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L'epreuve de l'exil dans terre d'asile de Pierre Mertens






Du latin exsilium, signifiant « bannissement », l'exil désigne avant tout le fait « d'expulser quelqu'un hors de son pays avec interdiction d'y revenir ; état qui en résulte » (Grand Larousse de la langue françaisE). Dans le même dictionnaire on peut saisir le sens de « malheur, misère » que le mot exill désignait en ancien français. C'est un phénomène universel, connu pendant toutes les époques depuis le début de l'humanité jusqu'à nos jours. Si, comme le soutient Geneviève Menant-Artigas, les termes de « banni », de « proscrit » et d'« émigré » correspondent à des réalités juridiques, historiques et économiques, le mot « exil », quant à lui, est « aussi insaisissable que l'amour ou la haine, aussi authentique, aussi éloquent et puissant sur le coeur de l'homme, l'exil est un sentiment .



Il est aussi la cause de tant de maladies qu'on pourrait nommer génériquement « les maladies de l'exil ». Quels sont les sentiments qu'éprouve un homme coupé de ses racines ? Déchirement, incertitude, révolte, renoncement, espoir et désespoir, amour et haine, toutes les contradictions, les tempêtes et les vagues qui agitent le monde tumultueux que tout exilé emporte à la semelle de ses souliers.

Dans une interview2 que Pierre Mertens nous a accordée à Bruxelles, il associe l'exil à la condition de l'homme et souligne que Terre d'asile est un livre littéral ; ce devrait être l'écho de la formation de l'écrivain (juriste, spécialiste en droit internationaL), de son activité dans le cadre de la Ligue pour les droits de l'homme et surtout de sa mission d'observateur pour Amnesty International. Toute la problématique de l'exil se retrouve dans les pages du roman. De ses multiples aspects qui visent la facette négative de misère et de perte, nous nous proposons d'analyser sa dimension psychologique. Avançant l'hypothèse que l'épreuve de l'exil se manifeste sous la forme d'une rupture intérieure, il faudra voir ce qui la déclenche, quelles sont ses formes de manifestation et à quel degré en souffrent les héros du récit.



La terre d'asile



Dans tous les cas, l'exil est une épreuve, la cause de tant de malheurs - que le mot « perte » englobe de manière suggestive. C'est aussi une situation complexe qui comprend deux moments spatiaux et temporels bien distincts : patrie et refuge, le moment, des fois foudroyant, du départ et le temps incertain de l'arrivée. Mais il y a aussi la période qui a précédé l'exil, pleine de doutes, de peur, de douleurs et de violences, chargée de risques et de persécutions qui décident le départ ou précipitent la fuite. C'est la situation dans laquelle se trouve aussi le héros de Mertens.

L'écrivain dévoile ses intentions sur le sort de Jaime Morales par la voix de Pierre Augustin, journaliste qui raconte dans son journal une narration parallèle à la narration principale. Il veut écrire un roman, une histoire (...) qui serait comme perforée en son milieu. [...] un récit feutré sur quelqu'un qui crie [...], quelqu'un de très ordinaire à qui il est arrivé (...) quelque chose d'exceptionnel (...) Il mïmporte de le montrer après que ce qui a bouleversé sa vie lui est advenu. Après, et ici. Car, comme lui, c'est sur ici que j'ai le plus à apprendre.



En ce qui concerne cet « ici », on pourrait se demander ce que le refuge offre à l'exilé et comment celui-ci le perçoit. Dans le cas de l'ingénieur chilien la question se pose si la Belgique est vraiment « une terre d'asile ». Les dictionnaires décrètent que le mot « asile » du latin « asylum » désigne « tout endroit où l'on peut se réfugier pour échapper à un danger »4. La Belgique et surtout sa capitale, Bruxelles ont constitué le lieu d'exil de plusieurs créateurs, parmi lesquels on pourrait rappeler le poète expressionniste allemand Gottfried Benn -comme le souligne l'écrivain même dans l'interview accordée.

Mais qu'en pensent Jaime Morales et les autres exilés? Dès son arrivée en Belgique, l'exilé chilien est interrogé par le délégué du Haut Commissariat sur son passé, sur les « mauvais traitements », sur son état de santé et surtout sur la raison pour laquelle il a choisi ce pays comme terre d'asile. La réponse ironique de Jaime ne se fait pas attendre: « - J'ai choisi la Belgique à cause du climat... »5 II se rend compte des lois juridiques et des normes qui doivent régler le statut des étrangers mais aussi de l'avidité des représentants de l'Etat de se nourrir des histoires individuelles des exilés. Dans un pays comme la Belgique qui n'a rien de particulier par rapport aux autres sociétés européennes, l'Histoire se déroule lentement sans événements remarquables. La description de Jaime est très suggestive et dénote en même temps sa perception exagérée :



Un instant, Jan Ponsaers et Jaime Morales virent s'ouvrir devant leurs yeux comme une immense antichambre, une salle de transit où venaient se presser frileusement, épaule contre épaule, les exilés du monde entier, avec leur baluchon, une banquise démocratique, une Belgique insulaire qu'un océan eût séparée d'autant de terres promises..



Mais sur cette « banquise démocratique », les exilés sont recensés froidement selon la nationalité, vérifiés et envoyés dans un endroit précaire, d'habitude un foyer impersonnel qui les rend plus étrangers dans le pays adoptif. C'est ce qui arrive aussi â Jaime qui n'est pas un simple immigrant mais qui est logé à la même enseigne avec les autres travailleurs étrangers dans la Cité universitaire à Young Women Christian Association sous une fausse identité, celle de l'étudiant albanais Serge Horowitz. Le milieu estudiantin, désert pendant l'été, lïsole des natifs qu'il ne rencontre qu'à l'occasion des conférences de presse ou des réunions mondaines, où il est invité surtout pour satisfaire leur curiosité pour un cas de révolutionnaire fameux. Jaime devient pour eux « une source d'étonnement » tout comme les Persans de Montesquieu l'étaient pour les Français, comme l'observe Michel Grodent dans la « Lecture » du roman. Le héros découvre dès le début l'indifférence des Belges envers les exilés, leur esprit solitaire et le manque de communication.

Il observe que les gens ne se parlent jamais ou slls le font ce n'est que le rairiimum possible. Dans les réunions des travailleurs sud-américains, on apprend aussi que les ouvriers belges « n'échangent plus de dix-sept mots » avec eux et si, par hasard, ils habitent dans le même immeuble, « les Belges s'enferment chez eux le soir. »7 La confession amère d'un Sud-Américain renforce l'idée que la société d'accueil est individualiste et qu'il est presque impossible de créer des liens. « - Je ne me suis pas fait un seul ami ici en six mois de temps, soupire Emesto Escobar. » De toutes les « histoires particulières » que Pierre Augustin note dans son journal, il ressort la même complainte : la solitude des exilés due à l'indifférence des Belges mais aussi à l'esprit ethnocentriste présent chez tous les Occidentaux. L'épisode où un Flamand d'Ostende explique à l'ouvrier Hugo Villegas comment fonctionne l'interrupteur électrique trahit la méconnaissance de la réalité de là-bas et laisse comprendre qu'ils les prennent pour des êtres primitifs, inférieurs. En outre, les Occidentaux exploitent leur exotisme comme le montre l'exemple du sociologue qui faisait des enquêtes dans la Cité universitaire pour un mémoire sur « la misère sexuelle des immigrés. » Le travail de ce « psycho-socio-fiicard » éveille la révolte et la haine de Jaime qui considère ce sujet et ce geste comme totalement indécents :



(...) une bouffée de colère l'envahit à l'idée de ce psycho-socio-flicard de merde menant sa petite enquête pourrie auprès des représentants du tiers monde, de quoi nourrir ses phantasmes et se payer une originale petite tranche d'exotisme aux dépens des ouvrières marinant dans la solitude de l'exil.



Le mépris implicite, le faux paternalisme de la conduite des Belges ne font qu'éveiller et maintenir chez tous les exilés un sentiment d'étrangeté qui ferme toute perspective d'avenir. Pour illustrer cette idée, il ne faut que rappeler la séquence qui décrit cet état d'esprit s'emparant d'eux, après avoir suivi la description de la mer du Nord faite par un camarade :



Tous se taisent un instant. Ils laissent à Enrique Guzman le temps de se remettre, ils prennent eux-mêmes le temps d'avaler cette mer innommable, ils se laissent pénétrer par cette vision du désert glauque qui borne leur horizon, met à mal leurs rêves d'évasion... Ils se sentent faits comme des rats. La mer du Nord confère soudain à leur exil des allures définitives.



Dans le climat brumeux de la Belgique il ne leur reste que les souvenirs du pays natal de même que le rêve au jour ensoleillé d'un possible retour, lorsque là-bas tout le danger aura cessé. Nous pouvons dire avec Michel Grodent que la terre d'asile devient « un grand catalyseur de nostalgie ».



La nostalgie



Quelles que soient les raisons de l'exil, il peut générer un déséquilibre émotionnel et mental ; la perte de la patrie est pareille à la perte de l'être le plus cher, la mère, et elle postule un long, mterminable « travail de deuil ». C'est Freud qui dans Deuil et mélancolie accorde une place importante à la perte de la patrie dans la définition du deuil10. L'emploi en psychanalyse du mot « nostalgie », fixant une équivalence entre le regret pour l'absence, la perte ou le manque de l'objet aimé et le désir obsédant du retour dans le pays d'origine, constitue une source de douleur psychique et de maux corporels. Même si au début la terre natale est porteuse de danger, de menace ou de destruction, elle devient un point d'appui et commence progressivement à faire figure de paradis perdu dans l'imagination de tous les dépaysés. Il se produit une réaction inverse : la terre d'asile idéalisée avant la fuite, un véritable garant d'une nouvelle vie s'appauvrit, déçoit et devient un enfer. Cette inversion, chargée d'ambivalence et qui suppose des retours en arrière prépare la « phase nostalgique » de l'exil. Parler de nostalgie dans ce contexte semble une évidence car le mot apparaît relié à l'éloignement prolongé de l'endroit natal. L'irréversibilité du temps constitue aussi une source de nostalgie, comme le croit le philosophe Vladimir Jankélévitch. La mobilité dans l'espace est possible puisqu'il est homogène et isotrope, la mobilité dans le temps, l'ubiquité est impossible, « c'est la plus folle chimère de l'être fini. »' > En outre, le philosophe souligne le rôle de la conscience lucide de la séparation et de l'absence, faisant en même temps des références au cas de l'exilé. L'homme a le pouvoir de s'absenter sur place, d'être présent physiquement dans un certain endroit mais très loin par son imagination. Cet ailleurs de la nostalgie est un ailleurs natal qui a été autrefois un ici. Le passage qui suit reflète la conception du philosophe sur la nostalgie de l'exilé : « il a une double vie, et sa deuxième vie, qui fut un jour la première et peut-être le reviendra un jour, est comme inscrite en surimpression sur la grosse vie banale et tumultueuse de l'action quotidienne. L'exilé tend l'oreille pour percevoir le pianissimo des voix intérieures à travers le vacarme tonitruant de la rue, de la Bourse et du marché ; ces voix intérieures, ce sont les voix du passé et de la ville lointaine et elles chuchotent leur secret nostalgique dans la langue de la musique et de la poésie. »



Dans le cas du héros mertensien, des symptômes en apparaissent même au bord de l'avion qui le menait vers son asile belge :



[...] lorsqu'il était monté à bord, il n|y avait pas un nerf en lui qui ne vibrât ; une haine incoercible, quïl n'avait pas sentie venir, l'habitait tout entier. Puis, lorsque l'avion avait décollé et bondi par-dessus l'Aconcagua, cette nostalgie abrupte comme un à-pic du coeur mais qui, dans sa véhémence, ressemblait tant à la joie, une joie aveugle comme la colère...

La Cordillère traçait la ligne de partage entre passé et avenir. Des souvenirs se pressaient en rafales...



Ce passage fait preuve des sentiments contradictoires qu'éprouve l'exilé : la haine, non pas contre le pays en soi mais contre un régime politique, un ordre social qui lui a fait mal et le sentiment nostalgique, le regret, la douleur du sol natal mais aussi la joie de s'en souvenir.



L'espace nostalgique



Le héros de Mertens doit quitter son pays suite à la torture et à la terrible agression psychique, à la terreur instaurée par le dictateur. Malgré le mal qu'il y a subi, le Chili natal reste pour lui la mère nourricière, un être cher comme sa propre mer qu'il ne cesse de se rappeler et d'évoquer. Parfois, la nostalgie l'accable, elle « fond sur lui comme un condor. »14 Dans l'espace nostalgique de Jaime Morales se situe un lieu béni, sa ville natale, Valparaiso dont l'image ensoleillée l'aide à supporter les jours momes et les brumes de Belgique. « Pour un peu... il aurait volontiers sollicité une équivalence à la lumière qui fait crier, à midi, les murs de Valparaiso... » L'insistante évocation nostalgique du soleil ne fait que renforcer l'image de froideur et de solitude associées au présent. Dans le cas de Jaime comme d'ailleurs de tous les exilés, on peut parler d'une sorte de « géographie pathétique », d'« une topographie mystique » comme le dit Jankélévitch. Dans l'espace de l'exil, il ne suffit que d'une petite ressemblance à ce lieu saint pour que sa force évocatrice déclenche l'imagination et lui donne après libre cours. C'est ce qui arrive à Jaime, lorsqu'une rue abrupte à Liège lui rappelle une autre à Valparaiso et puis cette alternance continue : « quelque chose d'ici lui rappelait quelque chose de làbas... »16. Ce va-et-vient imaginaire entre deux espaces - ici / là-bas et deux temps - avant / maintenant caractérise la vie psychique de tout exilé. À n'importe quel détour du chemin, une perception sensorielle du présent convoque d'un coup une certaine image d'un lieu passé. Comme le souligne Lya Tourn « l'exilé languit après la couleur du ciel de son enfance, après les images du paysage familier gardées au fond des yeux, après les recoins bien-aimés et mille fois parcourus..., après les sons et les musiques, les odeurs et les parfums évocateurs, les goûts propres à la nourriture du pays natal ».17 Jaune Morales se demande de même que les autres exilés ce qui lui manque le plus ; il dresse une véritable liste nostalgique ayant en tête la couleur des maisons à Valparaiso, les couleurs vives qui contrastent avec le gris de Belgique et de son exil. Il y installe après un endroit cher, une petite galerie commerçante à Santiago qui le transfère à l'époque de gloire de son travail d'ingénieur.

Parmi ces « lambeaux » du pays, Jaime évoque aussi la petite ville de Vina del Mar qu'il associe à la saveur des « abalones à la mayonnaise » ou au goût et à l'odeur de la confiture de lait. Dans ses souvenirs, il ne manque pas le paysage magnifique des environs, marqué par les sommets de l'Aconcagua. La liste de Jaime finit par la mention de son père et de son charme à raconter les histoires de femmes. La représentation du lieu natal ne se fait pas au hasard mais à la suite d'une sélection car « la nostalgie se pose partout où elle peut, butine de-ci, de-là »18 ; ce sont des « morceaux choisis. » Le souvenir nostalgique est précieux, unique, c'est une vraie essence : toutes les couleurs se dissolvent dans la couleur des maisons à Valparaiso. C'est un condensé exquis, idéal dont le rôle n'est pas de retrouver le souvenir de l'objet en soi mais de lui permettre de revivre les sensations de plaisir qui lui sont associées.



L'espace familier est des fois animé par la présence de la mère. Pendant qu'il lui écrit une lettre, Jaime imagine un vrai scénario où il la voit en faire la lecture et il décrit en détail non seulement le décor de sa chambre colorée par « l'ampoule rousse » et « l'abat-jour de flanelle mauve » mais tout un rituel : elle se tient debout lisant et relisant sa lettre devant son père et la servante. La chaîne des souvenirs est interrompue par le son de la sirène dans la rade du port de Valparaiso ; le temps se déchire, Jaime revient dans le présent, en terre d'asile, dans la cité universitaire, écoutant le bruit du réfectoire. Il demeure suspendu entre deux mondes et deux segments temporels. La douceur nostalgique s'éteint, l'incertitude et la dépression l'envahissent : un bruit d'assiettes et de couverts entrechoqués monte du réfectoire... On est à Bruxelles. Il est six heures du soir. La mère regarde l'heure sous le lampadaire... Il est midi à Valparaiso. La brume se reforme. Dans quel état, ma mère, votre fils atteindra-t-il l'automne ?



Une autre fois, un simple détail de lecture sur la biographie du leader coréen Kim II Sung déclenche chez le héros le souvenir de lEden natal et de ses parents : « Jaime a envie d'écrire à sa mère... De lui demander si les cerisiers du Japon sont déjà en fleur dans les rues de Valparaiso. Si son père a toujours l'air aussi jeune que sur la photo qu'il a emportée dans sa valise et qui s'y trouve toujours »19. La photo dont il ne se sépare pas l'aide à voiler la perte radicale du pays natal, de ses proches et à en atténuer les effets.

La musique devient elle aussi un souvenir nostalgique pour Jaime qui place en deuxième lieu sur sa liste nostalgique les tangos d'Anibal Troilo. Les sons des airs qu'il entend l'attendrissent ou lui * gèlent » le coeur, surtout lorsqu'il s'agit d'une chanson engagée qui lui rappelle son passé révolutionnaire. Il faut accentuer l'effet thérapeutique que peuvent avoir sur le héros les échos de « la Tranquera », pièce musicale qu'il entend dans une salle de la cité où des jeunes filles apprennent à danser. Jaime en reprend des paroles en espagnol car, en effet, on pense et surtout on vit dans sa langue maternelle. Comme son exil débute par le désarroi, les vers choisis suggèrent sa détresse et sa douleur. « Cada vez que azota el viento/ Siento un extrano crujido./ Que mas parece un lamento/ ...Siento un estremecimiento de muerte y me quedo frio... (Chaque fois que cingle le vent/ ...J'entends un grincement étrange./ On dirait plutôt une plainte/ ...je sens le frisson de la mort qui me glace, Dans le même but, on pourrait évoquer ici la scène où Jaime se plaît à jouer du piano des tangos du pays qui le renvoient dans le bon vieux temps.



Le temps nostalgique



S'il existe un espace nostalgique, il y a aussi un temps nostalgique car, comme le souligne Jankélévitch, tout le passé, tout ce qui fait partie de notre temps vital forme l'objet « d*un attachement infini ». L'enfance et la jeunesse constituent les segments temporels les plus heureux de la vie humaine et c'est pourquoi le regret nostalgique de ces âges est fréquent chez Jaime Morales et chez les autres exilés. Les objets et les odeurs de sa chambre, l'emploi du temps, tout lui rappelle sa vie d'étudiant dans le pays natal. Ce temps-là correspond non seulement à sa jeunesse mais aussi à l'époque où il avait la liberté de penser et d'agir :



Tout ici : une indéfinissable odeur d'encre, de gomme et de crayon, de craie et d'épongé humide [...] ces règlements muraux qui fixent la loi locale à laquelle il convient de se soumettre en matière d'hygiène et de sécurité, de calme et de salubrité, et les horaires des repas, tout cela en vrac concourt à le ramener encore une fois en arrière, tout lui rappelle l'époque où lui-même étudiait dans des manuels entre une table et un lit de camp, quelques principes propres à garantir le bon fonctionnement de la vie sociale.



Les autres exilés de la communauté sud-américaine se rappellent la béatitude de leurs amours de jadis qulls évoquent en détails avec le regret que ces jeunes-là ne se retrouvent plus. C'est la temporalité irréversible qui provoque cette irrémédiable séparation entre les moments de la vie, comme l'explique Jankélévitch. Selon lui, on ne peut être ici et ailleurs à la fois, on ne peut être adulte et jeune en même temps parce que la réversion chronologique ne peut pas être conçue. C'est toujours lui qui conclut : « Et quant à la nostalgie, elle est temporelle avant d'être maternelle. La nostalgie est une réaction contre l'irréversible.



La nostalgie est « maternelle » car l'arrachement à la terre originelle correspond à la séparation initiale d'avec le corps maternel. Dans le pays adoptif, le sentiment d'être étranger dans le regard du natif, le « froid » de l'exil forcent l'exilé à se réfugier dans le familier lointain ou bien le ramènent à son état initial d'enfant, incapable de nommer les choses de la réalité environnante. C'est ce qui arrive à Enrique Guzman qui devient aphasique lorsqu'il a devant lui limage de la Mer du Nord à Ostende :



Je n'ai jamais ressenti comme ce jour-là ce que c'était que de vivre à l'étranger. J'avais sous les yeux cette mer qui ne m'en rappelait aucune autre. Je ne dis pas du tout qu'elle soit moche, comprenez-moi bien, elle est même sans doute splendide, je ne peux pas la juger, moi, je n'en sais rien : simplement, je n'ai pas d'adjectif pour la qualifier, cette mer belge, elle ne ressemble à rien de ce que j'ai connu...



La peur



L'incapacité de parler, de nommer les choses est avant tout la conséquence du processus de destruction auquel sont soumis tous les exilés, comme le rappelle la signification donnée en ancien français à essilier (détruirE). Jaune Morales semble souvent dominé par le silence et par la peur qui se manifestent surtout dans les relations avec des officiels belges et avec le médecin qui s'occupait de lui. Il se sent tellement confus lors de ses rendez-vous à la clinique qu'il perd la notion du temps. C'est une occasion particulière où il se rend compte de sa condition d'exilé et de sa précarité :



La peur de se présenter en retard au rendez-vous l'inhibait à tel point qu'à la consultation, il arrivait toujours trop tôt. On eut beau lui expliquer qu'il était inutile de venir en avance, rien ny fit (...) De même il craignait de ne pas s'être muni de quelque papier indispensable, de transporter un dossier toujours incomplet. Car c'était ici qu'il redevenait le plus étranger, qu'il se sentait le plus en surnombre. En temps ordinaire, il évitait de se poser d'oiseuses questions sur son précaire statut d'asilé...



Il paraît que Jaime Morales ait aussi peur de parler puisqu'il ne veut dévoiler rien à personne sur la terreur et la torture subies au Chili. L'avidité des représentants de l'Etat, des organisations révolutionnaires et des journalistes de connaître son passé, leur « soif d'apocalypse o25 lui provoquent une sorte de « nausée ».



Le trauma



Jaime Morales a un certain nombre de manifestations, de comportements, de signes de souffrance psychique que la situation d'exil provoque et accentue. Le docteur Devos qui le soigne révèle quelques symptômes somatiques qui apparaissent chez tous les exilés : « les migraines, les nausées, les insomnies, les sudations nocturnes ». Un cadre dépressif, des crises d'anxiété et de panique, des débordements d'angoisse, des cauchemars répétitifs, des expériences de dépersonnalisation sont aussi présents :



[...] j'ai déjà soigné pas mal de gens dans votre cas [...] Et notamment des compatriotes à vous [...] Vous présentez tous à peu près les mêmes syndromes, les mêmes séquelles, veux-je dire. Nous avons observé aussi que les enfants de réfugiés politiques trahissent souvent une profonde anxiété. Qu'ils sont affligés, parfois, de troubles d'élocution : un léger bégaiement, par exemple.



Les troubles apparaissent bien avant la fuite en exil, dans la terre natale. Avant d'arriver en Belgique, Jaime Morales a dû subir la terreur du Pouvoir et ses « mauvais traitements » dans son pays natal. Son corps a été mutilé, ses organes et ses sens ne fonctionnaient plus normalement, il ne se sentait plus maître de soi comme l'on peut remarquer dans son aveu : «je ne savais plus ce que je touchais. Je n'étais plus sûr de voir ce que je voyais. J'entendais tant et tant de bruits à la fois que je n'entendais plus rien. J'avais tellement de mal à respirer qu'aucune odeur ne me parvenait plus. Je doutais de la réalité, de tout... *" Soumis à une menace permanente exercée par les autorités dictatoriales par les procédés les plus divers, Jaime continue à en souffrir même s'il se réjouit de la compréhension et de la protection des Belges. Ce qui le hante et fait intensifier son angoisse et sa panique c'est un objet bizarre, un gant de cuir noir laissé sur son bureau de travail à l'époque où il travaillait sous surveillance permanente comme ingénieur à Santiago. C'est l'image de cet objet qui accompagne le héros dans son exil en Belgique comme un symbole de l'agression psychique qui l'a replié sur lui-même de façon à ne plus être capable de trouver les mots, à explorer l'indicible.



Le passé de Jaime correspond à une automutilation de la pensée qui a laissé des traces dans le présent sous la forme d'un trauma. C'est ce que certifie aussi le docteur Devos pour qui « ce trauma ressenti dans le passé» pourrait être guéri par le temps qui passe. Pour Freud, c'est une sorte de névrose qui apparaît dans des situations et à des âges très différents de la vie humaine. Défini dans ses leçons de psychanalyse comme « expérience vécue » qui atteint la vie d'âme par un surcroît de stimulus provoquant des perturbations durables, le trauma est présent chez tous les exilés. L'altération du jugement de réalité et l'atteinte à la capacité de penser, voilà des conséquences essentielles de la situation de terreur, de confrontation longue à la menace et à la peur intense qu'ils subissent avant la fuite en exil. Pour le héros de Mertens de même que pour les autres exilés, n'importe quelle perception actuelle dans le pays d'accueil risque de réactiver les souvenirs traumatiques et d'effacer la frontière qui sépare la réalité psychique de la réalité extérieure. Comme le souligne Lya Tourn, « dans cette collusion entre l'actuel et le passé, le fantasme et la réalité, qui rend toute remémoration impossible, la situation traumatique est constamment revécue. »



Jaime ne peut pas échapper à cette souffrance qui a rendu son corps lourd, apathique, interminablement blessé. La coupure qu'il se fait accidentellement avant de prendre l'avion vers la Belgique et qui ne cesse de saigner fait couler du sang partout. L'écrivain a employé ce symbole pour suggérer la maladie sans remède de son héros et pour rappeler la torture qui l'a traumatisé. « Ce sang d'où venait-il ?... malgré eux, contre l'évidence, ils établissaient un lien obscur entre le sang versé ici et les tortures subies naguère là-bas. »30 L'auteur fait aussi allusion à l'état de son héros par le nom « Grand Malade » qu'il donne à un barrage en Belgique que Jaime, ancien hydrologue, a visité.



L'inquiétante etrangeté



Les souffrances trop fortes que Jaime Morales a endurées dans son propre pays mènent à la dislocation de sou âme ou, comme le remarque Michel Grodent dans la « Lecture » du livre Terre d'asile, « il est investi par l'Autre et ne peut plus jouer le jeu de la société, le jeu de la Loi et des croyances, tant il se sent marqué par l'expérience sans cesse renouvelée de "l'inquiétante etrangeté". »



Freud a fait l'analyse de l'inquiétant dans son célèbre article Dos Unheimliche, mot qui a trouvé le meilleur équivalent français dans le syntagme « l'inquiétante etrangeté ». Dans la première section de l'article, il essaie de définir le concept faisant appel aux significations du mot antonyme « heimliche » en plusieurs langues. Ainsi fait-il une double découverte : d'un côté « heimliche », signifiant d'abord ce qui appartient à la maison («heim ») et ayant, en outre, la connotation affective de « l'intime », « le familier » est synonyme parfois de son antonyme (le familier, l'intime peut donc signifier ce qui inquiètE) ; de l'autre côté, ce qui devient source d'inquiétude a été à l'origine familier. Une partie importante de Dos Unheimliche est consacrée à expliquer ce qui rend possible la transformation du familier en inquiétant. « ...ce Unheimlich n'est en réalité rien de nouveau ou d'étranger, mais quelque chose qui est pour la vie psychique familier de tout temps, et qui ne lui est devenu étranger que par le processus du refoulement. »32 L'inquiétante etrangeté apparaît aussi dans la vie réelle lorsque des complexes infantiles refoulés sont ranimés par une impression extérieure ou bien lorsque des convictions surmontées semblent de nouveau être confirmées. Ce sentiment proche de l'effroi et de l'angoisse est commun à tous ceux qui ont subi la terreur et la torture.

Pour le héros de Mertens, la vision de ce gant de cuir laissé sur son bureau de travail devient une obsession insurmontable qui le rend absent, le coupe de tout repère réel ; l'angoisse s'empare de lui, il n'a aucune révélation à faire, aucune sensation à produire, il n'a aucune autonomie de pensée et d'action : « Pour lui, c'avait été ce gant, poulpe noir déposé sur sa table à quelques centimètres de la photo d'une femme dont il était séparé. Voilà ce qu'il n'avait réussi à expliquer à personne, ce qu'il n'avait pu raconter clairement au délégué du Haut Commissariat, ni confier au docteur Devos [...]»



Mais celui-ci connaît les causes et les manifestations de l'inquiétant lorsqu'il avertit Jaune de la possibilité de son apparition dans diverses circonstances qui lui rappellent les épreuves subies et parmi lesquelles il rappelle le contact avec la police ou tout simplement la vue d'un uniforme. Jaime souffre terriblement de ce mal, il sy habitue sans être capable de le nommer. C'est ce que l'écrivain essaie de rendre au niveau du texte, par l'emploi du démonstratif neutre sous sa forme soignée ou familière - « cela », « ce qui » ou « ça » - qui suggère l'incapacité de l'exilé d'expliquer et de définir l'expérience vécue. « Malgré lui, il avait attendu de l'exil qu'il le guérit, si peu que ce fût de ce qui était arrivé... plus il allait, plus l'abandonnait la mémoire de tout ce qui n'était pas cela. Mais cela il l'oubliait de moins en moins. »34 Dans d'autres endroits, l'écrivain passe à l'emploi de la forme familière du pronom par la répétition de laquelle il rend évidente l'expérience limite du héros qui, au lieu de s'effacer revient avec obsession dans le quotidien de l'exil. Le sens des verbes et l'emploi de l'imparfait deviennent un appui pour exprimer la durée du mal et son intensification :



(...] il n'aurait pu davantage leur exposer que c'était après, que c'était ici que ça l'attendait, que ça l'avait rejoint, que ça devenait, chaque jour, plus intolérable, que ça gagnait et proliférait, oui, que c'est ici et maintenant que ça se passait, que ça se jouait [...] ici et maintenant dans sa nouvelle vie.



L'anéantissement



Dans le cas de Jaime Morales le refuge, la protection, les soins dont il bénéficie en « terre d'asile » ne peuvent pas alléger son malaise, au contraire, ce dernier va atteindre son paroxysme. Le héros « va de régression en régression », il arrive à ne plus s'appartenir, il oublie tout de sa vie, devenant un amnésique. Saisi de panique et d'angoisse qull trahit par ses gestes et par sa mine, Jaime devient un cas particulier dans la clinique dlxelles. L'évolution de sa maladie surprend même le docteur qui lui demande : « Quel mode de vie avez-vous mené depuis lors ? » Le héros est tellement accablé par son malaise qu'il ne pense même pas à s'en sortir, par contre il se complaît dans cet état, on le soupçonne même « d'entretenir » sa maladie et de la « cajoler ». Les traces des « mauvais traitements », l'anxiété permanente entraînent d'autres maux que la médecine s'avère incapable de guérir comme le considèrent les médecins qui s'occupent de lui en Belgique. « Les maux dont vous vous plaignez résultent de votre seule anxiété et la médecine est sans doute impuissante à les guérir. Cette souffrance, à son tour, sécrète une nouvelle angoisse qui vous enferme dans un cercle vicieux. »37 Dans le pays adoptif, Jaime se réjouit d'un bon accueil fait par ses compatriotes mais aussi par des représentants officiels belges. Ils attendent tous d'apprendre des détails sur son expérience vécue sous la répression au Chili, ils sont curieux de rencontrer un véritable « guérillero ». Mais Jaime ne peut pas faire face à leur demande, peut-être hérite-t-il du temps de la dictature la censure de la parole et de la pensée, la méfiance dans les relations avec autrui. Sll a dû supprimer d'abord certains mots de la langue, d'autres ont disparu étant trop reliés aux premiers et, par la suite, des catégories entières de la pensée. Nous croyons avec Lya Tourn que la codification croissante du langage se transforme en autocensure sous la pression de la terreur. « De ce fait, dans une tentative de préserver in extremis l'intégrité psychique, la répression sïntériorise et envahit irrémédiablement l'espace intime de chacun, Jaime Morales déçoit les gens parce qu'il ne dit pas grand-chose, il se sent imposteur, il n'incarne pas le sens de l'Histoire mais « l'histoire décomposée » de quelqu'un qui ne se reconnaît plus, qui s'émiette, qui se disloque. « 11 faut bien l'avouer que Jaime Morales n'avait pas grand-chose de neuf à leur annoncer, il n'avait aucune révélation à faire, nulle sensation à produire, pas même un pronostic à formuler. » Il se rallie aux autres héros de Mertens qui passent tous, au début du récit, par cette forme spécifique d'effacement et de dépression. La conduite du héros trahit une nature mélancolique, dépressive même car, dans la première étape de son exil belge, il semble submergé par la tristesse, il a perdu le goût de tout acte, de toute parole. Nous pourrions nous demander comme J. Kristeva : « d'où vient ce soleil noir ? »41 D'où viennent ses rayons invisibles qui abattent Jaime Morales et le clouent au renoncement et au mutisme ? Serait-ce « la bile noire » la source de ce désespoir ? À cette suite interrogative on pourrait répondre que c'est l'agression physique et psychique subie sous ses multiples facettes au Chili et l'épreuve de l'exil qui brisent sa vie la mettant en danger. De toute manière, la force des événements qui provoquent sa dépression est, paraît-il, disproportionnée par rapport au malaise qui le , submerge. Le désenchantement qu'il subit à présent en terre d'asile semble entrer en résonance avec des traumas anciens. Honnis les blessures physiques et psychiques provoquées par la dictature, Jaime souffre une perte douloureuse par l'abandon de son pays et de son familier. L'état malheureux du début de son exil est un signe qu'il ne sait pas perdre. Loin de son monde, il ne peut pas encore trouver une contrepartie valable à la perte.



Comme le remarque Michel Otten42, le personnage mertensien découvre avec angoisse qu'il ne peut pas s Identifier au rôle qu'on attendait de lui. Dans le « quotidien social » dont parle N. Berdiaeff43 l'homme préserve son moi en jouant un rôle, un personnage. En ce sens, Terre d'asile explore une forme de la « non-coïncidence » à soi ; le héros a l'air d'entendre souvent des voix étranges qui l'accusent de ne pas s'être engagé totalement et qui lui dévoilent sa vraie identité, celle d'un imposteur, d'un faussaire. On le voit alors se détacher de tout comme s'il avait l'impression d'être rejeté, de provoquer la réprobation de ceux qui l'entourent. Il répond aux questions des journalistes et des sympathisants d'un air superficiel, fatigué, en phrases simples où il comprime toute sa souffrance : « rien d'extraordinaire » ou « rien de plus ennuyeux » ou « la torture me fatigue, x44 Tout au début, l'auditoire est prêt à comprendre sa situation et trouve même des excuses pour son incapacité de communiquer, invoquant surtout son niveau élémentaire du français.

Mais plus tard, la réprobation et le mécontentement des gens qui attendent qu'il raconte son expérience triste et hardie en même temps, ne font qu'accentuer son « absence au monde ». Le héros ne peut pas surmonter son malaise et pour survivre à cette situation, pour se défendre, il s'isole au creux de soi-même, loin de la société et de l'Histoire.



Pour conclure



La rupture intérieure se produit au moment ou l'exilé devient conscient du grand décalage entre lïmage de rêve de la terre d'accueil et sa réalité décevante. L'auteur a surpris une gamme riche de représentations émotionnelles, depuis le sentiment nostalgique jusqu'au mutisme du héros par son insularisation. L'écrivain a décrit la nostalgie « Heimweh » privilégiant le paysage natal de même que la « Sehnsucht » qui renvoie au temps heureux de la jeunesse et de la vie en liberté dans le pays natal. Elle se présente d'abord comme un sentiment doux-amer pour se transformer ensuite en douleur dévastatrice. Une importance particulière a été accordée à l'analyse de « l'héritage » du héros, le trauma et l'inquiétante étrangeté dont le héros ne peut pas guérir. Dans une première étape, l'ingénieur chilien montre l'exemple de celui qui ne sait pas perdre ; l'épreuve de son exil s'avère être une descente progressive dans « le trou » noir de l'existence.







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