, en 1657-1659 pour l'essentiel, un recueil d'Historiettes : portraits, bons mots, anecdotes piquantes ou crues résument son expérience de la Cour, des salons, des cercles lettrés depuis 1640 et remontent par ouï-dire jusqu'au début du siècle. Autres témoins importants : Mme de Motteville (1621-1689), dame d'honneur d'Anne d'Autriche, précieuse pour connaître les mentalités sous la Régence.

Mais le genre convient surtout aux opposants : Sully après son renvoi, les dirigeants protestants Rohan et Duplessis-Mornay, les adversaires de Richelieu (Bassompierre, Brienne, Montrésor, PontiS), les Frondeurs (Cosnac, la Grande Mademoiselle*, Retz, La RochefoucaulD), les jansénistes (Arnauld d'Andilly, Godefroi Hermant, Lancelot, Fontaine, Thomas du Fossé - et pour leur répondre le jésuite RapiN) et enfin Saint-Simon. Dans ce siècle absolutiste, les Mémoires deviennent un genre au point qu'on finira par en fabriquer depuis les Mémoires de Mlle de Molière par-Mme de Villedieu (1671-1674) jusqu'à ceux que Courtilz de Sandras prête à divers personnages, entre 1678 et 1702 (p. 333).






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