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Les chansons de geste - Définition et nature du genre






Dans les dernières années du XI siècle apparaissent à peu près simultanément deux formes littéraires très différentes, mais qui toutes deux rompent nettement avec les modèles que pouvaient offrir les lettres latines, et qui toutes deux allaient constituer pour un temps les manifestations essentielles de la littérature romane : la chanson de geste en langue d'oïl et la poésie lyrique des troubadours en langue d'oc. La plus ancienne chanson de geste, la Chanson de Roland dans la version du manuscrit d'Oxford, date sans doute des alentours de 1098 et le premier troubadour, le comte de Poitiers et duc d'Aquitaine Guillaume LX, a vécu de 1071 à 1127





Définition et nature du genre



Les chansons de geste sont des poèmes épiques. Elles confirmeraient donc la loi qui veut que l'épopée soit partout une manifestation archaïque de la littérature si la dialectique de l'innovation et de la continuité propre au Moyen Age ne venait une fois de plus brouiller le jeu. Ce sont des poèmes narratifs chantes - comme leur nom l'indique - qui traitent de hauts faits du passé - comme leur nom l'indique également. Le mot geste correspond en effet à un nominatif féminin singulier gesta qui s'est substitué au neutre pluriel gesta, du participe passé de gero, « choses accomplies, hauts faits, exploits ». La geste, c'est l'histoire, c'est-à-dire à la fois les événements et leur récit, mais le mot signifie aussi parfois la famille, la lignée : les chansons de geste, on le verra bientôt, se sont constituées, développées, réparties en cycles familiaux ; la geste, c'est l'histoire des grands feuda-taires, et qui dit histoire féodale dit histoire familiale.



La forme et la manière



Les chansons de geste se définissent par une forme et par un contenu particuliers. D'abord par une forme particulière : elles sont composées de laisses (strophes de longueur irrégulièrE) asso-nancées, dont chacune ne recourt qu'à une seule assonance (l'assonance est la répétition de la même voyelle accentuée à la fin de chaque vers, tandis que la rime exige l'identité non seulement de cette voyelle, mais encore de la consonne qui la suitjj Le mètre employé est le décasyllabe à césure mineure (4/6) ou, moins souvent, majeure (6/4). Vers la fin du Xir siècle, la mode de l'alexandrin concurrencera le décasyllabe. Mais au XVT siècle encore le décasyllabe est senti comme le mètre épique par excellence, puisque c'est lui que choisit Ronsard pour sa Franciade. On note que la Vie de saint Alexis était écrite en décasyllabes homophones et assonances, mais que ses strophes étaient régulières et brèves (5 verS) ; la Chanson de sainte Foy d'Agen, quant à elle, était composée de laisses homophones et assonancées, mais le mètre en était l'octosyllabe, le vers usuel de la poésie médio-latine et qui deviendra celui du roman.



Le mot laisse à lui seul peut donner une première idée de ce qu'est l'esthétique des chansons de geste. Ce dérivé du verbe lais-sier, venant du bas latin laxare, signifie « ce qu'on laisse » et revêt à partir de là des sens variés : celui de « legs, donation » aussi bien que celui d' « excrément ». Dans le domaine littéraire il désigne d'une façon générale un morceau, un paragraphe, une tirade d'un texte ou d'un poème, qui forme un ensemble, s'étend d'un seul tenant, est récité ou chanté d'un seul élan, sans interruption. La composition épique en « laisses » implique ainsi une suite d'élans successifs, séparés plus qu'enchaînés : on lâche la bonde, si l'on peut dire, à la proférauon poétique, puis, au bout d'un moment, on s'arrête, on s'interrompt, on reprend son souffle, et on repari d'un nouvel élan sur une autre assonance, qui marque la rupture comme le font aussi la cadence mélodique en fin de laisse et parfois le vers plus court qui la termine.

D'où les effets poétiques particuliers que produit et dont use la chanson de geste. Pas de pure narrativité chez elle, pas de linéarité du récit, comme si l'intérêt n'était pas au premier chef de savoir ce qui va se passer ensuite. Au contraire, elle paraît jouer d'un perpétuel mouvement de ressac et se plaît aux répétitions et aux échos : succession de laisses répétitives, qui ne diffèrent que par l'assonance et par d'infimes variations de point de vue ou de contenu, selon le procédé dit des « laisses parallèles »|; retour incessant de formules couvrant un hémistiche ou parfois un vers entiers. En voici, emprunté à la Chanson de Guillaume, un exemple illustre. S'il est représentatif du style formulaire, il ne l'est pas absolument du procédé des laisses parallèles parce qu'il est plus progressif que répétitif, et aussi à cause de son caractère lyrique accusé. Mais comme chaque laisse est réduite à un quatrain, voire un tercet, il peut être reproduit ici. Pendant la bataille de Larchamp, comprenant que ses compagnons et lui sont perdus, Vivien envoie Girard appeler au secours son oncle Guillaume, à Barcelone. Accablé par le poids de ses armes désormais inutiles, Girard les jette l'une après l'autre :



Ou encore l'énigmatique Lunsdi al vespre (« Lundi au soir »), vers réduit à ce seul hémistiche qui revient trente et une fois dans la Chanson de Guillaume, sans parler du AOI qui ponctue irrégulièrement les laisses de la Chanson de Roland et qui n'a pas, jusqu'ici, livré son secret. On trouve enfin des effets de symétrie touchant la composition même du poème, par exemple, dans la Chanson de Roland, celle entre la désignation de Ganelon comme ambassadeur, puis de Roland comme chef de l'arrière-garde ou celle née des refus successifs opposés par Charlemagne aux ambassadeurs qui se présentent.



La chanson de geste fait ainsi appel à ce qu'on pourrait appeler les effets physiques du langage : la fascination et presque l'hypnose de la répétition ; le vertige de la même assonance résonnant vers après vers tout au long de la laisse et celui né d'une mélodie très simple, d'une psalmodie répétée, toujours identique, vers après vers, avec tout juste la variation d'une cadence sur l'hémistiche final de la laisse ou sur son dernier vers plus court. A vrai dire, ces mélodies ne nous sont pas directement parvenues. Mais notre ignorance même confirme leur simplicité et leur caractère stéréotypé : on jugeait inutile de les noter. Et nous pouvons nous en faire une idée par des témoignages indirects : un vers d'une chanson de geste parodique noté dans le Jeu de Robin et de Marion et les mélodies de certaines chansons de toile, dont on reparlera.

Ces effets sont accrus par le style propre aux chansons de geste : des phrases courtes et frappées, souvent bornées aux limites du vers, épousant le martèlement à la fois régulier et inégal du décasyllabe aux hémistiches asymétriques ; le goût de la parataxe et la répugnance à la subordination 1 Et de fait, il semble bien que le public médiéval n'ait pas seulement goûté les chansons de geste pour les histoires qu'elles racontent, mais aussi pour l'impression affective qu'elles produisent, puisque, d'après le témoignage de deux romans du début du XIIIe siècle, on prenait plaisir à s'en faire chanter de brefs fragments - une laisse, par exemple - isolés de leur contexte.



A cela s'ajoutent une présentation des personnages qui ne fait aucune part à la psychologie, un récit des événements qui ignore presque toute analyse réflexive des effets et des causes, une composition d'ensemble souvent assez lâche, qui se contente de souligner fortement les effets d'opposition et de symétrie plus que d'entretenir une progression, voire une cohérence.[La chanson de geste décrit des actions, des comportements, des attitudes, reproduit des dialogues aux affirmations tranchées et aux articulations logiques implicites, et donne ainsi souvent, malgré la longueur des poèmes, malgré leur monotonie, malgré les répétitions des laisses parallèles, l'impression d'un laconisme énigmatique qui n'est pas sans séduction ni sans grandeurj Ainsi dans cette discussion entre Olivier et Roland, lorsque ce dernier veut sonner du cor pour alerter Charlemagne, après avoir refusé de le faire au début du combat, quand il en était encore temps :



La matière



Le second trait caractéristique des chansons de geste est leur contenu. C'est le trait le plus visible et celui qui a frappe d'abord. Les chansons de geste traitent de sujets essentiellement guerriers qui ont la particularité de se situer toujours à l'époque carolingienne, le plus souvent au temps de Charlemagne ou de son fils Louis le Pieux. Les personnages qu'elles mettent en scène sont des barons de Charlemagne qui combattent les Sarrasins ou défendent leurs droits contre l'empereur ou son faible fils. Toutefois, la plus ancienne qui nous ait été conservée date, dans l'état où nous la connaissons, de l'extrême fin du XIe siècle. Pourquoi traiter systématiquement d'événements qui se sont produits - ou qui sont supposés s'être produits - trois siècles plus tôt ? Ou faut-il croire que les chansons de geste remontent à l'époque carolingienne, qu'elles sont contemporaines des événements qu'elles relatent et que nous ne les saisissons qu'au moment où, après avoir pendant des siècles vécu dans l'orahté, elles ont fini par être écrites ? Ces questions ont suscité depuis plus d'un siècle des réponses contradictoires et un débat souvent passionné. Avant de le résumer et de faire apparaître ses implications et ses prolongements, au-delà de la question traditionnelle et insoluble de l'origine du genre, on va présenter brièvement la production épique dans son ensemble, puis examiner un cas exemplaire, le plus ancien et le plus illustre, celui de la Chanson de Roland.



Les grands cycles épiques



Dans les premiers vers de Girart de Vienne (début du XIII sièclE), [Bertrand de Bar-sur-Aube répartit la matière des poèmes épiques en trois cycles ou « gestes » : la Geste du Roi, celle de Garin de Monglane, celle de Doon de Mayence:



N'ot que trois gestes en France la II n'y eut que trois gestes dans la garnie ; riche France ;

Ne cuit que ja nus de ce me desdie. personne, je pense, ne me démentira sur ce point.

Des rois de France est la plus seigno- Celle dont on fait le plus de cas est rie, sur les rois de France ;

Et l'autre après, bien est droiz que la suivante (il est bien juste que je le jeu die, disE)

Fu de Doon a la barbe florie... est sur Doon à la barbe blanche...

I.a tierce geste, qui molt fist a pri- La troisième geste, très digne d'es- sier, time,

Fu de Garin de Monglenne au vis est sur le lier Garin de Monglane. lier.



Ce classement se fonde sur une idée juste des trois sources d'inspiration principales qui animent les différents poèmes. Mais il ne rend pas compte de tous et, là même où il s'applique, il n'est pas sans artifice, car les liens qui unissent les divers groupes de chansons sont de nature diverse. La Geste de Garin de Monglane, dont relève Girart de Vienne et dont le héros principal est Guillaume d'Orange, est l'ensemble qui mérite le mieux le nom de cycle. A partir d'une première chanson qui développe un épisode frappant et un thème crucial la Chanson de Guillaume -, on en compose d'autres qui remontent vers le passé en racontant les « enfances » et les premiers exploits du héros, l'histoire de son père, puis de son grand-père, etc., ou qui se poursuivent vers l'avenir jusqu'à sa vieillesse. Les deux autres « gestes » sont toutefois constituées de façon beaucoup plus lâche.



La Geste du Roi



La Geste du Roi a pour noyau la Chanson de Roland, la plus ancienne, semble-t-il, et la plus illustre des chansons de geste. Elle comprend une vingtaine de chansons. On énumère ici les principales, non selon l'ordre - parfois incertain - de leur composition, mais selon celui des événements qui forment, selon l'expression de Gaston Paris, 1' « histoire poétique de Charlemagne ».



Les enfances de Charlemagne et le destin de Berthe au Grand Pied, sa mère, sont relatés dans Mainet (seconde moitié du XIIe sièclE), dont nous n'avons qu'un fragment, et dans Berte aus grans pies d'Adenet le Roi, ouvre tardive (entre 1272 et 1274), intermédiaire entre le roman et la chanson de geste. Le bref et singulier Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople, en alexandrins, qui remonte peut-être au début du Xir siècle, sert plus tard de point de départ au romanesque Galien, où ce fils d'Olivier retrouve son père sur le champ de bataille de Ronce-vaux. Fierabras (vers 1170), dont il existe aussi une version occitane, et la Chanson d'Aspremont (vers 1190), qui est un peu une chanson des enfances de Roland, se rapportent aux campagnes de Charlemagne en Italie. Otinel, Anseïs de Carthage, Gaydon tournent autour des expéditions d'Espagne. La Chanson des Saisnes de Jean Bodel (dernières années du XII sièclE) est consacrée, son titre le dit, à la lutte contre les Saxons et Aquin à celle contre des « Sarrasins » qui ont envahi la Bretagne.



Ces chansons, on le voit, célèbrent pour la plupart les expéditions et les guerres menées par Charlemagne en Espagne, en Italie, en Bretagne, en Saxe, en Palestine : des guerres contre les infidèles, des guerres saintes dans le récit desquelles se reflète l'idéal de la croisade. De fait, la Chanson de Roland, sur laquelle on reviendra plus loin, est contemporaine de la première croisade (1095-1099). En langue d'oc, où la littérature épique est pourtant peu représentée, la tradition rolandienne donne naissance à la chanson de geste romanesque et légèrement teintée d'humour de Roland à Saragosse et à celle de Ronsasvals, émouvante version de la Chanson de Roland réduite à la bataille, à la mort du héros et à celle de la belle Aude. Aussi bien, le personnage d'Olivier, dont le nom ne paraît pas avoir existé avant lui, est peut-être d'origine méridionale. Ces deux chansons, sans doute de la fin du XIII siècle, sont conservées dans le même manuscrit.

Bien que certains de ces poèmes s'enchaînent et se répondent, il existe rarement entre eux de continuité narrative ou même de fil directeur. L'ensemble ne trouve son unité qu'autour de la personne de l'empereur, champion de la chrétienté.



La Geste de Garin de Monglane ou cycle de Guillaume d'Orange



La Geste de Garin de Monglane, on l'a dit, offre un caractère cyclique plus accusé, dont témoigne l'organisation même des manuscrits. Son héros principal, et fondateur dans l'ordre de la création poétique, n'est pas Garin de Monglane, l'ancêtre de la lignée, mais Guillaume d'Orange. Les vingt-quatre chansons qui constituent le cycle forment un ensemble narratif gigantesque et touffu, mais assez cohérent, s'étendant sur plusieurs générations. En voici un très bref aperçu qui suit, comme pour la Geste du Roi, l'ordre reconstitué des événements, et non celui de la composition des chansons, et qui s'inspire de la synthèse de Martin de Riquer.

Vainqueur de Charlemagne aux échecs, Garin obtient de l'empereur le fief de Monglane, à charge pour lui de le conquérir, ce qu'il fait. Il a quatre fils, Hernaut de Beaulande, Girart de Vienne, Renier de Gennes et Milon de Pouille (Enfances Garin, Garin de MonglanE).



Renier reçoit de Charlemagne le fief de Gennes et a deux enfants, Olivier et Aude. Girart, qui a reçu Vienne en Dauphiné, y apprend des années plus tard de son neveu Aymeri, fils d'Hcrnaut de Beaulande, qu'il a sans le savoir été victime d'un affront de la part de la reine. Aide par ses frères et son père, il déclare la guerre à Charlemagne, qui l'assiège dans Vienne. Un long duel indécis oppose Olivier et Roland, qui est épris d'Aude ; un ange l'interrompt et scelle leur amidé. Girart épargne généreusement l'empereur tombé entre ses mains. Réconciliation générale. Au moment où le mariage de Roland et d'Aude va être célébré, tous doivent partir combattre les Sarrasins d'Espagne qui sont entrés en France (Girart de ViennE). On sait le paru que Victor Hugo tirera dans la Légende des siècles de cette chanson et de la suivante.

Au retour d'Espagne, après le désastre de Roncevaux, Aymcri prend Narbonne et épouse Hcrmenjart, fille du roi de Pavie (Aymeri de NarbonnE). Il envoie ses six fils aînés chercher fortune auprès de Charlemagne, tandis que le plus jeune reste à Narbonne, attaquée bientôt par les Sarrasins (Les NarbonnaiS). Aventures des fils d'Aymeri (Guibert d'Andrenas, Prise de Cordres et Sebilk, Siège de Barbastre et Bueve de Commarchu, qui en est une réfection due à Adenet le RoI). Derniers combats et mort d'Aymcri (La Mort AymerI).



Guillaume, l'un des fils d'Aymeri, ne veut devoir ses fiefs qu'à sa seule valeur. Ses premiers exploits, sa première rencontre avec la belle Sarrasine Orable (Les Enfances GuillaumE). Guillaume défend Louis, le faible fils de Charlemagne, contre les traîtres qui veulent usurper le pouvoir et assure son couronnement, à Aix-la-Chapelle au début de la chanson et à la fin à Rome, qu'il a sauvée par sa victoire sur le géant sarrasin Corsolt. Au cours de ce combat, son adversaire lui a coupé une partie du nez, lui valant ainsi le surnom de Guillaume au court nez (Le Couronnement de LouiS). Ingrat, Louis distribue des fiefs à tous, sauf à Guillaume qui lui en fait violemment reproche, refuse ses offres de réparation et n'accepte que des fiefs à conquérir sur les Sarrasins. Il s'empare de Nîmes par la ruse (Le Charroi de NîmeS). Epris de la belle Orable, femme du roi sarrasin d'Orange, Thibaut l'Esclavon, Guillaume s'introduit dans Orange sous un déguisement en compagnie de son neveu Guielin et prend la ville grâce à la complicité d'Orable et au secours d'un autre neveu, Bertrand. E épouse Orable qui reçoit le baptême et prend le nom de Guibourc. Guillaume au court nez est désormais Guillaume d'Orange (La Prise d'OrangE).



Fait prisonnier à Roncevaux, un frère de Guillaume, Garin d'Anseùne, est libéré en échange de son fils Vivien, qui après bien des aventures et des exploits retrouve lui-même la liberté (Les Enfances VivieN).

Armé chevalier par son oncle Guillaume, Vivien fait vou de ne jamais reculer, fût-ce d'un pas, devant les Sarrasins. Il conduit en Espagne une expédition victorieuse et provoque par de terribles atrocités le roi sarrasin Dcramed de Cordoue. Dcramed remonte la Gironde en se livrant au pillage. Vivien, averti, l'affronte en un lieu nommé Larchamp dans la Chanson de Guillaume et Aliscans dans la chanson du même nom. C'est un désastre. Vivien, seul survivant du camp chrétien, finit par succomber. Guillaume arrive trop tard à la rescousse. Mais plus tard, avec l'aide du géant Rainouart, frère de Guibourc nouvellement converti, il écrase les Sarrasins (La Chevalerie Vivien, La Chanson de Guillaume, Alùcans, qui traite le même thème que la seconde partie de la Chanson de Guillaume, avec un début in médias res se greffant sur La Chevalerie VivieN).



Aventures et amours de Foulques, neveu de Vivien (Foulques de CandiE). Exploits de Rainouart et de ses descendants (La Bataille Loquifer, Le Moniage Rainouart, RenieR).

Veuf, Guillaume se retire au monastère d'Aniane, puis se retire dans l'ermitage qui deviendra Saint-Guilhem-lc-Désert. Il en sort pour de nouveaux combats contre les Sarrasins. Le dernier voit sa victoire sur le géant Isoré, qui menaçait Paris (Le Moniage GuillaumE). Le souvenir du dernier exploit de Guillaume d'Orange se conserve encore aujourd'hui dans le nom de la rue de la Tombe-Issoire (Tombe Isoré).

La plus ancienne chanson du cycle, la Chanson de Guillaume, remonte à la première moitié du XIIe siècle et est donc à peine plus récente que la Chanson de Roland. Elle est composée de deux parties assez différentes et dont l'unité a été discutée. Les autres s'échelonnent entre la seconde moitié du XII' et la fin du xnr siècle. Bien que les combats contre les Sarrasins soient au centre de ces chansons, leur préoccupation essentielle est moins la guerre sainte que la prospérité et l'honneur familiaux. De même que la bataille de Roncevaux apparaît un peu comme l'épisode fondateur de la Geste du Roi et la Chanson de Roland comme le noyau du cycle, de même celle de Garin de Monglane se développe à partir de la bataille de Larchamp, qui est au cour de la première partie de la Chanson de Guillaume.



Le modèle historique lointain de Guillaume d'Orange est saint Guillaume d'Aquitaine ou de Toulouse, petit-fils de Charles Martel par sa mère. Son cousin Charlemagne le nomme comte de Toulouse en 789. Après avoir lutté contre les Sarrasins, après avoir été battu par eux sur l'Orbieu en 793, après leur avoir pris Barcelone en 803, il se retire en 804 à l'abbaye d'Aniane, dans l'actuel département de l'Hérault. Bientôt il fonde à proximité un autre monastère, Gellone, où il meurt en odeur de sainteté en 810. Ce lieu devait être rebaptisé plus tard en son honneur Saint-Guilhem-le-Désert. Ermold le Noir lui donne une place importante dans son poème en l'honneur de Louis le Pieux (In honorera HludowicI) composé en 827 et il fait plus tard l'objet d'une Vie hagiographique. On reviendra plus loin, à propos de l'origine des chansons de geste, sur le problème général posé par les rapports entre l'histoire carolingienne et la matière épique.



La Geste de Doon de Mayence ou cycle des vassaux révoltés



La Geste de Doon de Mayence réunit des récits très divers au départ, mais dont l'unité thématique était assez frappante pour inciter des remanieurs à tisser entre leurs héros des liens généalogiques. Cette unité paraît bien dans l'autre titre qu'on lui donne, celle de cycle des vassaux révoltés, ou des barons rebelles. Toutes les chansons qui la constituent mettent en scène des héros en lutte contre le roi ou l'empereur, confrontés à des problèmes de droit féodal, en proie aux tentations de la rancune, de l'orgueil et de la violence. Les principales chansons de ce cycle sont : Gor-mont et Isembart, Doon de Mayence, la Chevalerie Ogier, Renaut de Mon-tauban, Raoul de Cambrai, Girart de Roussillon.



Gormont et Isembart, dont il ne nous reste qu'un fragment de six cent soixante vers (exceptionnellement des octosyllabeS), remonte aux environs de 1130 et garde la mémoire de la victoire sur les Vikings remportée en 881 à Saucourt par le roi Louis III : le jeune Isembart, injustement traité par le roi Louis, a renié sa foi et est passé au service du roi païen Gormont qui envahit la France. Lors de la bataille décisive, il affronte son propre père, puis, blessé à mort, se repent et implore la miséricorde de Dieu et de la Vierge.

Les autres chansons sont de la seconde moitié du XIIe ou du début du xnr siècle. Dans la Chevalerie Ogier, Ogier le Danois veut venger son fils, tué par celui de Charlemagne. Renaut de Montauban voit apparaître les quatre fils Aymon et leur cheval Bayart, promis à un brillant avenir dans la littérature populaire. Raoul de Cambrai, sanglante et magnifique histoire de rivalité féodale et de vendetta familiale, contient sans doute dans sa première partie (la seconde, plus romanesque, paraît un ajout postérieuR) l'écho d'événements remontant au Xe siècle et que relate la chronique de Flodoard.



La chanson de Girart de Roussillon est composée dans une curieuse langue intermédiaire entre la langue d'oc et la langue d'oïl. Offensé par le roi Charles, Girart lui livre une guerre sans merci, puis, après bien des épreuves, rentre en lui-même et, guidé sur la voie de la pénitence par sa femme Berthe, élève à Vézelay le sanctuaire de la Madeleine. Le modèle historique de Girart de Roussillon, le comte Gerardus, né vers 800 et mort probablement en 877, adversaire de Charles le Chauve (devenu Charles Martel dans la chanson de gestE), époux d'une comtesse Berthe et fondateur des abbayes de Vézelay et de Pothières en Bourgogne, est le même qui a inspiré le personnage de Girart de Vienne et celui de Girart de Fraite, qui n'est le héros d'aucune chanson mais qui joue un rôle dans celle d'Aspremont. Ses avatars littéraires se sont donc repartis entre la Geste du Roi, celle de Garin de Monglane et celle des barons rebelles.



Girart de Roussillon, Ogier le Danois sont mentionnés dans la Chanson de Roland. Guillaume d'Orange semble bien l'être dans le texte connu sous le nom de Nota Emilianense, qui appartient à sa préhistoire. La liste des douze pairs qui entourent Charlemagne dans le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople s'éloigne de celle de la Chanson de Roland, reprise avec des variantes dans les autres chansons de la Geste du Roi, mais inclut des personnages du cycle de Guillaume d'Orange. L'expédition d'Espagne et le désastre de Roncevaux sont à Parrière-fond de Girart de Vienne, d'Aymeri de Narbonne, des Enfances Vivien. C'est dire que la distinction entre les trois cycles reste superficielle.



Autres chansons de geste. Le cycle de la Croisade



Au demeurant, certaines chansons ne relèvent d'aucun des trois. Ainsi, Ami et Amile, dont il existe plusieurs versions en latin et en langue vulgaire, curieuse histoire, à la tonalité nettement hagiographique, de deux jumeaux parfaits qui ne sont pas des frères, et Jourdain de Blaye, qui s'en veut la suite et emprunte aussi au vieux roman latin d'Apollonius de Tyr : ces deux chansons forment la « petite Geste de Blaye ». Ainsi, Berne de Hantone, dont le thème évoque celui de Hamlet et qui a été adapté dans de nombreuses langues, Doon de la Roche et Orson de Béarnais, les deux chansons de la Geste de Saint-Gilles, Elie de Saint-Gilles et Aiol, le second personnage étant le fils du premier. Au XIIIe siècle, certaines chansons ne sont guère classables, qu'elles dérivent vers le comique, comme Jean de Lanson, ou vers le romanesque et le merveilleux comme Huon de Bordeaux, célèbre par le rôle qu'y joue le nain de féerie Aubéron, dont le Roman d'Auberon, en réalité de forme épique, amplifie plus tard l'histoire. L'intéressante chanson de geste occitane de Daurel et Béton, où un jongleur occupe une place de premier plan, est également marginale à bien des égards.

Certaines de ces chansons, on le voit, vont par couples et constituent comme l'ébauche d'un cycle. C'est qu'il existe en dehors des trois « Gestes » canoniques d'autres groupes homogènes, bien que plus restreints, de chansons de geste. La Geste de Nanteuil, qui dérive de la chanson d'Aye d'Avignon (seconde moitié du XII sièclE), se poursuit avec Gui de Nanteuil, Parise la Duchesse et enfin, mais nous sommes déjà au XIV siècle, Tristan de Nanteuil. Le cycle des Lorrains comprend cinq chansons : Garin le Lorrain et Herbert de Metz, qui remontent au XII siècle, et plus tard Ilervis de Metz, Anseis de Metz et Ton. Son thème général est une longue vendetta qui oppose Lorrains et Bordelais.



Un dernier groupe est d'une nature bien particulière. C'est le cycle de la croisade. Il est formé par des chansons de geste qui s'inspirent directement des croisades et prennent pour héros les combattants qui s'y sont illustrés. Elles appliquent donc à l'actualité l'idéologie de la guerre sainte et la prétention à garder la mémoire d'événements et de personnages historiques, l'une et l'autre caractéristiques du genre. Au début du XIIe siècle, Richard le Pèlerin, un trouvère qui avait participe à la première croisade, la relate dans une première version, aujourd'hui perdue, de la Chanson d'Antioche. Elle est adaptée en langue d'oc entre 1126 et 1138 par Grégoire Béchada, qui vivait au château de Gouffier de la Tour, un des héros de la croisade. De cette adaptation seul un fragment nous est parvenu. La version que nous connaissons intégralement est celle que compose à la fin du XIIe siècle Graindor de Douai. Celui-ci a modifie assez profondément la Chanson d'Antioche primitive de façon à la relier, grâce à de nouveaux épisodes, à la chanson, riche en merveilleux oriental, des Chétifs (CaptifS), composée en Syrie au milieu du siècle, qui en devient la suite. Graindor conclut alors le cycle ainsi amorcé en composant la Prise de Jérusalem. Au centre de ce cycle se trouvent les figures de Godefroi de Bouillon et de ses compagnons.



Plus tard, un second cycle de la Croisade s'intéresse, selon un procédé que nous connaissons déjà, aux origines familiales de Godefroi de Bouillon en lui attribuant un ancêtre mythique, le Chevalier au Cygne (Le Chevalier au Cygne, Godefroi de BouilloN). Ces poèmes se ressentent de l'atmosphère romanesque qui envahit la chanson de geste au XIIIe siècle, tandis que d'autres (Baudouin de Sebourc, Le Bastard de BouilloN) revêtent un caractère parodique. Nous retrouverons ce cycle à la fin du Moyen Age, quand il sera mis en prose et doté de nouvelles continuations.

L'application de la forme épique au récit de l'actualité ne se limite pas à la matière de la croisade d'Orient. La chronique en forme de chanson de geste de la croisade contre les Albigeois qu'est en langue d'oc la Chanson de la croisade albigeoise suit explicitement le modèle offert par la Chanson d'Antioche. Couvrant les années 1208-1219, elle est commencée par un poète favorable aux croisés, Guillaume de Tudèlc, et poursuivie par un poète anonyme toulousain appartenant au camp méridional. L'un et l'autre écrivent à chaud et s'arrêtent lorsque leur récit rattrape les événements.



Ce bref survol des divers cycles épiques et rémunération des principales chansons qui les constituent ne suffisent à donner une idée ni des problèmes posés par les chansons de geste ni de leur enjeu. C'est pourquoi nous allons revenir à la plus ancienne d'entre elles, la Chanson de Roland, pour l'interroger de façon plus précise.








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